Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 5 mai 1988, n° 144-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Berg, Busschers

Défendeur :

Besselsen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bosco

Avocat général :

M. Mancini

Juges :

MM. Everling, Galmot, Joliet, Schockweiler

CJCE n° 144-87

5 mai 1988

LA COUR,

1. Par arrêts du 1er mai 1987, parvenus à la Cour le 11 mai suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles, identiques dans les deux affaires jointes, relatives à l'interprétation des articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant M. Harry Berg (affaire 144-87) et M. Johannes Theodorus Maria Busschers (affaire 145-87) à leur ancien employeur, M. Ivo Martin Besselsen, qui exploitait un bar-discothèque dénommé Besi Mill.

3. Le 15 février 1983, l'exploitation de l'établissement a été reprise par la Summerland BV, société en nom collectif appartenant à MM. Manshanden et Tweehuijzen, sur la base d'un contrat de location-vente au sens de l'article 1576, sous h), du Code civil néerlandais ; aux termes de cette disposition, "la location-vente est la vente à tempérament par laquelle les parties conviennent que la chose vendue ne devient pas la propriété de l'acheteur par simple transfert". MM. Berg et Busschers ont continué à travailler dans l'établissement après le transfert. Par décision du 25 novembre 1983, le Kantonrechter de Harderwijk a prononcé, sur demande de M. Besselsen, la résiliation du contrat de location-vente pour inexécution, par les acheteurs, de leurs obligations et a ordonné la restitution de l'établissement à M. Besselsen.

4. Par leurs recours, portés en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden, MM. Berg et Busschers cherchent à obtenir en substance la condamnation de M. Besselsen à leur payer les arriérés de salaire afférents à la période au cours de laquelle l'établissement était géré par MM. Manshanden et Tweehuijzen. A l'appui de ces recours, ils font notamment valoir que le transfert d'une entreprise ne saurait avoir pour effet de faire disparaître la responsabilité du cédant, en ce qui concerne les obligations résultant du contrat de travail, sans le consentement des travailleurs concernés.

5. Le Hoge Raad der Nederlanden a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1°) a) L'article 3, paragraphe 1, de la directive précitée doit-il être interprété en ce sens que - pour autant que la directive ou les Etats membres n'en disposent pas autrement - après la date du transfert, le cédant n'est plus responsable de l'exécution des obligations résultant du contrat de travail ?

B) Si la réponse à cette question est affirmative, la disposition citée doit-elle être interprétée en ce sens que, pour que l'effet juridique en question se produise - à savoir la disparition de la responsabilité du cédant - le consentement du travailleur est exigé ?

C) Dans la négative, faut-il comprendre la disposition en question en ce sens que l'effet juridique susvisé ne se produit pas si le travailleur s'y oppose, avec pour conséquence juridique qu'il reste alors au service du cédant ?

2°) a) Un contrat de location-vente tel que défini ci-dessus... peut-il entraîner le transfert d'une entreprise au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive ?

B) La résiliation d'un contrat de location-vente telle que définie ci-dessus... peut-elle entraîner un transfert au sens susvisé, avec pour conséquence juridique que les obligations qui résultaient pour le locataire-acquéreur du contrat de travail existant à la date de cette résiliation sont, du fait de ce transfert, transférées au vendeur ?"

6. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, des dispositions communautaires en cause ainsi que du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

7. La première question vise en substance à savoir si l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens qu'après la date du transfert le cédant est libéré de ses obligations résultant du contrat ou de la relation de travail en raison du seul fait du transfert, même si les travailleurs employés dans l'entreprise ne consentent pas à cet effet ou s'ils s'y opposent.

8. Selon MM. Berg et Busschers, cette question appelle une réponse négative en ce sens que le cédant ne saurait être libéré de sa responsabilité à l'égard des travailleurs qu'avec le consentement de ceux-ci. Cette appréciation résulterait, d'une part, de l'objectif de la directive 77-187 qui viserait à empêcher que le transfert de l'entreprise ne s'effectue au détriment des travailleurs employés dans celle-ci et, d'autre part, du principe du droit des obligations selon lequel nul ne peut reprendre la dette d'un tiers, avec effet libératoire pour celui-ci, sans l'accord du créancier.

9. En revanche, M. Besselsen, les Gouvernements néerlandais, britannique et portugais ainsi que la Commission soulignent que le transfert d'entreprise entraîne le transfert, de plein droit, des droits et obligations résultant du contrat de travail. Par conséquent, l'effet libératoire du transfert, pour ce qui est de la responsabilité du cédant, ne saurait dépendre de la volonté des travailleurs concernés et l'éventuelle opposition de ceux-ci n'aurait pas pour effet de les maintenir au service du cédant.

10. Il y a lieu de relever que, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, alinéa 1, de la directive 77-187, "les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert... sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire". L'alinéa 2 de ce même paragraphe précise toutefois que "les Etats membres peuvent prévoir que le cédant est, également après la date du transfert... et à coté du cessionnaire, responsable des obligations résultant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail".

11. L'analyse de l'article 3, paragraphe 1, et, plus particulièrement, le rapprochement entre les alinéas 1 et 2 de ce paragraphe font apparaître que le transfert de l'entreprise entraîne le transfert, de plein droit, du cédant au cessionnaire, des obligations résultant pour l'employeur du contrat ou de la relation de travail, sous réserve toutefois de la faculté des Etats membres de prévoir la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire après le transfert. Il en résulte que, à moins que les Etats membres n'utilisent cette faculté, le cédant est libéré de ses obligations d'employeur par le seul fait du transfert et que cet effet juridique n'est pas subordonné à l'accord des travailleurs concernés.

