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Décisions

CJCE, 28 mars 1996, n° C-191/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AGF Belgium SA

Défendeur :

Communauté économique européenne, Institut national d'assurance maladie-invalidité, Fonds national de reclassement social des handicapés, Croix-Rouge de Belgique, Etat belge

CJCE n° C-191/94

28 mars 1996

LA COUR,

1 Par jugement du 23 juin 1994, parvenu à la Cour le 1er juillet suivant, le tribunal de première instance de Bruxelles a posé, en application de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 3 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (ci-après le "protocole").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la SA AGF Belgium (ci-après "AGF") à la Communauté économique européenne, à l'Institut national d'assurance maladie- invalidité (ci-après l'"INAMI"), au Fonds national de reclassement social des handicapés (ci-après le "FNRSH", dont l'action a été reprise, après la clôture de sa dissolution en 1995, par l'INAMI), à la Croix-Rouge de Belgique (ci-après la "CRB") et à l'état belge, au sujet du paiement de suppléments de primes d'assurance automobile.

3 L'article 3 du protocole est libellé comme suit :

"Les Communautés, leurs avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs.

Les gouvernements des Etats membres prennent, chaque fois qu'il leur est possible, les dispositions appropriées en vue de la remise ou du remboursement du montant des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans les prix des biens immobiliers ou mobiliers lorsque les Communautés effectuent pour leur usage officiel des achats importants dont le prix comprend des droits et taxes de cette nature. Toutefois, l'application de ces dispositions ne doit pas avoir pour effet de fausser la concurrence à l'intérieur des Communautés.

Aucune exonération n'est accordée en ce qui concerne les impôts, taxes et droits qui ne constituent que la simple rémunération de services d'utilité générale."

4 La législation belge prévoit des suppléments obligatoires aux primes d'assurance automobile au profit du FNRSH (article 24 de la loi du 16 avril 1963 et arrêtés royaux des 5 juillet 1963, 23 octobre 1978 et 28 juin 1984), de l'INAMI (article 121 de la loi du 9 août 1963, tel que complété par l'article 57 de la loi relative aux propositions budgétaires 1974-1975 et par l'article 31 de la loi du 26 juin 1992, et arrêtés royaux des 20 mai 1976 et 20 juillet 1992) et de la CRB (loi du 7 août 1974 et arrêté royal du 16 décembre 1974, modifié par les arrêtés royaux des 21 janvier 1976 et 20 mars 1991).

5 Les Communautés européennes, qui ont souscrit auprès d'AGF des contrats de responsabilité civile automobile pour des véhicules affectés à différentes institutions, ont refusé de payer les surprimes prévues par la législation belge, au motif que les sommes réclamées à ce titre représentent des impôts nationaux dont elles doivent être exemptées en application de l'article 3 du protocole.

6 AGF, qui a dû faire l'avance du produit de ces surprimes aux organismes bénéficiaires, a saisi le tribunal de première instance de Bruxelles afin d'obtenir la condamnation soit de la CEE soit solidairement des organismes en cause et de l'état belge à lui verser les sommes correspondantes.

7 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de l'article 3 du protocole, le tribunal a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1°) L'article 3 du protocole peut-il être interprété en ce sens qu'il inclut dans son champ d'application des prélèvements qui, au regard du droit national, pourraient être considérés comme des cotisations sociales au motif que, bien qu'effectués par voie d'autorité et en vertu de la loi, ils ne sont pas régis par les règles constitutionnelles de l'annualité et de l'universalité de l'impôt, et ne sont pas versés au trésor, mais sont directement perçus par les institutions chargées de la mise en œuvre de leur affectation?

2°) L'article 3, alinéa 3, du protocole peut-il être interprété en ce sens qu'il inclut dans son champ d'application des prélèvements effectués sous forme de suppléments de prime d'assurances (en l'occurrence assurances de responsabilité civile automobile), au profit d'organismes d'utilité sociale tels l'INAMI, le FNRSH ou la CRB, considérant qu'il existe une relation, fût-elle indirecte et potentielle, entre ces prélèvements et les services rendus par ces organismes?

