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Décisions

CJCE, 10 septembre 1996, n° C-222/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Edward, Puissochet, Hirsch

Rapporteur :

M. Kapteyn

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

M. Mancini, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Gulmann, Murray, Jann, Ragnemalm, Sevon

CJCE n° C-222/94

10 septembre 1996

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 juillet 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en ne transposant pas correctement la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23, ci-après la "directive"), le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 2, paragraphes 1 et 2, et de l'article 3, paragraphe 2, de la directive.

2 Il est ainsi fait grief au Royaume-Uni d'avoir manqué à ses obligations résultant de la directive :

- en adoptant, à l'égard des émissions de radiodiffusion télévisuelle par satellite, les critères énoncés dans la section 43 du Broadcasting Act 1990 pour déterminer les organismes de radiodiffusion par satellite qui relèvent de la compétence du Royaume-Uni et, dans le cadre de cette compétence, en appliquant un régime différent aux services par satellite intérieurs et aux services par satellite autres qu'intérieurs,

et

- en exerçant un contrôle sur les émissions qui sont transmises par un organisme de radiodiffusion relevant de la compétence d'un autre Etat membre quand lesdites émissions sont transmises par un service par satellite autre qu'intérieur ou offertes au public en tant que service de programmes licenciable ou par un service local.

La directive

3 L'article 2 de la directive dispose :

"1. Chaque Etat veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises :

- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence

ou

- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle utilisant une fréquence ou la capacité d'un satellite accordée par cet Etat membre ou une liaison montante vers un satellite située dans cet Etat membre, tout en ne relevant de la compétence d'aucun Etat membre,

respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet Etat membre.

2. Les Etats membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres Etats membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive. Ils peuvent suspendre provisoirement la retransmission d'émissions télévisées si les conditions suivantes sont remplies :

a) une émission télévisée en provenance d'un autre Etat membre enfreint d'une manière manifeste, sérieuse et grave l'article 22 ;

b) au cours des douze mois précédents, l'organisme de radiodiffusion télévisuelle a déjà enfreint, deux fois au moins, la même disposition ;

c) l'Etat membre concerné a notifié par écrit à l'organisme de radiodiffusion télévisuelle et à la Commission les violations alléguées et son intention de restreindre la retransmission au cas où une telle violation surviendrait de nouveau ;

d) les consultations avec l'Etat de transmission et la Commission n'ont pas abouti à un règlement amiable, dans un délai de quinze jours à compter de la notification prévue au point c), et la violation alléguée persiste.

La Commission veille à la compatibilité de la suspension avec le droit communautaire. Elle peut demander à l'Etat membre concerné de mettre fin d'urgence à une suspension contraire au droit communautaire. Cette disposition n'affecte pas l'application de toute procédure, mesure ou sanction aux violations en cause dans l'Etat membre de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle concerné.

3. La présente directive ne s'applique pas aux émissions de radiodiffusion télévisuelle exclusivement destinées à être captées dans d'autres Etats que les Etats membres et qui ne sont pas reçues directement ou indirectement dans un ou plusieurs Etats membres."

4 L'article 3 de la directive prévoit que :

"1. Les Etats membres ont la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées dans les domaines couverts par la présente directive.

2. Les Etats membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect, par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la présente directive."

5 Selon l'article 25 de la directive, les Etats membres sont tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 3 octobre 1991 et d'en informer immédiatement la Commission.

La convention sur la télévision transfrontière du Conseil de l'Europe

6 Les articles 2, 3, 5 et 27 de la convention sur la télévision transfrontière du Conseil de l'Europe, du 5 mai 1989 (ci-après la "convention"), sont libellés comme suit :

"Article 2 : Expressions employées

Aux fins de la présente convention :

a. 'Transmission' désigne l'émission primaire, par émetteur terrestre, par câble ou par tout type de satellite, codée ou non, de services de programmes de télévision destinés à être reçus par le public en général. Ne sont pas visés les services de communication opérant sur appel individuel ;

b. ...

c. 'Radiodiffuseur' désigne la personne physique ou morale qui compose des services de programmes de télévision destinés à être reçus par le public en général et qui les transmet ou les fait transmettre par un tiers dans leur intégralité et sans aucune modification ;

d. 'Service de programmes' désigne l'ensemble des éléments d'un service donné, fourni par un radiodiffuseur au sens du paragraphe précédent ;

..."

