OEB, 21 mai 1987, n° T 0026-86
OFFICE EUROPÉEN DES BREVETS
Décision
Exposé des faits et conclusions
I. L'intimée est titulaire du brevet européen n° 0 001 640 (demande n° 78 101 198.6).
II. Les oppositions formées par les requérantes (opposantes) Siemens (0I) et Philips (0II) contre le brevet qui avait été délivré ont été rejetées par la division d'opposition.
IV. Les requérantes 0I et 0II ont introduit un recours contre cette décision.
V. Une procédure orale a eu lieu, au cours de laquelle la requérante 0I n'était pas représentée.
VI. Dans son acte de recours, la requérante 0I a demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet.
VII. Au cours de la procédure orale, la requérante 0II a conclu à l'annulation de la décision attaquée et prié la Chambre
1. de révoquer le brevet (demande principale) ;
2. de renvoyer l'affaire devant la Grande Chambre de recours (subsidiairement).
VIII. Lors de la procédure orale, l'intimée (titulaire du brevet) a sollicité le rejet du recours.
IX. Le texte de l'actuelle revendication 1 se lit comme suit :
"1. Equipement radiologique pour la réalisation d'images radiographiques avec une unité d'entrée (20) pour la sélection d'un des tubes radiogènes (46, 48, 50) à foyer et vitesse d'anode tournante réglables, ainsi que pour la sélection des valeurs du courant du tube radiogène et du temps d'exposition, et avec une unité de traitement de données (12) stockant les courbes de charge de ces tubes radiogènes pour différents paramètres de charge et réglant les valeurs de tension du tube radiogène correspondant aux valeurs choisies pour les paramètres de charge en fonction des courbes de charge correspondantes, caractérisée par le fait que l'unité de traitement de données (12), assure une exposition optimale avec une sécurité suffisante contre la surcharge des tubes radiogènes et dans le cadre d'un programme de commande,
a) maintient tout d'abord constants à la fois la tension du tube radiogène et le produit du courant du tube radiogène et du temps d'exposition et réduit le courant du tube radiogène en commençant par la valeur maximale admissible jusqu'à ce que la courbe de charge correspondante autorise une exposition,
b) si l'exposition n'est pas autorisée et que le temps d'exposition maximale admissible est atteint, augmente la tension du tube radiogène et réduit le courant du tube radiogène en fonction de la condition secondaire d'un facteur de noircissement constant jusqu'à ce que la courbe de charge correspondante autorise une exposition, et
c) détermine les paramètres de charge tout d'abord en se fondant sur la courbe de charge optimale pour la résolution de l'image, à savoir celle d'un foyer minimal et d'une vitesse normale de l'anode tournante, et, si l'exposition n'est pas autorisée, compare les paramètres de charge sélectionnés avec les courbes de charge suivantes, dans l'ordre correspondant à une résolution optimale de l'image, pour différentes dimensions du foyer et de la vitesse de l'anode tournante, en commençant par la courbe pour le foyer le plus petit et une vitesse plus rapide de l'anode tournante.
et que des moyens sont prévus pour transmettre les valeurs des paramètres de charge déterminées suivant le programme de commande par l'unité de traitement de données (12), par des circuits de sélection appropriés (58 ou 60/64), à un circuit de commande et d'alimentation (52) assurant le réglage du générateur radiologique.
Les revendications 2 à 5 sont des revendications dépendantes de la revendication 1.
X. La requérante 0I considère que l'objet du brevet attaqué n'est pas une invention brevetable ; il s'agirait plutôt selon elle de l'un des cas prévus à l'article 52(2) CBE, dans la mesure où l'objet du brevet ne diffère de l'état de la technique, notamment du document US-A-4 035 648 (D1), que par le fait qu'un programme nouveau est chargé dans un matériel connu ...
XI. La requérante 0II allègue en substance qu'il est en effet exact, qu'appliquées à l'ensemble de l'équipement radiologique selon la revendication 1 du brevet attaqué, les caractéristiques a), b) et c) du programme de commande produisent un effet technique et que, par conséquent, conformément aux Directives et à la décision T 208/84 "VICOM", JO OEB n° 1/1987, p. 14, l'objet de la revendication 1 pourrait être considéré comme étant une invention au sens de l'article 52(1) CBE. Toutefois, une telle façon de considérer les choses reviendrait à retirer toute portée à l'article 52(2) CBE, car n'importe quel programme d'ordinateur conçu pour un calculateur universel remplirait les conditions de la brevetabilité, en raison de l'effet technique que constitue la génération de signaux électriques. L'expression "éléments considérés en tant que tels", employée dans l'article 52(3) CBE, ne devrait pas être interprétée de manière trop restrictive. Cela signifieque, lorsque l'élément essentiel de l'objet revendiqué ne présente pas un caractère technique (si par exemple l'élément essentiel de l'enseignement de la demande est constitué par un programme d'ordinateur, on se trouverait toujours en présence de l'un des cas prévus à l'article 52(2) CBE. Une telle interprétation serait également dans le droit fil de la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour suprême fédérale de la République fédérale d'Allemagne). L'objet de la revendication 1 du brevet attaqué a bel et bien pour élément essentiel un ordinateur et au surplus il n'y a pas d'interaction constante entre ce programme et le matériel du dispositif radiologique. Par conséquent, vertu de l'article 52(2) et (3) CBE, l'objet de la revendication 1 ne serait pas brevetable.
