CJCE, 9 novembre 1983, n° 158-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Danemark
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 mai 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en percevant une redevance pour contrôle sanitaire lors de l'importation d'arachides et de produits à base d'arachides en provenance d'autres Etats membres, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 13 du traité CEE.
2. Par arrêté n° 7 du 7 janvier 1971 du ministre de l'Intérieur, le Gouvernement Danois a interdit la vente et la cession au Danemark de denrées alimentaires contenant des arachides et des produits à base d'arachides renfermant de l'aflatoxine en quantité décelable. Simultanément, l'arrêté a soumis l'importation des arachides et de certains produits d'arachides à une autorisation administrative lorsqu'ils sont destinés à être vendus comme denrées alimentaires ou à être utilisés pour la fabrication de denrées alimentaires. Cette autorisation n'est accordée que sur production d'un certificat d'analyse émis par un laboratoire danois sur la base d'un contrôle sanitaire systématique destiné à mettre en évidence que la marchandise ne contient pas d'aflatoxine en quantité décelable et comportant à cette fin un prélèvement d'échantillons et une analyse en laboratoire.
3. L'aflatoxine faisant partie des substances cancérigènes les plus actives même à très faibles doses, la commission a admis que le contrôle ainsi effectué était justifié au titre de l'article 36 du traité.
4. Le laboratoire danois qui doit effectuer l'analyse est désigné par le directeur de l'Institut national des denrées alimentaires du Danemark. Cependant, celui-ci peut dans certaines circonstances homologuer un certificat d'analyse établi par un laboratoire étranger sur la base d'un échantillon prélevé et analysé dans ce pays.
5. L'arrêté précité prévoit dans son article 5, paragraphe 3, que les frais d'analyse et de prise d'échantillons sont à charge de l'importateur.
6. Il est constant qu'il n'existe pas une production d'arachides au Danemark.
7. La loi danoise qui est à la base de l'arrêté précité établit un double régime pour le contrôle des denrées alimentaires. Son article 44 prévoit un contrôle sanitaire général qui est effectué par les autorités communales et dont les frais sont couverts par des impôts locaux ; en revanche, l'article 41 autorise le ministre compétent à imposer, par arrêté, des contrôles sanitaires particuliers pour certains produits alimentaires spéciaux ; dans ce cas, les frais d'analyse en laboratoire sont à la charge des entreprises concernées. S'y ajoute une série de lois spéciales qui soumettent certains autres produits alimentaires à un contrôle sanitaire et qualitatif au niveau de l'état dont les frais sont supportes par les producteurs et importateurs, en tout cas pour la plupart des produits, à savoir la margarine, les volailles, les poissons, les oeufs et le lait ainsi que les produits dérivant de ces produits.
8. En application de l'article 41 de la loi sur les denrées alimentaires, le Gouvernement danois a pris une série d'arrêtés concernant, d'une part, des additifs aux produits alimentaires et, d'autre part, des produits qui sont considérés comme présentant un risque particulier par leur nature même, à savoir les noix du Brésil et les arachides.
9. La Commission fait valoir que la charge en question devrait être considérée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane interdite par les articles 9 et 13 du traité CEE, conformément a la jurisprudence de la Cour, puisqu'il s'agirait d'une charge pécuniaire, unilatéralement imposée, frappant les marchandises importés pour la seule raison qu'elles franchissent la frontière.
10. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un droit de douane proprement dit et bien qu'elle ne soit pas perçue au profit de l'état, la redevance ne pourrait pas être justifiée par le fait qu'il s'agirait d'une rémunération d'un service effectivement rendu à l'importateur, puisque le contrôle sanitaire ne serait pas instauré dans l'intérêt individuel, mais pour la sauvegarde de l'intérêt public et de la protection de la santé humaine.
11. Par ailleurs, la commission observe que la redevance en question ne saurait échapper à l'interdiction des articles 9 et 13 du traité, au motif qu'elle relèverait d'un système général d'impositions intérieures au sens de l'article 95 du traité. En effet, en l'absence de produits nationaux identiques ou similaires, une redevance sur les produits importés ne pourrait être considérée comme une imposition intérieure que dans le cas ou elle ferait partie 'd'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits' (arrêt du 3.2.1981, Commission/France, 90-79, Recueil p. 283, ' reprographie '). Or, en l'espèce, la redevance en cause serait exclusivement applicable aux importations d'arachides et de produits a base d'arachides.
12. En revanche, le gouvernement danois conteste que la charge en cause constitue une véritable taxe, fixée par l'état. Il s'agirait au contraire du paiement du prix de l'analyse en laboratoire qui serait fixé par le laboratoire lui-même en fonction des coûts de l'analyse. Même si elle devait être considérée comme une taxe, cette redevance ne constituerait pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane parce qu'elle ne serait pas exigée en raison du passage de la frontière mais correspondrait à une taxe interne qui s'intégrerait dans un système général d'impositions intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs et quelle que soit leur origine.
13. Les effets de cette taxe ne seraient ni formellement ni foncièrement discriminatoires puisqu'il n'existerait pas de production nationale identique ou similaire. En effet, la charge supportée par les importations du fait de la redevance litigieuse serait minime.
14. Les arachides constitueraient (avec les noix du Brésil) un groupe spécifique de produits qui aurait été déterminé systématiquement et sur base d'un critère objectif, à savoir parce qu'eux seuls font courir un risque particulièrement grave.