"Article 3 : Champ d'application

La présente convention s'applique à tout service de programmes qui est transmis ou retransmis par des organismes ou à l'aide de moyens techniques relevant de la juridiction d'une Partie, qu'il s'agisse de câble, d'émetteur terrestre ou de satellite, et qui peut être reçu, directement ou indirectement, dans une ou plusieurs autres Parties."

"Article 5 : Engagements des Parties de transmission

1. Chaque Partie de transmission veille, par des moyens appropriés et ses instances compétentes, à ce que tous les services de programmes transmis par des organismes ou à l'aide de moyens techniques relevant de sa juridiction au sens de l'article 3 soient conformes aux dispositions de la présente convention.

2. Aux fins de la présente convention, est Partie de transmission :

a. dans le cas de transmissions terrestres, la Partie dans laquelle l'émission primaire est effectuée ;

b. dans le cas de transmissions par satellite :

i. la Partie dans laquelle est située l'origine de la liaison montante vers le satellite ;

ii. la Partie qui accorde le droit d'utiliser une fréquence ou une capacité de satellite lorsque l'origine de la liaison montante est située dans un Etat qui n'est pas Partie à la présente convention ;

iii. la Partie dans laquelle le radiodiffuseur a son siège, lorsque la responsabilité n'est pas établie en vertu des alinéas i et ii.

..."

"Article 27 : Autres accords ou arrangements internationaux

1. Dans leurs relations mutuelles, les Parties qui sont membres de la Communauté économique européenne appliquent les règles de la Communauté et n'appliquent donc les règles découlant de la présente convention que dans la mesure où il n'existe aucune règle communautaire régissant le sujet particulier concerné.

..."

Le droit national

7 Le Broadcasting Act 1990 (loi de 1990 sur la radiodiffusion, ci-après "la loi") établit le cadre réglementaire, notamment pour la fourniture des services de programmes de télévision par des organismes indépendants au Royaume-Uni.

8 La section 13 de la loi interdit la fourniture de services de programmes de télévision autres que ceux de la BBC et de la Welsh Authority, à moins qu'elle ne soit autorisée par ou en vertu d'une licence accordée par l'Independent Television Commission ("ITC").

9 La section 16, paragraphe 2, sous g) et h), de la loi met en œuvre les conditions fixées aux articles 4 et 5 de la directive en ce qui concerne la programmation d'œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.

10 La section 43 distingue deux types de "services de télévision par satellite", à savoir les services intérieurs et ceux autres qu'intérieurs, qui sont tous deux considérés comme des "services de programmes de télévision" et doivent donc obtenir une licence pour pouvoir être diffusés. Elle énonce également les critères utilisés pour déterminer les émissions de télévision qui relèvent de ces deux types de services :

- aux termes de la section 43, paragraphe 1, un service par satellite intérieur ("domestic satellite service", ci-après le "DSS") est un service de radiodiffusion télévisuelle dont les programmes sont transmis par satellite d'un lieu situé au Royaume-Uni sur une fréquence attribuée au Royaume-Uni et destinés à être captés par l'ensemble de la population de cet Etat ;

- aux termes de la section 43, paragraphe 2, un service par satellite autre qu'intérieur ("non-domestic satellite service", ci-après le "NDSS") est un service qui consiste à transmettre des programmes de télévision par satellite

a) d'un lieu situé au Royaume-Uni destinés à être captés par l'ensemble de la population au Royaume-Uni ou dans un Etat membre autrement que sur une fréquence attribuée, ou

b) d'un lieu situé hors du Royaume-Uni ou d'un Etat membre destinés à être captés par l'ensemble de la population au Royaume-Uni ou dans un Etat membre, les programmes étant fournis par une personne au Royaume-Uni qui possède le contrôle éditorial du contenu de la programmation.