XII. L'intimée a contesté les arguments développés par la requérante 0II. Il ne serait pas possible d'opérer une distinction entre les éléments techniques et les éléments non techniques contenus dans la revendication 1. L'invention permet d'obtenir un effet technique : l'objet de la revendication 1 serait par conséquent brevetable ...
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
3. Invention au sens de l'article 52(1) CBE.
3.1. Pour répondre à la question de savoir si l'objet de la revendication 1 est ou non une invention aux termes de l'article 52(1) CBE, il convient d'examiner s'il s'agit ou non d'un programme en tant que tel, au sens de l'article 52(2)c) et (3) CBE. L'objet de la revendication 1 n'est ni un programme d'ordinateur considéré en dehors de toute application technique, ni un programme d'ordinateur présenté sous forme de données enregistrées sur un support ; il ne s'agit pas davantage d'un système de traitement de données universel et connu, utilisé en association avec un programme d'ordinateur, mais d'un équipement radiologique doté d'une unité de traitement de données commandée par un programme, dont le déroulement a un effet technique sur le fonctionnement du dispositif.
Ce qui précède ressort clairement des caractéristiques a), b) et c) de la revendication 1, d'après lesquelles un programme de commande assure la régulation des tubes radiogènes de manière à obtenir, en fonction d'un dosage de priorités établies entre les paramètres, une exposition optimale en même temps qu'une sécurité suffisante contre la surcharge des tubes radiogènes.
L'objet de la revendication 1 est donc une invention brevetable au sens de l'article 52(1), indépendamment de la question de savoir si, sans ce programme d'ordinateur, l'équipement radiologique fait ou non partie de l'état de la technique.
3.2. La requérante 0II a fait observer qu'il n'y a pas interaction permanente d'ordre technique entre le programme et l'équipement radiologique. C'est seulement à l'issue d'un calcul que se produit un effet technique. Il conviendrait de considérer séparément l'équipement radiologique, généralement connu, et le programme d'ordinateur.
La Chambre ne peut suivre la requérante sur ce point. En effet, pour déterminer si l'on est en présence d'une invention selon l'article 52(1) CBE, le moment auquel se produit l'effet technique ne joue aucun rôle. L'important et que cet effet soit obtenu.
3.3. La requérante 0II a objecté que la conception juridique qui se reflète dans les Directives (Partie C, chapitre IV, 2.2) et dans la décision T 208/84 de la Chambre de recours 3.5.1 (JO OEB n° 1/1987, p. 14 "VICOM") aboutirait à vider de tout son sens l'article 52(2)c), car un programme d'ordinateur courant utilisé en combinaison avec un calculateur universel pourrait alors être considéré comme une invention au sens de l'article 52(1) CBE, sous prétexte que là aussi chaque calcul est effectué au moyen de forces naturelles, en l'occurrence celles de l'électromagnétisme. La Chambre estime qu'en effet un programme d'ordinateur courant, utilisé en combinaison avec un calculateur universel, fait appel à des forces naturelles pour convertir des grandeurs mathématiques en signaux électriques. Ces signaux électriques ne correspondent toutefois qu'à une reproduction d'informations, c'est-à-dire que les signaux électriques en soi ne peuvent pas être considérés comme un effet technique. Dans ce cas, le programme d'ordinateur utilisé en combinaison avec un calculateur universel est considéré comme un programme en tant que tel, et non pas comme une invention au sens de l'article 52(2)c) CBE. Si par contre le programme d'ordinateur en combinaison avec un calculateur universel généralement connu fait fonctionner ce dernier d'une manière différente du point de vue technique, la combinaison des deux est susceptible d'être brevetée en tant qu'invention.
3.4. A l'appui de sa thèse selon laquelle l'invention sub judice n'est pas susceptible d'être brevetée parce qu'elle ne relève pas du domaine de la technique, la requérante 0II s'est référée à la jurisprudence du Bundesgerichtshof, et notamment à l'arrêt X ZR 65/85 du 11 mars 1986 (GRUR 1986, p. 531, Flugkostenminimierung). La requérante estime que si l'on se fonde sur les principes posés par cette décision et par des décisions plus anciennes que la même juridiction a rendues à ce sujet (cf. BGH GRUR 1978, p. 102, Prüfverfahren ; BGH GRUR 1977, p. 96, Dispositionsprogramm ; GRUR 1981, p. 39, Walzstabteilung), la délivrance d'un brevet ne saurait être envisagée, étant donné que l'élément déterminant de l'invention consiste en un programme, lequel n'est pas brevetable conformément à l'article 52(2)c) CBE.
