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Décisions

CJCE, 24 janvier 1995, n° C-359/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume des Pays-Bas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Président de chambre :

M. Kapteyn

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Murray, Edward, Hirsch

CJCE n° C-359/93

24 janvier 1995

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 juillet 1993, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1), telle que modifiée par les directives 80-767-CEE (JO 1980 L 215, p. 1) et 88-295-CEE (JO 1988 L 127, p. 1) du Conseil, ainsi que de l'article 30 du traité CEE.

2. Selon l'article 9, paragraphe 5, de la directive 77-62, tel que modifié par l'article 9 de la directive 88-295, les avis de marchés de fournitures "sont établis conformément aux modèles qui figurent à l'annexe III". Il résulte du point 7 de la partie "A. Procédures ouvertes" de cette annexe que les avis de marchés doivent comprendre les mentions suivantes:

"a) Personnes admises à assister à l'ouverture des offres...

b) Date, heure et lieu de cette ouverture."

3. Aux termes de l'article 7, paragraphe 6, de la directive 77-62, tel que modifié par l'article 8 de la directive 88-295, à moins que les spécifications techniques visées à l'annexe II "ne soient justifiées par l'objet du marché, les États membres interdisent l'introduction, dans les clauses contractuelles propres à un marché déterminé, de spécifications techniques mentionnant des produits d'une fabrication ou d'une provenance déterminée, ou des procédés particuliers ayant pour effet de favoriser ou d'éliminer certaines entreprises ou certains produits. Est notamment interdite l'indication de marques, brevets ou types, ou celle d'une origine ou d'une production déterminée; toutefois, une telle indication accompagnée de la mention 'ou équivalent' est autorisée lorsque l'objet du marché ne peut pas être décrit autrement au moyen de spécifications suffisamment précises et parfaitement intelligibles pour tous les intéressés".

4. La directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), dispose, en son article 3, paragraphes 1, 2 et 3:

"1. La Commission peut invoquer la procédure prévue au présent article lorsque, avant la conclusion d'un contrat, elle considère qu'une violation claire et manifeste des dispositions communautaires en matière de marchés publics a été commise au cours d'une procédure de passation de marché relevant du champ d'application des directives 71-305-CEE et 77-62- CEE.

2. La Commission notifie à l'État membre et au pouvoir adjudicateur concernés les raisons pour lesquelles elle estime qu'une violation claire et manifeste a été commise et en demande la correction.

3. Dans les vingt et un jours qui suivent la réception de la notification visée au paragraphe 2, l'État membre concerné communique à la Commission:

a) la confirmation que la violation a été corrigée

ou

b) une conclusion motivée expliquant pourquoi aucune correction n'a été faite

ou

c) une notification indiquant que la procédure de passation de marché en cause a été suspendue, soit à l'initiative du pouvoir adjudicateur, soit dans le cadre de l'exercice des pouvoirs prévus à l'article 2, paragraphe 1, point a)."

5. Le Nederlands Inkoopcentrum NV, pouvoir adjudicateur néerlandais, a publié, le 10 décembre 1991, au Journal officiel des Communautés européennes, un avis de marché pour la fourniture et la maintenance d'un poste de travail météorologique.

6. Cet avis de marché, qui adoptait la présentation de l'annexe III de la directive 77-62, ne comportait aucune mention relative aux personnes admises à assister à l'ouverture des offres, ainsi qu'aux date, heure et lieu de l'ouverture.

7. En outre, il était indiqué, dans le cahier des charges du pouvoir adjudicateur, que le système opérationnel exigé était le système "UNIX", nom d'un logiciel de connexion de divers ordinateurs de marques différentes, mis au point par "Bell Laboratories of ITT (USA)".

