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Décisions

Conseil Conc., 22 juin 2005, n° 05-D-31

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Cemafroid

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Lerner, par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, MM Piot, Combe, Gauron, Mmes Béhar-Touchais, Mader-Saussaye, membres.

Conseil Conc. n° 05-D-31

22 juin 2005

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 27 mai 2002, sous le numéro 02/0054 F, par laquelle la société Barrault Recherche a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le GIE Cemafroid ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 18 mai 2005, la société Barrault Recherche ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :

I. CONSTATATIONS

A. LE SECTEUR DE L'INGÉNIERIE DES FLUIDES INDUSTRIELS

1. Le secteur de l'ingénierie des fluides industriels recouvre les missions de diagnostic, de conseil et d'expertise concernant le transport et la production d'éléments tels que le chaud, le froid ou l'air comprimé.

2. Cette activité d'ingénierie, qui a commencé à être proposée au début des années 1990, est majoritairement réalisée en France par de petites entités et reste très atomisée. Le marché est donc mal connu. Bien que les principes d'audit des flux des différents fluides soient assez comparables, les intervenants sont souvent spécialisés dans un seul fluide.

3. Les fluides froids sont principalement utilisés par les industries agroalimentaires qui exploitent environ 3 000 installations frigorifiques en France. Mais seulement une dizaine de diagnostics sont réalisés chaque année. Les contrats sont généralement obtenus à la suite d'une prospection active du fournisseur. Les affaires pour lesquelles plusieurs offreurs se trouvent en concurrence sont donc rares.

4. Le coût moyen d'un diagnostic est d'environ 12 000 euro, mais il bénéficie fréquemment de subventions d'organismes publics ou parapublics, principalement l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et/ou Electricité de France.

1. LES INTERVENANTS SUR LE MARCHÉ

5. La SARL Barrault Recherche a été créée, en octobre 1990, après avoir obtenu d'EDF un premier marché de recherche fondamentale et appliquée concernant les applications pour " panneaux rayonnants ". A partir de 1993, la société a étendu son activité au conseil, à l'audit et à l'ingénierie dans les domaines de la consommation énergétique et de la production-distribution des fluides industriels. Elle a également développé un logiciel, appelé " Barexpert ", pour le suivi et la maîtrise des performances énergétiques des activités industrielles. Il ressort des éléments du dossier qu'elle serait actuellement le principal intervenant sur le marché de l'ingénierie des fluides industriels. Son chiffre d'affaires s'est élevé à 964 KEuro en 2002. L'effectif est de 12 personnes dont 7 ingénieurs.

6. L'activité d'études se répartit de manière égale entre le froid, le chaud et l'air comprimé. L'entreprise peut réaliser des prédiagnostics ou des diagnostics complets avec des recommandations détaillées, une proposition d'investissements et une étude de rentabilité. Le prix d'un prédiagnostic transversal varie, selon l'importance de l'installation, entre 3 et 8 KEuro, celui d'un diagnostic entre 10 et 25 KEuro par fluide. Les clients sont répartis sur l'ensemble du territoire national. Il s'agit à 95 % d'industriels, dont 40 à 45 % dans le secteur agro-alimentaire.

7. Le GIE Cemafroid a été constitué, en juin 2000, par le Cemagref (Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts), qui détient 80 % du capital, les associations Transfrigoroute et Periferm qui regroupent respectivement des transporteurs et des distributeurs, détenant chacune 10 % du capital. L'objet statutaire du GIE est de " réaliser au profit ou en prolongement de l'activité de ses membres et pour le compte de tiers, des prestations d'essais, d'études, d'expertises et de formation-transfert dans le domaine du froid notamment alimentaire ". Il a repris une partie des activités précédemment assurées par le Cemagref au sein de ses unités de recherche et d'essai " Génie des procédés frigorifiques "(Antony) et " froid " (Bordeaux).