3°) L'article 3, alinéa 2, du protocole peut-il être interprété en ce sens qu'il inclut dans son champ d'application les droits ou taxes indirects perçus à l'occasion de prestations de services portant sur des montants importants, à l'usage officiel des Communautés?"

Sur la première question

8 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si les prélèvements en cause, qui lui semblent s'apparenter plus à des cotisations sociales qu'à des ressources fiscales, dans la mesure où ils ne sont pas versés au trésor mais aux organismes bénéficiaires, doivent néanmoins être regardés comme des impôts, droits ou taxes au sens de l'article 3 du protocole.

9 La Commission propose une réponse affirmative à cette question. Elle estime notamment que les prélèvements litigieux répondent aux critères retenus par les organisations internationales pour définir la notion d'impôt, qui s'étend à l'ensemble des versements obligatoires effectués sans contrepartie au profit des administrations publiques. La Commission se réfère également à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les contributions spéciales au profit d'organismes publics autres que l'état font partie des impositions intérieures au sens de l'article 95 du traité.

10 L'INAMI, le FNRSH et le gouvernement belge proposent, au contraire, une réponse négative. Selon eux, les suppléments de primes litigieux, même s'ils sont prélevés par voie d'autorité pour être affectés au financement de charges qui incombent à la collectivité, ne sont pas destinés à couvrir des dépenses générales inscrites au budget de l'état. Ces prélèvements s'apparentent à des cotisations sociales qui, selon la jurisprudence de la Cour, ne constituent pas des impôts, en sorte qu'ils ne relèvent pas du champ d'application de l'article 3 du protocole.

11 Cette dernière argumentation doit être écartée.

12 Il est vrai que, dans l'interprétation de certaines dispositions du protocole, la Cour a distingué entre un impôt destiné à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics et une cotisation affectée au financement d'un système de sécurité sociale, même si la perception d'une telle cotisation se fait dans des formes empruntées à la perception des redevances fiscales (voir arrêt du 25 février 1969, Klomp, 23/68, Rec. p. 43, point 20).

13 Cette distinction est toutefois inopérante dans les circonstances décrites par le juge national.

14 D'une part, en effet, ainsi que le relève la Commission, la jurisprudence précitée porte sur l'interprétation des dispositions du protocole qui exemptent les fonctionnaires et autres agents des Communautés d'impôts nationaux sur leurs traitements, salaires et émoluments. Cette exemption concerne spécifiquement les agents des Communautés et est limitée aux impositions nationales susceptibles de frapper les revenus provenant de l'exercice de leurs fonctions, qui font l'objet d'une imposition communautaire. Dans la présente affaire sont en cause les dispositions du protocole qui exonèrent les Communautés elles-mêmes de tous impôts directs et qui prévoient, en outre, pour les achats qu'elles effectuent dans certaines conditions, la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente.

15 D'autre part, comme le fait observer M. l'avocat général aux points 21 et 22 de ses conclusions, le financement des organismes sociaux peut être assuré à la fois par des cotisations spéciales et par des prélèvements fiscaux. Le seul fait que les suppléments de primes litigieux soient destinés à contribuer à un tel financement ne permet donc pas de considérer ces suppléments comme des cotisations sociales.

16 Au contraire, quelle que soit leur qualification juridique en droit national, les prélèvements en cause ne peuvent pas être assimilés aux cotisations qui sont dues par les personnes assujetties à un régime de sécurité sociale ou adhérentes d'un organisme social. Il ressort, en effet, des éléments contenus dans le jugement de renvoi que ces suppléments de primes s'appliquent à tous les souscripteurs d'assurance automobile, y compris à ceux qui ne relèvent à aucun titre des organismes qui en sont bénéficiaires, et qu'ils sont donc dus indépendamment de la qualité d'assujetti ou d'adhérent à ces organismes.

17 Eu égard à ces considérations, des prélèvements de ce type doivent être regardés comme des contributions obligatoires au profit d'organismes d'intérêt public. On peut d'ailleurs relever que les suppléments de primes litigieux figurent comme tels dans le rapport de l'Office belge de contrôle des assurances annexé aux observations de la Commission, qui énumère les différentes taxes et contributions liées aux assurances.