8. Estimant que ces deux points de l'avis, à savoir l'omission de publier l'information prévue au point 7, sous a) et b), de l'annexe III, et la référence dans le cahier des charges à un produit déterminé, n'étaient pas conformes aux exigences des articles 9, paragraphe 5, et 7, paragraphe 6, de la directive 77-62, la Commission a adressé, le jeudi 25 juin 1992, conformément à l'article 3, paragraphes 1 et 2 de la directive 89-665, une lettre à la représentation permanente des Pays-Bas. La Commission a rappelé au Gouvernement néerlandais dans cette lettre qu'elle valait mise en demeure au sens de l'article 169 du traité CEE et que la communication à transmettre par le Gouvernement néerlandais équivaudrait aux observations prévues par ce même article.

9. La lettre de la Commission a été reçue le vendredi 26 par la représentation permanente à Bruxelles, qui l'a alors envoyée au ministère concerné aux Pays-Bas où elle a été reçue le lundi 29. Ce même jour, la Commission a envoyé au pouvoir adjudicateur une télécopie de sa lettre du 25 juin, mais le contrat d'attribution du marché venait juste d'être signé.

Sur la recevabilité

10. A la lumière de ce qui précède, le Gouvernement néerlandais a soulevé une double exception d'irrecevabilité. D'une part, le comportement de la Commission n'a pas été conforme aux exigences de l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 89-665, dans la mesure où ce n'est que tardivement qu'elle a indiqué à l'État membre et au pouvoir adjudicateur les raisons pour lesquelles elle estimait qu'une violation de la directive 77-62 avait été commise, et, d'autre part, la Commission ayant elle-même fait référence à la spécification technique du système informatique UNIX dans un avis de marché publié postérieurement à celui faisant l'objet de la présente procédure, elle ne saurait être recevable à se prévaloir du prétendu manquement dès lors qu'elle l'aurait également commis.

11. Quant au moyen tiré du comportement de la Commission, il y a lieu de relever que, selon l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 89-665, lorsque, "avant la conclusion du contrat", la Commission considère qu'une violation claire et manifeste des dispositions communautaires a été commise au cours d'une procédure de passation d'un marché public relevant du champ d'application de la directive 77-62, elle notifie à l'État membre et au pouvoir adjudicateur concernés les raisons pour lesquelles elle estime qu'une telle violation a été commise et en demande la correction.

12. En effet, il résulte des termes et de l'esprit de la directive 89-665 qu'il est fort souhaitable, dans l'intérêt de toutes les parties concernées, que la Commission notifie ses objections à l'État membre et au pouvoir adjudicateur aussitôt que possible avant la conclusion du contrat, pour donner ainsi le temps à l'État membre et au pouvoir adjudicateur de lui répondre, conformément à l'article 3, paragraphe 3, de la directive 89-665, et, le cas échéant, de remédier, avant la passation du marché, à la violation invoquée.

13. Cette procédure particulière de la directive 89-665 constitue cependant une mesure préventive qui ne peut déroger ni se substituer aux compétences de la Commission au titre de l'article 169 du traité. Cette dernière disposition confère en effet à la Commission le pouvoir discrétionnaire de saisir la Cour lorsqu'elle estime qu'un État membre a manqué à une des obligations lui incombant en vertu du traité et que l'État membre en cause ne se conforme pas à l'avis motivé de la Commission.

14. D'ailleurs, la constatation d'un manquement, conformément à l'article 169 du traité, n'est pas subordonnée à l'existence d'une violation claire et manifeste au sens de la directive 89- 665. En effet, une telle constatation se limite au fait qu'un État membre n'a pas respecté une obligation communautaire et ne préjuge en rien de la nature ou de la gravité de la violation.

15. Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen d'irrecevabilité soulevé par le Gouvernement néerlandais.

16. S'agissant de l'exception d'irrecevabilité qui résulterait du fait que la Commission a, elle aussi, fait référence à la même spécification technique, c'est-à-dire au système informatique UNIX, dans un avis de marché publié postérieurement à celui faisant l'objet de la présente procédure, il convient de relever que, à supposer même que la Commission soit soumise aux règles de la directive 77-62 et qu'elle les ait violées, une telle violation ne peut justifier celle éventuellement commise par les autorités néerlandaises.

