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Décisions

CJCE, 6e ch., 14 septembre 2000, n° C-343/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Collino, Chiappero

Défendeur :

Telecom Italia SpA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. Gulmann, Puissochet (rapporteur)

Avocats :

Mes Dal Piaz, Viale, Pessi, Rigi Luperti

CJCE n° C-343/98

14 septembre 2000

LA COUR,

1 Par ordonnance du 3 septembre 1998, parvenue à la Cour le 21 septembre suivant, le Pretore di Pinerolo a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant M. Collino et Mme Chiappero à Telecom Italia SpA (ci-après "Telecom Italia").

Les dispositions communautaires

3 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.

4 L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive dispose que les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

Les dispositions nationales

5 La mise en œuvre de la directive est assurée, en Italie, par l'article 2112 du Code civil qui dispose notamment que, en cas de transfert d'entreprise, la relation de travail se poursuit avec l'acquéreur et le travailleur conserve tous les droits qui en découlent.

6 L'article 34 du décret-loi n° 29, du 3 février 1993, portant rationalisation de l'organisation des administrations publiques et révision de la réglementation en matière d'emploi public (GURI n° 30, du 3 février 1993, supplément ordinaire, ci-après le "décret-loi n° 29-93"), tel que modifié, prévoit que, en cas de transfert ou d'apport d'activités assurées par des administrations publiques, des entités publiques ou leurs établissements ou structures à d'autres sujets de droit, publics ou privés, l'article 2112 du Code civil s'applique aux personnels transférés à ces derniers, sous réserve de dispositions spéciales.

7 L'article 1er, paragraphe 1, de la loi n° 58, du 29 janvier 1992, relative à la réforme du secteur des télécommunications (GURI n° 29, du 5 février 1992, ci-après la "loi n° 58-92"), a habilité le ministre des Postes et Télécommunications à concéder, à titre exclusif, les services de télécommunications à l'usage du public, gérés jusque-là par l'administration des Postes et Télécommunications et l'Azienda di Stato per i servizi telefonici (ci-après l'"ASST"), à une société constituée à cet effet par la holding d'Etat Istituto per la ricostruzione industriale (ci-après l'"IRI"). La loi n° 58-92 a également prévu la reprise par la nouvelle société de tous les droits et obligations liés à l'exploitation des services concernés ainsi que la suppression de l'ASST.

8 La loi n° 58-92 a, par ailleurs, institué un régime spécial et dérogatoire au droit commun du transfert d'entreprises, tel que défini à l'article 2112 du Code civil. D'abord, les employés de l'ASST avaient la possibilité soit de demeurer dans l'administration publique, soit de devenir salariés de la nouvelle société concessionnaire (article 4, paragraphe 3). Ensuite, la loi n° 58-92 renvoyait à la négociation collective à l'échelon syndical le soin d'assurer aux salariés de la nouvelle société "un traitement économique globalement non inférieur à celui dont ils bénéficiaient précédemment" (article 4, paragraphe 5). Enfin, le personnel qui n'avait pas opté pour son maintien dans l'administration publique avait droit à la liquidation de l'indemnité de fin de carrière ("trattamento di buonuscita") à la date de cessation de sa relation avec l'administration (article 5, paragraphe 5).

9 Par décret du 29 décembre 1992 (GURI n° 306, du 31 décembre 1992), le ministre des Postes et Télécommunications a octroyé la concession des services de télécommunications à l'usage du public gérés par l'administration des Postes et Télécommunications et l'ASST à la société Iritel SpA (ci-après "Iritel"). Le 18 avril 1994, la Società italiana per le telecommunicazioni SpA (ci-après la "SIP"), autre filiale de l'IRI, a absorbé Iritel avant de prendre le nom de Telecom Italia SpA.