18 Ainsi que le fait valoir la Commission, des contributions de cette nature font partie des impositions intérieures visées par les dispositions fiscales du traité. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, la circonstance qu'une imposition ou une redevance est perçue par un organisme public autre que l'état ou à son profit et constitue une taxe spéciale ou affectée à une destination particulière ne saurait la faire échapper au champ d'application de ces dispositions (voir arrêt du 22 mars 1977, Iannelli et Volpi, 74/76, Rec. p. 557, point 19).

19 Conformément à l'article 28 du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, auquel est annexé le protocole, les Communautés jouissent sur le territoire des Etats membres des privilèges et immunités nécessaires à l'accomplissement de leur mission. L'immunité fiscale qui leur est accordée à ce titre, afin de garantir notamment leur indépendance à l'égard des Etats membres et leur bon fonctionnement, est définie par le protocole dans des termes très larges. Ainsi, l'article 3 ne prévoit pas seulement que les Communautés, leurs avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs. Il prévoit également que les Etats membres accordent la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans le prix des achats importants effectués par les Communautés pour leur usage officiel.

20 Sous les seules réserves mentionnées aux deuxième et troisième alinéas de l'article 3 du protocole, cette immunité porte sur tous les types d'impositions, directes ou indirectes, et il convient donc de considérer qu'elle s'étend aux contributions ou taxes de toute nature qui font partie des impositions intérieures au sens du droit communautaire.

21 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question que l'article 3 du protocole doit être interprété en ce sens que des prélèvements obligatoires tels que des suppléments de primes d'assurance automobile destinés à contribuer au financement d'organismes d'intérêt public relèvent de son champ d'application.

Sur la deuxième question

22 Par sa deuxième question, le juge national demande si les prélèvements litigieux peuvent être regardés comme des impôts, taxes ou droits qui ne constituent que la simple rémunération de services d'utilité générale, au sens de l'article 3, troisième alinéa, du protocole, et pour lesquels aucune exonération n'est accordée.

23 La Commission estime que ces prélèvements, parce qu'ils n'ont aucun rapport ni avec le montant de biens fournis ni avec la valeur d'un service effectivement rendu, constituent une imposition générale et non la rémunération d'un service. Elle souligne, à cet égard, que ni la Communauté ni ses fonctionnaires ne sont affiliés au régime de sécurité sociale belge et ne reçoivent de prestation de sa part.

24 L'INAMI, le FNRSH et le gouvernement belge soutiennent, au contraire, que les surprimes litigieuses contribuent effectivement à la rémunération d'un service d'utilité générale.

25 Ainsi que l'a déjà relevé la Cour, la distinction entre un impôt destiné à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics et une redevance constituant la contrepartie d'un service déterminé, qui est connue du droit interne des différents Etats membres, est expressément admise par l'article 3 du protocole (voir arrêt du 8 février 1968, Van Leeuwen, 32/67, Rec. p. 63).

26 A cet égard, il convient d'observer que la notion même de contrepartie d'un service déterminé suppose que ce service soit fourni ou, au moins, puisse l'être à ceux qui paient la redevance. Une contribution ne peut donc constituer la simple rémunération de services d'utilité générale, au sens de l'article 3, troisième alinéa, du protocole, que pour autant que de tels services sont fournis ou, à tout le moins, susceptibles de l'être à ceux qui doivent s'en acquitter.

27 Or, ainsi qu'il a été relevé au point 16 du présent arrêt, les suppléments de primes d'assurance automobile doivent être acquittés par tous les souscripteurs, qu'ils soient ou non destinataires de services rendus par les organismes bénéficiaires, et ils n'ouvrent aucun droit à la fourniture particulière de tels services. A cet égard, il convient de souligner, comme le fait la Commission, que ni les Communautés ni leurs agents statutaires ne sont affiliés au régime de sécurité sociale belge et ne reçoivent de prestation de la part de celui-ci.

28 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la deuxième question que l'article 3, troisième alinéa, du protocole doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à des prélèvements obligatoires tels que des suppléments de primes d'assurance automobile destinés à contribuer, d'une manière générale, au financement d'organismes d'intérêt public et qui ne constituent pas la contrepartie d'un service déterminé.