8. Le chiffre d'affaires du GIE se répartit de la manière suivante :

- 76 % pour les essais et les certifications des engins de transport à température dirigée. Cette activité est réglementée par l'Accord relatif aux transports internationaux de denrées périssables et aux engins spéciaux à utiliser pour ces transports. La direction générale de l'alimentation a confié au GIE Cemafroid la certification des installations agréées pour la délivrance des attestations de conformité technique des engins frigorifiques par la direction des services vétérinaires. Le GIE réalise également des tests et délivre des attestations de conformité pour les engins de transport frigorifique. Enfin, il administre depuis 2003 la base de données DATAFRIG qui regroupe les dossiers des engins et des audits effectués ;

- 4,8 % pour les expertises des installations de production du froid ;

- 10,7 % pour les essais en laboratoire des meubles frigorifiques installés dans la distribution, des refroidisseurs de lait et des enregistreurs de températures ;

- le solde est constitué par des activités diverses, notamment de formation et de traduction.

9. Soretel est une société de droit privé, filiale à 66 % de Sopardel, elle-même filiale à 100 % d'EDF. Elle réalisait des diagnostics énergétiques dans tous les secteurs d'activité. Elle a été dissoute en mars 2003 et ses activités ont été transférées à la société Soretel Contracting, filiale du groupe Sechaud et Metz.

10. D'autres intervenants, comme les APAVE ou l'entreprise Maison du Froid Conseil peuvent également réaliser des missions d'ingénierie pour des installations frigorifiques industrielles.

11. Les prix pratiqués par les différents intervenants se situent dans une fourchette relativement étroite de 800 à 1 000 euro par jour.

B. LES PRATIQUES CONSTATÉES

1. LES AIDES CONSENTIES PAR LE CEMAGREF AU GIE CEMAFROID

12. Le Cemagref a mis, selon les années, entre 6 et 10 agents à la disposition du GIE Cemafroid. Leurs salaires et charges sociales comme les prestations et services, telle la restauration collective, fournis par le Cemagref au personnel du GIE, sont refacturés à celui-ci.

13. En revanche, le directeur exécutif du GIE est mis gratuitement à la disposition du GIE Cemafroid.

14. Le GIE Cemafroid dispose de 2 005 m2 de bâtiments appartenant au Cemagref sur les sites d'Antony et de Bordeaux-Cestas pour lesquels il paye une redevance d'occupation annuelle forfaitaire d'un montant de 69 816 euro, en 2002. Elle est calculée, pour les bureaux, sur une base annuelle de 600 F le m2 (91,47 euro) à Antony et de 300 F le m2 (45,73 euro) à Bordeaux et, pour les locaux techniques, sur une base de 200 F (30,49 euro) à Antony et de 100 F le m2 (15,24 euro) à Bordeaux. En outre, le Cemagref a pris à sa charge les travaux d'extension et de rénovation des locaux d'Antony utilisés par le GIE Cemafroid et réalisés, en 2001, pour un coût de 464 607 euro.

15. Le Cemagref met à la disposition du GIE un ensemble de matériels et de moyens techniques d'une valeur nette comptable, au 1er janvier 2000, de 3 179 562 F (484 721 euro) moyennant une redevance forfaitaire annuelle égale à 10 % de leur valeur nette comptable au 1er janvier de chaque année. S'agissant de matériels pour lesquels la durée d'amortissement est souvent inférieure à 10 ans et dont certains sont déjà totalement amortis, ce mode de calcul est particulièrement avantageux pour le GIE Cemafroid et génère pour le Cemagref une charge correspondant à la différence entre le montant des amortissements comptabilisés et le montant de la redevance perçue.

16. Le GIE Cemafroid a bénéficié, de la part du Cemagref, d'une avance de trésorerie de 800 000 F remboursable en dix ans et ne portant intérêt qu'à partir de la cinquième année de fonctionnement du GIE et d'une subvention d'un montant de 85 000 euro en 2002 et de 55 000 euro en 2003. Cette subvention d'exploitation est destinée à compenser l'appui technique du Cemagref au ministère de l'agriculture, appui qui est, en pratique, fourni par le GIE.