Le litige au principal

10 Jusqu'au 31 octobre 1993, M. Collino et Mme Chiappero étaient employés par l'ASST, organe de l'Etat alors en charge de la gestion de certains services de télécommunications à l'usage du public sur le territoire italien. Le 1er novembre 1993, ils ont été transférés à la société Iritel, constituée par l'IRI en vue de succéder à l'ASST conformément à la loi n° 58-92. Ils ont été repris, le 16 mai 1994, par la SIP, devenue Telecom Italia, lorsque celle-ci a absorbé Iritel.

11 M. Collino et Mme Chiappero, qui sont à présent à la retraite, ont, le 16 octobre 1997, introduit un recours devant le Pretore di Pinerolo à l'encontre de Telecom Italia afin de contester les modalités de leur transfert de l'ASST à Iritel.

12 Les requérants se sont, en premier lieu, prévalus de la nullité partielle de l'accord syndical du 8 avril 1993, conclu notamment entre les sociétés Iritel et SIP, d'une part, et les organisations syndicales les plus représentatives, d'autre part, en vue de mettre en œuvre l'article 4, paragraphe 5, de la loi n° 58-92. Cet accord a en effet prévu que le calcul des augmentations de salaire au titre de l'ancienneté acquise depuis le 1er novembre 1993 devait s'effectuer, pour les anciens employés de l'ASST transférés à Iritel, selon les critères établis par l'article 24, troisième alinéa, du Contratto Colletivo Nazionale Lavoratori (convention nationale collective des travailleurs) pour les salariés nouvellement embauchés. Or, les demandeurs estiment qu'ils auraient dû bénéficier des règles de calcul de l'ancienneté prévues à l'article 24, premier et deuxième alinéas, de cette convention collective en faveur des salariés déjà embauchés par la SIP à la date de conclusion de ladite convention collective, le 30 juin 1992. Cette solution, qui tiendrait compte de l'unicité de la relation de travail depuis leur entrée à l'ASST, serait commandée par l'article 2112 du Code civil qui, en cas de transfert d'entreprise, prévoit la poursuite de la relation de travail avec le repreneur.

13 M. Collino et Mme Chiappero ont, en second lieu, contesté le fait que l'indemnité de fin de carrière, à laquelle tout employé de droit public a droit au moment de son départ de l'administration, leur a été versée lorsqu'ils ont quitté l'ASST sans que, pour des motifs indépendants de leur volonté, ils aient pu reverser cette indemnité à la SIP. En effet, dans cette dernière hypothèse, leur indemnité de fin de contrat ("trattamento di fine rapporto"), à laquelle tout salarié de droit privé a droit en cas de cessation de sa relation de travail et dont ils ont bénéficié lors de leur départ en retraite, aurait été calculée sur la base de l'ensemble de leurs années de service. Or, le montant de cette indemnité unique aurait été supérieur à celui des deux indemnités qu'ils ont perçues.

14 Telecom Italia a fait valoir que ces deux demandes étaient infondées dès lors qu'aucun transfert d'entreprise au sens de l'article 2112 du Code civil n'était intervenu entre l'ASST et Iritel. En effet, d'une part, une entité publique comme l'ASST ne constituerait pas une entreprise au sens de cette disposition et, d'autre part, l'exercice de l'activité en cause serait subordonné à l'octroi d'une concession administrative.

15 Dans son ordonnance de renvoi, le Pretore considère tout d'abord qu'un transfert d'entreprise a objectivement eu lieu en l'espèce dans la mesure où tous les biens et droits détenus par l'ASST ont été transférés à Iritel et où la très grande majorité des employés de l'ASST ont été repris par cette dernière société pour exercer, dans les mêmes locaux, les mêmes tâches que par le passé.

16 Le Pretore relève cependant que, si la directive est transposée en droit italien par l'article 2112 du Code civil, l'article 34 du décret-loi n° 29-93 ne prévoit l'application de cette disposition en cas de transfert d'entreprise entre un organisme de droit public et une entité de droit privé que sous réserve de dispositions spéciales. Or, la loi n° 58-92 a précisément institué un régime spécial et dérogatoire au droit commun du transfert d'entreprise. Dès lors, selon le droit italien, les demandeurs ne sauraient se prévaloir de l'article 2112 du Code civil à l'appui de leurs demandes.

