CJCE, 5e ch., 25 avril 1996, n° C-87/94
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moitinho de Almeida
Rapporteur :
M. Edward
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Gulman, Jann, Sevon
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 mars 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en prenant en compte, dans le cadre d'un marché public lancé par la Société régionale wallonne du transport (ci-après la "SRWT"), des modifications faites à l'une des offres postérieurement à l'ouverture de celles-ci, en admettant dans la procédure d'adjudication un soumissionnaire qui ne répondait pas aux critères de sélection du cahier des charges et en retenant une offre qui ne répondait pas aux critères d'attribution du cahier des charges, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L. 297, p. 1, ci-après la "directive"), ainsi qu'au principe d'égalité de traitement qui est à la base de toute réglementation des procédures d'adjudication des marchés publics.
La directive
2 Les trente-deuxième et trente-troisième considérants de la directive exposent, d'une part, que les règles à appliquer par les entités concernées doivent créer un cadre pour des pratiques commerciales loyales et permettre un maximum de flexibilité et, d'autre part, que, en contrepartie de cette flexibilité et pour promouvoir la confiance mutuelle, il y a lieu de garantir un niveau minimal de transparence.
3 L'article 2 de la directive cite, parmi les entités adjudicatrices auxquelles la directive s'applique, les entreprises publiques exploitant un réseau destiné à fournir un service au public dans le domaine du transport par autobus. Il est précisé au deuxième alinéa du paragraphe 2, sous c), de cet article qu'un tel réseau existe lorsque le service est fourni dans des conditions déterminées par une autorité compétente d'un État membre, telles que celles relatives aux itinéraires à suivre, à la capacité de transport disponible ou à la fréquence du service.
4 L'article 4, paragraphe 1, de la directive exige que, lorsqu'elles passent leurs marchés de fournitures, les entités adjudicatrices appliquent les procédures adaptées aux dispositions de la directive.
5 Selon l'article 4, paragraphe 2, de la directive, les entités adjudicatrices veillent à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre fournisseurs et entrepreneurs.
6 L'article 27, paragraphe 2, de la directive prévoit que, dans le cas où l'attribution d'un marché se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, "... les entités adjudicatrices mentionnent, dans les cahiers des charges ou dans l'avis de marché, tous les critères d'attribution dont elles prévoient l'application, si possible dans l'ordre décroissant d'importance".
7 Enfin, l'article 27, paragraphe 3, dispose:
"Lorsque le critère d'attribution est celui de l'offre économiquement la plus avantageuse, les entités adjudicatrices peuvent prendre en considération des variantes présentées par un soumissionnaire lorsqu'elles répondent aux exigences minimales requises par les entités adjudicatrices. Les entités adjudicatrices indiquent, dans le cahier des charges, les conditions minimales que les variantes doivent respecter ainsi que les exigences requises pour leur soumission. Elles indiquent dans le cahier des charges si les variantes ne sont pas autorisées."
8 Une déclaration commune du Conseil et de la Commission ad article 15 de la directive (JO 1990, L. 297, p. 48) prévoit:
"Le Conseil et la Commission déclarent que, dans les procédures ouvertes ou restreintes, est exclue toute négociation avec les candidats ou les soumissionnaires portant sur des éléments fondamentaux des marchés dont la variation est susceptible de fausser le jeu de la concurrence, et notamment sur les prix; cependant, il peut y avoir des discussions avec les candidats ou les soumissionnaires seulement pour faire préciser ou compléter la teneur de leurs offres, ainsi que les exigences des entités adjudicatrices, pour autant que ceci n'ait pas un effet discriminatoire."
Les faits
9 La SRWT, établie à Namur (Belgique), a, par un avis de marché publié au supplément du Journal officiel des Communautés européennes du 22 avril 1993 (JO S 78, p. 76), lancé un appel d'offres, selon une procédure ouverte, en vue de la passation d'un marché public de fourniture portant sur 307 véhicules standard. Ce marché, d'un montant estimé à plus de 2 milliards de BFR (hors TVA) et réparti en huit lots, devait être exécuté sur une période de trois ans.
10 Le cahier des charges du marché comportait, d'une part, le cahier des charges type n° 1 (ci- après le "cahier de base") et, d'autre part, le cahier spécial des charges n° 545 (ci-après le "cahier spécial"), qui modifiait certains des termes du cahier de base.
11 Le cahier spécial prévoyait, en son point 20.2, que le marché devait être attribué à l'offre économiquement la plus avantageuse. La sélection de cette offre devait se baser sur une évaluation des offres par rapport aux critères d'attribution dont les rubriques se trouvent citées au point 59 des conclusions de M. l'avocat général. Il s'agissait notamment d'une évaluation du prix de base des autobus, augmenté du prix des variantes prises en considération, ajusté ensuite en fonction des avantages et des désavantages résultant de l'application de dix critères techniques d'appréciation (ci-après les "critères techniques").
12 La SRWT a expressément invité les soumissionnaires éventuels à proposer certaines variantes relatives à la structure financière du contrat, telles que le paiement échelonné, le leasing financier et la location des véhicules.
