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Décisions

CJCE, gr. ch., 7 septembre 2004, n° C-347/02

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Rapporteur :

M. Timmermans

Avocat général :

Mme Stix-Hackl

CJCE n° C-347/02

7 septembre 2004

LA COUR,

1. Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ayant institué et maintenu en vigueur un système de bonus-malus qui a des répercussions automatiques et obligatoires sur les tarifs, applicable à tous les contrats d'assurance automobile conclus sur le territoire français sans distinction entre les compagnies d'assurances ayant leur siège en France et les entreprises d'assurances y exerçant leurs activités au moyen de succursales ou de la prestation de services, en violation du principe de la liberté tarifaire et de la suppression des contrôles préalables ou systématiques sur les tarifs et les contrats, posé par les articles 6, paragraphe 3, 29 et 39 de la directive 92-49-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE (troisième directive "assurance non-vie") (JO L 228, p. 1), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2. Sous le titre II, intitulé "Accès à l'activité d'assurance", l'article 6 de la directive 92-49 dispose:

"L'article 8 de la directive 73-239-CEE est remplacé par le texte suivant:

Article 8

[...]

3. La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres maintiennent ou introduisent des dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui prévoient l'approbation des statuts et la communication de tout document nécessaire à l'exercice normal du contrôle.

Toutefois, les Etats membres ne prévoient pas de dispositions exigeant l'approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés que l'entreprise a l'intention d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance.

Les Etats membres ne peuvent maintenir ou introduire la notification préalable ou l'approbation des majorations de tarifs proposées qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix.

[...]'"

3. Aux termes de l'article 29 de la directive 92-49, qui figure sous le titre III de celle-ci, intitulé "Harmonisation des conditions d'exercice":

"Les Etats membres ne prévoient pas de dispositions exigeant l'approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés qu'une entreprise d'assurance se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance. Dans le but de contrôler le respect des dispositions nationales relatives aux contrats d'assurance, ils ne peuvent exiger que la communication non systématique de ces conditions et de ces autres documents, sans que cette exigence puisse constituer pour l'entreprise une condition préalable de l'exercice de son activité.

Les Etats membres ne peuvent maintenir ou introduire la notification préalable ou l'approbation des majorations des tarifs proposés qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix."

4. Sous le titre IV de la directive 92-49, intitulé "Dispositions sur le libre établissement et la libre prestation des services", l'article 39, paragraphes 2 et 3, de celle-ci énonce:

"2. L'Etat membre de la succursale ou de la prestation de services ne prévoit pas de dispositions exigeant l'approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés que l'entreprise se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance. Dans le but de contrôler le respect des dispositions nationales relatives aux contrats d'assurance, il ne peut exiger de toute entreprise souhaitant effectuer sur son territoire des opérations d'assurance, en régime d'établissement ou en régime de libre prestation de services, que la communication non systématique des conditions et des autres documents qu'elle se propose d'utiliser, sans que cette exigence puisse constituer pour l'entreprise une condition préalable de l'exercice de son activité.

3. L'Etat membre de la succursale ou de la prestation de services ne peut maintenir ou introduire la notification préalable ou l'approbation des majorations de tarifs proposés qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle de prix."

La réglementation nationale

5. Aux termes de l'article A. 121-1, premier alinéa, du Code des assurances français:

"Les contrats d'assurance relevant des branches mentionnées au 3 et au 10 de l'article R. 321-1 du Code des assurances et concernant des véhicules terrestres à moteur doivent comporter la clause de réduction ou de majoration des primes ou cotisations annexée au présent article."

6. L'annexe de l'article A. 121-1 comporte quatorze articles. Ces dispositions prévoient que la compagnie d'assurances détermine une prime de référence à partir de laquelle est calculée la prime annuelle due par l'assuré. Cette prime annuelle est en effet le produit de la prime de référence multipliée par le coefficient de réduction/majoration, lequel est à l'origine fixé à 1. À l'expiration de chaque période d'un an sans sinistre, ce coefficient est réduit de 5 %. Celui-ci ne peut toutefois être inférieur à 0,50. À l'inverse, lorsqu'un sinistre survient au cours d'une année donnée, ledit coefficient est majoré de 25 % et chaque sinistre supplémentaire entraîne une majoration de même proportion. Cependant, aucune majoration n'est applicable pour le premier sinistre survenu après une période d'au moins trois ans au cours de laquelle le coefficient de réduction/majoration a été égal à 0,5. En outre, le coefficient de majoration ne peut en tout état de cause être supérieur à 3,5.