11 Des dispositions spécifiques sont prévues à la section 44 de la loi pour l'octroi de licences de DSS et à la section 45 pour l'octroi de licences de NDSS. La section 44, paragraphe 3, de la loi applique aux DSS la section 16, paragraphe 2, sous g) et h), de celle-ci, concernant les conditions en matière de programmation d'œuvres européennes. En revanche, la section 45, paragraphe 2, n'en fait pas autant pour les NDSS.

12 La section 47, paragraphe 2, de la loi concerne les modalités d'octroi des "services de programmes soumis à autorisation". La section 79, paragraphe 2, concerne l'octroi de licences pour des "services locaux" consistant en totalité ou en partie à relayer (dans leur intégralité et sans les modifier) des programmes étrangers par satellite.

Sur la procédure

13 Par lettre du 3 novembre 1992, la Commission a estimé que le Royaume-Uni avait manqué à ses obligations en transposant de manière incorrecte et incomplète la directive et l'a mis en demeure de présenter ses observations.

14 Par lettre du 10 février 1993, le Gouvernement du Royaume-Uni a présenté ses observations sur les différents éléments de la lettre de mise en demeure.

15 Le 30 septembre 1993, la Commission a émis un avis motivé invitant le Royaume-Uni à prendre, dans un délai de deux mois à partir de sa notification, les mesures requises pour mettre fin au manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.

16 Par lettre du 25 janvier 1994, le Royaume-Uni a répondu à l'avis motivé.

Sur l'objet du recours

17 Par le deuxième chef du recours, la Commission reproche au Royaume-Uni le fait que la section 79, paragraphe 2, de la loi prévoie, en méconnaissance de l'article 2, paragraphe 2, de la directive, un contrôle sur les émissions qui sont transmises par un organisme de radiodiffusion relevant de la compétence d'un autre Etat membre lorsque ces émissions sont transmises par un service par satellite autre qu'intérieur ou qu'elles sont offertes au public par un service local.

18 Dans son mémoire en défense, le Royaume-Uni a fait valoir que, s'il est vrai que la section 79, paragraphe 2, de la loi vise la transmission des émissions étrangères par satellite, il ressort néanmoins de son paragraphe 5 ainsi que des modalités d'application contenues dans le Broadcasting (Foreign Satellite Programmes - Specified Countries) Order 1991 (programmes étrangers par satellite - pays déterminés, SI 1991, n° 2124) que le paragraphe 2 ne s'applique pas aux programmes transmis par satellite à partir d'autres Etats membres.

19 A la suite de ces observations, la Commission a, lors de l'audience, renoncé à ce grief.

Sur le non-respect de l'article 2, paragraphe 1, de la directive

20 Il ressort de la requête que la Commission formule à l'encontre du Royaume-Uni quatre griefs qui portent sur le non-respect de l'article 2, paragraphe 1, de la directive par la section 43 de la loi en ce qu'elle

- se fonde sur d'autres critères que celui de l'établissement pour déterminer les organismes de radiodiffusion qui relèvent de la compétence du Royaume-Uni,

- se fonde en outre sur un critère non pertinent pour cette compétence, à savoir celui de la réception,

- omet de soumettre les émissions de pays tiers relevant de la compétence du Royaume-Uni au droit de ce dernier, et

- applique un régime différent au NDSS et au DSS.

21 Le Gouvernement français partage et soutient les analyses de la Commission sur lesquelles se fondent ces griefs.

Sur les critères pour déterminer les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de la compétence du Royaume-Uni

Quant à l'interprEtation de l'article 2, paragraphe 1, de la directive

22 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, chaque Etat membre veille à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence ou à l'égard desquels il est appelé, en ce qui concerne les émissions transmises, à exercer une compétence en vertu du second tiret de cette disposition respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet Etat membre. Selon son article 3, paragraphe 2, les Etats membres veillent également à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence respectent les dispositions de la directive.

23 Il ressort du dossier que la Commission et le Royaume-Uni divergent sur l'interprEtation à donner à la notion de "compétence" dans l'expression "organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de [la] compétence [d'un Etat membre]" figurant à l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la directive.