Il ressort de la jurisprudence susmentionnée du Bundesgerichtshof que, pour déterminer si une invention présente un caractère technique, il importe avant toute chose de savoir quelle est la matière de l'enseignement revendiqué, c'est-à-dire, de quel domaine relève l'élément essentiel de l'invention. Pour le Bundesgerichtshof, un enseignement est dépourvu de caractère technique dès lors que l'élément essentiel de l'invention réside dans la découverte d'une règle dont l'observation n'impose pas la mise en œuvre de forces naturelles maîtrisables et échappant à l'entendement humain, même si pour s'y conformer, il est opportun, voire simplement judcieux de mettre en œuvre des moyens techniques, et que les revendications ou le fascicule du brevet font état de l'utilisation de ces moyens techniques.
La Chambre ne saurait partager une telle conception du droit, dans la mesure où celle-ci fait dépendre le caractère technique de l'invention du domaine dont relève son élément essentiel. La Chambre est d'avis qu'une invention doit s'apprécier de manière globale. Si l'invention utilise à la fois des moyens techniques et des moyens non techniques, la mise en œuvre de moyens non techniques n'ôte pas son caractère technique à l'enseignement considéré globalement. La Convention sur le brevet européen n'exige nullement qu'une invention brevetable soit exclusivement ou principalement de nature technique, en d'autres termes, elle n'exclut pas de la brevetabilité les inventions reposant sur un ensemble d'éléments, les uns techniques et les autres non techniques.
Abstraction faite de ce que la théorie de l'élément essentiel prônée par le Bundesgerichtshof, n'a pas de base légale, du moins dans la Convention, la nécessité de procéder, pour chaque invention, à une pondération des mesures techniques et des mesures non techniques s'oppose également à l'aplication de cette théorie dans la pratique parce que, si l'on se conforme à la jurisprudence du Bundesgerichtshof, l'important est de savoir laquelle de ces mesures contribue le plus au résultat visé. Non seulement une telle évaluation peut se révéler très difficile à pratiquer dans certains cas d'espèce, mais elle peut également aboutir à ce que l'ensemble de l'enseignement revendiqué ne soit pas brevetable lorsque, dans sa majeure partie, il n'est pas de nature technique et cela même si les aspects de cet enseignement considérés comme secondaires sont nouveaux en soi et impliquent une activité inventive.
Aussi la Chambre estime-t-elle que, pour décider si une revendication de brevet concerne un programme d'ordinateur en tant que tel, une pondération de ses caractéristiques techniques et non techniques n'est pas nécessaire. Si l'invention définie par la revendication met en œuvre des moyens techniques, elle n'entre pas dans le cadre des catégories exclues de la brevetabilité, visées à l'article 52(2)c) et (3) CBE et elle peut, si elle satisfait aux conditions énoncées aux articles 52 à 57 CBE, donner lieu à la délivrance d'un brevet.
4. Nouveauté
4.5. Il s'ensuit que l'objet de la revendication 1 est nouveau (article 54 CBE).
5. Activité inventive
5.4. Pour les raisons qui précèdent, l'objet de la revendication 1 ne découle pas de manière évidente de l'état de la technique. Par conséquent, cet objet satisfait aux exigences de l'article 52(1) considéré conjointement avec l'article 56 CBE.
5.5. Les revendications dépendantes 2 à 5 concernent des modes de réalisation particuliers de l'équipement radiologique selon la revendication 1, et elles sont de ce fait également admissibles.
6. La Chambre ne peut faire droit à la requête de la requérante tendant au renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de recours. L'article 112 CBE dispose que la Chambre de recours saisit sur requête la Grande Chambre de recours afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose, et lorsqu'une décision est nécessaire à cette fin. Ces conditions ne sont pas réunies puisque la Chambre statue en la présente espèce dans le même sens que la Chambre de recours 3.5.1 dans sa décision T 208/84 du 15 juillet 1986, JO OEB n° 1/1987, p. 14, VICOM, et qu'une application uniforme du droit est ainsi assurée en ce qui concerne le point important que représente la brevetabilité des inventions faisant appel à un programme d'ordinateur. La Chambre estime par conséquent qu'il n'est pas nécessaire de saisir la Grande Chambre de recours.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statuté comme suit :
1. Les recours sont rejetés.
2. Les requérantes sont déboutées de leur demande en renvoi de la procédure devant la Grande Chambre de recours.