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Décisions

CJCE, 4e ch., 6 octobre 1987, n° 152-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Demouche, Compagnie Assurance Allianz, Huk-Verband

Défendeur :

Fonds de garantie automobile, Bureau central français

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kakouris

Avocat général :

Sir Slynn

Juges :

MM. Koopmans, Iglesias

Avocats :

Mes Bergmann, Hootz, Funck-Brentano

CJCE n° 152-83

6 octobre 1987

LA COUR,

1. Par jugement du 6 juillet 1983, parvenu à la Cour le 26 juillet suivant, le Tribunal de grande instance de Colmar a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la convention type interbureaux du 17 décembre 1953 et de la convention complémentaire du 16 octobre 1972, conclues entre les bureaux nationaux des assureurs automobiles et relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs.

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant les parties au principal au sujet de la compétence de la juridiction de renvoi de se prononcer sur l'imputabilité finale de la réparation due à la victime d'un accident de voiture, au vu des clauses compromissoires comprises dans les conventions susmentionnées.

Le cadre juridique

3. Dans la Communauté, l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs ayant leur stationnement habituel dans un autre Etat fait l'objet de conventions de droit privé et d'actes communautaires.

4. La première convention de ce genre, dite "convention type interbureaux", signée le 17 décembre 1953 entre les bureaux centraux des pays membres, a mis sur pied un système de coopération, connu comme "système de la carte verte", sur la base d'une carte verte standardisée d'assurance. Selon ce système, chaque bureau central national, association composée de la totalité ou de la majorité des compagnies d'assurances, s'engage, d'une part, à régler dans son propre pays les préjudices causés par les véhicules immatriculés dans les autres pays membres, munis de la carte verte, et, d'autre part, à rembourser les bureaux étrangers qui ont réglé les préjudices provoqués par des véhicules assurés dans son propre pays.

5. L'article 13 de ladite convention stipule que "... Tout différend entre bureaux sur l'interprétation et les effets de la présente convention sera soumis à des arbitres..." et que "la décision des arbitres sera définitive et engagera les bureaux...".

6. Dans le but de faciliter davantage le trafic de voyageurs entre les Etats membres, la directive 72-166 du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1), a mis en place un système qui se base sur les points suivants : prévision, dans chaque législation nationale des Etats membres, de l'obligation d'assurance de la responsabilité civile résultant des véhicules automoteurs (article 3) et, donc, présomption que tout véhicule automoteur communautaire circulant sur le territoire de la Communauté est couvert par une assurance; suppression du contrôle de la carte verte, lors du passage des frontières internes communautaires, pour les véhicules ayant leur stationnement habituel dans un Etat membre (article 2, paragraphe 1).

7. Le fonctionnement dudit système présupposait que chaque bureau national garantirait l'indemnisation des dommages, ouvrant droit à réparation, causé sur son territoire par un véhicule, assuré ou non, ayant son stationnement habituel dans un Etat membre, et disposerait d'une action récursoire contre le bureau du pays du stationnement habituel du véhicule ou contre l'assureur. En fonction de cette nécessité, l'article 2, paragraphe 2, de cette directive dispose ce qui suit :

"en ce qui concerne les véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un des Etats membres, les dispositions de la présente directive, à l'exception des articles 3 et 4, ont effet :

- après qu'a été conclu un accord entre les six bureaux nationaux d'assurance aux termes duquel chaque bureau national se porte garant pour les règlements des sinistres survenus sur son territoire et provoqués par la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un autre Etat membre, qu'ils soient assurés ou non, dans les conditions fixées par sa propre législation nationale relative à l'assurance obligatoire;

- à partir de la date fixée par la Commission après qu'elle aura constaté, en collaboration étroite avec les Etats membres, l'existence de cet accord;

- pour la durée dudit accord."

8. Au vu de ladite directive, les bureaux nationaux des Etats membres, ainsi que de deux pays tiers, ont conclu, le 16 octobre 1972, une convention complémentaire de celle de 1953, précitée, qui prendrait effet "à la date visée par l'article 2, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive...", c'est-à-dire à la date fixée par la Commission. L'article 1er, sous c), de la convention en question relève que les parties contractantes se basent sur la directive et la lettre d) du même article prévoit que "tout différend entre bureaux sur l'interprétation membre de la notion de stationnement habituel non défini déjà ci-avant sera soumis à un collège de trois arbitres...".

9. Par la recommandation 73-185, du 13 mai 1973 (JO L 94, p. 13), la Commission a constaté, sur la base de l'article 2, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive du Conseil, précitée, que la convention complémentaire susvisée remplissait les conditions posées par le premier tiret de la même disposition et a fixé la date à partir de laquelle les Etats membres devaient s'abstenir d'effectuer à la frontière un contrôle de l'assurance de la responsabilité civile pour les véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un autre Etat membre.

10. Suite à l'adhésion ultérieure de pays tiers au système susmentionné, par la conclusion de nouvelles conventions complémentaires entre bureaux nationaux, la Commission a toujours procédé par l'adoption de décisions sur la même base légale et avec la même formulation que sa première recommandation, en fixant chaque fois la date à partir de laquelle le contrôle à la frontière devrait être supprimé. Une des conventions complémentaires, celle du 12 décembre 1973, a été annexée à la décision 74-167 de la Commission, du 6 février 1974 (JO L 87, p. 14), et publiée au Journal officiel.