24 La Commission soutient que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un Etat membre au sens de cette disposition sont ceux qui sont établis dans l'Etat membre concerné. Elle estime donc que le système mis en œuvre par la section 43 de la loi, en se fondant sur d'autres critères, n'est pas conforme aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive.

25 Selon le Royaume-Uni, l'Etat membre compétent au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive est celui sur le territoire duquel se trouve le lieu à partir duquel l'émission télévisée est transmise.

26 Il y a effectivement lieu de constater que la directive ne comporte pas de définition expresse des termes "organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence".

27 Il convient donc d'examiner d'abord si le texte de l'article 2, paragraphe 1, permet d'en déduire une interprEtation au soutien de l'une ou de l'autre thèse défendue.

28 Le Royaume-Uni prétend que son interprEtation, selon laquelle l'Etat membre compétent au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive est celui sur le territoire duquel se trouve le lieu à partir duquel l'émission est transmise, est corroborée par le second tiret de cette disposition qui prévoit que l'Etat membre compétent pour veiller au respect du droit applicable aux émissions est celui qui accorde une fréquence ou la capacité d'un satellite ou dans lequel est située la liaison montante vers un satellite.

29 Il convient cependant de constater que, ainsi que la Commission l'a à juste titre relevé, si le seul critère pour déterminer l'Etat membre compétent au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive était celui du lieu à partir duquel l'émission est transmise, le second tiret de cette disposition serait vidé de sa substance.

30 Le Royaume-Uni observe encore que l'article 2, paragraphe 1, de la directive ne repose pas sur une hiérarchie dans les rapports entre les deux tirets, mais qu'il s'agit plutôt d'une dichotomie.

31 A cet égard, il suffit de constater qu'il ressort sans équivoque du libellé de cette disposition qu'un organisme de radiodiffusion ne peut pas se trouver en même temps dans la situation dans laquelle il relève de la compétence d'un Etat membre au sens du premier tiret et dans celle, prévue par le second tiret, qui ne se rapporte qu'aux organismes ne relevant de la compétence d'aucun Etat membre.

32 Enfin, le Royaume-Uni fait valoir que l'article 2, paragraphe 1, second tiret, de la directive vise la transmission d'émissions par satellite, de sorte que le premier tiret de cette disposition vise la transmission terrestre d'émissions.

33 A cet égard, il y a lieu d'observer que cet argument repose sur l'hypothèse que la notion de "compétence" aurait un sens différent dans les deux tirets. Or, ainsi que M. l'avocat général l'a observé au point 41 de ses conclusions, cet argument ne saurait être retenu. Étant donné que le second tiret ne se réfère qu'à la situation dans laquelle la compétence d'un autre Etat membre prévue par le premier tiret fait défaut, il suppose que les Etats membres peuvent être compétents dans les cas visés au second tiret en vertu du premier.

34 L'interprEtation soutenue par le Gouvernement du Royaume-Uni ne résistant pas à l'analyse du texte de l'article 2, paragraphe 1, il y a lieu d'examiner si la thèse défendue par la Commission peut être accueillie.

35 L'article 2, paragraphe 1, de la directive a pour objectif d'assurer qu'un Etat membre veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle par des organismes de radiodiffusion télévisuelle à l'égard desquels il peut se prévaloir des compétences y prévues respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet Etat membre, y compris, selon l'article 3, paragraphe 2, les dispositions de la directive elle-même.

36 Pour un Etat membre, le pouvoir de faire respecter sa réglementation est fonction de ses compétences à l'égard des activités exercées sur son territoire et, subsidiairement, à l'égard des personnes ou, le cas échéant, des biens, tels que des engins spatiaux, rattachés à cet Etat, bien qu'ils soient situés hors de son territoire.

37 Le second tiret de l'article 2, paragraphe 1, se réfère à la situation dans laquelle un Etat membre peut se prévaloir, d'une part, de sa compétence à l'égard de l'utilisation d'un satellite et, d'autre part, de sa compétence territoriale à l'égard de celle d'une liaison montante, située dans cet Etat, vers un satellite qui ne relève pas de sa compétence.