17 Le Pretore éprouve toutefois des doutes sur la compatibilité avec la directive du régime dérogatoire institué par la loi n° 58-92. Il se demande, en premier lieu, si la directive s'applique à un transfert intervenu entre un organisme public et une société de droit privé contrôlée par un autre organisme public sur le fondement de décisions des pouvoirs publics et au moyen d'une concession administrative. Il s'interroge, en second lieu, sur la portée du transfert des droits et obligations du cédant au cessionnaire imposé par la directive, à la supposer applicable.

18 Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige dépendait de l'interprétation de la directive, le Pretore di Pinerolo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1°) Le transfert à titre onéreux, autorisé par une loi de l'Etat et ordonné par un décret ministériel, d'une entreprise gérée par un organisme public, émanation directe de l'Etat, au profit d'une société de droit privé constituée par un autre organisme public qui en détient l'intégralité du capital, relève-t-il du champ d'application de l'article 1er de la directive 77-187-CEE lorsque l'activité qui fait l'objet du transfert est confiée à une société de droit privé sous forme de concession administrative ?

En cas de réponse affirmative à la question sous 1),

2°) a) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE impose-t-il de tenir pour obligatoire la poursuite de la relation de travail avec le cessionnaire, assortie du maintien consécutif de l'ancienneté du travailleur depuis le jour de son embauche au service du cédant ainsi que du droit au versement d'une indemnité unique de fin de contrat qui tienne compte de manière unitaire des années de service effectuées chez le cédant et le cessionnaire ?

b) Les dispositions de l'article 3, paragraphe 1, doivent-elles en tout cas être interprétées en ce sens que les "droits" du travailleur transférés au cessionnaire incluent également les avantages acquis par le travailleur auprès du cédant, tels que l'ancienneté, lorsque des droits de nature pécuniaire y sont rattachés par l'effet de la convention collective en vigueur au sein de la société cessionnaire ?"

Sur la recevabilité du renvoi préjudiciel

19 Telecom Italia soutient que les questions préjudicielles posées par le juge de renvoi sont irrecevables dans la mesure où ce dernier ne pourrait pas, en tout état de cause, appliquer les dispositions de la directive au litige au principal qui oppose exclusivement des particuliers.

20 Certes, il est vrai que, conformément à une jurisprudence constante, une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre (voir, notamment, arrêts du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91-92, Rec. p. I-3325, point 20, et du 7 mars 1996, El Corte Inglés, C-192-94, Rec. p. I-1281, point 15).

21 Toutefois, il convient de rappeler que, en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE) (voir, notamment, arrêts Faccini Dori, précité, point 26, et du 23 février 1999, BMW, C-63-97, Rec. p. I-905, point 22).

22 Par ailleurs, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d'une directive à l'encontre de l'Etat, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. Dans l'un et l'autre cas, il convient, en effet, d'éviter que l'Etat ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, point 49, et du 12 juillet 1990, Foster e.a., C-188-89, Rec. p. I-3313, point 17).

23 La Cour a ainsi jugé que figure au nombre des entités qui peuvent se voir opposer les dispositions d'une directive susceptibles d'avoir des effets directs un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d'un acte de l'autorité publique d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêt Foster e.a., précité, point 20).

24 Il incombe au juge national de vérifier, sur la base des considérations qui précèdent, si la directive pouvait être invoquée à l'encontre d'Iritel, à laquelle Telecom Italia a succédé.

