CJCE, 6e ch., 12 février 2004, n° C-230/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grossmann Air Service, Bedarfsluftfahrtunternehmen GmbH & Co. KG
Défendeur :
Republik Österreich
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Skouris
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
MM. Gulmann, Cunha Rodrigues, Puissochet, Schintgen
Avocat :
Me Schmautzer
LA COUR (sixième chambre)
1. Par ordonnance du 14 mai 2002, parvenue au greffe de la Cour le 20 juin suivant, le Bundesvergabeamt a posé, en vertu de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 1er , paragraphe 3, et 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après la "directive 89-665").
2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Grossmann Air Service, Bedarfsluftfahrtunternehmen GmbH & Co. KG (ci-après "Grossmann") à la Republik Österreich, représentée par le ministère fédéral des Finances (ci-après le "ministère"), au sujet d'une procédure d'adjudication d'un marché public.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3. L'article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89-665 dispose:
"1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71-305-CEE, 77-62-CEE et 92-50-CEE [...], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
[...]
3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d'introduire un recours."
4. Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-665:
"1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation du marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;
b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;
c) d'accorder des dommagesintérêts aux personnes lésées par une violation."
La législation nationale
5. La directive 89-665 a été transposée en droit autrichien par le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (Bundesvergabegesetz) 1997 (loi fédérale de 1997 relative à la passation des marchés publics, BGBl. I, 1997-56, ci-après le "BVergG"). Le BVergG prévoit l'institution de la Bundes-Vergabekontrollkommission (commission fédérale de contrôle des adjudications, ci-après la "B-VKK") et du Bundesvergabeamt (office fédéral des adjudications).
6. L'article 109 du BVergG détermine les compétences de la B-VKK. Il contient les dispositions suivantes:
"1. La B-VKK est compétente:
1) jusqu'à l'attribution du marché, pour concilier des divergences d'opinion entre l'entité adjudicatrice et un ou plusieurs candidats ou soumissionnaires relatives à l'application de la présente loi fédérale ou de ses règlements d'application;
[...]
6. Une demande d'intervention de la B-VKK introduite en application du paragraphe 1, point 1, doit être présentée à la direction de cet organisme le plus rapidement possible après connaissance de la divergence d'opinion.
7. Au cas où l'intervention de la B-VKK ne fait pas suite à une demande de l'entité adjudicatrice, elle doit informer celle-ci sans délai de ladite intervention.
8. L'entité adjudicatrice ne peut pas attribuer le marché dans un délai de quatre semaines à compter de [...] l'information prévue au paragraphe 7, sous peine de nullité de l'adjudication. [...]"
7. L'article 113 du BVergG détermine les compétences du Bundesvergabeamt. Il prévoit:
"1. Le Bundesvergabeamt est compétent pour examiner les procédures de recours dont il est saisi, conformément aux dispositions du chapitre ci-après.
2. En vue de mettre fin aux violations de la présente loi fédérale et de ses règlements d'application, le Bundesvergabeamt est compétent, jusqu'à l'attribution du marché, pour
1) prescrire des mesures provisoires et
2) annuler des décisions illégales de l'entité adjudicatrice du pouvoir adjudicateur.
3. Après l'attribution du marché ou après la clôture de la procédure d'adjudication, le Bundesvergabeamt est compétent pour constater que, du fait d'une infraction à la présente loi fédérale ou à ses règlements d'application, le marché n'a pas été attribué au mieux-disant. [...]"
8. L'article 115, paragraphe 1, du BVergG dispose:
"Tout entrepreneur qui allègue un intérêt à la conclusion d'un contrat soumis au champ d'application de la présente loi fédérale peut introduire, contre les décisions prises par le pouvoir adjudicateur dans le cadre de la procédure d'adjudication, une procédure de recours pour illégalité, lorsque cette illégalité l'a lésé ou risque de le léser."
9. Conformément à l'article 122, paragraphe 1, du BVergG, "[e]n cas de violation fautive de la loi fédérale ou de ses règlements d'application par les organes d'une entité adjudicatrice, un candidat ou un soumissionnaire non retenu peut faire valoir un droit au remboursement des frais engagés pour élaborer son offre et des autres coûts supportés du fait de sa participation à la procédure d'adjudication à l'encontre du pouvoir adjudicateur auquel le comportement des organes de l'entité adjudicatrice est imputable".