Sur la troisième question

29 Par sa troisième question, le juge national demande si l'article 3, deuxième alinéa, du protocole, qui vise la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans le prix des biens mobiliers ou immobiliers à l'occasion d'achats importants effectués par les Communautés pour leur usage officiel, s'applique aux droits et taxes perçus dans les mêmes conditions à l'occasion de prestations de services.

30 La Commission, qui estime que les prélèvements litigieux pourraient aussi bien être regardés comme des impôts directs que comme des impôts indirects, fait valoir qu'en tout état de cause la remise des droits et taxes mentionnés à l'article 3, deuxième alinéa, du protocole s'applique dès lors qu'il s'agit d'achats portant sur des biens ou des services dont le montant dépasse le seuil prévu par la législation nationale.

31 L'INAMI et le FNRSH considèrent, au contraire, que les surprimes d'assurance automobile ne sont pas des droits ou taxes compris dans le prix lors d'un achat et ne relèvent donc pas de l'article 3, deuxième alinéa, du protocole.

32 Ainsi que le relève M. l'avocat général aux points 37 et 38 de ses conclusions, l'absence de mention expresse des services à l'article 3, deuxième alinéa, du protocole peut s'expliquer par la plus grande importance attachée historiquement à la taxation des biens et ne permet pas de conclure que les auteurs du protocole ont entendu écarter du champ d'application de cette disposition le paiement de prestations de services.

33 D'une manière générale, les droits indirects et les taxes à la vente entrant dans le prix de biens mobiliers ou immobiliers concernent non seulement l'achat de choses matérielles mais également l'acquisition de droits de différentes natures. Ainsi, la taxe sur la valeur ajoutée, qui constitue la principale taxe à la vente entrant dans le prix d'un bien, ne frappe pas seulement l'achat proprement dit mais également toutes les formes de livraison, y compris les contrats de location, qui permettent de disposer d'un bien dans certaines conditions sans en avoir acquis la propriété juridique, ainsi que les différentes formes de prestations de services.

34 Compte tenu de la finalité de l'immunité fiscale accordée aux Communautés, il n'existe aucune raison valable de limiter la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente aux achats de biens au sens étroit et d'en exclure les opérations portant sur des prestations de services. Dès lors que ces opérations sont nécessaires à l'accomplissement de la mission des Communautés et que leur montant permet de les qualifier d'importantes en fonction des valeurs fixées par la législation en cause, elles doivent toutes pouvoir donner lieu à la remise ou au remboursement des droits ou taxes qui entrent dans leur prix.

35 Il ressort d'ailleurs des documents communiqués par la Commission et par le gouvernement belge en réponse à une question écrite posée par la Cour que les mesures prises par les Etats membres, en application de l'article 3, deuxième alinéa, du protocole, pour l'exonération ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente, visent les prestations de services au même titre que les livraisons de biens.

36 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la troisième question que l'article 3, deuxième alinéa, du protocole doit être interprété en ce sens que la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente qu'il prévoit s'applique à tout type d'achat, y compris le recours à des prestations de services, qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission des Communautés et dont le montant dépasse le seuil fixé par la législation en cause.

Sur les dépens

37 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal de première instance de Bruxelles, par jugement du 23 juin 1994, dit pour droit :

1°) L'article 3 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes doit être interprété en ce sens que des prélèvements obligatoires tels que des suppléments de primes d'assurance automobile destinés à contribuer au financement d'organismes d'intérêt public relèvent de son champ d'application.

2°) L'article 3, troisième alinéa, du même protocole doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à des prélèvements obligatoires tels que des suppléments de primes d'assurance automobile destinés à contribuer, d'une manière générale, au financement d'organismes d'intérêt public et qui ne constituent pas la contrepartie d'un service déterminé.

3°) L'article 3, deuxième alinéa, du même protocole doit être interprété en ce sens que la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente qu'il prévoit s'applique à tout type d'achat, y compris le recours à des prestations de services, qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission des Communautés et dont le montant dépasse le seuil fixé par la législation en cause.