25 Sous réserve de l'ensemble des observations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées.

Sur la première question

26 Par sa première question, le juge de renvoi cherche à savoir si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que cette dernière est susceptible de s'appliquer à une situation dans laquelle une entité assurant l'exploitation de services de télécommunications à l'usage du public et gérée par un organisme public intégré dans l'administration de l'Etat fait l'objet, à la suite de décisions des pouvoirs publics, d'un transfert à titre onéreux, sous la forme d'une concession administrative, à une société de droit privé constituée par un autre organisme public qui en détient l'intégralité du capital.

27 Telecom Italia estime que la directive est inapplicable en pareil cas dans la mesure où le transfert ne résulterait pas d'une cession conventionnelle ou d'une fusion au sens de son article 1er, paragraphe 1. En outre, la directive supposerait que le transfert porte sur une entité économique. Or, quand elle gérait des services de télécommunications à l'usage du public, l'ASST assurait, en faveur de la collectivité, un service d'intérêt général et ne poursuivait aucun objectif à caractère économique.

28 M. Collino et Mme Chiappero, les Gouvernements autrichien, finlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission estiment au contraire, en se référant à la jurisprudence de la Cour, que la directive est applicable dès lors que le transfert en cause a porté sur une entité en charge d'une activité économique. Ni l'intégration initiale de cette entité dans l'Etat, ni la circonstance que ce transfert résulte d'une loi et d'un décret, ni le fait que l'activité poursuivie soit soumise à un régime de concession administrative ne sauraient, selon eux, infirmer cette analyse.

29 La Commission relève toutefois que les employés de l'ASST étaient soumis à un statut de droit public jusqu'à leur transfert à Iritel. Or, la Cour a jugé que le bénéfice de la directive ne peut être invoqué que par des personnes qui sont, d'une manière ou d'une autre, protégées en tant que travailleurs en vertu des règles du droit de l'Etat membre concerné (arrêt du 11 juillet 1985, Danmols Inventar, 105-84, Rec. p. 2639, point 27). La Commission, rejointe à l'audience par le Gouvernement finlandais, estime néanmoins que la directive serait applicable s'il se vérifiait que les fonctions exercées par les employés de l'ASST étaient, en substance, analogues à celles exercées par les salariés d'une société de droit privé soumise au droit national du travail. Cette interprétation trouverait appui, selon elle, dans le fait que l'article 3 de la directive se réfère non seulement aux contrats de travail, mais aussi, plus généralement, aux relations de travail.

30 D'une part, conformément à une jurisprudence constante, la directive est applicable à tout transfert d'une entité exerçant une activité économique, qu'elle poursuive ou non un but lucratif (voir, notamment, arrêt du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni, C-382-92, Rec. p. I-2435, points 44 à 46).

31 En revanche, ne constitue pas un transfert d'entreprise, au sens de la directive, la réorganisation de structures de l'administration publique ou le transfert d'attributions administratives entre des administrations publiques. En effet, dans ces cas, le transfert porte sur des activités qui relèvent de l'exercice de la puissance publique (arrêt du 15 octobre 1996, Henke, C-298-94, Rec. p. I-4989, points 14 et 17).

32 Ainsi, la circonstance que le service transféré ait été concédé par un organisme de droit public, telle une commune, ne saurait exclure l'application de la directive dès lors que l'activité considérée ne relève pas de l'exercice de la puissance publique (arrêt du 10 décembre 1998, Hidalgo e.a., C-173-96 et C-247-96, Rec. p. I-8237, point 24).

33 Or, la Cour a jugé, certes dans le contexte du droit de la concurrence, mais cette solution est transposable en l'espèce, que la gestion d'installations publiques de télécommunications et leur mise à disposition, moyennant le paiement de redevances, aux usagers constituent une activité d'entreprise (arrêts du 20 mars 1985, Italie/Commission, 41-83, Rec. p. 873, point 18, et, implicitement, du 17 novembre 1992, Espagne e.a./Commission, C-271-90, C-281-90 et C-289-90, Rec. p. I-5833). En outre, la circonstance que l'exploitation du réseau public de télécommunications soit confiée à une entité intégrée dans l'administration publique ne saurait soustraire cette dernière à la qualification d'entreprise publique (arrêts du 27 octobre 1993, Decoster, C-69-91, Rec. p. I-5335, point 15, et Taillandier, C-92-91, Rec. p. I-5383, point 14).