13 Quant aux critères techniques, le cahier spécial prévoyait, sous chaque rubrique, une formule qui permettait à la SRWT d'attribuer une valeur, en termes de bonification ou de pénalité mesurée en "francs fictifs", à certaines caractéristiques, dépendant des variables de la formule, des autobus offerts. Cette valeur devait être ajoutée ou déduite du prix de base.
14 A la suite de l'envoi du cahier des charges aux intéressés, la SRWT leur a adressé trois avis rectificatifs, datés respectivement des 30 avril 1993, 5 et 28 mai 1993, qui apportaient certaines corrections et précisions au cahier des charges. Dans le deuxième avis rectificatif, la SRWT a précisé certains aspects du cahier des charges qui portaient sur le nombre impératif de places assises, le nombre total de places qu'il serait souhaitable d'atteindre, les hauteurs maximales de plancher et la formule pour le calcul d'une des pénalités fictives. Selon chaque avis rectificatif, les soumissionnaires devaient indiquer de manière claire dans leurs offres qu'ils avaient reçu les avis rectificatifs et qu'ils en avaient tenu compte.
15 Le 7 juin 1993, date fixée par l'avis de marché tant pour la réception des offres que pour l'ouverture publique de celles-ci, des offres ont été déposées par les cinq sociétés EMI (Aubange), Van Hool (Koningshooikt), Mercedes-Belgium (Bruxelles), Berkhof (Roeselaere) et Jonckheere (Roeselaere).
16 Au cours des mois de juin et de juillet 1993, la SRWT a procédé à une analyse de ces offres. Une note, datée du 24 août 1993, qui a été établie en vue de la réunion du conseil d'administration du 2 septembre 1993, a recommandé l'attribution du lot n° 1 à Jonckheere et des lots n°s 2 à 6 à Van Hool.
17 Entre-temps, les 3, 23 et 24 août 1993, EMI avait fait parvenir à l'entité adjudicatrice trois notes dites "complémentaires", dans lesquelles elle commentait certains points de ses offres initiales, notamment la consommation de carburant, la fréquence des remplacements du moteur et de la boîte de vitesses ainsi que certains éléments sur la qualité technique du matériel offert.
18 Après analyse de ces trois notes, le service technique de l'entité adjudicatrice a, le 31 août 1993, rédigé une note dans laquelle il estimait que les notes complémentaires d'EMI contenaient des modifications des offres initiales et ne pouvaient par conséquent être prises en compte. Les propositions d'attribution contenues dans la note établie en vue de la séance du 2 septembre 1993 devaient donc être maintenues.
19 Lors de la réunion du 2 septembre 1993, le conseil d'administration a estimé ne pas disposer d'informations suffisantes pour être en mesure d'arrêter une décision définitive. Il s'est notamment demandé s'il pouvait prendre en compte les trois notes complémentaires d'EMI et a décidé de demander l'avis juridique du ministre des Transports wallon sur cette question.
20 Par lettre du 14 septembre 1993, le ministre des Transports wallon a répondu que la prise en compte des trois notes complémentaires d'EMI ne soulèverait, pour la plupart des points qui y étaient mentionnés, aucun problème juridique. Il a proposé un nouvel examen du dossier en tenant compte de ses observations.
21 Le 28 septembre 1993, la SRWT a demandé à EMI de lui confirmer les consommations de carburant indiquées dans la note complémentaire du 24 août 1993, ainsi que la fréquence des remplacements du moteur et de la boîte de vitesses mentionnée dans la note complémentaire du 23 août 1993. EMI a confirmé, par courrier du 29 septembre 1993, le bien-fondé des données qu'elle avait fournies.
22 A la suite de cette confirmation, la SRWT a procédé à une nouvelle comparaison des offres, en prenant en compte des éléments des trois notes complémentaires. En vue de la réunion du conseil d'administration du 6 octobre 1993, une note a été préparée proposant l'attribution du lot n 1 à Jonckheere et des lots n°s 2 à 6 à EMI.
23 Lors de sa réunion du 6 octobre 1993, le conseil d'administration a décidé, d'une part, de suivre ces propositions et donc d'attribuer le lot n° 1 à Jonckheere et les lots n°s 2 à 6 à EMI et, d'autre part, de reporter à l'année 1996 la commande de 30 véhicules.
24 Le même jour, Van Hool a introduit une requête devant le Conseil d'État de Belgique afin d'obtenir la suspension, selon la procédure d'extrême urgence, de cette décision. Ce recours a été rejeté par arrêt du 17 novembre 1993.
25 Le 30 novembre 1993, la Commission, saisie d'une plainte par Van Hool, a notifié au royaume de Belgique une mise en demeure au sens de l'article 169 du traité. Par lettre du 15 décembre 1993, le Gouvernement belge a répondu que le manquement invoqué était sans fondement. Estimant que cette réponse n'était pas convaincante, la Commission a adressé un avis motivé au Gouvernement belge, l'invitant à intervenir auprès des autorités compétentes afin de suspendre les effets juridiques du contrat conclu entre la SRWT et EMI. En réponse à cet avis, le Gouvernement belge a maintenu qu'aucun manquement n'avait été établi par la Commission.