17. Il y a donc également lieu de rejeter le second moyen d'irrecevabilité.

Sur le fond

18. La Commission reproche à l'administration adjudicatrice, en premier lieu, d'avoir omis d'indiquer dans l'avis en cause les personnes admises à assister à l'ouverture des offres ainsi que les jour, heure et lieu de l'ouverture, contrairement aux exigences de l'article 9, paragraphe 5, et du point 7 de l'annexe III de la directive 77-62.

19. Sans contester les faits, le Gouvernement néerlandais soutient que les indications en question ne sont nécessaires que si l'administration adjudicatrice envisage de limiter la possibilité d'assister à l'ouverture des offres, mais, étant donné que l'ouverture en cause dans la présente affaire était publique et que toutes les personnes intéressées pouvaient y participer, il n'était pas nécessaire de les spécifier.

20. A cet égard, il faut tout d'abord constater que les informations visées au point 7 de l'annexe III de la directive 77-62 sont des mentions obligatoires et inconditionnelles. Comme M. l'avocat général l'a justement relevé au point 8 de ses conclusions, ces informations permettent aux fournisseurs potentiels de connaître l'identité de leurs concurrents et de vérifier s'ils répondent aux critères de sélection qualitative prévus.

21. Il convient ensuite de considérer que, même si l'ouverture des offres est publique, et donc ouverte à tout intéressé, l'assistance à ladite ouverture s'avère illusoire lorsque les date, heure et lieu ne sont pas publiés.

22. Il s'ensuit que l'administration adjudicatrice a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 9, paragraphe 5, de la directive 77-62, en omettant de publier l'information visée au point 7 de l'annexe III de ladite directive.

23. La Commission reproche en second lieu à l'administration adjudicatrice d'avoir manqué à l'article 7, paragraphe 6, de la directive 77-62, et à l'article 30 du traité, en omettant d'inscrire la mention "ou équivalent" après la désignation du système UNIX.

24. Le Gouvernement néerlandais soutient que le système UNIX doit être considéré, dans le secteur des technologies de l'information, comme une prescription technique généralement reconnue par les opérateurs et que, de ce fait, la mention "ou équivalent" est superflue.

25. Il y a lieu de rappeler que l'article 7, paragraphe 6, de la directive 77-62 interdit l'indication de marques, si une telle indication n'est pas accompagnée de la mention "ou équivalent", l'objet du marché ne pouvant pas être décrit autrement au moyen de spécifications suffisamment précises et parfaitement intelligibles pour tous les intéressés.

26. Il est cependant constant entre les parties que le système UNIX n'est pas normalisé et qu'il désigne la marque d'un produit déterminé.

27. Ainsi, le fait de ne pas ajouter la mention "ou équivalent" après le terme UNIX peut non seulement dissuader les opérateurs économiques utilisant des systèmes analogues à UNIX de soumissionner à l'appel d'offres, mais peut aussi entraver les courants d'importation dans le commerce intracommunautaire, contrairement à l'article 30 du traité, en réservant le marché aux seuls fournisseurs se proposant d'utiliser le système spécifiquement indiqué.

28. Il s'ensuit que l'administration adjudicatrice aurait dû ajouter la mention "ou équivalent" après le terme UNIX, comme exigé par l'article 7, paragraphe 6, de la directive 77-62.

29. Il résulte de ce qui précède que, en omettant de préciser dans l'avis de marché en cause les personnes admises à assister à l'ouverture des offres, ainsi que le jour, l'heure et le lieu de cette ouverture, et en introduisant dans le cahier des charges une spécification technique définie par référence à un produit d'une marque déterminée, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77-62 et de l'article 30 du traité.

Sur les dépens

30. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume des Pays-Bas ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1°) En omettant de préciser dans l'avis de marché en cause les personnes admises à assister à l'ouverture des offres, ainsi que le jour, l'heure et le lieu de cette ouverture, et en introduisant dans le cahier des charges une spécification technique définie par référence à un produit d'une marque déterminé, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, telle que modifiée par les directives 80-767-CEE et 88-295-CEE du Conseil, ainsi que de l'article 30 du traité CEE.

2°) Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.