34 D'autre part, la circonstance que le transfert résulte de décisions unilatérales des pouvoirs publics et non d'un concours de volontés n'exclut pas l'application de la directive (arrêt du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29-91, Rec. p. I-3189, points 15 à 17). La Cour a ainsi jugé que la directive trouve à s'appliquer dans une situation dans laquelle une autorité publique décide de cesser d'accorder des subventions à une personne morale s'occupant d'apporter une aide à certains toxicomanes, et provoque ainsi l'arrêt complet et définitif des activités de celle-ci, pour les transférer à une autre personne morale poursuivant un but analogue (arrêt Redmond Stichting, précité, point 21).

35 Dans ces conditions, un transfert comme celui intervenu dans l'affaire au principal relève du champ d'application matériel de la directive.

36 Il convient toutefois de rappeler que le bénéfice de la directive ne peut être invoqué que par les personnes qui, dans l'Etat membre concerné, sont protégées en tant que travailleurs au titre de la législation nationale en matière de droit du travail (arrêts précités Danmols Inventar, points 27 et 28, Redmond Stichting, point 18, et Hidalgo e.a., point 24).

37 Cette interprétation se déduit du fait que la directive ne vise qu'à une harmonisation partielle de la matière en question, en étendant, pour l'essentiel, la protection garantie aux travailleurs de façon autonome par le droit des différents Etats membres également à l'hypothèse d'un transfert de l'entreprise. Son objet est donc d'assurer, autant que possible, la continuation du contrat de travail ou de la relation de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d'empêcher que les travailleurs concernés par le transfert de l'entreprise ne soient placés dans une position moins favorable du seul fait de ce transfert. Elle ne vise toutefois pas à instaurer un niveau de protection uniforme pour l'ensemble de la Communauté en fonction de critères communs (arrêt Danmols Inventar, précité, point 26).

38 Il résulte de cette jurisprudence que, contrairement à ce que soutiennent le Gouvernement finlandais et la Commission, la directive est inapplicable aux personnes qui ne sont pas protégées en tant que travailleurs au titre de la législation nationale en matière de droit du travail, indépendamment de la nature des fonctions que ces personnes exercent.

39 La jurisprudence Danmols Inventar, précitée, a d'ailleurs été consacrée par la directive 98-50-CE du Conseil, du 29 juin 1998, modifiant la directive 77-187 (JO L 201, p. 88), qui doit être transposée dans le droit des Etats membres au plus tard le 17 juillet 2001. L'article 2, paragraphe 1, sous d), de la directive ainsi modifiée définit en effet le "travailleur" comme toute personne qui, dans l'Etat membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l'emploi.

40 En l'espèce, les éléments du dossier permettent de penser que, au moment du transfert, en cause au principal, les employés de l'ASST étaient soumis à un statut de droit public et non pas au droit du travail. Il appartient toutefois au juge national de s'en assurer.

41 Dès lors, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que cette dernière est susceptible de s'appliquer à une situation dans laquelle une entité assurant l'exploitation de services de télécommunications à l'usage du public et gérée par un organisme public intégré dans l'administration de l'Etat fait l'objet, à la suite de décisions des pouvoirs publics, d'un transfert à titre onéreux, sous la forme d'une concession administrative, à une société de droit privé constituée par un autre organisme public qui en détient l'intégralité du capital. Il convient cependant que les personnes concernées par un tel transfert aient été initialement protégées en tant que travailleurs au titre de la législation nationale en matière de droit du travail.