26 Le 11 mars 1994, la Commission a introduit le présent recours ainsi qu'une demande en référé visant à la suspension tant de la décision d'attribution prise par la SRWT que des mesures d'exécution de celle-ci. Cette demande en référé a été rejetée par ordonnance du 22 avril 1994.
27 Par lettre du 9 juin 1995, la Commission a renoncé à son deuxième grief. En vertu de celui-ci, la Commission reprochait au royaume de Belgique d'avoir retenu des offres d'EMI qui ne répondaient pas aux critères de sélection énoncés dans le cahier spécial.
28 Le recours, ainsi modifié, vise à faire constater que le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive, ainsi qu'au principe d'égalité de traitement des soumissionnaires, qui est à la base de toute réglementation des procédures d'adjudication des marchés publics, en ce qu'il a, dans le cadre d'un marché public lancé par la SRWT,
- pris en compte des modifications faites à l'une des offres postérieurement à l'ouverture de celles-ci,
- retenu une offre qui ne répondait pas aux critères d'attribution du cahier des charges.
29 Avant d'analyser ces griefs, il convient d'abord d'examiner l'argument du Gouvernement belge, selon lequel la directive ne s'applique pas en l'espèce.
Sur l'applicabilité du droit communautaire
30 Il est constant que la SRWT est une entreprise publique qui exploite un réseau fournissant un service au public dans le domaine du transport par autobus, au sens de l'article 2 de la directive, et qu'elle était tenue, dès lors, de respecter, conformément à l'article 4, les règles de la directive lorsqu'elle a passé le marché de fourniture des huit lots d'autobus à l'origine du présent recours.
31 Toutefois, tous les soumissionnaires étant des sociétés belges, le Gouvernement belge a fait valoir que l'affaire concernait une situation purement interne à laquelle le droit communautaire ne s'appliquait pas.
32 Cet argument ne saurait être accueilli.
33 En effet, l'exigence imposée aux entités adjudicatrices par l'article 4, paragraphe 1, de la directive n'est soumise à aucune condition relative à la nationalité ou au lieu d'établissement des soumissionnaires. De plus, comme M. l'avocat général l'a relevé au point 24 de ses conclusions, il est toujours possible que des entreprises établies dans d'autres États membres soient concernées, directement ou indirectement, par l'attribution d'un marché en passation. La procédure prévue par la directive doit donc être respectée indépendamment de la nationalité ou du lieu d'établissement des soumissionnaires.
34 Au cours de la procédure, le Gouvernement belge a en outre fait valoir que l'entité adjudicatrice n'était pas obligée d'attribuer le marché selon une procédure ouverte. Elle aurait pu choisir une procédure négociée, à laquelle son comportement aurait été conforme.
35 A cet égard, il suffit d'observer que, s'il est vrai que, selon l'article 15, paragraphe 1, de la directive, les entités adjudicatrices qui sont tenues d'appliquer les procédures de la directive ont un certain choix en ce qui concerne la procédure à appliquer à un marché, elles sont obligées, dès qu'elles ont lancé un appel d'offres selon une procédure particulière, de respecter les règles qui y sont applicables jusqu'à l'attribution définitive du marché.
Sur les griefs
36 La Commission estime que la SRWT, en tenant compte des données qui lui ont été fournies dans les trois notes complémentaires d'EMI concernant, plus particulièrement, la consommation de carburant, la fréquence des remplacements du moteur et de la boîte de vitesses, ainsi que certains éléments de la qualité technique du matériel offert, a violé le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires.
37 S'agissant de la consommation de carburant, la Commission reproche au royaume de Belgique la prise en compte, lors de l'évaluation des offres, d'une nouvelle consommation indiquée à la SRWT par EMI après l'ouverture des offres et modifiée par rapport à celle qui figure dans ses offres initiales.
38 En ce qui concerne la fréquence des remplacements du moteur et de la boîte de vitesses, la Commission reproche au royaume de Belgique d'avoir tenu compte des données fournies par EMI après l'ouverture des offres, qui, d'une part, constituaient des modifications de ses offres initiales et, d'autre part, ne répondaient pas aux prescriptions prévues dans le cahier des charges.
39 Quant aux éléments de la qualité technique du matériel offert, la Commission estime que la SRWT a tenu compte à tort, lors de l'évaluation des offres d'EMI, des éléments qui ne figuraient pas dans les critères d'attribution.
Sur la consommation de carburant
40 Le point 20.2.2.1 du cahier spécial prévoit:
"20.2.2.1. Consommation de combustible
Lors de la comparaison des offres, il sera accordé un avantage fictif équivalant à la valeur de 6 000 litres de gasoil pour un autobus standard (prix officiel à la date de l'ouverture des soumissions) par tranche entière de 1 litre/100 km de différence entre la consommation de combustible garantie dans l'offre (tolérance comprise) selon le cycle d'essai décrit en annexe 10 du présent cahier des charges, et la consommation du véhicule offert le plus gourmand."
41 Selon les conditions de cette annexe, l'essai devait se faire avec un véhicule chargé d'un poids correspondant au nombre minimal de voyageurs.