2. LES DIAGNOSTICS D'INSTALLATIONS FRIGORIFIQUES INDUSTRIELLES RÉALISÉS PAR LE GIE CEMAFROID

17. Le GIE Cemafroid a signé, le 14 décembre 2000, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et le 22 février 2001 avec Electricité de France deux conventions prévoyant chacune le versement d'une aide de 220 000 F pour l'élaboration d'une méthode de diagnostic énergétique adaptée aux installations frigorifiques des industries agroalimentaires. Trois phases de développement étaient prévues : premièrement, la mise au point de la méthode sur cinq sites industriels, deuxièmement, la validation sur cinq autres sites, troisièmement, le " retour d'expérience " et la mise au point d'un outil "pratique".

18. L'opération n'a pas été menée à son terme et seule la première phase a été réalisée. Néanmoins, EDF a versé au GIE, l'intégralité de l'aide prévue et l'ADEME, la moitié. Ces aides représentent 80 % du prix global des cinq audits réalisés qu'elles ont permis de subventionner. Elles n'ont toutefois pas été réparties de façon homogène entre les clients. Leur affectation est la suivante:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

19. Le GIE Cemafroid a réalisé, en propre, la partie tests et mesures et a sous-traité la partie méthodologique. Pour cette partie, la société Soretel a été retenue de préférence à la société Barrault Recherche. Elle a elle-même eu recours à un sous-traitant, la société Sechaud Ingénierie qui avait intégré dans son effectif l'ingénieur compétent de Soretel.

II. Discussion

20. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce : " Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".

21. La société Barrault Recherche dénonce dans sa saisine, sur le double fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, d'une part l'importance des moyens financiers, matériels et humains mis à la disposition du GIE Cemafroid par le Cemagref, d'autre part, la confusion entretenue entre le Cemagref et le GIE Cemafroid afin de faire bénéficier celui-ci de la notoriété de celui-là et, enfin, les aides apportées par l'ADEME et EDF.

22. Les subventions, accordées par un établissement public à une entreprise intervenant sur un marché ouvert à la concurrence, peuvent être sanctionnées sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce réprimant les abus de position dominante, si elles ont été utilisées pour mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles.

A. SUR LES PRATIQUES DU GIE

23. En l'espèce, il convient de rechercher si peut être imputée au GIE une pratique anticoncurrentielle.

24. Le GIE Cemafroid n'occupe pas de position dominante sur le marché des audits du froid, étant un nouvel entrant sur ce marché où il occupe une part de 20 %, inférieure à celle de l'entreprise Barrault Recherche. Aucun abus de position dominante ne peut donc lui être reproché.

25. En outre, les aides dont le GIE Cemafroid a bénéficié, de la part du Cemagref, peuvent être évaluées comme suit :

- Absence d'intérêts sur le prêt concédé de 800 000 F (121 960 euro) : 5 000 euro

- Sous-évaluation du loyer des bâtiments : 40 000 euro

- Ecart estimé entre les amortissements et la redevance payée pour le matériel : 20 700 euro

TOTAL = 65 700 euro

26. En revanche, les subventions d'exploitation, perçues en contrepartie des prestations effectuées pour le compte du Cemagref ou du ministère de l'agriculture, doivent être considérées comme des ventes de services.

27. Les aides indirectes répertoriées ci-dessus représentent environ 6,5 % de l'activité du GIE Cemafroid en 2001 (1 006 KEuro) et 5,7 % en 2002 (1 161 KEuro). Eu égard à ces taux et à la circonstance que l'activité du GIE était en phase de démarrage, ces aides n'ont eu qu'un impact limité sur les prix de revient du GIE.