La procédure précontentieuse

7. Après un premier échange d'informations entre les autorités françaises et la Commission, cette dernière a, le 7 juillet 1997, adressé une lettre de mise en demeure à la République française, dans laquelle elle considérait que le système de bonus-malus en vigueur en France est incompatible avec les dispositions de la directive 92-49.

8. Le Gouvernement français a répondu à cette mise en demeure par une note du 23 octobre 1997, complétée par une seconde note transmise à la Commission le 31 juillet 1998.

9. Après divers échanges entre les services du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie français et ceux de la Commission, celle-ci a, par lettre du 20 avril 2001, adressé un avis motivé à la République française, dans lequel elle a confirmé son analyse la conduisant à considérer que la réglementation nationale relative au bonus-malus est contraire au droit communautaire et a invité cet Etat membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

10. Les autorités françaises ont transmis à la Commission des observations en réponse à l'avis motivé par lettre du 18 juillet 2001 dans laquelle elles faisaient valoir, d'une part, que le système de bonus-malus n'affecte pas la liberté tarifaire et, d'autre part, que ce système repose sur des considérations d'intérêt général reconnues par la jurisprudence de la Cour.

11. Considérant que les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations résultant de la directive 92-49 n'avaient pas été prises par les autorités françaises, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

Sur le fond

Argumentation des parties

12. La Commission estime que le système français de bonus-malus est contraire, d'une part, au principe de la liberté tarifaire découlant des dispositions de la directive 92-49, qui interdit aux Etats membres de soumettre à notification, à approbation préalable ou à communication systématique les tarifs ou les majorations de ceux-ci qu'une entreprise d'assurances se propose de mettre en œuvre sur le territoire de ces Etats et, d'autre part, à l'objectif de cette même directive, qui vise à réaliser la libre commercialisation des produits d'assurance dans la Communauté. Elle considère que son interprétation est confirmée par les arrêts de la Cour du 11 mai 2000, Commission/France (C-296-98, Rec. p. I-3025), et du 25 février 2003, Commission/Italie (C-59-01, Rec. p. I-1759).

13. La Commission ne conteste pas la possibilité pour les Etats membres d'instituer une échelle qui prenne en compte la sinistralité des assurés ou même un système de bonus-malus uniforme. De tels régimes sont cependant, selon elle, contraires à la directive 92-49 dès lors qu'ils ont une répercussion automatique sur les tarifs, ce qui serait le cas du système français de bonus-malus.

14. La Commission admet que les entreprises d'assurances ne sont pas empêchées de déterminer librement le montant de la prime de base (ou prime de référence) et que d'autres critères que le coefficient de réduction/majoration interviennent dans l'évolution de la prime due par l'assuré. Cette liberté serait toutefois largement fictive si les entreprises d'assurances ne pouvaient moduler la prime au regard d'un critère aussi fondamental que la sinistralité de l'assuré qu'en suivant les prescriptions de l'annexe de l'article A. 121-1 du Code des assurances français.

15. La Commission ajoute que la modulation imposée par cette disposition nationale n'a pas un effet marginal sur le montant de la prime, mais peut faire varier celle-ci du simple au double. Par ailleurs, elle estime que les contraintes qu'entraîne le système français de bonus-malus sur les entreprises retentissent sur le montant de la prime de base, celle-ci étant d'autant plus élevée que ces contraintes sont fortes. Il ne serait donc pas possible de soutenir que ce système constituerait une "matrice neutre" qui n'affecte pas la liberté tarifaire.

16. Le Gouvernement français relève tout d'abord que l'obligation de transmission préalable des tarifs a été abrogée en 1994 et que le contrôle des autorités nationales sur le niveau des tarifs n'existe plus depuis 1987.

17. Il estime ensuite que la directive 92-49 ne contient aucune disposition posant un principe absolu de liberté tarifaire qui s'étendrait aux modalités de calcul du prix des assurances.

18. Plus particulièrement, aucun principe résultant de la directive 92-49 ou de la jurisprudence de la Cour n'interdirait d'inclure dans la méthode de calcul des primes d'assurance un coefficient obligatoire, qui est sans effet sur le niveau initial de celles-ci et qui n'affecte que très partiellement leur évolution, dès lors que la fixation du prix final reste globalement libre.