42 Dans ses offres initiales, EMI a indiqué, pour les lots n°s 2 à 6, une consommation de carburant de 54 litres/100 km. Toutefois, dans sa note n° 1 (ci-après la "note 1"), annexée à ses offres, EMI a fait valoir que " étant donné que la consommation de 54 litres/100 km avait été obtenue à la suite des essais sur un véhicule non rodé et pas spécialement bien réglé " la consommation qui serait enregistrée avec un véhicule à la fois rodé et optimisé pouvait diminuer de 5 à 8 % par rapport à celle prévue dans les offres.
43 EMI a également confirmé dans ses offres initiales qu'elle avait reçu les trois avis rectificatifs et qu'elle en avait tenu compte.
44 La SRWT a procédé à une première évaluation des offres sur la base de la consommation indiquée par EMI dans ses offres initiales, à savoir 54 litres/100 km. Etant la plus "gourmande" de toutes les offres déposées pour ces lots, cette consommation devait, selon la méthode de calcul précisée dans le cahier spécial, servir de base à l'évaluation des avantages fictifs des autres offres. Il ressort des annexes 5 et 6 à la note établie en vue de la séance du 2 septembre 1993 que, lors de cette évaluation, les offres d'EMI n'ont reçu aucun avantage fictif pour la consommation de carburant, alors que tous les autres soumissionnaires ont reçu de tels avantages calculés par rapport à la consommation indiquée par EMI.
45 Dans sa première note complémentaire du 3 août 1993, EMI a fait part de son interprétation de la portée de l'avis rectificatif n° 2 à la SRWT. D'après EMI, cet avis impliquait l'abandon du nombre total de places indiqué au cahier spécial comme condition impérative du contrat. Cet abandon aurait eu une influence sur le calcul de la consommation du carburant puisque la logique de l'égalité de traitement des soumissionnaires supposait que ce calcul soit fait sur la base du poids maximal autorisé. Dès lors, elle considérait que, afin de procéder à une comparaison de ses données avec celles des autres soumissionnaires, il importait de prendre en compte la consommation reprise dans les offres initiales, diminuée de 8 %.
46 Par la suite, après avoir rappelé les termes de sa note 1, EMI a, dans sa note complémentaire du 24 août 1993, informé la SRWT qu'elle avait encore effectué des essais, cette fois dans des conditions optimisées, et que, à la suite de ces essais, il était apparu que la consommation de carburant, pour ses offres relatives aux lots n°s 2 à 6, était de 45 litres/100 km, à savoir une diminution de 16,7 % par rapport à la consommation de 54 litres/100 km. EMI a demandé à la SRWT de prendre en compte cette nouvelle consommation pour l'évaluation de ses offres.
47 Le Gouvernement belge a confirmé que la SRWT avait pris en compte cette nouvelle consommation en attribuant le marché à EMI.
48 En effet, cette dernière n'étant plus la plus "gourmande", la SRWT a procédé à une nouvelle évaluation des avantages fictifs accordés à tous les soumissionnaires. Il ressort des annexes 1 et 2 à la note rédigée en vue de la séance du 6 octobre 1993 que, lors de cette deuxième évaluation, les avantages fictifs des autres soumissionnaires, à l'exception d'EMI, ont été diminués par rapport à ceux qui leur avaient été accordés lors de la première évaluation, de sorte que les avantages fictifs de Jonckheere ont disparu, alors que les offres d'EMI ont reçu un avantage.
49 La Commission considère que, en tenant compte, lors de l'attribution du marché, des données fournies par EMI dans sa note complémentaire du 24 août 1993, qui ont modifié, après l'ouverture des offres, la consommation indiquée initialement par cette société, la SRWT a porté atteinte au principe d'égalité de traitement des soumissionnaires.
50 Le Gouvernement belge considère d'abord que le principe d'égalité de traitement exigeait précisément que la rectification par EMI de la consommation soit prise en compte dans l'attribution du marché, puisque les autres soumissionnaires avaient annoncé dans leurs offres initiales des résultats déjà optimisés. Ensuite, il souligne que la consommation de carburant a un caractère objectif et vérifiable, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une modification volontaire ou subséquente à des négociations avec l'entité adjudicatrice. Enfin, le changement n'aurait pas affecté les caractéristiques techniques ni du véhicule ni du moteur et, partant, les offres initiales d'EMI n'auraient pas été modifiées.
51 A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt du 22 juin 1993, dit "Storebaelt", Commission/Danemark (C-243-89, Rec. p. I-3353, point 33), la Cour a estimé que le devoir de respecter le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires correspond à l'essence de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L. 185, p. 5).
52 Comme le montre son article 4, paragraphe 2, il en va de même pour la directive dont il est question en l'espèce.
53 En outre, de son trente-troisième considérant, il ressort que la directive vise à garantir un niveau minimal de transparence dans l'attribution des marchés auxquels elle s'applique.
54 La procédure de comparaison des offres devait donc respecter, à tous ses stades, tant le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires que celui de la transparence, afin que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres.
55 Lorsque, comme en l'espèce, une entité adjudicatrice opte pour une procédure ouverte, cette égalité de chances est assurée par l'obligation de l'entité adjudicatrice, imposée par l'article 16, paragraphe 1, sous a), de la directive, d'agir en conformité avec l'annexe XII, titre A de celle-ci. Ainsi, elle est tenue de prévoir, d'une part, une date limite pour la réception des offres de manière que tous les soumissionnaires disposent de la même période après la publication de l'avis de marché pour la préparation de leurs offres et, d'autre part, des date, heure et lieu pour leur ouverture, ce qui contribue aussi à renforcer la transparence de la procédure puisque les termes de toutes les offres déposées sont révélés au même moment.
