CJCE, 14 juillet 1988, n° 38-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République hellénique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Due, Moitinho de Almeida, Iglesias
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. Koopmans, Everling, Galmot, Kakouris, O'Higgins
Avocat :
Me Skandalou
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 5 février 1987, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en subordonnant l'accès aux professions d'architecte, d'ingénieur civil, de géomètre et d'avocat ainsi que leur exercice à la possession de la nationalité hellénique et en ayant omis d'adapter sa législation en la matière aux dispositions du droit communautaire, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité CEE.
2. En ce qui concerne les dispositions nationales en cause (notamment l'article 4, paragraphe 2, du décret-loi n° 2728 du 12 novembre 1953 et l'article 2 de la loi n° 1486 du 17 octobre 1984), le déroulement de la procédure et les arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Professions d'architecte, d'ingénieur civil et de géomètre
3. La Commission soutient qu'une personne titulaire des diplômes requis et de l'autorisation nécessaire ne peut exercer les professions concernées en République hellénique que si elle est membre ordinaire de la chambre professionnelle des architectes, ingénieurs etc., dénommée chambre technique de Grèce (ci-après "chambre technique"). Mais, alors que les ressortissants grecs sont de plein droit membres ordinaires de cet organisme, la législation hellénique ne prévoirait pas l'accès des étrangers à cette qualité. Il en résulterait une violation des articles 7, 52 et 59 du traité CEE, car l'accès aux professions en cause et leur exercice ne seraient pas permis dans les mêmes conditions pour les étrangers et pour les ressortissants grecs, même à supposer que la chambre technique dispose, en l'absence d'interdiction expresse de la loi, de la possibilité d'inscrire les étrangers en qualité de membre ordinaire.
4. La République hellénique fait valoir que les dispositions litigieuses se bornent à imposer aux ressortissants grecs une obligation d'inscription à la chambre technique, laquelle doit obligatoirement y procéder, sans soumettre les étrangers à une telle obligation. En revanche, la législation hellénique autoriserait l'inscription des étrangers comme membres ordinaires et telle serait d'ailleurs l'interprétation constante de la chambre technique.
5. Il est constant que l'accès aux professions en cause et leur exercice en République hellénique sont subordonnés, en toute hypothèse et sous peine de sanctions, à l'inscription des intéressés à la chambre technique en qualité de membre ordinaire. Il est par ailleurs établi que cette qualité confère certains avantages, notamment en matière de recouvrement d'honoraires, de sécurité sociale et de formation professionnelle.
6. Il y a lieu d'observer que l'inscription à la chambre technique en qualité de membre ordinaire conditionne et facilite l'accès aux professions concernées et leur exercice en République hellénique. Dès lors, les conditions d'inscription à cet organisme doivent être identiques pour les ressortissants grecs et pour ceux des autres Etats membres, conformément aux articles 52 et 59 du traité qui prohibent dans leurs domaines d'application respectifs toute discrimination exercée en raison de la nationalité.
7. Or, il apparaît que les dispositions nationales en cause ne confèrent pas expressément aux ressortissants des autres Etats membres le droit d'inscription à la chambre technique en qualité de membre ordinaire. D'autre part, les deux seules possibilités d'inscription expressément prévues, en qualité de membre ordinaire pour certains étrangers d'origine hellénique et en qualité de membre honoraire pour les autres étrangers, peuvent être interprétées, ainsi que le soutient la Commission, comme exhaustives et, par conséquent, comme excluant les ressortissants des autres Etats membres du droit à l'inscription à la chambre technique en qualité de membre ordinaire.
8. On ne saurait retenir l'argument de la République hellénique selon lequel les dispositions nationales litigieuses permettent l'inscription des étrangers en qualité de membre ordinaire de la chambre technique et que telle est l'interprétation constante adoptée par cet organisme.
9. D'une part, le silence des textes sur le droit des ressortissants des autres Etats membres à l'inscription à la chambre technique en qualité de membre ordinaire donne lieu à une situation de fait ambiguë en maintenant, pour les sujets de droit concernés, un état d'incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel aux dispositions précitées du traité, lesquelles produisent un effet direct. Le maintien de textes comportant une telle lacune juridique constitue dès lors, dans le chef de la République hellénique, un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
10. D'autre part, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'Administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité (voir arrêt du 15 octobre 1986, Commission-République italienne, 168-85, Rec. p. 2945).
11. Il importe d'ailleurs de rappeler qu'en réponse à l'avis motivé la représentation permanente de la Grèce auprès des Communautés a informé la Commission que, en ce qui concerne les discriminations fondées sur la nationalité qui subsistent pour l'accès aux professions en cause, les ministères nationaux compétents avaient entamé la procédure d'élaboration des textes législatifs visant à supprimer la condition de nationalité.
12. Il y a donc lieu de constater que la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité en maintenant en vigueur des dispositions qui ne consacrent pas expressément le droit des ressortissants des autres Etats membres à l'inscription à la chambre technique en qualité de membre ordinaire, alors que l'inscription en cette qualité conditionne et facilite l'accès aux professions concernées et leur exercice en République hellénique.
13. Cette constatation ne vise que la discrimination exercée en raison de la nationalité et ne préjuge donc pas la question de savoir si une obligation d'inscription en qualité de membre ordinaire de la chambre technique constitue, à l'égard des ressortissants des autres Etats membres, une restriction à la libre prestation des services imposée en raison de la circonstance qu'ils sont établis dans un Etat membre autre que celui ou la prestation doit être fournie. En effet, cette question ne relève pas de l'objet du présent recours.
Profession d'avocat
14. La Commission soutient que l'accès à la profession d'avocat est réservé aux ressortissants grecs par l'article 3 du décret-loi des 6-8 octobre 1954 relatif au Code des avocats. La République hellénique ne conteste pas cette allégation, mais fait valoir qu'en ce qui concerne l'accès à cette profession et son exercice la procédure d'adoption du texte législatif qui éliminera la condition de nationalité prévue par le Code des avocats est en cours. Cette procédure devrait toutefois prendre un délai assez long puisqu'elle vise simultanément l'unification des dispositions relatives à l'équivalence des titres universitaires entre les divers Etats membres ainsi que l'élaboration d'un Code déontologique applicable également à d'autres professions.
15. Il est ainsi constant que les dispositions nationales mises en cause par la Commission sont incompatibles avec les articles 52 et 59 du traité.
16. Il y a lieu de rejeter comme non-fondés les arguments invoqués en défense par la République hellénique. En effet, un Etat membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 12 février 1987, Commission-Italie, 69-86, Rec. p. 773).
17. Il convient donc de reconnaître que la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité en maintenant en vigueur des dispositions qui subordonnent l'accès à la profession d'avocat et son exercice à la possession de la nationalité hellénique.
Sur les dépens
18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République hellénique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête:
1) La République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité CEE en maintenant en vigueur des dispositions qui ne consacrent pas expressément le droit des ressortissants des autres Etats membres à l'inscription à la chambre technique de Grèce en qualité de membre ordinaire, alors que l'inscription en cette qualité conditionne et facilite l'accès aux professions d'architecte, d'ingénieur civil et de géomètre et leur exercice en République hellénique.
2) La République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité CEE en maintenant en vigueur des dispositions qui subordonnent l'accès à la profession d'avocat et son exercice à la possession de la nationalité hellénique.
3) La République hellénique est condamnée aux dépens.