19. Le Gouvernement français souligne enfin que l'application d'un coefficient de bonus-malus ne permet aux autorités nationales de contrôler ni le niveau initial des primes ni, pour l'essentiel, l'évolution de celles-ci au fil du temps.

20. S'agissant du niveau initial des primes, ledit gouvernement relève qu'il résulte directement de la prime de référence que les compagnies d'assurances peuvent fixer en toute liberté, en se fondant sur les critères qui leur semblent les plus adaptés.

21. Pour ce qui concerne l'évolution de la prime au fil du temps, le Gouvernement français fait valoir que l'application du système de bonus-malus constitue pour les autorités nationales non pas un instrument de contrôle des tarifs, mais seulement l'un des nombreux facteurs d'évolution du niveau des primes. En effet, les compagnies d'assurances demeureraient en définitive libres de faire évoluer leurs tarifs en ne se limitant pas à traduire l'évolution mécanique du coefficient de bonus-malus.

Appréciation de la Cour

22. Ainsi que la Cour l'a rappelé au point 29 de l'arrêt Commission/Italie, précité, le législateur communautaire a entendu garantir le principe de la liberté tarifaire dans le secteur de l'assurance non-vie, y compris en ce qui concerne l'assurance obligatoire telle que l'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile. Ce principe implique, comme la Cour l'a précisé au même point 29 de l'arrêt précité, l'interdiction de tout système de notification préalable ou systématique et d'approbation des tarifs qu'une entreprise d'assurances se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance. La seule dérogation à ce principe admise par la directive 92-49 concerne la notification préalable et l'approbation des "majorations des tarifs" dans le cadre d'un "système général de contrôle des prix".

23. Dans l'arrêt Commission/Italie, précité, la Cour a considéré comme contraire au principe de la liberté tarifaire un système de blocage des prix affectant aussi bien la fixation que l'évolution des tarifs dans le cadre des contrats en matière d'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile portant sur un risque situé sur le territoire italien (arrêt Commission/Italie, précité, points 32 et 48).

24. Le système français de bonus-malus faisant l'objet du présent recours est, quant à son impact sur les tarifs des entreprises d'assurances, d'une autre nature que la législation italienne qui était en cause dans l'arrêt Commission/Italie, précité. Ce système comporte certes des répercussions sur l'évolution des primes. Toutefois, il n'aboutit pas à une fixation directe des tarifs par l'Etat, les entreprises d'assurances restant libres de fixer la hauteur des primes de base. Dans ces conditions, le régime français de bonus-malus ne saurait être assimilé à un système d'approbation des tarifs contraire au principe de la liberté tarifaire, tel que la Cour l'a défini au point 29 de l'arrêt Commission/Italie, précité.

25. Une harmonisation complète du domaine tarifaire en matière d'assurance non-vie excluant toute mesure nationale susceptible d'avoir des répercussions sur les tarifs ne saurait être présumée en l'absence d'une volonté clairement exprimée en ce sens par le législateur communautaire.

26. Il en résulte que ne saurait être accueillie l'argumentation sur laquelle est fondé le recours de la Commission et qui consiste à soutenir que, malgré le fait que la prime de base peut être fixée tout à fait librement, le système français de bonus-malus est contraire au principe de la liberté tarifaire au seul motif qu'il a des répercussions sur l'évolution de cette prime.

27. Par ailleurs, la Commission ne prétend pas que ledit système reviendrait à instaurer une exigence de notification préalable ou systématique des tarifs qu'une entreprise d'assurances se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance ou un système d'approbation de tels tarifs.

28. Il s'ensuit que la Commission n'a pas démontré que, en ayant institué et maintenu en vigueur son système de bonus-malus, la République française aurait agi en violation du principe de la liberté tarifaire et de la suppression des contrôles préalables ou systématiques sur les tarifs et les contrats d'assurance posé par les articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49.

29. La Commission ayant limité l'objet de l'avis motivé et du présent recours à la seule constatation d'une violation du principe de la liberté tarifaire et de la suppression des contrôles préalables ou systématiques sur les tarifs et les contrats d'assurance tel que ce principe découle des dispositions visées au point précédent, il y a donc lieu de rejeter ledit recours.

Sur les dépens

30. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République française ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (grande chambre),

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.