Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 28 mars 1996, n° C-318/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Edward

Avocat général :

M. Elmer

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Jann, Sevón, Wathelet

CJCE n° C-318/94

28 mars 1996

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 décembre 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, l'Office des eaux et de la navigation d'Emden ayant passé le marché public des travaux de dragage de l'Ems inférieure, entre Papenbourg et Oldersum, selon une procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'adjudication au Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), telle que modifiée par la directive 89-440-CEE du Conseil, du 18 juillet 1989 (JO L 210, p. 1, ci-après la "directive").

2 En septembre 1989, à la demande de la ville de Papenbourg, l'aménagement du lit de l'Ems inférieure a été envisagé pour permettre la navigation de navires de la classe dite "Panama" d'un tirant d'eau de 6,80 m. Cet approfondissement revêtait une grande importance économique pour la région. En outre, au cours de l'année 1990, le chantier naval Meyer-Werft, le plus grand employeur de la région, s'est engagé à livrer un navire de cette classe pour le 18 février 1992, au plus tard. Une pénalité de 80 000 USD par jour était prévue en cas de non-respect de ce délai. Or, la livraison de ce navire à cette date ne pouvait intervenir qu'après achèvement des travaux.

3 En vertu de la législation allemande, les plans du projet d'approfondissement de l'Ems inférieure devaient faire l'objet d'une procédure d'approbation qui requérait, en particulier, l'accord du Gouvernement de la région de Weser-Ems. A la fin du mois de mai 1991, date prévue du terme de la procédure, le Gouvernement de la région de Weser-Ems, qui n'avait soulevé aucune objection auparavant, a fait savoir que les plans du projet ne recueillaient pas son accord pour des raisons écologiques. Il a alors été décidé de poursuivre la procédure en vue de faire approuver seulement les plans de la partie du projet consistant à approfondir, de manière provisoire, le lit de la rivière afin de rendre possible l'acheminement du navire construit par le chantier naval Meyer-Werft. Les plans de ce projet partiel ont été définitivement approuvés le 15 août 1991.

4 Cependant, l'Office des eaux et de la navigation d'Emden (ci-après l'"Office"), qui envisageait d'attribuer les travaux selon la procédure ouverte, a, dès le 15 avril 1991, envoyé une annonce d'information préalable sur les travaux envisagés, qui a été publiée dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes du 20 avril 1991.

5 Compte tenu du retard pris dans l'approbation des plans, l'Office a décidé de renoncer à la procédure ouverte et de passer le marché selon une procédure négociée, sans publication d'un avis d'adjudication préalable. Le marché a été attribué selon cette dernière procédure le 15 août 1991.

6 Par lettre de mise en demeure du 12 novembre 1991, la Commission a engagé contre la République fédérale d'Allemagne, conformément à l'article 169 du traité, une procédure en manquement aux obligations du traité pour violation des règles de procédure de passation des marchés. Elle a souligné que, dans le cas d'espèce, le choix de la procédure négociée n'était pas justifié par l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive. Dans une communication du 6 mars 1992, le Gouvernement fédéral a contesté cette allégation.

7 Dans l'avis motivé du 27 avril 1993, la Commission a réaffirmé son point de vue et a invité le Gouvernement fédéral à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé et, notamment, à suspendre le marché en cause, ainsi que tout marché négocié dans les mêmes conditions, dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci.

8 Dans sa prise de position du 28 septembre 1993, le Gouvernement fédéral a affirmé que les travaux devaient impérativement être achevés pour le 18 février 1992, date de livraison du navire, en sorte qu'ils devaient être entamés au plus tard à la mi-août 1991. Compte tenu des difficultés rencontrées dans la procédure d'approbation des plans, il ne pouvait être recouru à la procédure ouverte qui aurait duré au moins 72 jours.