Le litige au principal

11. Le litige au principal trouve son origine dans un accident de voiture, survenu en France en août 1973, au cours duquel M. Demouche, ressortissant français, a été blessé par un véhicule immatriculé en République fédérale d'Allemagne, assuré auprès d'une compagnie d'assurances allemande, dont le conducteur n'était pas titulaire de permis de conduire.

12. Le bureau central français, mis en cause pour l'indemnisation de la victime, a appelé en garantie la compagnie d'assurances allemande ainsi que le bureau central allemand. Celui-ci a soulevé l'incompétence de la juridiction française en se basant sur la clause compromissoire de l'article 13 de la convention interbureaux du 17 décembre 1953, susmentionnée, aux termes de laquelle "tout différend entre bureaux sur l'interprétation et les effets de la présente convention sera soumis à des arbitres...". Le bureau central français a soutenu que cette clause a été modifiée par la convention complémentaire interbureaux du 16 octobre 1972 (article 2, sous c), susmentionnée, qui a eu pour effet de limiter désormais l'application de la clause compromissoire au seul cas où un différend porte sur l'interprétation de la notion de "stationnement habituel".

13. Le Tribunal de grande instance de Colmar a sursis à statuer sur l'appel en garantie et a posé à la Cour la question de savoir "si la convention complémentaire du 16 octobre 1972 a limité l'application de la clause compromissoire, que la convention du 17 décembre 1953 avait prévue générale, au seul cas où il existe un différend entre bureaux sur l'interprétation de la notion de stationnement habituel".

14. Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique ainsi que du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la compétence de la Cour

15. Le bureau central français, défendeur au principal, le Gouvernement du Royaume-Uni, le Gouvernement danois et la Commission soutiennent, dans leurs observations écrites, que la Cour est incompétente pour procéder à l'interprétation des dispositions auxquelles se réfère la question posée par la juridiction nationale, du fait que les conventions entre bureaux centraux, étant conclues entre des organismes de droit privé, revêtiraient le caractère d'une convention privée et n'auraient donc pas le caractère d'un acte pris par les institutions de la Communauté au sens de l'article 177 du traité CEE.

16. Le bureau central allemand "Huk-verband", requérant au principal, soutient, par contre, que la Cour est compétente pour interpréter les conventions en question, opinion à laquelle s'est rallié le bureau central français lors de la procédure orale. Selon eux, la directive 72-166, précitée, fait dépendre son entrée en vigueur de la réalisation d'une convention complémentaire entre bureaux centraux des Etats membres dont la durée conditionne la durée d'applicabilité de la directive; ainsi, le but de cette directive n'aurait pu être atteint sans l'aide de la convention en question. En outre, le fait que la convention complémentaire de 1973 a été annexée à la décision 74-167 de la Commission, précitée, prouverait le rattachement des conventions en question aux actes communautaires qui régissent la matière.

17. Il est à relever, à cet égard, que, en vertu de l'article 177, "la Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, ... b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté...". Il y a donc lieu d'examiner si la convention complémentaire du 16 octobre 1972, dont l'interprétation est demandée par la juridiction nationale, doit être considérée comme un acte pris par une institution de la Communauté au sens de cette disposition.

18. Il n'est pas contesté que la convention complémentaire a été mise au point et conclue par des associations nationales d'assureurs, qui sont des organismes régis par le droit privé, agissant dans le cadre de la mission que leur confèrent leurs statuts et la législation nationale à laquelle ils sont soumis.

19. La convention ne saurait, dès lors, être considérée comme un acte pris par une institution communautaire, aucune institution ou organe communautaire n'ayant participé à la conclusion de cet acte. Le fait que la conclusion de cette convention a été prévue comme condition de la mise en vigueur de la directive 72-166 du Conseil et que la durée de l'applicabilité de ladite directive est conditionnée par la durée de la convention complémentaire ne change en rien la nature de cette convention en tant qu'acte émanant d'associations privées.

20. Cette considération ne saurait être affectée du fait que la Commission a, par une recommandation et par des décisions successives, à chaque fois constaté la conformité des conventions complémentaires en cause aux exigences de la directive, ni du fait qu'une de ces conventions, précitée, a été annexée à une de ces décisions de la Commission et publiée avec elle au Journal officiel. Il ne s'agit la que d'une constatation par la Commission que la condition prévue à l'article 2, paragraphe 2, de la directive du Conseil était remplie, constatation qui n'équivaut nullement à une incorporation de la convention au texte de la décision ni à sa conversion en acte communautaire.

21. Compte tenu des considérations qui précédent, il y a lieu de constater que la Cour n'a pas compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la question posée par la juridiction nationale.

Sur les dépens

22. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni, par le Gouvernement danois et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question a elle soumise par le Tribunal de grande instance de Colmar, par jugement du 6 juillet 1983, dit pour droit :

La Cour n'est pas compétente pour statuer sur la question posée par la juridiction nationale.