56 Force est de constater que, lorsqu'une entité adjudicatrice prend en compte une modification apportée aux offres initiales d'un seul soumissionnaire, ce dernier est avantagé par rapport à ses concurrents, ce qui porte atteinte au principe d'égalité de traitement des soumissionnaires et nuit à la transparence de la procédure.
57 En l'espèce, il est constant, d'une part, que la réduction de la consommation, indiquée par EMI dans sa note complémentaire du 24 août 1993, a largement dépassé la limite de 8 % prévue par EMI dans la note 1 annexée à ses offres initiales et, d'autre part, que la SRWT a tenu compte, lors de la comparaison finale des offres, de cette dernière consommation.
58 Il résulte de ce dépassement, sans même qu'il soit nécessaire de décider si la SRWT aurait pu tenir compte de la nouvelle consommation indiquée par EMI dans sa note complémentaire du 3 août 1993, qui restait dans la limite de 8 % prévue dans son offre, que la nouvelle consommation de 45 litres/100 km constituait une modification des offres initiales d'EMI. En effet, cette dernière a fait état, dans ses notes complémentaires, d'éléments résultant des avis rectificatifs dont elle a déclaré avoir tenu compte dans son offre initiale et n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles ces nouveaux essais ne pouvaient être effectués avant la date limite fixée pour les offres. Il s'ensuit que la consommation de 45 litres/100 km n'aurait dû en aucun cas être prise en compte.
59 D'ailleurs, il importe de souligner que la prise en compte de ces données a changé, au préjudice des autres soumissionnaires, le montant des avantages fictifs qui résultaient de la première comparaison des offres, de sorte que le classement des soumissionnaires a été influencé.
60 Il convient donc de constater que, en tenant compte des données fournies, quant à la consommation de carburant, par EMI dans sa note complémentaire du 24 août 1993 et, donc, après l'ouverture des offres, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.
Sur la fréquence des remplacements du moteur et de la boîte de vitesses
61 Le point 20.2.2.2 du cahier spécial prévoit:
"20.2.2.2. Temps de montage et de démontage, prix des pièces
Le soumissionnaire remettra les prix des pièces de rechange et les temps de montage et de démontage des organes repris en annexe 23.
Une pénalité fictive sera d'office appliquée à toutes les offres pour tenir compte des frais de maintenance, conformément au canevas de l'annexe 23."
62 Il ressort du canevas de l'annexe 23 qu'une pénalité fictive devait être attribuée pour les frais de maintenance de 45 organes seulement de l'autobus. Le calcul de cette pénalité se conformait, pour chaque organe mentionné, à une formule dont les variables étaient le nombre d'exemplaires identiques de cet organe dans l'autobus, le temps de démontage, le temps de montage, le prix et le nombre des remplacements prévisibles de l'organe.
63 Toutefois, pour calculer la pénalité fictive, l'annexe 23 du cahier spécial demandait aux soumissionnaires de ne faire des propositions que pour les trois premières variables. Pour le nombre des remplacements prévisibles, l'annexe 23 avait précisé, sur le fondement de l'expérience de la SRWT, un chiffre constant pour chaque organe. Pour les remplacements du moteur et de la boîte de vitesses, ces chiffres étaient respectivement deux et trois. Les éventuels soumissionnaires n'étaient donc pas invités à préciser le nombre de remplacements prévisibles pour ces deux organes.
64 Conformément aux termes de l'annexe 23, lorsqu'elle a rempli le canevas prévu, EMI n'a formulé aucune proposition relative au nombre de remplacements prévisibles pour les organes mentionnés. Toutefois, dans sa note complémentaire du 23 août 1993, elle a souligné auprès de la SRWT qu'un seul moteur et 1,25 boîte de vitesses étaient à prévoir pour l'utilisation de ses autobus et, donc, que les chiffres fixés par la SRWT à l'annexe 23 ne devaient pas être appliqués à ses offres.
65 Le Gouvernement belge admet que, lorsqu'elle a calculé la pénalité fictive des offres d'EMI, la SRWT a utilisé ces nouveaux chiffres au lieu de ceux qui figuraient dans le canevas de l'annexe 23, alors que, pour le calcul des pénalités fictives de toutes les autres offres, elle avait appliqué ces derniers chiffres.
66 La Commission estime qu'un tel comportement constitue une double violation du principe d'égalité de traitement des soumissionnaires. En premier lieu, en tenant compte des chiffres en cause lors de l'attribution du marché, la SRWT aurait permis à l'un des soumissionnaires de modifier les termes de ses offres initiales après l'ouverture de celles-ci. En second lieu, dès lors que ces nouveaux chiffres n'étaient pas conformes aux prescriptions du canevas de l'annexe 23, la SRWT aurait attribué le marché à un soumissionnaire en s'écartant de ses propres critères d'attribution prévus au cahier spécial.