38 Ce second tiret ne vise, toutefois, l'exercice de telles compétences qu'à la condition qu'aucun autre Etat membre ne soit compétent en vertu du premier tiret de cette disposition.

39 Or, un Etat membre B ne peut détenir une compétence dans la situation prévue au second tiret qu'au cas où il peut invoquer en vertu du premier tiret une compétence personnelle à l'égard des organismes de radiodiffusion télévisuelle qui veulent utiliser soit une fréquence ou la capacité d'un satellite rattaché à un Etat membre A, soit une liaison montante, située sur le territoire de celui-ci, vers un satellite qui ne relève pas de la compétence de cet Etat A.

40 Il ressort donc d'une analyse de l'article 2, paragraphe 1, que la notion de compétence d'un Etat membre, utilisée au premier tiret, doit être entendue comme englobant nécessairement une compétence ratione personae à l'égard des organismes de radiodiffusion télévisuelle.

41 Cette interprEtation est confirmée par le libellé de l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la directive en tant qu'il vise les organismes de radiodiffusion télévisuelle comme étant assujettis à la compétence d'un Etat membre sans qu'il fasse référence, dans ce contexte, au lieu à partir duquel ils transmettent leurs émissions.

42 Or, une compétence ratione personae d'un Etat membre à l'égard d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle ne peut être fondée que sur son rattachement à l'ordre juridique de cet Etat, ce qui recouvre en substance la notion d'établissement au sens de l'article 59, premier alinéa, du traité CE, dont les termes présupposent que le prestataire et le destinataire d'un service sont "établis" dans deux Etats membres différents.

Quant à la convention du Conseil de l'Europe

43 Le Royaume-Uni fait encore valoir que son interprEtation de l'expression d'"organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence" figurant aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive repose pour l'essentiel sur l'article 5, paragraphe 2, de la convention, selon lequel la Partie de transmission qui doit veiller au respect des obligations imposées par celle-ci par des organismes ou à l'aide de moyens techniques relevant de sa juridiction au sens de l'article 3 est l'Etat dans lequel est située l'origine de la liaison montante vers le satellite ou qui accorde le droit d'utiliser une fréquence ou une capacité de satellite lorsque l'origine de la liaison montante est située dans un Etat qui n'est pas partie à la convention.

44 Selon le Royaume-Uni, bien que la Communauté ne soit pas elle-même partie à la convention, une situation absurde serait créée si la Communauté avait, par le biais de la directive, voulu régir la transmission d'émissions à l'intérieur de celle-ci d'une façon radicalement différente de celle adoptée par les Etats membres dans le cadre de la convention.

45 Il convient cependant de constater que, à la lumière d'une analyse comparative du texte, du système et des objectifs de la directive, d'une part, et de ceux de la convention, d'autre part, cette argumentation ne saurait être retenue.

46 Tout d'abord, selon l'article 5 de la convention, l'Etat compétent pour veiller au respect des dispositions en matière de services de programmes est la Partie de transmission. Aux termes de l'article 2 de celle-ci, l'expression "transmission" désigne l'émission primaire, par émetteur terrestre, par câble ou par tout type de satellite, codée ou non, de services de programmes de télévision destinés à être reçus par le public en général. Dans le cas de transmissions terrestres, l'article 5, paragraphe 2, sous a), dispose que la Partie de transmission est celle dans laquelle l'émission primaire est effectuée. En ce qui concerne les transmissions par satellite, l'article 5, paragraphe 2, sous b), dispose que la Partie de transmission est celle dans laquelle est située l'origine de la liaison montante vers le satellite (sous i), ou celle qui accorde le droit d'utiliser une fréquence ou une capacité de satellite lorsque l'origine de la liaison montante est située dans un Etat qui n'est pas partie à la présente convention (sous ii).

47 Il s'ensuit que, pour déterminer l'Etat compétent pour veiller au respect des dispositions en matière de services de programmes, la convention se fonde principalement sur des critères liés à la transmission. Ce n'est que dans le cas de transmissions par satellite, si la responsabilité ne peut pas être établie en vertu de l'article 5, paragraphe 2, sous b), i et ii, que cette disposition fait référence au siège du radiodiffuseur (sous iii). Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 51 de ses conclusions, le point iii a un caractère subsidiaire par rapport aux cas prévus par les points i et ii de l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la convention.

