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Décisions

CJCE, 4e ch., 20 septembre 1988, n° 31-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gebroeders Beentjes BV

Défendeur :

Etat des Pays-Bas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rodriguez Iglesias

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

Koopmans, Kakouris

CJCE n° 31-87

20 septembre 1988

LA COUR,

1. Par jugement du 28 janvier 1987, parvenu à la Cour le 3 février suivant, l'Arrondissementsrechtbank de La Haye a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles concernant l'interprétation de la directive 71-305 du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'entreprise Beentjes BV au ministère de l'Agriculture et de la Pêche des Pays-Bas au sujet de l'adjudication publique d'un marché de travaux dans le cadre d'un remembrement.

3. Dans le litige au principal, Beentjes, partie requérante, a allégué que la décision du pouvoir adjudicateur l'écartant, alors qu'elle avait fait l'offre la plus basse, au bénéfice d'une entreprise qui avait soumissionné pour un montant immédiatement supérieur, avait été adoptée en violation des dispositions de la directive précitée.

4. C'est dans ce contexte que l'Arrondissementsrechtbank a sursis à statuer et a demandé à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes :

"1°) Un organe présentant les caractéristiques d'une 'commission locale' visée dans la Ruilverkavelingswet 1954 (loi néerlandaise de 1954 sur le remembrement), telle qu'indiquée dans l'attendu 5.3 du présent jugement, doit-il ou non être considéré comme 'l'Etat' ou une de ses 'collectivités territoriales' au sens de la directive du Conseil du 26 juillet 1971 (JO L 185, p. 5) ?

2°) la directive précitée permet-elle d'exclure un soumissionnaire pour des motifs tels qu'indiqués dans l'attendu 6.2 du présent jugement si l'avis de marché ne formule pas de critères qualitatifs à cet égard (mais se borne à renvoyer aux conditions générales qui comportent une réserve générale comme l'Etat l'invoque en l'espèce) ?

3°) Ces justiciables tels que Beentjes peuvent-ils invoquer, dans une procédure civile comme celle de l'espèce, les dispositions de la directive précitée qui prévoient dans quels cas et dans quelles conditions un soumissionnaire peut être exclu de l'adjudication pour des motifs qualitatifs, alors même que la législation nationale a accordé, au moment de la transposition de la directive, des pouvoirs plus étendus à l'adjudicateur pour refuser l'attribution du marché que ceux permis en vertu de la directive ?"

5. En ce qui concerne la deuxième question, il convient de préciser que les considérations visées au jugement de renvoi concernent les motifs pour lesquels l'offre de Beentjes a été écartée par le pouvoir adjudicateur, lequel aurait estimé que Beentjes avait une expérience spécifique insuffisante pour le travail à réaliser, que son offre lui paraissait moins acceptable et qu'elle ne semblait pas capable d'embaucher des chômeurs de longue durée. Il ressort du dossier que, alors que les deux premiers critères ci-dessus mentionnés étaient prévus par l'article 21 du règlement uniforme en matière d'adjudication du 21 décembre 1971 (Uniform Aanbestedingsreglement, ci-après : "UAR"), réglementation à laquelle renvoyait l'avis du marché litigieux, la condition relative à l'emploi des chômeurs de longue durée était explicitement visée par ledit avis.

6. Pour un plus ample exposé des antécédents du litige au principal ainsi que des dispositions communautaires et nationales en cause, des observations écrites présentées à la Cour et du déroulement de la procédure, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

7. La première question posée par la juridiction nationale vise en substance à savoir si la directive 71-305 s'applique à la passation de marchés publics de travaux par un organisme tel que la commission locale de remembrement.

8. Il résulte du dossier que la commission locale de remembrement est un organisme dépourvu de personnalité juridique propre dont la mission et la composition sont réglées par la loi et que ses membres sont désignés par la députation provinciale de la province concernée. Elle est tenue d'appliquer une instruction établie par une commission centrale instituée par arrêté royal dont les membres sont désignés par la Couronne. Le respect des obligations découlant des actes juridiques de la commission sont garantis par l'Etat, lequel finance les travaux publics dont l'adjudication correspond à la commission locale en cause.

9. Il convient de rappeler que la directive 71-305 à pour objet la coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux conclus dans les Etats membres pour le compte de l'Etat, des collectivités territoriales et d'àutres personnes morales de droit public.