9 Estimant que cette réponse n'était pas satisfaisante, la Commission a introduit le présent recours.

10 Il convient d'examiner si la République fédérale d'Allemagne pouvait, sur le fondement de l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive, passer le marché en question au moyen d'une procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'adjudication. Il résulte en effet de cette disposition:

"Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de travaux en recourant à la procédure négociée, sans publication préalable d'un avis d'adjudication, dans les cas suivants:

...

c) dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l'urgence impérieuse, résultant d'événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question, n'est pas compatible avec les délais exigés par les procédures ouvertes, restreintes ou négociées visées au paragraphe 2. Les circonstances invoquées pour justifier l'urgence impérieuse ne doivent en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs..."

11 Avant d'être modifiée par la directive 89-440, la directive 71-305 prévoyait dans son article 9:

"Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de travaux sans appliquer les dispositions de la présente directive, à l'exception de celles de l'article 10, dans les cas suivants:

...

d) dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l'urgence impérieuse résultant d'événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs n'est pas compatible avec les délais exigés par d'autres procédures..."

12 Dans la mesure où l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive reprend les termes de l'ancien article 9, sous d), il convient de les interpréter de la même manière.

13 A cet égard, la Cour a considéré que les dispositions de l'article 9 de la directive 71-305, qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir l'effectivité des droits reconnus par le traité dans le secteur des marchés publics des travaux, doivent faire l'objet d'une interprétation stricte et que c'est à celui qui entend s'en prévaloir qu'incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (arrêt du 18 mai 1995, Commission/Italie, C-57-94, Rec. p. I-1249, point 23).

14 La Cour a également jugé que la dérogation prévue par l'article 9, sous d), de la directive 71-305, à savoir la dispense de toute obligation de publier un avis d'adjudication, est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives. Elle suppose en effet l'existence d'un événement imprévisible, d'une urgence impérieuse incompatible avec les délais exigés par d'autres procédures et, enfin, d'un lien de causalité entre l'événement imprévisible et l'urgence impérieuse qui en résulte (arrêt du 2 août 1993, Commission/Italie, C-107-92, Rec. p. I-4655, point 12). Si l'une des conditions n'est pas remplie, le recours à la procédure négociée n'est pas justifié.

15 Selon le Gouvernement fédéral, l'événement imprévisible pour les pouvoirs adjudicateurs consistait dans le refus d'approbation exprimé de manière totalement inattendue, après la délibération, par le Gouvernement de la région de Weser-Ems.

16 Cet argument ne saurait être retenu.

17 Il convient de souligner que, en vue de prendre en considération les intérêts publics et privés concernés lors de la procédure d'approbation de projets de travaux publics, les États membres peuvent conférer aux personnes physiques ou morales potentiellement concernées par un projet certains droits que les autorités compétentes sont tenues de respecter.

18 Le fait qu'une entité qui doit donner son accord à un projet soulève, avant la date limite prévue à cet effet, des objections pour des raisons qu'elle est en droit de faire valoir constitue donc un élément prévisible dans le déroulement de la procédure d'approbation des plans.

19 En conséquence, le refus du Gouvernement de la région de Weser-Ems de donner son accord au projet de dragage de l'Ems inférieure, obligeant ainsi les autorités compétentes à le modifier, ne saurait être considéré comme un événement imprévisible pour les pouvoirs adjudicateurs au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive.

20 Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de vérifier si les autres conditions de la dérogation étaient remplies en l'espèce, que, l'Office des eaux et de la navigation d'Emden ayant passé le marché public des travaux de dragage de l'Ems inférieure, entre Papenbourg et Oldersum, selon une procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'adjudication au Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, telle que modifiée par la directive 89-440-CEE du Conseil, du 18 juillet 1989.

Sur les dépens

21 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

Déclare et arrête:

1) L'Office des eaux et de la navigation d'Emden ayant passé le marché public des travaux de dragage de l'Ems inférieure, entre Papenbourg et Oldersum, selon une procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'adjudication au Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, telle que modifiée par la directive 89-440-CEE du Conseil, du 18 juillet 1989.

2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.