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Décisions

CJCE, 6e ch., 19 avril 1994, n° C-331/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gestión Hotelera Internacional (SA)

Défendeur :

Comunidad Autónoma de Canarias, Ayuntamiento de Las Palmas de Gran Canaria, Gran Casino de Las Palmas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Díez de Velasco, Kakouris, Schockweiler, Kapteyn

Avocats :

Mes Aznar Vallejo, Piernavieja Domínguez

CJCE n° C-331/92

19 avril 1994

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 10 juillet 1992, parvenue à la Cour le 31 juillet suivant, le Tribunal Superior de Justicia de Canarias a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5, ci-après la "directive 71-305").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Gestión Hotelera Internacional à la Comunidad Autónoma de Canarias (Communauté autonome des îles Canaries, ci-après la "Comunidad Autónoma"), à l'Ayuntamiento de Las Palmas de Gran Canaria (ci-après la "mairie de Las Palmas") ainsi qu'à la société Gran Casino de Las Palmas.

3 Par arrêté départemental du 17 juillet 1989, émanant du Conseil de la présidence du Gouvernement des îles Canaries, publié au Boletín Oficial de Canaries du 19 juillet suivant, deux appels d'offres ont été lancés, l'un en vue de l'adjudication de l'autorisation définitive de l'installation et de l'ouverture d'un établissement de jeux dans les locaux de l'hôtel Santa Catalina à Las Palmas, l'autre concernant l'utilisation des installations de l'hôtel et l'exploitation de l'activité hôtelière. Étant donné que l'hôtel en cause appartenait à la municipalité de Las Palmas, ce dernier appel a été lancé par le Gouvernement des îles Canaries au nom de la mairie de cette ville en vertu d'un accord de coopération entre ces deux autorités.

4 Le cahier des charges relatif à l'octroi de l'autorisation d'ouvrir et d'installer l'établissement de jeux figure à l'annexe I de l'arrêté départemental précité (ci-après l'"annexe I"). Parmi les conditions auxquelles doivent satisfaire les soumissionnaires, l'article 2, paragraphe 1, sous c) et i), de cette annexe prévoit que

"c) (leur) objet social unique et exclusif consistera dans l'exploitation d'établissements de jeux. Néanmoins l'objet social de l'entreprise pourra comprendre le droit d'offrir et de fournir les services complémentaires auxquels il est fait référence à l'article 2, paragraphe 2, du présent cahier des charges.

...

i) (les soumissionnaires doivent) participer à l'appel d'offres en vue de l'adjudication de l'utilisation des installations et de l'exploitation des activités hôtelières dont le cahier des charges figure en annexe II du présent arrêté".

5 En vertu de l'article 3, paragraphe 3, sous g), de l'annexe I, la demande doit être accompagnée des plans et projets de l'établissement de jeux avec indication de toutes les caractéristiques techniques, y compris les travaux complémentaires ou d'adaptation qui pourraient s'avérer nécessaires.

6 L'article 4, paragraphe 3, de cette même annexe procède à l'énumération des éléments qui, tels les jeux autorisés, l'accès universel ou restreint au casino et le caractère incessible de l'autorisation, doivent être portés à la connaissance de l'adjudicataire. L'article 5, paragraphe 2, sous b), dispose que la demande de l'autorisation d'ouverture et de l'installation de l'établissement de jeux doit être accompagnée d'une copie de l'autorisation municipale d'entreprendre certains travaux ainsi que d'une attestation indiquant que ceux-ci ont été terminés.

7 Le cahier des charges relatif à l'adjudication de l'utilisation des installations de l'hôtel ainsi que de l'exploitation de l'activité hôtelière, reproduit à l'annexe II à l'arrêté départemental (ci-après l'"annexe II"), précise, en son article 2, que, seules, les entreprises qui participent effectivement à l'appel d'offres en vue de l'adjudication de l'autorisation définitive d'installer et d'ouvrir l'établissement de jeux peuvent se porter adjudicataires pour ce second marché.

