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Décisions

CJCE, 6e ch., 12 novembre 1992, n° C-73/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fournier

Défendeur :

van Werven, Bureau central français

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kakouris

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Murray, Mancini, Schockweiler, Díez de Velasco

Avocats :

Mes Funck-Brentano, Dechezleprêtre, Ranke, Turk

CJCE n° C-73/89

12 novembre 1992

LA COUR,

1 Par jugement du 26 septembre 1988, parvenu à la Cour le 9 mars 1989, le Tribunal de grande instance de Toulon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la notion de territoire de stationnement habituel, figurant à l'article 1er, paragraphe 4, de la directive 72-166-CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1), tel que modifié par la directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, deuxième directive concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant le Bureau central français des assurances au Nederlands Bureau der Motorrijtuigverzekeraars (Bureau central néerlandais) et au HUK-Verband (Bureau central allemand) sur la question de savoir qui devra en définitive supporter la charge du dédommagement des victimes d'un accident de la circulation provoqué par un véhicule automoteur privé, volé et muni d'une fausse plaque d'immatriculation.

3 Il ressort du dossier que, le 25 juillet 1985, la famille Fournier a été victime d'un accident de la circulation survenu à Toulon et provoqué par un ressortissant néerlandais, M. Vaiter van Werven, au volant d'un véhicule porteur d'une plaque d'immatriculation néerlandaise.

4 Des recherches effectuées à partir du numéro d'immatriculation et du numéro de châssis du véhicule en question ont révélé que celui-ci, après avoir été régulièrement immatriculé en Allemagne, avait été dérobé aux Pays-Bas à son légitime propriétaire, ressortissant allemand et qu'à la suite de ce vol il avait été déclaré mis hors circulation par les autorités allemandes. Par ailleurs, la plaque minéralogique néerlandaise que le véhicule en cause portait au moment de l'accident était fausse, correspondant en réalité à l'immatriculation d'un autre véhicule appartenant à un ressortissant néerlandais.

5 Les consorts Fournier ont poursuivi M. van Werven et le Bureau central français des assurances en vue d'obtenir réparation du préjudice subi.

6 Par jugement du 26 septembre 1988, le Tribunal de grande instance de Toulon, saisi de l'affaire, a condamné in solidum M. van Werven et le Bureau central français à réparer l'intégralité du préjudice subi.

7 Quant aux appels en garantie formés par le Bureau central français contre le Bureau central néerlandais et le Bureau central allemand, la juridiction nationale, considérant qu'ils soulevaient un problème d'interprétation de la notion de territoire de stationnement habituel, reprise dans les directives 72-166 et 84-5, a, par le même jugement du 26 septembre 1988, sursis à statuer et posé à la Cour la question préjudicielle suivante :

"Quel territoire se trouve être le stationnement habituel au sens de l'article 1er, paragraphe 4, de la directive communautaire 72-166, du 24 avril 1972, modifiée par la directive communautaire du 30 décembre 1983, du véhicule immatriculé successivement dans plusieurs Etats différents, que ces immatriculations aient été régulièrement attribuées par les autorités compétentes ou qu'elles résultent de l'apposition sur le véhicule de fausses plaques minéralogiques ?"

8 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la réglementation communautaire

9 Dans le but de faciliter le trafic des voyageurs entre les Etats membres, la directive 72-166 (ci-après "directive") a mis en place un système fondé sur les principes suivants : obligation pour chacun des Etats membres de faire en sorte que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules automoteurs soit couverte par une assurance (article 3) et, donc, présomption que tout véhicule automoteur communautaire circulant sur le territoire de la Communauté est assuré ; suppression du contrôle de la carte verte d'assurance lors du passage des frontières internes à la Communauté, pour les véhicules ayant leur stationnement habituel dans un Etat membre (article 2, paragraphe 1).

