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Décisions

CJCE, 5e ch., 14 avril 1994, n° C-389/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ballast Nedam Groep NV

Défendeur :

Belgische Staat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Gulmann.

Juges :

MM. Joliet, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg

CJCE n° C-389/92

14 avril 1994

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par arrêt du 29 septembre 1992, parvenu à la Cour le 6 novembre suivant, le Raad van State van België a, en application de l'article 177 du traité CEE, posé une question préjudicielle relative à l'interprétation de la directive 71-304-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales (JO L 185, p. 1) et de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5).

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige qui oppose la société de droit néerlandais Ballast Nedam Groep (ci-après "BNG") à l'État belge au sujet du non-renouvellement de l'agréation accordée à cette société.

3 Dans le cadre de la révision de la situation des entrepreneurs agréés, prévue par l'article 15 de l'arrêté royal du 9 août 1982, fixant les mesures d'application de l'arrêté-loi du 3 février 1947, organisant l'agréation des entrepreneurs, le ministre des Travaux publics a décidé en 1987 de ne pas renouveler l'agréation accordée jusqu'alors à BNG. La décision ministérielle, qui suit un avis défavorable rendu par la commission d'agréation des entrepreneurs, a été prise au motif que cette société ne peut pas être considérée comme un entrepreneur de travaux, car étant une holding, elle n'exécute pas elle-même des travaux mais fait état, pour justifier de ses capacités, des travaux exécutés par ses filiales, qui sont toutes des personnes morales distinctes.

4 BNG a saisi le Raad van State pour demander l'annulation tant de l'avis de la commission d'agréation que de la décision du ministre des Travaux publics.

5 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation des directives communautaires relatives aux marchés publics de travaux, le Raad van State a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La directive 71-304-CEE, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales, et la directive 71-305-CEE, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, en particulier ses articles 1er, 6, 21, 23 et 26, permettent-elles que, lors de l'application de la réglementation belge, relative à l'agréation des entrepreneurs, à la personne morale dominante d'un " groupe " constitué selon le droit néerlandais, les critères auxquels l'entrepreneur doit satisfaire, entre autres en ce qui concerne la capacité technique, ne soient appréciés qu'en ne tenant compte que de l'entité juridique de cette personne morale dominante et non des " sociétés du groupe " qui, chacune en tant que personne morale distincte, font partie de ce 'groupe' ?"

6 Les directives 71-304 et 71-305 visent à assurer la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics. C'est ainsi que la première de ces directives comporte, à la charge des États membres, une obligation générale de suppression des restrictions à l'accès, à la participation et à l'exécution des marchés de travaux publics et que la seconde directive porte coordination des procédures de passation des marchés publics (voir arrêt du 10 février 1982, Transporoute, 76-81, Rec. p. 417, point 7).

7 Dans le cadre de cette coordination, le titre IV de la directive 71-305 a fixé un certain nombre de règles communes pour la participation des entrepreneurs aux marchés publics de travaux. Au nombre de ces règles figurent, notamment, celles de l'article 21, qui autorise les groupements d'entrepreneurs à soumissionner, et de l'article 28, qui renvoie, pour l'établissement de listes officielles d'entrepreneurs agréés, aux critères de sélection qualitative définis par les articles 23 à 26, lesquels déterminent également la manière dont les entreprises peuvent faire la preuve de ce qu'elles satisfont à de tels critères (voir arrêt Transporoute, précité, point 8).

8 La société requérante au principal et la Commission soutiennent, en substance, que ces directives permettent, pour l'appréciation des critères auxquels doit satisfaire un entrepreneur lors de l'examen d'une demande d'agréation, présentée par une personne morale dominante d'un groupe constitué selon le droit néerlandais, de tenir compte des sociétés qui, tout en conservant chacune leur personnalité propre, appartiennent à ce groupe.

9 Pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient d'examiner si une société holding peut, parce qu'elle n'exécute pas elle-même des travaux, être écartée des procédures de participation aux marchés publics de travaux et, dans la négative, dans quelles conditions elle peut justifier des capacités nécessaires à cette participation.

10 Il ressort du libellé même de la directive 71-304 que l'attribution de marchés publics de travaux peut intervenir en faveur de bénéficiaires qui font exécuter les travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales.