8 En vertu de l'article 2, paragraphe 2, sous a), de l'annexe II, le soumissionnaire sera tenu d'investir au minimum 1 000 millions de PTA dans les installations de l'hôtel et d'apporter un minimum de 1 000 millions de PTA pour l'utilisation de l'ensemble de l'hôtel et du casino pendant la durée de la validité initiale de l'autorisation. L'article 2, paragraphe 2, sous b), prévoit que l'entreprise adjudicataire devra réaliser les travaux nécessaires de réfection, de réaménagement et de restauration des installations afin que l'hôtel et ses abords puissent demeurer classés dans la catégorie des cinq étoiles et puisse offrir les services complémentaires obligatoires. L'article 3, paragraphe 3, de l'annexe II précise que la soumission concernant ces travaux devra spécifier les projets de base des travaux, les budgets et les délais d'exécution.

9 Devant le juge national, la Gestión Hotelera Internacional, qui était locataire de l'hôtel au moment de la procédure d'adjudication, a demandé l'annulation des appels d'offres lancés par le Gouvernement des îles Canaries ainsi que de l'adjudication qui avait entre-temps été faite par arrêté départemental du 10 janvier 1990 à la société Gran Casino de Las Palmas. La demande d'annulation est fondée sur le fait que, d'après les cahiers des charges, les adjudicataires devaient effectuer des travaux de réfection du casino et de l'hôtel et que, par conséquent, l'arrêté départemental contenant les appels d'offres aurait dû être publié dans le Journal officiel des Communautés européennes, conformément à la directive 71-305.

10 Doutant de l'interprétation à donner au droit communautaire, le Tribunal Superior de Justicia de Canarias a sursis à statuer pour poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Un contrat mixte d'exécution de travaux et de cession de biens peut-il être considéré comme inclus dans la notion de marchés publics de travaux inscrite à l'article 1er, sous a), de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971 ?

2) Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché présentant de telles caractéristiques doivent-ils, en conséquence, en publier l'avis au Journal officiel des Communautés européennes ?"

Sur la recevabilité

11 La Comunidad Autónoma ainsi que la mairie de Las Palmas estiment qu'il n'y avait pas lieu pour le juge national de renvoyer l'affaire devant la Cour parce que la directive 71-305 a été transposée en droit interne et que, par conséquent, il n'est plus nécessaire de s'y référer.

12 Il convient de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêt du 27 octobre 1993, Enderby, C-127-92, Rec. p. I-0000, point 10).

13 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, l'interprétation d'une directive peut être utile au juge national afin d'assurer que la loi qui la met en œuvre en droit interne sera interprétée et appliquée conformément aux exigences du droit communautaire (voir arrêt du 20 mai 1976, Mazzalai, 111-75, Rec. p. 657, point 10).

14 Il convient donc d'examiner les questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur le fond

Sur la première question

15 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la directive 71-305 définit les marchés publics de travaux en son article 1er. Selon le point a) de cette disposition, il doit s'agir de "contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un entrepreneur - personne physique ou morale - d'une part, et, d'autre part, un pouvoir adjudicateur...", lequel est défini au point b) comme l'État, une collectivité territoriale ou une personne morale de droit public mentionnée à l'annexe I de la directive.

16 En outre, ce contrat doit avoir pour objet l'une des activités visées à l'article 2 de la directive 71-304-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales (JO L 185, p. 1). La liste de ces activités professionnelles qui a été annexée à cette directive mentionne les activités relatives au bâtiment et au génie civil.

17 Afin de fournir au juge de renvoi les éléments d'interprétation qui lui sont utiles pour trancher le litige au principal, il convient d'analyser ensuite le contrat en cause, tel qu'il est décrit dans le dossier.

18 La procédure d'adjudication a été entamée par le Gouvernement des îles Canaries qui a lancé deux appels d'offres. Le premier, concernant un casino, a été fait au nom de la Communauté autonome des îles Canaries, tandis que le second, relatif à l'exploitation d'un hôtel, l'a été au nom de la mairie de Las Palmas.

19 Le pouvoir adjudicateur se proposait de faire installer un établissement de jeux dans les locaux de l'hôtel Santa Catalina, dont la municipalité était propriétaire. Il cherchait à attribuer ce marché à une entreprise qui prendrait également en charge l'exploitation de l'entreprise hôtelière. C'est à cette fin que l'article 2 de l'annexe II précisait que les seules entreprises admises à participer étaient celles qui se porteraient également adjudicataires pour l'autorisation définitive d'installer et d'ouvrir l'établissement de jeux.