Sur la seconde question

42 Par les deux branches de sa seconde question qu'il convient d'examiner ensemble, le juge de renvoi cherche à savoir si l'article 3, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que, pour le calcul des droits de nature pécuniaire qui sont liés, chez le cessionnaire, à l'ancienneté des travailleurs, tels une indemnité de fin de contrat ou des augmentations de salaire, le cessionnaire doit prendre en compte l'ensemble des années effectuées tant à son service qu'à celui du cédant par le personnel transféré.

43 Telecom Italia considère tout d'abord que la première branche de la seconde question, qui porte sur le calcul de l'indemnité de fin de contrat, est irrecevable dans la mesure où elle ne répond pas à un besoin objectif pour la solution du litige au principal (voir, notamment, arrêt du 12 mars 1998, Dethier Équipement, C-319-94, Rec. p. I-1061). En effet, le droit italien aurait expressément prévu la possibilité pour les employés de l'ASST passés chez Iritel d'obtenir, moyennant le reversement de leur indemnité de fin de carrière à cette dernière, une indemnité de fin de contrat unique calculée sur la base de l'ensemble de leurs années de service chez l'un et l'autre employeur.

44 À cet égard, il convient de rappeler qu'il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, notamment, arrêts du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200-97, Rec. p. I-7907, point 25, et du 17 juin 1999, Piaggio, C-295-97, Rec. p. I-3735, point 24). Ce n'est que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation ou l'appréciation de la validité d'une règle communautaire, demandées par le juge national, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal que la demande peut être rejetée comme irrecevable (voir, notamment, arrêt du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215-96 et C-216-96, Rec. p. I-135, point 20).

45 En l'espèce, le juge de renvoi a affirmé, dans son ordonnance de renvoi, que, en vertu de la loi n° 58-92, le personnel de l'ASST qui n'avait pas opté pour son maintien dans l'administration publique avait droit à la liquidation de l'indemnité de fin de carrière à la date de cessation de sa relation avec l'administration. Il a également indiqué que M. Collino et Mme Chiappero ont contesté le versement de cette indemnité au motif que, au moment de leur départ en retraite, elle les aurait privés, pour des raisons indépendantes de leur volonté, d'une indemnité de fin de contrat calculée sur la base de l'ensemble de leurs années de service chez le cédant et le cessionnaire.

46 Il en résulte que l'interprétation du droit communautaire sollicitée par le juge de renvoi dans la première branche de sa seconde question n'est pas manifestement dépourvue de lien avec l'objet du litige au principal et que cette question est, dès lors, recevable.

47 Sur le fond, Telecom Italia propose de répondre par la négative aux deux branches de la question posée. Elle soutient en effet que le travailleur transféré, s'il conserve les droits qui découlent de sa relation de travail avec son ancien employeur, ne saurait bénéficier des avantages en vigueur chez son nouvel employeur au titre des années de service antérieures à son transfert.

48 M. Collino et Mme Chiappero, les Gouvernements autrichien, finlandais et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, font valoir, au contraire, que, conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la directive, le cessionnaire est lié par l'ensemble des obligations contractées par le cédant vis-à-vis de ses travailleurs, y compris les obligations nées avant le transfert. Il en résulte que, pour le calcul des droits du travailleur liés à l'ancienneté, le cessionnaire doit également prendre en compte les années de service effectuées par celui-ci avant son transfert.

49 En vertu de l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire. La directive tend ainsi à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant (arrêts du 5 mai 1988, Berg et Busschers, 144-87 et 145-87, Rec. p. 2559, point 12, et du 25 juillet 1991, D'Urso e.a., C-362-89, Rec. p. I-4105, point 9).

50 Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 91 de ses conclusions, l'ancienneté acquise auprès de leur ancien employeur par les travailleurs transférés ne constitue pas, en tant que telle, un droit que ceux-ci pourraient faire valoir auprès de leur nouvel employeur. En revanche, l'ancienneté sert à déterminer certains droits des travailleurs de nature pécuniaire et ce sont ces droits qui devront, le cas échéant, être maintenus par le cessionnaire de la même manière que chez le cédant.