67 Quant au premier de ces deux griefs, la Commission estime que, si, à la suite des observations formulées par EMI, la SRWT était convaincue, à la lumière des offres déposées, que les prescriptions qu'elle avait fixées étaient erronées, elle aurait pu les modifier en offrant aux autres soumissionnaires la même possibilité de les écarter. Toutefois, puisqu'elle n'a donné une telle possibilité qu'à EMI, elle a porté atteinte au principe d'égalité de traitement des soumissionnaires.
68 Le Gouvernement belge considère qu'EMI n'a pas modifié ses offres initiales, étant donné que le matériel offert restait strictement identique. Il souligne que tous les autres soumissionnaires auraient pu également informer la SRWT que leurs autobus réalisaient de meilleures performances que celles prescrites à l'annexe 23. Il conclut que, si la SRWT ne pouvait tenir compte des données concernées, elle serait empêchée de prendre en considération des avantages de véhicules de conception plus récente.
69 Il y a lieu de rappeler que l'annexe 23 du cahier spécial ne demandait pas aux soumissionnaires de fournir des indications sur la fréquence des remplacements des pièces de rechange pour leurs autobus. Au contraire, pour ce facteur, la SRWT avait fixé un chiffre pour chaque organe dans son canevas. Par ailleurs, au point 20.2.2.2 du cahier spécial, la SRWT avait prévu qu'une pénalité fictive serait appliquée à toutes les offres "conformément au canevas de l'annexe 23". Les chiffres qui y sont prévus doivent donc être considérés comme des prescriptions du cahier spécial.
70 A cet égard, la Cour a jugé, dans l'arrêt Storebaelt, précité, point 37, que, lorsqu'une entité adjudicatrice a fixé des prescriptions dans le cahier des charges, le respect du principe d'égalité de traitement des soumissionnaires exige que toutes les offres y soient conformes afin de garantir une comparaison objective des offres.
71 Il en résulte que les prescriptions de l'annexe 23 restaient celles applicables à toutes les offres, qui devaient y être conformes. En conséquence, il y a lieu de considérer, d'une part, qu'EMI n'a pas pu "modifier" les termes de ses offres initiales en ce qui concerne ces prescriptions et, d'autre part, qu'il n'était pas permis à la SRWT de calculer les pénalités fictives d'EMI selon ses chiffres nouveaux qui ne répondaient pas aux prescriptions du cahier spécial.
72 A cet égard, il y a lieu d'observer que la prise en compte des nouveaux chiffres a abouti nécessairement à donner un avantage réel à EMI dans la comparaison des offres. Selon l'annexe 23, le chiffre relatif à la fréquence des remplacements des pièces de rechange intervient dans le calcul de la pénalité fictive à titre de multiplicateur des autres indications fournies par les soumissionnaires en matière de coûts. S'agissant de la pénalité fictive pour EMI, la SRWT a utilisé un chiffre pour le nombre des remplacements inférieur à celui prescrit dans l'annexe 23 et donc à ceux utilisés dans le calcul fait pour les autres offres. La pénalité fictive pour la maintenance des organes concernés des autobus d'EMI a donc bénéficié d'un multiplicateur plus bas.
73 Dès lors que SRWT a permis uniquement à EMI de s'écarter des prescriptions en cause, il n'est pas nécessaire de décider si c'est à juste titre que la Commission considère que la SRWT aurait pu modifier les prescriptions du cahier des charges après l'ouverture des offres en permettant à tous les soumissionnaires la même possibilité de les écarter.
74 Il convient donc de conclure, à l'égard de cette partie du grief, que, en attribuant le marché à EMI sur la base de chiffres qui ne correspondaient pas aux prescriptions de l'annexe 23 du cahier spécial pour le calcul de la pénalité fictive de cette société en ce qui concerne les frais de maintenance pour le remplacement du moteur et de la boîte de vitesses, la SRWT a violé les critères d'attribution établis par le cahier spécial, ainsi que le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires. Le royaume de Belgique a donc manqué aux obligations qui lui incombent sur ce point en vertu de la directive.
Sur les éléments de la qualité technique du matériel offert
75 Dans sa note complémentaire du 3 août 1993, EMI a affirmé que "le fonctionnement journalier" des autobus qu'elle offrait "permet d'importantes économies" pour l'utilisateur. EMI a établi deux listes d'éléments de l'autobus qui permettaient ces économies (ci-après les "éléments d'économie").
76 La première liste, intitulée "Éléments chiffrables", concernait les sièges "cantilever" proposés, un mécanisme de désembuage des glaces latérales et un système particulier d'assemblage modulaire. Pour chacun de ces éléments, EMI précisait le montant de l'avantage financier qui en résulterait par autobus pendant sa durée de vie, à savoir respectivement 480 000 BFR, 240 000 BFR et 100 000 BFR.
77 La seconde liste, intitulée "Éléments non chiffrables", comportait huit éléments qui contribueraient aux "économies", bien qu'EMI ne les ait évalués ni dans ses offres initiales ni dans sa note complémentaire du 3 août 1993.