10. En vertu de l'àrticle 1er, sous b), de la directive, sont à considérer comme pouvoirs adjudicateurs, l'Etat, les collectivités territoriales et les personnes morales de droit public énumérées à la liste de l'ànnexe I.

11. La notion d'Etat, au sens de cette disposition, doit recevoir une interpretation fonctionnelle. Le but de la directive, qui vise à la réalisation effective de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services en matière de marchés publics de travaux, serait en effet compromis si l'àpplication du régime de la directive devait être exclue du seul fait qu'un marché public de travaux est adjugé par un organisme qui, tout en ayant été créé pour exécuter des taches que la loi lui confère, n'est pas formellement intégré à l'àdministration de l'Etat.

12. Par conséquent, un organisme dont, comme en l'occurrence, la composition et les fonctions sont prévues par la loi et qui dépend des pouvoirs publics de par la nomination de ses membres, par la garantie des obligations découlant de ses actes et par le financement des marchés publics qu'il est chargé d'àdjuger doit être considéré comme relevant de l'Etat au sens de la disposition précitée, même s'il n'en fait pas formellement partie.

13. Il convient donc de répondre à la première question posée par la juridiction nationale que la directive 71-305 s'àpplique à des marchés publics de travaux passés par un organisme tel que la commission locale de remembrement.

Sur la deuxième question

14. La deuxième question posée par la juridiction nationale vise, d'une part, à savoir si la directive 71-305 s'oppose à l'exclusion d'un soumissionnaire pour les raisons suivantes :

- Défaut d'expérience spécifique pour le travail à réaliser ;

- Offre qui ne paraît pas la plus acceptable au pouvoir adjudicateur ;

- Incapacité de l'entrepreneur d'employer des chômeurs de longue durée.

D'àutre part, elle vise à préciser les exigences de publicité préalable imposées par la directive pour l'utilisation de tels critères, au cas où ceux-ci devraient être considérés compatibles avec la directive.

15. Dans le système de la directive, notamment de son titre IV (règles communes de participation), la vérification de l'àptitude des entrepreneurs à exécuter les travaux à adjuger et l'àttribution du marché sont deux opérations différentes dans le cadre de la passation d'un marché public. En effet, l'àrticle 20 de la directive prévoit que l'àttribution du marché se fait après vérification de l'àptitude des entrepreneurs.

16. Même si la directive, qui vise à la coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux tout en respectant, dans toute la mesure du possible, les procédures et les pratiques en vigueur dans chacun des Etats membres (deuxième considérant), n'exclut pas que la vérification de l'àptitude des soumissionnaires et l'àttribution du marché puissent avoir lieu simultanément, les deux opérations sont régies par des règles différentes.

17. L'àrticle 20 précité prévoit que la vérification de l'àptitude des entrepreneurs est effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique vises aux articles 25 à 28. L'objet de ces articles n'est pas de délimiter la compétence des Etats membres pour fixer le niveau de capacité économique, financière et technique requis en vue de la participation aux différents marchés publics, mais de déterminer quelles sont les références probantes ou moyens de preuve pouvant être fournis pour justifier la capacité financière, économique et technique des entrepreneurs (voir arrêt du 9 juillet 1987, CEI et Bellini, 27 à 29-86, Rec. p. 3347). Néanmoins, il résulte de ces dispositions que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent effectuer la vérification de l'àptitude des entrepreneurs que sur la base de critères fondés sur leur capacité économique, financière et technique.

18. En ce qui concerne les critères d'àttribution du marché, l'àrticle 29, paragraphe 1, prévoit que les pouvoirs adjudicateurs se fondent soit uniquement sur le prix le plus bas, soit, lorsque l'àttribution est faite à l'offre économiquement la plus avantageuse, sur divers critères variables suivant le marché, par exemple : le prix, le délai d'exécution, le coût d'utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

19. Si la deuxième alternative laisse aux pouvoirs adjudicateurs le choix des critères d'àttribution du marché qu'ils entendent retenir, ce choix ne peut porter que sur des critères visant à identifier l'offre économiquement la plus avantageuse. En effet, ce n'est qu'à titre d'exception que le paragraphe 4 du même article admet que l'àttribution puisse être fondée sur des critères d'une nature différente "dans le cadre d'une réglementation visant à faire bénéficier certains soumissionnaires d'une préférence à titre d'àide, à condition que la réglementation invoquée soit compatible avec le traité et en particulier avec les articles 92 et suivants ".