28. Pour 2001, le coût horaire d'intervention du GIE Cemafroid tel qu'il peut être calculé à partir de la comptabilité analytique du GIE, s'élève à 206 F en coût direct et à 303 F en coût complet, soit respectivement 1 648 F et 2 424 F pour une journée de travail. Ces coûts, même augmentés de la part correspondant aux aides indirectes, soit 6,5 % (voir paragraphe précédent), ce qui porte la journée de travail à des coûts complets de 2 581 F, sont sensiblement inférieurs au prix facturé par le GIE pour une journée de travail en 2002, soit 791,22 euro (environ 5 200 F) pour un ingénieur et 457 euro (environ 3 000 F) pour un technicien. Ces prix sont comparables à ceux couramment pratiqués par la profession. Il résulte de ce qui précède que ces prix couvrent les coûts complets.

29. En tout état de cause et à supposer même que les coûts variables ne soient pas couverts, le Conseil a estimé, dans sa décision n° 00-D-50 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Française des Jeux dans le secteur de la maintenance informatique et du mobilier de comptoir, que la vente au dessous du coût variable ne suffit pas à caractériser l'existence d'une pratique de prix prédateurs si elle ne s'inscrit pas dans une stratégie prédatrice crédible au regard du contexte, et notamment, au regard de la part détenue par la société en cause sur le marché concerné et de la durée des pratiques.

30. En l'espèce, le GIE Cemafroid n'a réalisé en 2 ans que 5 audits, dont 4 à des prix subventionnés et après 2002, le GIE Cemafroid s'est retiré du marché des diagnostics industriels. Il s'agit donc de pratiques isolées de la part du GIE, relatives à des prestations pour lesquelles les offreurs ne sont pas toujours mis en concurrence et généralement vendues à la suite d'une action de prospection du fournisseur. Le caractère ponctuel des pratiques ôtait toute probabilité au succès d'une stratégie qui aurait consisté à éliminer les concurrents afin de pouvoir, ensuite, relever les prix.

31. Il apparaît au surplus que l'entrée du GIE Cemafroid sur le marché de l'ingénierie du froid n'a pas eu d'incidence notable sur l'activité de la société Barrault Recherche, son chiffre d'affaires ayant progressé de 69 % entre 2000 et 2002.

32. Au total, le caractère ponctuel des pratiques et la couverture des coûts complets ne permettent donc pas d'établir la fixation par le GIE de prix prédateurs.

B. SUR LES AUTRES PRATIQUES INVOQUÉES ET RELEVÉES AU COURS DE L'INSTRUCTION

33. Il ne résulte pas de l'instruction que la notoriété du Cemagref ait été utilisée par le GIE Cemafroid à des fins anticoncurrentielles.

34. Il ressort des déclarations recueillies, lors de l'enquête de la DGCCRF, que les industriels utilisateurs de froid sont peu enclins à investir dans des diagnostics de leurs installations et que l'obtention de subventions directes par des organismes publics ou parapublics comme l'ADEME et EDF est un élément déterminant pour la conclusion des affaires. Le dirigeant de la société Barrault Recherche a indiqué sur ce point qu'un taux de subvention de 50 % était habituel. La déduction des subventions obtenues du prix facturé au client étant couramment pratiquée, il ne peut être fait grief au GIE d'avoir pris en compte les aides de l'ADEME et d'EDF dans ses propositions de prix. Dans sa décision n° 03-D-54 du 28 novembre 2003 relative au marché des énergies renouvelables, le Conseil de la concurrence a indiqué que la prise en compte dans le prix de soumission à un marché d'une subvention reçue n'est pas anticoncurrentielle dès lors que l'indépendance des procédures d'attribution des subventions n'est pas contestée. En l'espèce, la société Barrault Recherche n'apporte aucun élément permettant de mettre en doute les procédures d'attribution et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ait essuyé un refus lors d'une demande de subvention ; elle a bénéficié, au contraire, d'aides financières pour la réalisation de plusieurs audits.

35. Enfin, la décision d'affectation des aides ayant été prise par le seul GIE, elle constitue une pratique unilatérale non qualifiable en droit de la concurrence (décision n° 04-D-29 du 6 juillet 2004).

36. L'instruction n'ayant par ailleurs pas permis d'établir l'existence d'entente anticoncurrentielle, il convient de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décision

Article unique - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.