20 En premier lieu, il ressort de l'accord de coopération entre la mairie de Las Palmas et le Gouvernement des îles Canaries, tel qu'il a été décrit par le juge de renvoi, et de l'article 2, paragraphe 2, sous b), de l'annexe II, que l'adjudicataire sera tenu de réaliser une série de travaux non seulement dans les dépendances de l'hôtel mais également dans celles du casino. Ces travaux devaient permettre de rendre les lieux propres à l'exercice des activités auxquelles ils seraient affectés.

21 En deuxième lieu, l'annexe II, qui énonce les conditions minimales à satisfaire pour obtenir l'autorisation d'installer et d'ouvrir le casino ainsi que l'utilisation du local prévu pour cette installation et l'exploitation de l'activité hôtelière, obligeait l'adjudicataire à réaliser des travaux de réfection, de réaménagement et de restauration des installations de l'hôtel pour un montant minimal de 1 000 millions de PTA.

22 Enfin, selon l'article 2, paragraphe 2, sous b), de l'annexe II, l'adjudicataire devait assurer que l'hôtel demeurerait classé dans la catégorie des "cinq étoiles" et qu'il pourrait offrir des services complémentaires obligatoires. A cet égard, l'article 3, paragraphe 3, sous g), de l'annexe I lui imposait d'indiquer les travaux complémentaires ou d'adaptation qui pourraient s'avérer nécessaires pour l'installation du casino.

23 Il résulte de cette analyse que l'objet principal de l'adjudication consistait, d'une part, à installer et à ouvrir un casino et, d'autre part, à exploiter une entreprise hôtelière. Il est constant que ces marchés considérés en tant que tels ne relèvent pas du champ d'application de la directive 71-305.

24 Il apparaît ensuite que, primo, les documents ci-dessus invoqués ne contenaient aucune description de l'objet des travaux à effectuer, tant en ce qui concerne l'installation et l'ouverture du casino qu'en ce qui concerne l'exploitation de l'hôtel, que, secundo, aucune rémunération n'avait été prévue pour ces travaux et que, tertio, le soumissionnaire, en raison de la définition stricte de son objet social, figurant à l'article 2, paragraphe 1, sous c), de l'annexe I, ne pouvait les effectuer lui-même.

25 La question qui se pose au juge de renvoi est celle de savoir si un tel contrat mixte qui porte à la fois sur l'exécution de travaux et une cession de biens relève du champ d'application de la directive 71-305.

26 Il y a lieu de répondre que, lorsque les travaux à effectuer dans l'hôtel et le casino n'ont qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet principal de l'adjudication, l'ensemble de cette adjudication ne peut être qualifié de marché public de travaux au sens de la directive 71-305.

27 Cette interprétation est corroborée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1). Selon son seizième considérant, il résulte, en effet, de la directive 71-305 qu'un contrat ne peut être considéré comme un marché public de travaux que si son objet consiste à réaliser un ouvrage et que, pour autant que ces travaux sont accessoires et ne forment pas l'objet du contrat, ils ne peuvent justifier la classification du contrat comme marché public de travaux.

28 Il appartient au juge national de statuer sur le point de savoir si les travaux ont un caractère accessoire par rapport à l'objet principal de l'adjudication.

29 Il y a donc lieu de répondre à la première question qu'un contrat mixte qui porte à la fois sur l'exécution de travaux et une cession de biens ne relève pas du champ d'application de la directive 71-305, si l'exécution des travaux présente seulement un caractère accessoire par rapport à la cession de biens.

Sur la seconde question

30 Vu la réponse qui a été apportée à la première question, il n'y a pas lieu d'examiner la seconde.

Sur les dépens

31 Les frais exposés par le Gouvernement espagnol et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal Superior de Justicia de Canarias, par ordonnance du 10 juillet 1992, dit pour droit:

Un contrat mixte qui porte à la fois sur l'exécution de travaux et une cession de biens ne relève pas du champ d'application de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, si l'exécution des travaux présente seulement un caractère accessoire par rapport à la cession de biens.