48 En revanche, aux termes de l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la directive, l'Etat membre compétent pour veiller au respect des dispositions en matière de services de programmes est celui de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion. Selon l'article 2, paragraphe 1, deuxième tiret, ce n'est que dans le cas où l'organisme de radiodiffusion ne relève de la compétence d'aucun autre Etat membre que la directive emploie des critères liés à la transmission.

49 Il en découle que l'article 2, paragraphe 1, de la directive, d'une part, et l'article 5, paragraphe 2, de la convention, d'autre part, emploient des critères différents pour déterminer l'Etat qui doit veiller au respect des dispositions en matière d'émissions télévisées. Ainsi que la Commission l'a observé à juste titre, cette différence de contenu correspond à une différence dans l'objectif de la directive, d'une part, et celui de la convention, d'autre part. Alors que, selon son deuxième considérant, la directive vise la réalisation du marché intérieur en matière de services de télévision, la convention a pour objectif, selon son article 1er, de faciliter la transmission transfrontière et la retransmission de services de programmes de télévision.

50 En outre, il est constant que le Conseil était parfaitement informé de l'adoption de la convention lorsqu'il a lui-même adopté la directive, ainsi d'ailleurs qu'il résulte du quatrième considérant de cette dernière. Toutefois, comme M. l'avocat général l'a exposé au point 54 de ses conclusions, la proposition de directive, qui date de 1986, n'a pas été modifiée en vue d'être adaptée aux dispositions de la convention. Il s'ensuit que, par l'adoption de la directive, le législateur communautaire a choisi de régler la matière des services de télévision autrement que ne l'a fait la convention.

51 L'on ne saurait par conséquent tirer argument de la convention pour s'opposer à ce que la référence dans l'article 2, paragraphe 1, de la directive à l'Etat de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion soit comprise en ce sens qu'il s'agit de l'Etat dans lequel cet organisme est établi.

52 Le Royaume-Uni a enfin souligné les conséquences d'une interprEtation de l'article 2, paragraphe 1, de la directive qui ne correspondrait pas à l'article 5, paragraphe 2, de la convention. Une telle interprEtation placerait à l'évidence chaque Etat membre dans une situation impossible, en exigeant qu'il contrevienne à ses obligations juridiques soit au niveau international, soit au niveau communautaire.

53 A cet égard, il suffit de constater que l'article 27, paragraphe 1, de la convention prévoit expressément que les Etats membres appliquent le droit communautaire et n'appliquent donc les règles de la convention que dans la mesure où il n'existe aucune règle communautaire régissant le domaine particulier concerné.

Quant à l'efficacité du critère d'établissement

54 Il y a lieu ensuite d'examiner divers arguments avancés par le Royaume-Uni concernant l'efficacité de l'interprEtation de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, selon laquelle l'Etat de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion est l'Etat dans lequel cet organisme est établi.

55 Certes, une telle interprEtation de l'article 2, paragraphe 1, de la directive est susceptible d'engendrer des difficultés, ainsi que l'a d'ailleurs expressément reconnu la Commission lors de l'audience.

56 Toutefois, lorsqu'un Etat membre rencontre des difficultés dans la mise en œuvre d'une directive, il lui incombe de les soumettre à la Commission afin que celle-ci puisse, en étroite coopération avec les Etats membres concernés, y trouver une solution appropriée. En tout état de cause, le seul fait que des problèmes d'ordre pratique puissent être identifiés dans l'application du critère qui sous-tend la détermination de l'Etat compétent en vertu de l'article 2, paragraphe 1, de la directive n'autorise pas un Etat membre à lui substituer un autre critère de son choix.

57 Se référant aux arrêts de la Cour du 26 novembre 1975, Coenen e.a. (39-75, Rec. p. 1547), et du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C-221-89, Rec. p. I-3905), le Royaume-Uni estime, en outre, qu'un organisme de radiodiffusion pourrait être établi dans plus d'un Etat membre et qu'un tel organisme devrait se voir reconnaître le bénéfice des dispositions de la directive au regard à la fois des émissions transmises à partir de l'Etat dans lequel est situé son établissement principal et de celles transmises depuis l'Etat dans lequel est situé son établissement secondaire. Ainsi, plusieurs Etats membres risqueraient d'être compétents à l'égard du même organisme de radiodiffusion.