10. En vertu de l'article 125, paragraphe 2, du BVergG, une demande de dommagesintérêts, laquelle doit être introduite devant les juridictions civiles, n'est recevable que si, antérieurement à cette demande, est intervenue une constatation du Bundesvergabeamt au titre de l'article 113, paragraphe 3. La juridiction civile, appelée à statuer sur une telle demande de dommagesintérêts, ainsi que les parties à l'instance devant le Bundesvergabeamt sont liées par cette constatation.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11. Le 27 janvier 1998, le ministère a lancé un appel d'offres portant sur la fourniture de "services de transport aérien non réguliers pour le Gouvernement autrichien et ses délégations avec des jets privés et des avions". Grossmann a participé à la procédure de passation de ce marché en présentant une offre.
12. Le 3 avril 1998, le ministère a décidé d'annuler ce premier appel d'offres conformément à l'article 55, paragraphe 2, du BVergG, qui prévoit que "[l']appel d'offres peut être révoqué lorsque, après avoir écarté des offres au titre de l'article 52, seule une offre subsiste".
13. Le 28 juillet 1998, le ministère a lancé un nouvel appel d'offres relatif à des services de transport aérien non réguliers pour le Gouvernement autrichien et ses délégations. Grossmann s'est procuré les documents de cet appel d'offres, mais elle n'a pas présenté d'offre.
14. Par lettre du 8 octobre 1998, le Gouvernement autrichien a informé Grossmann de son intention d'attribuer le marché à Lauda Air Luftfahrt AG (ci-après "Lauda Air"). Grossmann a reçu cette lettre le lendemain. Le contrat avec Lauda Air a été conclu le 29 octobre 1998.
15. Par requête datée du 19 octobre 1998, postée le 23 octobre suivant et parvenue au Bundesvergabeamt le 27 octobre 1998, Grossmann a saisi celui-ci d'un recours tendant à l'annulation de la décision du pouvoir adjudicateur d'attribuer le marché à Lauda Air. À l'appui de son recours, Grossmann a fait valoir en substance que l'appel d'offres avait été conçu dès le départ de manière à ne convenir qu'à un seul soumissionnaire, à savoir Lauda Air.
16. Par décision du 4 janvier 1999, le Bundesvergabeamt a rejeté le recours de Grossmann en application des articles 115, paragraphe 1, et 113, paragraphes 2 et 3, du BVergG, au motif que cette dernière avait omis de faire valoir son intérêt juridique à obtenir l'ensemble du marché et que, en tout état de cause, après l'attribution du marché, le Bundesvergabeamt n'a plus compétence pour procéder à l'annulation de celle-ci.
17. S'agissant du défaut d'intérêt, le Bundesvergabeamt a constaté, d'une part, que, ne disposant pas d'avions de grande taille, Grossmann n'était pas en mesure de fournir l'ensemble des prestations demandées et, d'autre part, qu'elle avait renoncé à présenter une offre dans le cadre de la seconde procédure de passation du marché en cause.
18. Grossmann a saisi le Verfassungsgerichtshof (Autriche) d'un recours en annulation contre la décision du Bundesvergabeamt. Par arrêt du 10 décembre 2001, le Verfassungsgerichtshof a annulé cette décision pour violation du droit constitutionnel à bénéficier d'une procédure devant le juge légal, au motif que le Bundesvergabeamt avait omis à tort de saisir la Cour d'une question préjudicielle relative à la conformité avec le droit communautaire de l'interprétation qu'il avait donnée de l'article 115, paragraphe 1, du BVergG.
19. Dans son ordonnance de renvoi, le Bundesvergabeamt explique que les dispositions de l'article 109, paragraphes 1, 6 et 8, du BVergG visent à garantir qu'aucun contrat ne sera conclu pendant la durée de la procédure de conciliation. Il ajoute que, si aucun accord amiable n'est atteint au cours de cette procédure, un entrepreneur peut encore demander, avant la conclusion du contrat, l'annulation de toute décision du pouvoir adjudicateur, y compris la décision d'attribution du marché, tandis que, postérieurement à celle-ci, le Bundesvergabeamt n'est compétent que pour constater que ledit marché n'a pas été attribué au mieux-disant en raison d'une violation du BVergG ou de ses règlements d'application.
