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Décisions

Cass. 1re civ., 12 janvier 1994, n° 92-04.070

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Société générale (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grégoire (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Savatier

Avocat général :

M. Lupi

Avocats :

Me Vincent, SCP Célice, Blancpain.

Grenoble, du 31 mars 1992

31 mars 1992

LA COUR : - Attendu que le 12 janvier 1990, la Société générale a consenti à Mme Eletto, un prêt de 247 000 francs produisant intérêts au taux de 11 %, remboursable en 180 mensualités ; que Mme Eletto a demandé le bénéfice du redressement judiciaire civil ; que le tribunal d'instance a déclaré irrecevable sa demande ; que dans un premier arrêt, la cour d'appel a infirmé ce jugement et a invité toutes les parties à comparaître pour qu'il soit statué sur les mesures de redressement ; que la Banque nationale de Paris n'a pas comparu mais a adressé à la cour d'appel une lettre précisant le montant de sa créance ; qu'au contraire, la Société générale a comparu pour faire valoir que, la déchéance du terme du prêt étant intervenue après l'échéance du 7 décembre 1990, sa créance s'élevait au 6 février 1992 à 299 482,19 francs, se décomposant en 247 752,10 francs pour le capital, 49 547,78 francs d'indemnité et intérêts, outre 2 181,19 francs montant du solde débiteur du compte de Mme Eletto ; que l'arrêt attaqué a notamment fixé la créance de la Société générale à 247 752,10 francs pour le prêt dont elle a échelonné le paiement en 228 mensualités, et à 1 944,15 francs pour le solde du compte dont elle a échelonné le paiement en 60 mensualités ;

Sur la seconde branche du premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que la Société générale reproche à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que les créances arrêtées ne porteront pas intérêts alors, selon le moyen, que l'article 12, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1989 ne prévoit qu'une éventuelle réduction des taux d'intérêts, sur décision spéciale et motivée lorsque le juge retient un taux inférieur au taux légal, de sorte qu'en supprimant purement et simplement les intérêts sans autre motivation que la considération selon laquelle la situation du débiteur exigeait cette suppression, la cour d'appel a violé ce texte ;

Mais attendu que la faculté laissée au juge de décider que les échéances reportées ou rééchelonnées porteront intérêt à un taux réduit, qui peut être inférieur au taux d'intérêt légal, lui permet de prévoir que ces sommes ne porteront pas intérêt, si cette mesure est exigée par la situation du débiteur ; que la cour d'appel a retenu qu'eu égard aux possibilités de remboursement de Mme Eletto, son endettement imposait qu'aucune des créances ne porte intérêt ; que l'arrêt attaqué, qui s'est ainsi prononcé par une décision spéciale et motivée, relevant que la situation du débiteur exige la mesure prononcée, n'encourt pas les critiques du moyen ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois branches : - Attendu que la Banque nationale de Paris reproche d'abord à la cour d'appel d'avoir fixé les créances et arrêté le plan de redressement sans prendre en compte sa créance, alors que les créanciers déclarant leurs créances par lettre simple, celles-ci doivent être prises en compte même si les créanciers ne comparaissent pas, de sorte qu'en statuant comme elle a fait la cour d'appel aurait violé les articles 17 et 19 du décret du 21 février 1990 ; qu'elle reproche ensuite à l'arrêt attaqué de lui avoir déclaré ce plan opposable et d'avoir dit qu'elle devrait cesser toutes voies d'exécution, alors que le défaut de comparution n'impliquant pas qu'elle ait renoncé à figurer dans le plan de redressement et à poursuivre le recouvrement de sa créance, laquelle n'était d'ailleurs pas contestée par la débitrice, la cour d'appel aurait violé les articles 472, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, 2221 du Code civil, 11 et 12 de la loi du 31 décembre 1989 ; qu'enfin elle soutient qu'en décidant que sa créance ne produira aucun intérêt, l'arrêt attaqué aurait violé les textes précités ;

Mais attendu que si aux termes de l'article 17 du décret n° 90-175 du 21 février 1990, les créanciers doivent déclarer leurs créances par lettre simple, au cas où ils y ont été invités par l'appel aux créanciers que le juge a la faculté de faire publier, aucune disposition ne les dispense de comparaître pour qu'il soit statué sur le caractère certain, liquide et exigible de leurs créances et sur l'aménagement du paiement de celles-ci, de sorte que c'est à bon droit que l'arrêt attaqué énonce que ne sont pas recevables des conclusions adressées par un créancier qui ne comparaît pas dans la procédure de redressement judiciaire civil ; que toutefois, en décidant que la Banque nationale de Paris devra cesser immédiatement toute voie d'exécution et ce pendant un délai de 60 mois, et que la créance de celle-ci ne produira aucun intérêt, la cour d'appel a, en réalité, fait usage des pouvoirs que lui donne l'article L. 332-5 du Code de la consommation (l'article 12 de la loi du 31 décembre 1989), en reportant le paiement de la dette de Mme Eletto envers ce créancier et en réduisant le taux des intérêts ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué s'est prononcé sur la créance dont se prévaut la Banque nationale de Paris ; que le moyen manque donc en fait en ses première et deuxième branches, et n'est pas fondé en sa dernière ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident : - Attendu que la Société générale reproche encore à la cour d'appel d'avoir dit qu'à défaut d'exécution du plan, les créanciers pourront reprendre leurs poursuites, mais seulement pour recouvrer les sommes arrêtées par " le plan ", alors, selon le moyen, que sa décision n'est pas motivée et que l'inexécution du plan ne peut avoir d'autre sanction que la caducité de celui-ci, de sorte que la cour d'appel a violé les articles 10, 11 et 12 de la loi du 31 décembre 1989 ;

Mais attendu que l'inexécution de la décision par laquelle le juge du redressement judiciaire civil statue sur le caractère certain, liquide et exigible des créances et en aménage le paiement, n'emporte pas caducité des dispositions de cette décision qui a, de ce chef, autorité de chose jugée ; que c'est à bon droit que la cour d'appel a dit que les créanciers pourront, à défaut d'exécution des dispositions de son arrêt par Mme Eletto, poursuivre le paiement des seules sommes mises à la charge de celle-ci selon les termes de cette décision ; que la cour d'appel n'était pas tenue de motiver autrement qu'elle n'a fait ce chef de son arrêt ; que le moyen n'est donc pas fondé ;

Mais sur la première branche du premier moyen du pourvoi incident : - Vu l'article 1134 du Code civil ; - Attendu que pour décider que la déchéance du terme du prêt dont se prévalait la Société générale n'était pas acquise, et écarter du montant de sa créance les indemnités prévues contractuellement au cas où celle-ci surviendrait, la cour d'appel relève qu'à la date d'ouverture de la procédure, cette déchéance n'était pas constatée judiciairement ;

Attendu qu'en statuant ainsi alors que si l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire civil ne produit aucun effet quant à l'exigibilité des créances, il n'est pas interdit aux créanciers de se prévaloir, ultérieurement, de la déchéance du terme selon les dispositions contractuelles, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mars 1992, entre les parties, par la Cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Grenoble autrement composée.