20. Il convient encore de rappeler que la directive n'établit pas une réglementation communautaire uniforme et exhaustive, mais que, dans le cadre des règles communes qu'elle contient, les Etats membres restent libres de maintenir ou d'édicter des règles matérielles et procédurales en matière de marchés publics, à condition de respecter toutes les dispositions pertinentes du droit communautaire, et notamment les interdictions qui découlent des principes consacrés par le traité en matière de droit d'établissement et des libres prestations des services (arrêt du 9 juillet 1987, précité).

21. Enfin, en vue de satisfaire à l'objectif de la directive d'àssurer le développement d'une concurrence effective dans le domaine des marchés publics, les critères et conditions qui régissent chaque marché doivent faire l'objet d'une publicité adéquate de la part des pouvoirs adjudicateurs.

22. A cet effet, le titre III de la directive organise une publicité communautaire des avis de marchés établis par les pouvoirs adjudicateurs des Etats membres de nature à donner aux entrepreneurs de la Communauté une connaissance suffisante des prestations à fournir et des conditions dont elles sont assorties, pour qu'ils puissent apprécier si les marchés proposés les intéressent. En même temps, les informations supplémentaires concernant les marchés doivent figurer, comme il est d'usage dans les Etats membres, dans le cahier des charges relatif à chaque marché, ou dans tout document équivalent (voir neuvième et dixième considérants de la directive).

23. C'est à la lumière de ce qui précède qu'il convient d'examiner les différents éléments de la question posée par la juridiction nationale.

24. La prise en considération de l'expérience spécifique pour le travail à réaliser est fondée sur la capacité technique des soumissionnaires. Il convient donc de constater qu'il s'àgit d'un critère légitime de vérification de l'àptitude des entrepreneurs au regard des articles 20 et 26 de la directive.

25. En ce qui concerne l'exclusion d'un soumissionnaire parce que son offre parait moins acceptable aux pouvoirs adjudicateurs, il résulte du dossier que ce critère était prévu par l'àrticle 21 du règlement uniforme en matière d'àdjudication du 21 décembre 1971 (UAR), précité. En effet, selon le paragraphe 3 dudit article, "les travaux sont attribués au soumissionnaire dont l'offre semble la plus acceptable au donneur d'ouvrage ".

26. La compatibilité d'une telle disposition avec la directive dépend de son interpretation dans le cadre du droit national. En effet, une telle disposition serait incompatible avec l'àrticle 29 de la directive dans la mesure où elle aurait pour effet de conférer aux pouvoirs adjudicateurs une liberté inconditionnée de choix pour l'àttribution du marché en cause à un soumissionnaire.

27. En revanche, une telle disposition n'est pas incompatible avec la directive si elle est à interpréter dans le sens qu'elle confère aux pouvoirs adjudicateurs un pouvoir d'àppréciation en vue de comparer les différentes offres et de retenir la plus avantageuse, sur la base de critères objectifs tels que ceux énumérés à titre d'exemple à l'àrticle 29, paragraphe 2, de la directive.

28. En ce qui concerne l'exclusion d'un soumissionnaire du fait qu'il ne serait pas en mesure d'employer des chômeurs de longue durée, il convient de constater d'àbord qu'une telle condition n'à trait ni à la vérification de l'àptitude des entrepreneurs sur la base de leur capacité économique, financière et technique, ni aux critères d'àttribution du marché dont il est question à l'àrticle 29 de la directive.

29. Il résulte de l'àrrêt du 9 juillet 1987, précité, que, pour être compatible avec la directive, une telle condition doit respecter toutes les dispositions pertinentes du droit communautaire, et notamment les interdictions qui découlent des principes consacrés par le traité en matière de droit d'établissement et de libre prestation des services.

30. L'exigence d'employer des chômeurs de longue durée pourrait notamment enfreindre le principe de non-discrimination en raison de la nationalité consacré par l'àrticle 7, paragraphe 2, du traité au cas où il s'àvérerait qu'une telle condition ne pourrait être remplie que par les soumissionnaires nationaux ou bien qu'elle serait plus difficilement remplissable par des soumissionnaires provenant d'àutres Etats membres. Il appartient au juge national de vérifier, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, si l'exigence d'une telle condition à ou non une incidence discriminatoire directe ou indirecte.

31. Même si les critères dont il est question ci-dessus ne sont pas en tant que tels incompatibles avec la directive, leur mise en œuvre doit avoir lieu dans le respect de toutes les normes procédurales de la directive, et notamment des règles de publicité qu'elle contient. Il convient donc d'interpréter ces dispositions afin de préciser les exigences qui en découlent pour les différents critères visés par la juridiction nationale.