20. La juridiction de renvoi relève que, en l'occurrence, le recours introduit par Grossmann, visant à l'annulation de la décision d'attribution du marché à Lauda Air, lui est certes parvenu avant que le contrat entre cette dernière et le pouvoir adjudicateur n'ait été conclu, mais qu'il n'a pu être traité par le Bundesvergabeamt, dans le respect du délai qui lui était imparti, qu'après la conclusion dudit contrat. Cette juridiction souligne également que ledit recours n'a été posté que le 23 octobre 1998, bien que le pouvoir adjudicateur ait informé Grossmann par lettre du 8 octobre 1998, parvenue à cette société le lendemain, de son intention d'attribuer le marché à Lauda Air.
21. Le Bundesvergabeamt constate ainsi que Grossmann a laissé s'écouler un délai de quatorze jours entre la notification à cette dernière de la décision d'attribution (le 9 octobre 1998) et l'introduction par cette société du recours devant lui (le 23 octobre 1998), sans qu'une demande de conciliation ait été formée devant la BVKK (demande qui aurait fait courir le délai de quatre semaines prévu à l'article 109, paragraphe 8, du BVergG, durant lequel le pouvoir adjudicateur ne peut pas attribuer le marché) ou, en cas d'échec de la procédure de conciliation, sans que lui aient été demandés l'octroi de mesures provisoires et l'annulation de la décision d'attribution. Ainsi, selon la juridiction de renvoi, se pose la question de savoir si Grossmann justifie d'un intérêt à agir en vertu de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665, dès lors que, n'étant pas en mesure de fournir les prestations en cause en raison de la présence, selon elle, dans les documents de l'appel d'offres, de dispositions discriminatoires au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, cette société n'a pas présenté d'offre dans la procédure de passation du marché en cause.
22. C'est dans ces conditions que le Bundesvergabeamt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Faut-il interpréter l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665 [...] en ce sens que les procédures de recours sont accessibles à tout entrepreneur qui a présenté une offre lors d'une procédure de passation de marché ou qui a demandé à participer à une telle procédure?
En cas de réponse négative à cette question:
2) La disposition [...] précitée doit-elle être comprise en ce sens qu'un entrepreneur n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque outre sa participation à la procédure de passation de marché il prend toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire?
3) Faut-il interpréter les dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 3, et 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665 [...] en ce sens qu'il doit être donné à un entrepreneur la possibilité d'introduire un recours à l'encontre d'un appel d'offres qu'il estime illégal ou discriminatoire alors qu'il n'est pas en mesure de fournir l'ensemble des prestations qui font l'objet dudit appel d'offres et que, par conséquent, il n'a présenté aucune offre dans la procédure de passation du marché en cause?"
Sur les première et troisième questions
23. Au vu des faits au principal tels que rapportés par la juridiction de renvoi, les première et troisième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, doivent être comprises comme demandant en substance si les articles 1er, paragraphe 3, et 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'une personne soit considérée, après l'attribution d'un marché public, comme privée du droit d'accéder aux procédures de recours prévues par ladite directive, lorsque cette personne n'a pas participé à la procédure de passation de ce marché, au motif qu'elle n'aurait pas été en mesure de fournir l'ensemble des prestations qui faisaient l'objet de l'appel d'offres, en raison de la présence de spécifications prétendument discriminatoires dans les documents relatifs à celui-ci, et qu'elle n'a cependant pas exercé un recours à l'encontre desdites spécifications avant l'attribution dudit marché.
24. Afin d'apprécier si une personne, placée dans une situation telle que celle visée par lesdites questions ainsi reformulées, justifie d'un intérêt à agir au sens de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665, il y a lieu d'examiner successivement la double circonstance qu'elle n'a pas participé à la procédure de passation du marché public en cause au principal et qu'elle n'a pas non plus exercé un recours contre l'appel d'offres avant l'attribution de ce marché.
Sur la non-participation à la procédure de passation du marché
25. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665, les États membres sont tenus d'assurer que les procédures de recours prévues par celle-ci sont accessibles "au moins" à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit.