15. Le Gouvernement danois est d'avis que selon la jurisprudence de la Cour, notamment l'arrêt du 3 février 1981, précité, l'article 95 n'interdirait pas aux Etats membres de frapper les produits importés d'une imposition intérieure lorsqu'il n'y aurait pas de produits indigènes identiques ou similaires ou d'autres productions susceptibles d'être protégées. Dans un tel cas, l'imposition serait ' de bonne foi ' puisque le système de paiement choisi aurait été le même s'il y avait eu une production danoise d'arachides.
16. En outre, le Gouvernement danois soutient que le système choisi pour les produits en cause correspondrait à un principe législatif général appliqué au Danemark, qui serait en vigueur au Danemark depuis 1950 et aurait été appliqué à une série de produits alimentaires, importés ou indigènes, ainsi qu'aux aliments pour les animaux.
17. Il appartiendrait en principe aux autorités nationales de choisir, sur la base des considérations politiques, si les frais de contrôles sanitaires doivent être supportés par la collectivité ou par les consommateurs. Le fait que la protection de la santé relève des autorités publiques n'impliquerait pas que les frais liés aux contrôles soient nécessairement pris en charge par le trésor public.
18. Selon une jurisprudence constante de la Cour, toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité, alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de l'état.
19. Il n'en est autrement que si la charge en question constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'importateur, d'un montant proportionne audit service ou si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés ou exportés.
20. Le Gouvernement danois a admis au cours de la procédure que la redevance en cause ne revêt pas le caractère de contrepartie d'un service rendu à l'importateur. Il a soutenu, par contre, qu'il s'agit d'une charge relevant d'un système général d'impositions intérieures.
21. A cet égard, il y a lieu d'observer que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une charge à l'importation ne constitue une imposition intérieure, qui relève de l'article 95, que si elle fait partie d'un système général appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits.
22. Certes, la Cour a reconnu, comme le Gouvernement danois le souligne à juste titre, qu'une charge qui frappe un produit importé d'un autre Etat membre, alors même qu'il n'existe pas de produit national identique ou similaire, ne constitue pas de ce seul fait une taxe d'effet équivalent, et peut constituer une imposition intérieure au sens de l'article 95 du traité si elle répond aux conditions susmentionnées.
23. Toutefois, l'examen des faits présentés à la Cour par le Gouvernement danois à l'appui de sa thèse en faveur d'une application de l'article 95, ne permet pas de conclure que la charge en cause appartient à un système général d'impositions intérieures.
24. Le Gouvernement danois admet en effet que le groupe de produits qui est frappé par la redevance litigieuse et qui est déterminé par le risque de contamination par l'aflatoxine, ne comprend que des arachides et des produits d'arachides ainsi que des noix du Brésil. Un nombre de produits aussi limité ne répond pas à la notion de 'catégories entières de produits' (arrêt du 22.3.1977, Steinike et Weinlig, 78-76, Recueil p. 595), notion qui implique une plus vaste pluralité de produits déterminés par critères généraux et objectifs.
25. En ce qui concerne l'argument du Gouvernement danois relatif à l'existence d'un principe législatif général appliqué au Danemark, selon lequel le contrôle sanitaire général est à la charge des contribuables, alors que les frais d'analyse en laboratoire nécessités par des contrôles sanitaires particuliers pour certains produits alimentaires sont à la charge des entreprises concernées, il y a lieu de souligner qu'une distinction entre le contrôle général et des contrôles dits 'particuliers' ne constitue pas, en elle-même, un critère suffisamment précis ni surtout objectif pour fonder un système général de redevances intérieures au sens de la jurisprudence citée ci-dessus. Le gouvernement n'a pas démontré que les deux types de contrôles se distinguent l'un de l'autre de manière objective, par exemple en ce qui concerne le procédé technique. De plus, même le contrôle général nécessite dans un certain nombre de cas des analyses en laboratoire similaires à celles faites dans le cadre des contrôles particuliers.
26. En ce qui concerne les produits couverts par des arrêtés fondés sur l'article 41 de la loi sur les denrées alimentaires, il ressort du dossier qu'ils sont constitués, d'une part, de produits alimentaires soumis à un contrôle pour vérifier l'adjonction effective de certaines substances nutritives et, d'autre part, de produits considérés comme potentiellement dangereux à cause de certains risques, à savoir les arachides et les noix du Brésil. La différence en ce qui concerne la nature, le caractère et les objectifs des contrôles prévus pour l'un et l'autre de ces deux groupes empêche de considérer les redevances perçues pour les arachides et les noix du Brésil comme relevant du même système que celles perçues pour le contrôle des additifs.
27. Il résulte de ce qui précède que le Gouvernement danois n'a pas démontré que les conditions d'un système général d'impositions intérieures sont réunies en ce qui concerne la charge en cause.
28. Il convient donc de constater que le Royaume de Danemark, en appliquant à l'importation des arachides et des produits d'arachides une redevance pour le contrôle sanitaire, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 13 du traité CEE.
Sur les dépens
29. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1°) en appliquant à l'importation des arachides et des produits d'arachides une redevance pour le contrôle sanitaire, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 13 du traité CEE.
2°) la partie défenderesse est condamnée au dépens.