12. C'est à tort que MM. Berg et Busschers font valoir que cette interprétation ne serait pas conforme à l'objectif poursuivi par la directive 77-187. En effet, d'après une jurisprudence établie, confirmée en dernier lieu par l'arrêt du 10 février 1988 (Daddy's Dance Hall, 324-86, non encore publié), cette directive tend à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant. Elle ne vise cependant pas à la poursuite du contrat ou de la relation de travail avec le cédant au cas où les travailleurs employés dans l'entreprise ne souhaitent pas rester au service du cessionnaire.

13. De même, il n'y a pas lieu de retenir l'argument tiré d'un principe du droit des obligations qui serait généralement reconnu dans les ordres juridiques des Etats membres, en vertu duquel le changement de débiteur ne peut se faire qu'avec le consentement du créancier. Sans qu'il soit nécessaire d'évaluer l'importance de ce principe, il suffit de constater que les règles applicables en cas de transfert d'une entreprise ou d'un établissement à un autre chef d'entreprise visent à sauvegarder, dans l'intérêt des employés, les relations de travail existantes qui font partie de l'ensemble économique transféré. C'est pour cette raison que la directive prévoit le transfert, de plein droit, des obligations découlant des contrats de travail au cessionnaire, écartant ainsi le principe invoqué par les requérants au principal. Par ailleurs, en donnant aux Etats membres la faculté de prévoir la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire après le transfert, l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 leur permet de concilier la règle du transfert de plein droit avec des principes de leurs ordres juridiques internes.

14. Il y a, dès lors, lieu de répondre à la première question que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens qu'après la date du transfert le cédant est libéré de ses obligations résultant du contrat ou de la relation de travail en raison du seul fait du transfert, même si les travailleurs employés dans l'entreprise ne consentent pas à cet effet ou s'ils s'y opposent, sous réserve toutefois de la faculté des Etats membres de prévoir la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire après la date du transfert.

Sur la deuxième question

15. La deuxième question vise en substance à savoir si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens que la directive s'applique, d'une part, à la cession d'une entreprise en vertu d'un contrat de location-vente tel que celui régi par le droit néerlandais et, d'autre part, à la rétrocession de cette entreprise à la suite de la résiliation du contrat de location-vente par décision judiciaire.

16. Toutes les parties à l'instance ayant présenté des observations sur cette question s'accordent pour soutenir que la directive est applicable au transfert d'une entreprise résultant d'un contrat de location-vente. Elles diffèrent toutefois pour ce qui est de l'applicabilité de la directive en cas de rétrocession de l'entreprise à la suite de la résiliation du contrat de location-vente par décision judiciaire. MM. Berg et Busschers, les Gouvernements néerlandais et britannique ainsi que la Commission dans ses observations présentées à l'audience estiment que la résiliation, même judiciaire, d'un contrat est à ce point liée à l'existence même du contrat que le transfert d'entreprise qui en résulte doit être assimilé à un transfert résultant d'une cession conventionnelle. En revanche, M. Besselsen fait valoir que la directive ne vise pas les transferts intervenus en vertu d'une décision judiciaire, une telle décision ne revêtant pas un caractère conventionnel.

17. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, dans l'arrêt du 17 décembre 1987 (NY Moelle Kro, 287-86, Rec. p. 5465), la directive 77-187 est applicable dès lors qu'il y a changement, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion, de la personne, physique ou morale, responsable de l'exploitation de l'entreprise, et qui, de ce fait, contracte les obligations d'employeur vis-à-vis des salariés travaillant dans l'entreprise, sans qu'il importe de savoir si la propriété de l'entreprise est transférée.

18. Il s'ensuit que, dans la mesure où l'acheteur d'une entreprise acquiert, en vertu d'un contrat de location-vente, la qualité de chef d'entreprise dans le sens indiqué ci-dessus, le transfert doit être considéré comme un transfert d'entreprise résultant d'une cession conventionnelle au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, nonobstant le fait qu'un tel acheteur n'acquiert la propriété de l'entreprise qu'au moment du paiement de la totalité du prix de vente.

19. Des considérations analogues s'imposent dans le cas de la restitution de l'entreprise ainsi transférée à l'ancien chef d'entreprise, à la suite de la résiliation du contrat de location-vente, sans qu'il importe de savoir si la résiliation résulte d'un accord entre les parties contractantes ou d'une déclaration unilatérale de l'une de ces parties ou encore d'une décision judiciaire. En effet, dans toutes ces hypothèses, le transfert d'entreprise dont il s'agit s'inscrit dans le cadre de relations contractuelles. Par conséquent, pour autant que la rétrocession de l'entreprise a pour effet de faire perdre à l'acheteur la qualité de chef d'entreprise, qualité que le vendeur acquiert à nouveau, elle doit être considérée comme un transfert d'entreprise, à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive.

20. Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens que la directive s'applique à la fois à la cession d'une entreprise en vertu d'un contrat de location-vente tel que celui régi par le droit néerlandais et à la rétrocession de cette entreprise à la suite de la résiliation du contrat de location-vente par décision judiciaire.

Sur les dépens

21. Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, britannique et portugais ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêts du 1er mai 1987, dit pour droit :

1°) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens qu'après la date du transfert le cédant est libéré de ses obligations résultant du contrat ou de la relation de travail en raison du seul fait du transfert, même si les travailleurs employés dans l'entreprise ne consentent pas à cet effet où s'ils s'y opposent, sous réserve toutefois de la faculté des Etats membres de prévoir la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire après la date du transfert.

2°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens que la directive s'applique à la fois à la cession d'une entreprise en vertu d'un contrat de location-vente tel que celui régi par le droit néerlandais et à la rétrocession de cette entreprise à la suite de la résiliation du contrat de location-vente par décision judiciaire.