26. Il en découle que les États membres ne sont pas tenus de rendre lesdites procédures de recours accessibles à toute personne souhaitant obtenir l'adjudication d'un marché public, mais qu'il leur est loisible d'exiger que la personne concernée ait été lésée ou risque d'être lésée par la violation qu'elle allègue (voir arrêt du 19 juin 2003, Hackermüller, C-249-01, Rec. p. I-6319, point 18).
27. En ce sens, ainsi que l'a relevé la Commission dans ses observations écrites, la participation à une procédure de passation d'un marché peut, en principe, valablement constituer, au regard de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665, une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d'un intérêt à obtenir le marché en cause ou risque de subir un préjudice du fait du caractère prétendument illégal de la décision d'attribution dudit marché. À défaut d'avoir présenté une offre, une telle personne peut difficilement démontrer qu'elle dispose d'un intérêt à s'opposer à cette décision ou qu'elle est lésée ou risque de l'être du fait de cette attribution.
28. Toutefois, dans l'hypothèse où une entreprise n'a pas présenté une offre en raison de la présence de spécifications prétendument discriminatoires dans les documents relatifs à l'appel d'offres ou dans le cahier des charges, lesquelles l'auraient précisément empêchée d'être en mesure de fournir l'ensemble des prestations demandées, elle serait en droit d'exercer un recours directement à l'encontre desdites spécifications, et ce avant même que n'intervienne la clôture de la procédure de passation du marché public concerné.
29. En effet, d'une part, il serait excessif d'exiger qu'une entreprise prétendument lésée par des clauses discriminatoires figurant dans les documents de l'appel d'offres présente, avant de pouvoir utiliser les procédures de recours prévues par la directive 89-665 à l'encontre de telles spécifications, une offre dans le cadre de la procédure de passation du marché en cause, alors même que ses chances de se voir attribuer ce marché seraient nulles en raison de l'existence desdites spécifications.
30. D'autre part, il ressort clairement du libellé de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665 que les procédures de recours, qu'il incombe aux États membres d'organiser conformément à ladite directive, doivent permettre notamment "d'annuler [...] les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires [...]". Il doit donc être possible pour une entreprise d'exercer un recours directement contre de telles spécifications discriminatoires, sans attendre le terme de la procédure de passation du marché.
Sur l'absence de recours contre l'appel d'offres
31. En l'occurrence, Grossmann reproche au pouvoir adjudicateur d'avoir, à propos d'un marché concernant des services de transport aérien irréguliers, imposé des exigences que seule une société aérienne offrant des vols réguliers serait en fait en mesure de satisfaire, ce qui aurait eu pour effet de réduire le nombre de candidats susceptibles de fournir l'ensemble des prestations demandées.
32. Il ressort cependant du dossier que Grossmann n'a pas exercé de recours directement à l'encontre de la décision du pouvoir adjudicateur fixant les spécifications de l'appel d'offres, mais qu'elle a attendu la notification de la décision d'attribuer le marché à Lauda Air pour saisir le Bundesvergabeamt d'un recours tendant à l'annulation de cette dernière décision.
33. À cet égard, dans son ordonnance de renvoi, le Bundesvergabeamt rappelle que, en vertu de l'article 115, paragraphe 1, du BVergG, un entrepreneur peut introduire une procédure de recours contre une décision du pouvoir adjudicateur lorsqu'il allègue un intérêt à la conclusion d'un contrat dans le cadre d'une procédure de passation de marché et que l'illégalité qu'il invoque lui a causé ou risque de lui causer un préjudice.
34. La juridiction de renvoi se demande dès lors en substance si l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une personne qui non seulement n'a pas participé à une procédure de passation d'un marché public, mais encore n'a exercé aucun recours contre la décision du pouvoir adjudicateur fixant les spécifications de l'appel d'offres, soit considérée comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché et donc le droit d'accéder aux procédures de recours prévues par ladite directive.
35. C'est à la lumière de la finalité de la directive 89-665 qu'il convient d'examiner cette question.
36. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il résulte de ses premier et deuxième considérants, la directive 89-665 vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. À cet effet, l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres l'obligation de garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et aussi rapides que possible (voir, notamment, arrêts du 28 octobre 1999, Alcatel Austria e.a., C-81-98, Rec. p. I-7671, points 33 et 34; du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C-470-99, Rec. p. I-11617, point 74, et du 19 juin 2003, Fritsch, Chiari & Partner e.a., C-410-01, Rec. p. I-6413, point 30).