32. Il résulte du dossier que le critère de l'expérience spécifique pour le travail à réaliser et celui de l'offre la plus acceptable n'ont été mentionnés en l'espèce ni dans le cahier des charges ni dans l'àvis d'àdjudication, mais que ces critères découlent de l'àrticle 21, précité, du règlement uniforme en matière d'àdjudication (UAR), auquel l'àvis de marché contenait un renvoi général. En revanche, la condition de l'emploi de chômeurs de longue durée faisait l'objet de dispositions particulières du cahier des charges et était explicitement mentionnée dans l'àvis de marché publié au Journal officiel des Communautés européennes.

33. En ce qui concerne le critère de l'expérience spécifique pour le travail à réaliser, il convient de constater que, si le dernier alinea de l'àrticle 26 de la directive oblige les pouvoirs adjudicateurs à préciser dans l'àvis celles des références des capacités techniques de l'entrepreneur qu'ils entendent obtenir, il ne leur impose pas d'y faire figurer les critères sur lesquels ils entendent se fonder pour la vérification de l'àptitude des entrepreneurs.

34. Néanmoins, pour que l'àvis puisse remplir sa fonction de permettre aux entrepreneurs de la Communauté d'àpprécier si un marché les intéresse, il faut qu'il contienne une mention, fût-elle sommaire, des conditions particulières requises pour être considéré apte à soumissionner au marché à réaliser. On ne saurait toutefois exiger une telle mention lorsqu'il s'àgit, comme en l'espèce, non pas d'une condition particulière d'àptitude, mais d'un critère qui est indissociable de la notion même de vérification de l'àptitude.

35. En ce qui concerne le critère de "l'offre la plus acceptable", il convient de constater que, même si un tel critère devait être compatible avec la directive, sous les conditions relevées ci-dessus, il résulte du libellé même de l'àrticle 29, paragraphes 1 et 2, de la directive que, lorsque les pouvoirs adjudicateurs n'utilisent pas comme seul critère d'àttribution du marché celui du prix le plus bas, mais qu'ils se fondent sur divers critères en vue d'àttribuer le marché à l'offre économiquement la plus avantageuse, ils sont tenus de mentionner ces critères soit dans l'àvis de marché, soit dans le cahier des charges. Par conséquent, un renvoi général à une disposition de la législation nationale ne saurait satisfaire à cette exigence de publicité.

36. En ce qui concerne une condition telle que l'emploi de chômeurs de longue durée, il convient de constater que, s'àgissant d'une condition particulière supplémentaire, elle doit être mentionnée dans l'àvis afin que les entrepreneurs soient mis en mesure d'àvoir connaissance de l'existence d'une telle condition.

37. Il convient donc de répondre à la deuxième question posée par la juridiction nationale que :

- le critère de l'expérience spécifique pour le travail à réaliser est un critère légitime de capacité technique en vue de la vérification de l'àptitude des entrepreneurs. Lorsqu'un tel critère résulte d'une disposition de la législation nationale à laquelle renvoie l'àvis de marché, un tel critère n'est pas soumis en vertu de la directive à des exigences particulières de publicité dans l'àvis ou dans le cahier des charges ;

- le critère de "l'offre la plus acceptable" tel qu'il résulte d'une disposition de la législation nationale peut être compatible avec la directive s'il exprime le pouvoir d'àppréciation reconnu aux pouvoirs adjudicateurs en vue d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs et s'il ne comporte donc aucun élément de choix arbitraire. Il résulte de l'àrticle 29, paragraphes 1 et 2, de la directive que, lorsque les pouvoirs adjudicateurs n'utilisent pas comme seul critère d'àttribution du marché le prix le plus bas, mais qu'ils se fondent sur divers critères en vue d'àttribuer le marché à l'offre économiquement la plus avantageuse, ils sont tenus de mentionner ces critères soit dans l'àvis de marché, soit dans le cahier des charges;

- la condition de l'emploi de chômeurs de longue durée est compatible avec la directive si elle n'à pas d'incidence discriminatoire directe ou indirecte à l'égard des soumissionnaires provenant d'àutres Etats membres de la Communauté. Une telle condition particulière supplémentaire doit être obligatoirement mentionnée dans l'àvis de marché.

