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Décisions

CJCE, 5e ch., 14 avril 1994, n° C-392/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Schmidt

Défendeur :

Spar- und Leihkasse der früheren Ämter Bordesholm, Kiel und Cronshagen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Joliet, Rodríguez Iglesias, Grévisse (rapporteur), Zuleeg

Avocat :

Me Jordan

CJCE n° C-392/92

14 avril 1994

LA COUR,

1 Par ordonnance du 27 octobre 1992, parvenue à la Cour le 9 novembre suivant, le Landesarbeitsgericht Schleswig-Holstein a, en application de l'article 177 du traité CEE, posé deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Christel Schmidt à la Spar- und Leihkasse der frueheren AEmter Bordesholm, Kiel und Cronshagen (Caisse d'épargne et de prêt des anciens syndicats de communes de Bordesholm, Kiel et Cronshagen, ci-après la "caisse d'épargne").

3 Il ressort des motifs de l'ordonnance de renvoi que la requérante au principal, qui était un travailleur, employé par la caisse d'épargne pour nettoyer les locaux de sa succursale de Wacken, a été licenciée en février 1992 en raison du réaménagement de cette succursale, dont la caisse souhaitait confier le nettoyage à l'entreprise Spiegelblank, qui entretenait déjà la plupart des autres établissements de la caisse d'épargne.

4 La société Spiegelblank a proposé à l'intéressée de reprendre son service pour une rémunération mensuelle supérieure à celle qu'elle percevait jusqu'alors. Mais Mme Schmidt n'était pas disposée à travailler dans ces conditions, car elle estimait que l'extension des surfaces à nettoyer aboutissait en réalité à une baisse de son salaire horaire.

5 Mme Schmidt a introduit un recours contre son licenciement, qui a été rejeté en première instance. Elle a ensuite fait appel devant le Landesarbeitsgericht Schleswig-Holstein.

6 Cette juridiction, estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de la directive 77-187, a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1°) Lorsqu'ils sont transférés par contrat à une autre entreprise, les travaux de nettoyage d'une entreprise peuvent-ils être assimilés à une partie d'établissement au sens de la directive 77-187-CEE ?

2°) Si la réponse à la question 1 est affirmative, cela vaut-il également lorsque les travaux de nettoyage ont été effectués jusqu'au transfert par une seule employée ?"

7 Ces deux questions peuvent faire l'objet d'une réponse commune.

8 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, "La présente directive est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion."

9 Par ses deux questions, la juridiction nationale cherche à savoir si les travaux de nettoyage d'un établissement d'une entreprise peuvent être assimilés à une partie d'établissement au sens de la directive et si cette assimilation est possible lorsque les travaux étaient exécutés par une seule employée avant d'être transférés par contrat à une entreprise extérieure.

10 La caisse d'épargne, la République fédérale d'Allemagne et le Royaume-Uni proposent de répondre par la négative. Pour l'essentiel, la caisse d'épargne fait valoir que l'exécution de travaux de nettoyage n'est ni la mission principale ni une mission annexe de l'entreprise et les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni soutiennent que la décision prise par celle-ci de confier ces travaux à une autre entreprise n'a pas comporté transfert d'entité économique ni transfert de locaux ou d'éléments d'actifs.

11 La Commission estime, notamment, que si le nettoyage est assuré par le personnel de l'entreprise, il s'agit d'un service géré de manière directe et le fait que ce travail ne constitue qu'une activité accessoire sans rapport nécessaire avec l'objet social de l'entreprise ne saurait avoir pour effet d'exclure le transfert du champ d'application de la directive.

12 Selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 12 novembre 1992, Watson Rask et Christensen, C-209-91, Rec. p. I-5755, point 15), la directive est applicable dans toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l'exploitation de l'entreprise et qui, de ce fait, contracte les obligations de l'employeur vis-à-vis des employés de l'entreprise, sans qu'il importe de savoir si la propriété de l'entreprise est transférée.

13 La protection prévue par la directive s'applique, en particulier, en vertu des dispositions précitées de son article 1er, paragraphe 1, lorsque le transfert ne concerne qu'un établissement ou une partie d'établissement, c'est-à-dire une partie de l'entreprise. Elle concerne alors les travailleurs affectés à cette partie de l'entreprise puisque, comme l'a jugé la Cour dans l'arrêt du 7 février 1985, Botzen (186-83, Rec. p. 519, point 15), la relation de travail est essentiellement caractérisée par le lien qui existe entre le travailleur et la partie de l'entreprise à laquelle il est affecté pour exercer sa tâche.