58 Il y a lieu d'observer sur ce point que le critère défendu par le Royaume-Uni peut engendrer des problèmes de délimitation de compétences qui, selon lui, ne peuvent être résolus que par la conclusion d'accords internationaux entre les Etats membres. Bien que le critère de l'établissement puisse également engendrer des difficultés, la Commission a exposé, sans être contredite par le Royaume-Uni, que les Etats membres peuvent trouver une solution en interprétant ce critère comme étant le lieu dans lequel l'organisme de radiodiffusion a le centre de ses activités, notamment le lieu où sont prises les décisions concernant la politique de programmation et l'assemblage final des programmes à diffuser, sans que des dispositions juridiques supplémentaires soient nécessaires, afin d'éviter le risque d'un double contrôle.

59 Le Royaume-Uni fait encore valoir que le critère de l'établissement comporte un risque d'abus dans la mesure où un organisme de radiodiffusion pourrait déplacer son siège dans un autre Etat membre pour éviter l'application de la réglementation d'un Etat membre.

60 A cet égard, il y a lieu de constater que l'interprEtation du critère de l'établissement dans le sens préconisé par la Commission (voir le point 58 du présent arrêt) réduirait considérablement le risque d'abus mentionné par le Royaume-Uni et que, de toute façon, le critère défendu par celui-ci comporterait un risque d'abus comparable, sinon plus élevé.

61 Il résulte de ce qui précède que la section 43 de la loi, en se fondant sur d'autres critères que celui de l'établissement pour déterminer les organismes relevant de la compétence du Royaume-Uni, n'est pas conforme aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive.

62 Le grief est dès lors fondé.

Sur le critère de la réception de programmes

63 Selon la Commission, la section 43 de la loi n'est pas conforme à l'article 2, paragraphe 1, de la directive, dans la mesure où elle se réfère au critère de la réception de programmes. Or, ce critère n'aurait aucune pertinence pour déterminer, dans la cadre de la directive, l'Etat membre compétent pour un organisme de radiodiffusion.

64 A cet égard, il suffit d'observer que la Cour a déjà constaté, au point 61 du présent arrêt, que les critères énoncés à la section 43 de la loi ne sont pas conformes aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive.

65 Le grief est dès lors fondé.

Sur l'omission de soumettre les émissions en provenance de pays tiers relevant de la compétence du Royaume-Uni au droit de cet Etat

66 A cet égard, la Commission fait valoir que la loi ne vise pas à ce que les émissions en provenance de pays tiers, utilisant une fréquence attribuée au Royaume-Uni en vue d'être reçues par l'ensemble de la population dans un autre Etat membre, respectent le droit applicable aux émissions destinées au public au Royaume-Uni.

67 Le Gouvernement du Royaume-Uni observe qu'une violation de l'article 2, paragraphe 1, second tiret, de la directive ne se produirait que dans l'hypothèse, tout à fait irréaliste, où il accorderait une fréquence à un radiodiffuseur d'un pays tiers sans exercer de contrôle sur le service fourni par celui-ci.

68 A cet égard, il suffit de constater que, même s'il s'agit d'un cas hypothétique, le Royaume-Uni ne conteste pas qu'en l'espèce la loi n'est pas conforme à la directive.

69 Le grief est dès lors fondé.

Sur l'application d'un régime différent au NDSS et au DSS

70 La Commission fait valoir que la distinction, visée à la section 43 de la loi, entre le DSS et le NDSS, outre qu'elle se fonde sur des critères autres que celui du lieu d'établissement de l'organisme de radiodiffusion, n'est pas conforme à l'article 2, paragraphe 1, de la directive en ce que cette section soumet le NDSS à un régime moins strict que celui auquel le DSS est soumis.