10 Le fonctionnement dudit système présupposait que chaque bureau central national des sociétés d'assurance, association composée de la totalité ou de la majorité des compagnies d'assurances, garantirait l'indemnisation des dommages, ouvrant droit à réparation, causés sur son territoire par un véhicule, assuré ou non, ayant son stationnement habituel dans un Etat membre. Pour tenir compte de cette nécessité, l'article 2, paragraphe 2, de cette directive a prévu que :

"En ce qui concerne les véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un des Etats membres, les dispositions de la présente directive, à l'exception des articles 3 et 4, ont effet :

- après qu'a été conclu un accord entre les six bureaux nationaux d'assurance, aux termes duquel chaque bureau national se porte garant pour les règlements des sinistres survenus sur son territoire et provoqués par la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un autre Etat membre, qu'ils soient assurés ou non, dans les conditions fixées par sa propre législation nationale relative à l'assurance obligatoire ;

- à partir de la date fixée par la Commission après qu'elle aura constaté, en collaboration étroite avec les Etats membres, l'existence de cet accord ;

- pour la durée dudit accord."

11 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 4, de la directive, il faut entendre par

"territoire où le véhicule a son stationnement habituel :

- territoire de l'Etat où le véhicule est immatriculé, ou

- dans le cas où il n'existe pas d'immatriculation pour un genre de véhicule, mais que ce véhicule porte une plaque d'assurance ou un signe distinctif analogue à la plaque d'immatriculation, le territoire de l'Etat où cette plaque ou signe sont délivrés, ou

- dans le cas où il n'existe ni immatriculation, ni plaque d'assurance, ni signe distinctif pour certains types de véhicules, le territoire de l'Etat du domicile du détenteur."

12 Le premier tiret de cette disposition a été remplacé comme suit par la directive 84-5 :

"territoire de l'Etat dont le véhicule est porteur d'une plaque d'immatriculation, ou".

13 Il convient de signaler que, avant l'adoption de la directive 72-166, l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs dans la Communauté faisait uniquement l'objet de conventions de droit privé. La première convention de ce genre, dite "convention type interbureaux", signée le 17 décembre 1953 entre un certain nombre de bureaux nationaux des sociétés d'assurance, a mis sur pied un système de coopération, connu sous l'appellation de "système de la carte verte", reposant sur une carte verte standardisée d'assurance.

14 Eu égard aux dispositions de l'article 2, paragraphe 2, de la directive, précité, les bureaux centraux des Etats membres, ainsi que de deux pays tiers, ont conclu, le 16 octobre 1972, une convention complémentaire de celle de 1953. Par la recommandation 73-185-CEE, du 13 mai 1973 (JO L 194, p. 13), la Commission a constaté que cette convention complémentaire remplissait les conditions posées par le premier tiret dudit article 2, paragraphe 2, et a fixé au 1er juillet 1973 la date à partir de laquelle les Etats membres originaires devaient s'abstenir d'effectuer à la frontière un contrôle de l'assurance de la responsabilité civile pour les véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un autre Etat membre.

Sur la question préjudicielle

15 Il y a lieu de relever que, au vu de l'ordonnance de renvoi et du dossier, la juridiction nationale vise par sa question à savoir en substance si, au sens de l'article 1er, paragraphe 4, de la directive, tel que modifié, un véhicule portant lors du franchissement de la frontière une plaque d'immatriculation régulièrement délivrée par les autorités d'un Etat membre, mais fausse du fait qu'elle constitue en réalité la plaque minéralogique attribuée à un autre véhicule, peut être considéré comme ayant son stationnement habituel sur le territoire de l'Etat qui a délivré la plaque en question.

16 Comme il a été rappelé ci-avant, l'objectif essentiel de la directive en question est la suppression du contrôle à la frontière de l'assurance obligatoire couvrant la responsabilité civile des véhicules de particuliers, afin de faciliter le trafic des voyageurs entre les Etats membres ; cette suppression du contrôle concerne les véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un Etat membre.