78 La Commission fait valoir que la SRWT a pris ces éléments d'économie en compte pour décider d'attribuer le marché à EMI, alors qu'ils ne figuraient ni dans les critères d'attribution énoncés dans l'avis de marché ni dans le cahier des charges. Or, selon l'article 27, paragraphe 2, de la directive, qui s'applique en l'espèce, seuls les critères mentionnés dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges auraient dû être considérés par la SRWT lors de l'attribution du marché. De plus, la SRWT aurait tenu compte de ces éléments uniquement dans l'appréciation des offres d'EMI, alors que, pour les autres offres, elle aurait appliqué strictement les critères d'attribution mentionnés au point 20.2 du cahier spécial. Ce comportement aurait donc donné lieu, une fois encore, à une violation du principe d'égalité.
79 Dans la note établie en vue de la séance du 6 octobre 1993, l'administration de la SRWT s'est référée à l'ensemble des éléments d'économie pour recommander l'attribution des lots nos 2 à 6 à EMI. Elle a considéré, dans l'exposé des motifs de la recommandation pour le lot n 2, que les éléments d'économie avaient "un impact financier non négligeable", de sorte qu'ils étaient "de nature à influencer favorablement les coûts d'utilisation du véhicule, dans une mesure largement supérieure à la différence financière enregistrée sur la base des seuls critères retenus pour la valorisation".
80 Il ressort du dossier que, pour les lots nos 4, 5 et 6, la comparaison des offres sur la seule base des critères d'attribution prévus au point 20.2 du cahier spécial avait conduit à classer l'une des offres de Van Hool en première place, alors qu'une des offres d'EMI, tout en tenant compte des données fournies par elle dans ses notes complémentaires en matière de consommation de carburant et de remplacements du moteur et de la boîte de vitesses, était classée à la deuxième place. Les différences entre les meilleures offres de Van Hool et les offres d'EMI classées à la deuxième place s'élevaient respectivement à 294 799 BFR, 471 513 BFR et 185 897 BFR pour les trois lots. Toutefois, après avoir pris en compte les éléments d'économie, ce premier classement a été inversé, de sorte qu'une offre d'EMI, malgré lesdites différences, a remplacé celle de Van Hool comme offre recommandée pour ces lots.
81 Le Gouvernement belge a formellement admis que tous les éléments d'économie ont été pris en compte dans la décision de l'attribution du marché et que cette prise en compte a eu une influence décisive sur le choix d'EMI comme fournisseur des lots n°s 2 à 6.
82 Le Gouvernement belge relève que le cahier spécial, en son point 20.2.1, permettait expressément à la SRWT de prendre en considération des suggestions éventuelles, telles que les éléments d'économie. En outre, il rappelle que, en vertu de l'article 27, paragraphe 3, de la directive, la SRWT était également autorisée à prendre en compte de telles suggestions, pourvu que ces dernières répondent aux exigences minimales requises.
83 De plus, il souligne que les éléments d'économie, qui étaient conformes aux exigences minimales du cahier spécial, n'ont pas fait l'objet d'une valorisation lors de la comparaison des offres, mais qu'ils ont été retenus au titre d'éléments non chiffrés de confort et de qualité permettant de conclure que, considérée dans son ensemble, l'offre d'EMI était économiquement la plus avantageuse. En outre, tant l'avis de marché que le cahier spécial se référaient aux éléments de qualités techniques du matériel offert comme critères d'attribution. Il en résulte, selon lui, que la SRWT pouvait tenir compte des éléments d'économie litigieux.
84 La Commission admet que les soumissionnaires ont la faculté de présenter des variantes et que celles-ci peuvent être prises en compte par une entité adjudicatrice, à condition toutefois que le principe d'égalité soit respecté. Selon elle, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la dérogation aux critères prévus au cahier spécial a abouti à accorder un avantage seulement à EMI.
85 Tout d'abord, il y a lieu de constater que les éléments d'économie ne figuraient pas dans les critères d'attribution retenus par la SRWT pour l'attribution du marché.
86 Certes, les rubriques des critères d'attribution mentionnés au point 20.2 du cahier spécial pourraient être lues " si l'on fait abstraction des définitions qui suivent " comme ayant une large portée (voir, par exemple, au point 20.2.2.4 du cahier spécial, la rubrique des sept critères techniques, intitulée "Les qualités techniques du matériel offert"), de sorte que, comme le prétend le Gouvernement belge, toutes les caractéristiques relatives aux qualités techniques du matériel offert seraient pertinentes dans la comparaison des offres.
87 Il y a lieu toutefois de rappeler que la SRWT a elle-même défini tous les critères techniques au moyen d'une formule précise figurant en dessous de chaque rubrique (voir point 13 du présent arrêt). Il en résulte que la portée des critères techniques, quel que soit le libellé des rubriques, était limitée par les formules par lesquelles la SRWT les a définis.
88 Il y a lieu de souligner que l'obligation, imposée par l'article 27, paragraphe 2, de la directive aux entités adjudicatrices, de mentionner, "dans les cahiers des charges ou dans l'avis de marché, tous les critères d'attribution dont elles prévoient l'application, si possible dans l'ordre décroissant d'importance", vise précisément à faire connaître aux soumissionnaires potentiels les éléments qui seront pris en compte pour identifier l'offre économiquement la plus avantageuse. Tous les soumissionnaires connaissent ainsi les critères d'attribution auxquels leurs offres doivent répondre ainsi que leur importance relative. D'ailleurs, cette exigence garantit le respect des principes d'égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence.