71 La Commission a précisé à cet égard que, en vertu de la section 44, paragraphe 3, de la loi, la section 16, paragraphe 2, sous g) et h), de celle-ci est applicable au DSS, mais qu'en revanche cette dernière disposition n'est pas applicable au NDSS. Il serait constant que la section 16, paragraphe 2, de la loi est destinée à mettre en œuvre les articles 4 et 5 de la directive.

72 Toutefois, tant la Commission que le Royaume-Uni ont déclaré que la question de savoir si ce dernier a rempli effectivement, en ce qui concerne le NDSS, les obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 5 de la directive fait l'objet d'une autre procédure au titre de l'article 169 du traité.

73 Le Royaume-Uni ne contestant pas l'application au NDSS d'un régime moins strict que celui prévu pour le DSS, il en résulte que, dans le cadre du présent recours, seule se pose la question de savoir si l'article 2, paragraphe 1, de la directive s'y oppose.

74 S'il est vrai que, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la directive, un Etat membre peut prévoir des règles plus strictes dans les domaines régis par la directive, il n'en demeure pas moins que, selon l'article 2, paragraphe 1, toutes les émissions transmises par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence de cet Etat membre ou à l'égard desquels il est appelé à exercer une compétence en vertu du second tiret de cette disposition doivent respecter le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet Etat membre.

75 Le grief est dès lors fondé.

Sur le non-respect de l'article 2, paragraphe 2, de la directive

76 La Commission fait enfin valoir que les sections 44 et 45 de la loi sur l'octroi des licences de DSS et de NDSS ne sont pas conformes à l'article 2, paragraphe 2, de la directive, dans la mesure où la définition du DSS et du NDSS à la section 43 de la loi inclut des organismes de radiodiffusion relevant de la compétence d'autres Etats membres, ouvrant ainsi la possibilité d'un double contrôle.

77 Le Royaume-Uni ne conteste pas que la section 43 de la loi s'étend à tous les organismes de radiodiffusion transmettant des émissions à partir de son territoire.

78 Il y a donc lieu de constater que, en employant des critères autres que celui de l'établissement, prévu à l'article 2, paragraphe 1, de la directive, la section 43 de la loi s'étend également, en méconnaissance du deuxième paragraphe de cet article, aux organismes de radiodiffusion relevant de la compétence d'autres Etats membres en raison de leur établissement dans ces Etats.

79 Le grief est dès lors fondé.

80 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, en adoptant, à l'égard des émissions de radiodiffusion télévisuelle par satellite, les critères énoncés dans la section 43 du Broadcasting Act 1990 pour déterminer les organismes de radiodiffusion par satellite qui relèvent de la compétence du Royaume-Uni et, dans le cadre de cette compétence, en appliquant un régime différent aux services par satellite intérieurs et aux services par satellite autres qu'intérieurs, ainsi qu'en exerçant un contrôle sur les émissions qui sont transmises par un organisme de radiodiffusion relevant de la compétence d'un autre Etat membre quand lesdites émissions sont transmises par un service par satellite autre qu'intérieur ou offertes au public en tant que service de programmes devant obtenir une licence pour pouvoir être diffusés, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 2, paragraphes 1 et 2, et de l'article 3, paragraphe 2, de la directive.

Sur les dépens

81 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu dans ce sens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, la République française, qui est intervenue au litige supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1°) En adoptant, à l'égard des émissions de radiodiffusion télévisuelle par satellite, les critères énoncés dans la section 43 du Broadcasting Act 1990 pour déterminer les organismes de radiodiffusion par satellite qui relèvent de la compétence du Royaume-Uni et, dans le cadre de cette compétence, en appliquant un régime différent aux services par satellite intérieurs et aux services par satellite autres qu'intérieurs, ainsi qu'en exerçant un contrôle sur les émissions qui sont transmises par un organisme de radiodiffusion relevant de la compétence d'un autre Etat membre quand lesdites émissions sont transmises par un service par satellite autre qu'intérieur ou offertes au public en tant que service de programmes devant obtenir une licence pour pouvoir être diffusés, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 2, paragraphes 1 et 2, et de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle.

2°) Le Royaume-Uni est condamné aux dépens.

3°) La République française supportera ses propres dépens.