11 L'article 21 de la directive 71-305, qui figure au nombre des règles communes de participation au marché, autorise expressément les groupements d'entrepreneurs à soumissionner sans qu'il soit possible au pouvoir adjudicateur d'exiger, avant l'attribution du marché, la transformation de tels groupements dans une forme juridique déterminée. Quant à l'article 16, sous k), de la même directive, qui figure au nombre des règles communes de publicité des marchés, il prévoit seulement que, dans les procédure ouvertes, l'avis doit préciser la forme juridique déterminée que devra éventuellement revêtir le groupement d'entrepreneurs auquel aura été attribué le marché.

12 Enfin, les critères de sélection qualitative fixés par les articles 23 à 26 de la directive 71-305, auxquels renvoie l'article 28 de la même directive, qui concerne les listes officielles d'entrepreneurs agréés, ont pour seul objet de définir les règles d'appréciation objective de la capacité des entrepreneurs, notamment dans le domaine technique. L'une d'entre elles, prévue à l'article 26, sous e), prévoit expressément la possibilité, pour justifier de cette capacité technique, de produire une déclaration mentionnant les techniciens ou les organes techniques, qu'ils soient ou non intégrés à l'entreprise, dont l'entrepreneur disposera pour l'exécution de l'ouvrage.

13 Ainsi que le relève à juste titre la Commission, il ressort de l'ensemble de ces dispositions que peut prétendre à l'attribution de marchés publics de travaux non seulement une personne physique ou morale qui exécute elle-même ces travaux, mais également une personne qui les fait exécuter par l'intermédiaire d'agences ou de succursales ou qui a recours à des techniciens ou organes techniques extérieurs ou encore un groupement d'entrepreneurs, quelle que soit sa forme juridique.

14 II convient d'ailleurs d'observer que la directive 89-440-CEE du Conseil, du 18 juillet 1989, modifiant la directive 71-305-CEE, précitée (JO L 210, p. 1), notamment dans le but de mieux préciser la notion de marchés publics de travaux, a expressément indiqué, à son article 1er, que ceux-ci ont pour objet soit d'exécuter, soit conjointement d'exécuter et de concevoir des travaux ou un ouvrage, soit "de faire réaliser, par quelque moyen que ce soit, un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur". Cette définition confirme qu'une personne qui n'a pas l'intention ou les moyens d'exécuter elle-même les travaux peut participer à une procédure de passation des marchés.

15 Ainsi, une société holding qui n'exécute pas elle-même des travaux ne peut pas, parce que ses filiales qui exécutent les travaux sont des personnes morales distinctes, être, pour ce motif, écartée des procédures de participation aux marchés publics de travaux.

16 Cependant, il appartient aux pouvoirs adjudicateurs, ainsi que le précise l'article 20 de la directive 71-305, de procéder à la vérification de l'aptitude des entrepreneurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique mentionnés aux articles 25 à 28 de la même directive.

17 A cet égard, lorsque, pour démontrer ses capacités techniques, financières et économiques, en vue d'obtenir son inscription sur une liste officielle d'entreprises agréées, une société fait état des références de ses filiales, elle doit établir que, quelle que soit la nature du lien juridique qui l'unit à ces filiales, elle a effectivement la disposition des moyens de ces dernières qui sont nécessaires à l'exécution des marchés. Il appartient au juge national d'apprécier, au vu des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, si une telle justification est apportée en l'espèce au principal.

18 Il y a donc lieu de répondre à la question préjudicielle posée que la directive 71-304-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales, et la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, doivent être interprétées en ce sens qu'elles permettent, pour l'appréciation des critères auxquels doit satisfaire un entrepreneur lors de l'examen d'une demande d'agréation présentée par une personne morale dominante d'un groupe, de tenir compte des sociétés qui appartiennent à ce groupe, pour autant que la personne morale en cause établit qu'elle a effectivement la disposition des moyens de ces sociétés qui sont nécessaires à l'exécution des marchés. Il appartient au juge national d'apprécier si une telle justification est apportée en l'espèce au principal.

Sur les dépens

19 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Raad van State van België, par arrêt du 29 septembre 1992, dit pour droit:

La directive 71-304-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales, et la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, doivent être interprétées en ce sens qu'elles permettent, pour l'appréciation des critères auxquels doit satisfaire un entrepreneur lors de l'examen d'une demande d'agréation présentée par une personne morale dominante d'un groupe, de tenir compte des sociétés qui appartiennent à ce groupe, pour autant que la personne morale en cause établit qu'elle a effectivement la disposition des moyens de ces sociétés qui sont nécessaires à l'exécution des marchés. Il appartient au juge national d'apprécier si une telle justification est apportée en l'espèce au principal.