89 Par ailleurs, s'il est vrai que l'article 27, paragraphe 3, de la directive permet aux entités adjudicatrices de prendre en considération des variantes, cette disposition doit être lue à la lumière tant des principes qui sont à la base de la directive que du paragraphe 2 de ce même article. Ainsi, afin d'assurer qu'un marché soit attribué sur la base de critères connus de tous les soumissionnaires avant la préparation de leur offre, une entité adjudicatrice ne saurait tenir compte des variantes en tant que critères d'attribution que dans la mesure où elle les a mentionnés comme tels dans le cahier des charges ou dans l'avis de marché.
90 Quant à l'argument du Gouvernement belge concernant la prise en compte des "suggestions", il suffit d'observer que l'article 27, paragraphe 3, de la directive ne reconnaît que la prise en considération des variantes et non celle des suggestions. En outre, la directive n'y fait aucune référence en tant que critères d'attribution et, dès lors, de telles suggestions ne sauraient pas davantage être prises en compte par une entité adjudicatrice lors de l'attribution du marché.
91 Sans qu'il soit nécessaire de décider si la règle établie par l'article 27, paragraphe 2, de la directive exclut la possibilité pour une entité adjudicatrice de changer ses critères d'attribution au cours de la procédure à condition qu'elle respecte les principes d'égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence de la procédure, il suffit de constater que, en l'espèce, ces principes n'ont pas été respectés.
92 Force est de constater que, pour les lots nos 4 à 6, la SRWT a, dans le seul cas d'EMI, utilisé les éléments d'économie proposés par cette société pour compenser les différences financières, s'élevant à 294 799 BFR, 471 513 BFR et 185 897 BFR, entre les offres de Van Hool classées en première place et celles d'EMI classées en deuxième place. En effet, même si, comme l'a prétendu le Gouvernement belge, la SRWT n'a pas attribué une valeur précise aux éléments d'économie, EMI lui a fourni une liste des "Éléments chiffrables" (voir point 76 du présent arrêt), dont le montant total pour chaque lot (820 000 BFR) était largement suffisant pour compenser lesdites différences.
93 En revanche, pour les lots nos 2 et 3, il ressort de la note établie en vue de la séance du 6 octobre 1993 que les offres litigieuses d'EMI ont été classées à la première place avant même que la SRWT n'ait pris en compte les éléments d'économie. La SRWT n'a donc pas pu accorder une importance déterminante aux éléments d'économie afférents à ces lots puisque les offres d'EMI étaient déjà considérées comme économiquement les plus avantageuses. Cet aspect du grief n'a donc pas été établi.
94 Il convient de conclure que, en tenant compte, lors de la comparaison des offres pour les lots nos 4 à 6, des éléments d'économie proposés par EMI sans les avoir mentionnés dans le cahier des charges ou l'avis de marché, en les utilisant pour compenser les différences financières entre les offres classées en première place et celles d'EMI classées en deuxième place, et en ayant retenu certaines des offres d'EMI en vertu de la prise en compte de ces éléments, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.
95 A la lumière de ce qui précède, il y a lieu de constater que
- en tenant compte des données fournies, quant à la consommation de carburant, par EMI dans sa note complémentaire du 24 août 1993 et, donc, après l'ouverture des offres,
- en attribuant le marché à EMI sur la base de chiffres qui ne correspondaient pas aux prescriptions de l'annexe 23 du cahier spécial pour le calcul de la pénalité fictive de cette société en ce qui concerne les frais de maintenance pour le remplacement du moteur et de la boîte de vitesses,
- en tenant compte, lors de la comparaison des offres pour les lots nos 4 à 6, des éléments d'économie proposés par EMI sans les avoir mentionnés dans le cahier des charges ou l'avis de marché, en les utilisant pour compenser les différences financières entre les offres classées en première place et celles d'EMI classées en deuxième place, et en ayant retenu certaines des offres d'EMI en vertu de la prise en compte de ces éléments,
le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.
Sur les dépens
96 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le royaume de Belgique ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1°) En tenant compte, dans le cadre d'un marché public lancé par la Société régionale wallonne du transport, des données fournies, quant à la consommation de carburant, par EMI dans sa note complémentaire du 24 août 1993 et, donc, après l'ouverture des offres, en attribuant le marché à la société EMI sur la base de chiffres qui ne correspondaient pas aux prescriptions de l'annexe 23 du cahier spécial des charges pour le calcul de la pénalité fictive de cette société en ce qui concerne les frais de maintenance pour le remplacement du moteur et de la boîte de vitesses, en tenant compte, lors de la comparaison des offres pour les lots nos 4 à 6, des éléments d'économie proposés par la société EMI sans les avoir mentionnés dans le cahier des charges ou l'avis de marché, en les utilisant pour compenser les différences financières entre les offres classées en première place et celles de la société EMI classées en deuxième place, et en ayant retenu certaines des offres de la société EMI en vertu de la prise en compte de ces éléments, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications.
2°) Le royaume de Belgique est condamné aux dépens.