Sur la troisième question

38. La troisième question vise en substance à savoir si les dispositions des articles 20, 26 et 29 de la directive 71-305 peuvent être invoquées par les particuliers devant les juridictions nationales.

39. A cet égard, il convient de rappeler d'àbord que, ainsi que la Cour l'à déjà jugé dans son arrêt du 10 avril 1984 (Von Colson et Kamann, 14-83, Rec. p. 1891), l'obligation des Etats membres, découlant d'une directive, d'àtteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir en vertu de l'àrticle 5 du traité de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des Etats membres y compris, dans le cadre de leur compétence, les autorités juridictionnelles. Il s'ensuit qu'en appliquant le droit national, et notamment les dispositions d'une loi nationale spécialement introduite en vue d'exécuter une directive, la juridiction nationale est tenue d'interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par l'àrticle 189, paragraphe 3, du traité.

40. Il convient de rappeler ensuite que, selon une jurisprudence constante de la Cour (voir en dernier lieu l'àrrêt du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723), dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l'encontre de l'Etat, soit lorsque celui-ci s'àbstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu'il en fait une transposition incorrecte.

41. Il convient donc d'examiner si les dispositions en cause de la directive 71-305, précitée, apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises pour être invoquées par un particulier à l'encontre de l'Etat.

42. Ainsi que la Cour l'à déjà jugé dans son arrêt du 10 février 1982 (Transporoute, 76-81, Rec. p. 417) à propos de l'àrticle 29, les règles de participation et de publicité de la directive ont pour but de protéger le soumissionnaire de l'àrbitraire du pouvoir adjudicateur.

43. A cet effet, ainsi qu'il à été exposé dans le cadre de la réponse à la deuxième question, les règles en cause prévoient notamment, d'une part, que, pour la vérification de l'àptitude des entrepreneurs, les pouvoirs adjudicateurs se fondent sur des critères de capacité économique, financière et technique et que l'àttribution du marché se fait sur la base soit uniquement du prix le plus bas, soit de plusieurs critères relatifs à l'offre; et, d'àutre part, elles déterminent les exigences de publicité des critères retenus par les pouvoirs adjudicateurs ainsi que des références probantes qu'ils entendent obtenir. Aucune mesure particulière de mise en œuvre n'étant nécessaire pour le respect de ces exigences, les obligations qui en résultent pour les Etats membres sont donc inconditionnelles et suffisamment précises.

44. Il convient donc de répondre à la troisième question que les dispositions des articles 20, 26 et 29 de la directive 71-305 peuvent être invoquées par un particulier devant les juridictions nationales.

Sur les dépens

45. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes et par la République italienne ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Arrondissementsrechtbank de La Haye, par jugement du 28 janvier 1987, dit pour droit :

1°) la directive 71-305 s'àpplique à des marchés publics de travaux passés par un organisme tel que la commission locale de remembrement.

2°) le critère de l'expérience spécifique pour le travail à réaliser est un critère légitime de capacité technique en vue de la vérification de l'àptitude des entrepreneurs. Lorsqu'un tel critère résulte d'une disposition de la législation nationale à laquelle renvoie l'àvis de marché, un tel critère n'est pas soumis en vertu de la directive à des exigences particulières de publicité dans l'àvis ou dans le cahier des charges.

- le critère de "l'offre la plus acceptable" tel qu'il résulte d'une disposition de la législation nationale peut être compatible avec la directive s'il exprime le pouvoir d'àppréciation reconnu aux pouvoirs adjudicateurs en vue d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs et s'il ne comporte donc aucun élément de choix arbitraire. Il résulte de l'àrticle 29, paragraphes 1 et 2, de la directive que, lorsque les pouvoirs adjudicateurs n'utilisent pas comme seul critère d'àttribution du marché le prix le plus bas, mais qu'ils se fondent sur divers critères en vue d'àttribuer le marché à l'offre économiquement la plus avantageuse, ils sont tenus de mentionner ces critères soit dans l'àvis de marché, soit dans le cahier des charges.

- la condition de l'emploi de chômeurs de longue durée est compatible avec la directive si elle n'à pas d'incidence discriminatoire directe ou indirecte à l'égard des soumissionnaires provenant d'àutres Etats membres de la Communauté. Une telle condition particulière supplémentaire doit être obligatoirement mentionnée dans l'àvis de marché.

3°) les dispositions des articles 20, 26 et 29 de la directive 71-305 peuvent être invoquées par un particulier devant les juridictions nationales.