17 C'est la raison pour laquelle la directive a fait dépendre cette suppression du contrôle à la frontière de la conclusion d'un accord entre les bureaux nationaux d'assurance, aux termes duquel chaque bureau national se porterait garant pour le dédommagement des victimes des sinistres survenus sur le territoire de l'Etat membre concerné.

18 Cet objectif ne peut être atteint qu'à la condition que, lors du franchissement de la frontière, le contrôle porte uniquement sur le point de savoir si le véhicule est porteur d'une plaque d'immatriculation ayant l'apparence d'une plaque régulièrement délivrée par les autorités d'un des Etats membres et qu'une preuve de l'immatriculation puisse être demandée seulement au cas où une plaque serait visiblement falsifiée.

19 C'est la raison qui a conduit à l'éclaircissement, précité, apporté à l'article 1er, paragraphe 4, premier tiret, de la directive 72-166 par la directive 84-5, qui a remplacé la phrase "territoire de l'état où le véhicule est immatriculé" par la phrase "territoire de l'Etat dont le véhicule est porteur d'une plaque d'immatriculation".

20 Dès lors, l'article 1er, paragraphe 4, de la directive 72-166, tel que modifié, doit être interprété en ce sens qu'un véhicule qui porte, lors du franchissement de la frontière, une plaque d'immatriculation régulièrement délivrée par les autorités d'un Etat membre, mais fausse du fait qu'elle constitue en réalité la plaque minéralogique attribuée à un autre véhicule, est à considérer comme ayant son stationnement habituel sur le territoire de l'Etat qui a délivré la plaque en question.

21 Il a été soutenu devant la Cour qu'une telle interprétation aboutirait à la conclusion peu satisfaisante que le bureau national de l'Etat où un sinistre est survenu pourrait demander, après avoir dédommagé les victimes, le remboursement par le bureau national de l'Etat de la plaque volée ou fausse, nonobstant le fait que celui-ci n'a aucun rapport avec le véhicule qui a provoqué l'accident.

22 A cet égard, il convient de relever que, même si la juridiction de renvoi a posé la question préjudicielle en vue de l'interprétation de l'accord entre bureaux nationaux ayant pour objet de déterminer lequel des bureaux doit, en fin de compte, supporter le dédommagement de la victime, cette argumentation est dénuée de pertinence, puisque la détermination, dans cet accord, du bureau qui doit supporter le dédommagement est intervenue dans un domaine non couvert par la directive, et les termes utilisés par l'accord ne doivent dès lors pas avoir nécessairement la même signification que ceux employés par la directive.

23 Il appartient, en conséquence, à la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter l'accord entre bureaux nationaux, de donner aux termes employés par celui-ci le sens qu'elle estime adéquat, sans qu'elle soit liée à cet égard par la signification qui doit être reconnue à l'expression identique figurant dans la directive.

24 Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent qu'il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que l'article 1er, paragraphe 4, de la directive, tel que modifié, doit être interprété en ce sens qu'un véhicule portant, lors du franchissement de la frontière, une plaque d'immatriculation régulièrement délivrée par les autorités d'un Etat membre, mais fausse du fait qu'elle constitue en réalité la plaque minéralogique attribuée à un autre véhicule, est à considérer comme ayant son stationnement habituel sur le territoire de l'Etat qui a délivré la plaque en question.

Sur les dépens

25 Les frais exposés par les Gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur la question à elle posée par le Tribunal de grande instance de Toulon, par jugement du 26 septembre 1988, dit pour droit :

L'article 1er, paragraphe 4, de la directive 72-166-CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, doit être interprété en ce sens qu'un véhicule portant, lors du franchissement de la frontière, une plaque d'immatriculation régulièrement délivrée par les autorités d'un Etat membre, mais fausse du fait qu'elle constitue en réalité la plaque minéralogique attribuée à un autre véhicule, est à considérer comme ayant son stationnement habituel sur le territoire de l'Etat qui a délivré la plaque en question.