37. Or, force est de constater que le fait pour une personne de ne pas introduire un recours contre une décision du pouvoir adjudicateur fixant les spécifications d'un appel d'offres qu'elle estime pourtant discriminatoires à son détriment, dans la mesure où celles-ci l'empêchent de participer utilement à la procédure de passation du marché en cause, et d'attendre la notification de la décision d'attribution de ce marché pour attaquer celle-ci devant l'instance responsable, en arguant précisément du caractère discriminatoire desdites spécifications, ne correspond pas aux objectifs de rapidité et d'efficacité de la directive 89-665.
38. En effet, un tel comportement, dans la mesure où il est susceptible de retarder sans raison objective l'introduction des procédures de recours, dont la mise en œuvre a été imposée aux États membres par la directive 89-665, est de nature à nuire à l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics.
39. Dans ces conditions, le refus de reconnaître l'intérêt à obtenir le marché en cause et donc le droit d'accéder aux procédures de recours prévues par la directive 89-665 à une personne qui n'a pas participé à la procédure de passation du marché ni exercé un recours contre la décision du pouvoir adjudicateur fixant les spécifications de l'appel d'offres n'est pas de nature à porter atteinte à l'effet utile de ladite directive.
40. Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et troisième questions que les articles 1er, paragraphe 3, et 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'une personne soit considérée, après l'attribution d'un marché public, comme privée du droit d'accéder aux procédures de recours prévues par ladite directive, lorsque cette personne n'a pas participé à la procédure de passation de ce marché, au motif qu'elle n'aurait pas été en mesure de fournir l'ensemble des prestations qui faisaient l'objet de l'appel d'offres, en raison de la présence de spécifications prétendument discriminatoires dans les documents relatifs à celui-ci, et qu'elle n'a cependant pas exercé un recours à l'encontre desdites spécifications avant l'attribution dudit marché.
Sur la deuxième question
41. Au vu des faits au principal tels que rapportés par la juridiction de renvoi, il y a lieu de comprendre la deuxième question comme demandant en substance si l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une personne qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considérée comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché, au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, elle a omis de saisir une commission de conciliation, telle la BVKK.
42. À cet égard, il suffit de rappeler que, aux points 31 et 34 de l'arrêt Fritsch, Chiari & Partner e.a., précité, la Cour a considéré que, quand bien même l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665 permet expressément aux États membres de déterminer les modalités selon lesquelles ils doivent rendre les procédures de recours prévues par cette directive accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée, cela ne les autorise toutefois pas à donner à la notion d' "intérêt à obtenir un marché public" une interprétation qui soit susceptible de porter atteinte à l'effet utile de ladite directive. Or, le fait de subordonner l'accès aux procédures de recours prévues par celle-ci à la saisine préalable d'une commission de conciliation, telle la BVKK, serait contraire aux objectifs de rapidité et d'efficacité de cette directive.
43. En conséquence, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une personne qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considérée comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché, au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, elle a omis de saisir une commission de conciliation, telle la B-VKK instituée par le BVergG.
Sur les dépens
44. Les frais exposés par le Gouvernement autrichien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesvergabeamt, par ordonnance du 14 mai 2002, dit pour droit:
1) Les articles 1er, paragraphe 3, et 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'une personne soit considérée, après l'attribution d'un marché public, comme privée du droit d'accéder aux procédures de recours prévues par ladite directive, lorsque cette personne n'a pas participé à la procédure de passation de ce marché, au motif qu'elle n'aurait pas été en mesure de fournir l'ensemble des prestations qui faisaient l'objet de l'appel d'offres, en raison de la présence de spécifications prétendument discriminatoires dans les documents relatifs à celui-ci, et qu'elle n'a cependant pas exercé un recours à l'encontre desdites spécifications avant l'attribution dudit marché.
2) L'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89-665, telle que modifiée par la directive 92-50, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une personne qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considérée comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché, au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, elle a omis de saisir une commission de conciliation, telle la Bundes-Vergabekontrollkommission (commission fédérale de contrôle des adjudications) instituée par le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (Bundesvergabegesetz) 1997 (loi fédérale de 1997 relative à la passation des marchés publics).