51 Il en résulte que, pour le calcul de droits de nature pécuniaire comme une indemnité de fin de contrat ou des augmentations de salaire, le cessionnaire est tenu de prendre en compte l'ensemble des années de service effectuées par le personnel transféré dans la mesure où cette obligation résultait de la relation de travail liant ce personnel au cédant et conformément aux modalités convenues dans le cadre de cette relation.

52 Toutefois, dans la mesure où le droit national permet, en dehors de l'hypothèse d'un transfert d'entreprise, de modifier la relation de travail dans un sens défavorable aux travailleurs, notamment en ce qui concerne leur protection contre le licenciement et leurs conditions de rémunération, une telle modification n'est pas exclue du seul fait que l'entreprise a entre-temps fait l'objet d'un transfert et que, par conséquent, l'accord a été convenu avec le nouveau chef d'entreprise. En effet, le cessionnaire étant subrogé au cédant en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la directive, en ce qui concerne les droits et obligations découlant de la relation de travail, celle-ci peut être modifiée à l'égard du cessionnaire dans les mêmes limites qu'elle aurait pu l'être à l'égard du cédant, étant entendu que, dans aucune hypothèse, le transfert d'entreprise ne saurait constituer en lui-même le motif de cette modification (voir, notamment, arrêts du 10 février 1988, Tellerup, dit "Daddy's Dance Hall", 324-86, Rec. p. 739, point 17, et du 12 novembre 1992, Watson Rask et Christensen, C-209-91, Rec. p. I-5755, point 28).

53 Il y a lieu dès lors de répondre à la seconde question que l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive doit être interprété en ce sens que, pour le calcul des droits de nature pécuniaire qui sont liés, chez le cessionnaire, à l'ancienneté des travailleurs, tels une indemnité de fin de contrat ou des augmentations de salaire, le cessionnaire est tenu de prendre en compte l'ensemble des années effectuées tant à son service qu'à celui du cédant par le personnel transféré dans la mesure où cette obligation résultait de la relation de travail liant ce personnel au cédant et conformément aux modalités convenues dans le cadre de cette relation. La directive ne s'oppose cependant pas à ce que le cessionnaire modifie les termes de cette relation de travail dans la mesure où le droit national admet une telle modification en dehors de l'hypothèse d'un transfert d'entreprise.

Sur les dépens

54 Les frais exposés par les Gouvernements autrichien, finlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre)

statuant sur les questions à elle soumises par le Pretore di Pinerolo, par ordonnance du 3 septembre 1998, dit pour droit:

1°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que cette dernière est susceptible de s'appliquer à une situation dans laquelle une entité assurant l'exploitation de services de télécommunications à l'usage du public et gérée par un organisme public intégré dans l'administration de l'Etat fait l'objet, à la suite de décisions des pouvoirs publics, d'un transfert à titre onéreux, sous la forme d'une concession administrative, à une société de droit privé constituée par un autre organisme public qui en détient l'intégralité du capital. Il convient cependant que les personnes concernées par un tel transfert aient été initialement protégées en tant que travailleurs au titre de la législation nationale en matière de droit du travail.

2°) L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens que, pour le calcul des droits de nature pécuniaire qui sont liés, chez le cessionnaire, à l'ancienneté des travailleurs, tels une indemnité de fin de contrat ou des augmentations de salaire, le cessionnaire est tenu de prendre en compte l'ensemble des années effectuées tant à son service qu'à celui du cédant par le personnel transféré dans la mesure où cette obligation résultait de la relation de travail liant ce personnel au cédant et conformément aux modalités convenues dans le cadre de cette relation. La directive 77-187 ne s'oppose cependant pas à ce que le cessionnaire modifie les termes de cette relation de travail dans la mesure où le droit national admet une telle modification en dehors de l'hypothèse d'un transfert d'entreprise.