14 Ainsi, lorsqu'un entrepreneur confie, par la voie d'un accord, la responsabilité d'exploiter un service de son entreprise, tel que celui consistant en l'exécution des travaux de nettoyage, à un autre entrepreneur qui assume, de ce fait, les obligations d'employeur vis-à-vis des salariés qui y sont affectés, l'opération peut entrer dans le champ d'application de la directive. Ainsi que l'a déjà relevé la Cour dans l'arrêt Watson Rask et Christensen, précité, point 17, le fait que, dans un tel cas, l'activité transférée ne constitue pour l'entreprise cédante qu'une activité accessoire sans rapport nécessaire avec son objet social ne saurait avoir pour effet d'exclure cette opération du champ d'application de la directive.

15 La circonstance que l'activité en cause était assurée avant le transfert par une seule employée ne suffit pas davantage à écarter l'application des dispositions de la directive, laquelle ne dépend pas du nombre de salariés affectés à la partie de l'entreprise qui fait l'objet du transfert. Il convient, en effet, de rappeler que la directive a notamment pour objet, ainsi que cela ressort de son deuxième considérant, de protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en particulier pour assurer le maintien de leurs droits. Cette protection vise tous les salariés et doit donc être assurée même lorsqu'un seul travailleur est concerné par le transfert.

16 L'argument des Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni tiré de l'absence de transfert d'éléments d'actifs ne peut pas non plus être retenu. La circonstance que la jurisprudence de la Cour cite le transfert de tels éléments au nombre des différents critères à prendre en compte par le juge national pour, dans le cadre de l'évaluation d'ensemble d'une opération complexe, apprécier la réalité d'un transfert d'entreprise ne permet pas de conclure que l'absence de ces éléments exclue l'existence d'un transfert. En effet, le maintien des droits des travailleurs qui, selon son intitulé même, est l'objet de la directive, ne saurait dépendre de la seule prise en considération d'un facteur dont la Cour a, d'ailleurs, déjà relevé qu'il n'était pas, à lui seul, déterminant (voir arrêt du 18 mars 1986, Spijkers, 24-85, Rec. p. 1119, point 12).

17 Selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt Spijkers, précité, point 11, et arrêt du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29-91, Rec. p. I-3189, point 23), le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert d'entreprise ou de partie d'entreprise au sens de la directive est celui du maintien de l'identité de l'entité économique. Selon la même jurisprudence, le maintien de cette identité résulte notamment de la poursuite effective ou de la reprise par le nouveau chef d'entreprise des mêmes activités économiques ou d'activités analogues. Ainsi, dans l'espèce au principal, dont l'ordonnance de renvoi donne tous les éléments utiles, la similarité des activités de nettoyage exercées avant et après le transfert, laquelle s'est d'ailleurs traduite par l'offre de réemploi faite au travailleur concerné, constitue un élément caractéristique d'une opération qui entre dans le champ d'application de la directive et qui donne au salarié dont l'activité a été transférée la protection que lui offre cette directive.

18 Il peut être observé, cependant, que si, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, le transfert d'une entreprise ou d'une partie d'entreprise ne peut pas constituer en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire, cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi.

19 Enfin, il convient de rappeler également que la directive ne s'oppose pas à une modification de la relation de travail avec le nouveau chef d'entreprise, dans la mesure où le droit national admet une telle modification en dehors de l'hypothèse d'un transfert d'entreprise (voir, en dernier lieu, arrêt Watson Rask et Christensen, précité, point 31).

20 Il y a donc lieu de répondre aux questions préjudicielles que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens qu'entre dans son champ d'application une situation, telle que celle qui est caractérisée par l'ordonnance de renvoi, où un entrepreneur confie, par voie contractuelle, à un autre entrepreneur la responsabilité d'exécuter les travaux de nettoyage assurés auparavant de manière directe, même si, avant le transfert, ces travaux étaient exécutés par une seule employée.

Sur les dépens

21 Les frais exposés par le Gouvernement allemand, le Ggouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Landesarbeitsgericht Schleswig-Holstein, par ordonnance du 27 octobre 1992, dit pour droit :

L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens qu'entre dans son champ d'application une situation, telle que celle qui est caractérisée par l'ordonnance de renvoi, où un entrepreneur confie, par voie contractuelle, à un autre entrepreneur la responsabilité d'exécuter les travaux de nettoyage assurés auparavant de manière directe, même si, avant le transfert, ces travaux étaient exécutés par une seule employée.