CJCE, 2e ch., 3 février 1983, n° 29-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Van Luipen en Zn BV
LA COUR,
1. Par décision du 29 décembre 1981, parvenue à la Cour le 14 janvier 1982, le collège Van Beroep voor Het Bedrijfsleven a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 et 34 du traité, ainsi que du règlement n° 1035/72 du conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO L. 118, p. 1), en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité, avec ces dispositions, de l'obligation d'affiliation des exportateurs néerlandais de fruits et légumes à un organisme de contrôle relevant du droit privé.
2. La question a été soulevée au cours d'un appel porté par une société néerlandaise devant le collège Van Beroep voor Het Bedrijfsleven contre une décision par laquelle un conseil de discipline (Tuchtgerecht) a infligé à cette société, en tant qu'affiliée au bureau de contrôle de la qualité des fruits et légumes (kwaliteits-controle-bureau voor groenten en fruit, ci-après dénommé le KCB), une amende de 4 000 florins pour avoir conditionné un lot de tomates dans un emballage portant le label de qualité " categorie I ", alors que le produit n'était pas conforme aux normes de qualité communautaires correspondant à cette catégorie, et pour avoir détenu ledit produit en vue de la vente à titre professionnel.
3. Devant la juridiction nationale, l'appelante a fait valoir que la règlementation nationale en vertu de laquelle le conseil de discipline lui a infligé ladite amende, n'a pas force obligatoire, étant donné qu'elle est contraire à l'article 34 du traité et au règlement n° 1035/72 précité du conseil, en ce qu'elle comporte la nécessité pour tout exportateur des fruits et légumes établi aux Pays-Bas d'être affilié au KCB.
4. C'est dans ces circonstances que le collège Van Beroep voor Het Bedrijfsleven a saisi la Cour de justice en lui posant la question suivante :
" Le règlement (CEE) n° 1035/72 et les dispositions du traité relatives à l'élimination des barrières douanières et des entraves aux échanges, en particulier les articles 30 et 34 relatifs à l'élimination des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent à l'importation et à l'exportation, lesquels doivent être considérés comme faisant partie intégrante de ce règlement, sont-ils à entendre en ce sens qu'ils ne tolèrent pas une règlementation nationale, telle que celle qui est décrite... Ci-dessus, prévoyant que le " kwaliteits-controle-bureau groenten en fruit " (KCB), qui a été désigné comme organisme de contrôle au sens du règlement (CEE) n° 1035/72, ne délivre les accusés de réception et les certificats de contrôle, visés dans le règlement (CEE) n° 2638/69, qu'à ceux qui sont affiliés à cette association de droit privé, compte tenu à cet égard de ce que cette règlementation nationale prévoit :
- que le KCB est tenu d'admettre comme affilié quiconque demande par écrit à se soumettre à son contrôle conformément à ses statuts,
- que le contrôle auquel les affiliés au KCB sont statutairement soumis porté exclusivement sur le respect des dispositions des règlements (CEE) n° 1035/72 et 2638/69 et des normes de qualité communautaires, fixées en application de ces règlements? "
5. Dans le secteur des fruits et légumes, l'organisation commune des marchés comporte la fixation de normes de qualité communes dont l'application, ainsi qu'il ressort du quatrième considérant du règlement n° 1035/72, doit avoir pour effet, entre autres, de faciliter les relations commerciales sur la base d'une concurrence loyale. Selon l'article 8 du règlement, le contrôle de conformité avec ces normes est effectue par les organismes désignés par chaque Etat Membre.
6. Le règlement n° 2638/69 de la Commission, du 24 décembre 1969, portant dispositions complémentaires sur le contrôle de qualité des fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la communauté (JO L. 327, p. 33) prévoit, dans son article premier, que tous les envois destinés à être expédiés au-delà d'une zone d'expédition, le territoire du royaume des Pays-Bas constituant à cet égard une seule zone d'expédition, doivent être notifiés par l' expéditeur à l'organisme compétent chargé du contrôle qui, selon le cas, délivre soit un certificat de contrôle, soit un accusé de réception, accompagnant la marchandise.
7. Comme la juridiction nationale l'indique elle-même dans la question posée, la règlementation néerlandaise par laquelle ce système de contrôle est mis en œuvre aux Pays-Bas désigne le KCB comme unique organisme de contrôle à ces fins, et elle prévoit, en outre, que ce bureau délivre les documents à usage de preuve, tels que les certificats de contrôle et les accusés de réception, exclusivement aux affiliés. Il en résulte que toute personne désirant exporter des fruits et légumes vers les autres Etats Membres doit nécessairement s'affilier au KCB.
8. Pour répondre à la question posée, il y a lieu de rappeler, comme la Cour l'a déjà fait à plusieurs reprises et ainsi que la juridiction nationale le fait elle-même dans le libelle de sa question, que les articles 30 et 34 du traité relatifs à la suppression des restrictions quantitatives et de toutes mesures d'effet équivalent, à l'importation et à l'exportation, font partie intégrante des organisations communes des marchés dans le secteur agricole. Ces organisations sont dès lors, en ce qui concerne le commerce intérieur de la communauté fondées sur la liberté des transactions commerciales et s'opposent à toute règlementation nationale susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire.
9. Dans son arrêt du 26 février 1980 (Vriend, affaire 94/79, Recueil p. 327), la Cour a déjà déclaré, en ce qui concerne l'organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture, qu'il est incompatible avec cette liberté des transactions commerciales qu'une réglementation nationale subordonne, entre autres, l'exportation des produits en cause à la condition pour l'exportateur d'être affilié à un organisme public ou homologue par l'autorité publique.
10. Dans la présente affaire, ce résultat s'impose d'autant plus que les normes de qualité dont le contrôle est confié au KCB visent, ainsi qu'il est dit ci-dessus, à faciliter les relations commerciales sur la base d'une concurrence loyale. Il serait contraire à cet objectif d'interdire l'exportation de produits qui satisfont à ces normes et qui ont été soumis au contrôle prévu par la règlementation communautaire, pour la seule raison que l'exportateur n' est pas affilié à l'organisme de contrôle désigné par l'Etat membre exportateur.
11. Dans les observations qu'il a présentées à la Cour, le Gouvernement néerlandais a souligné que, contrairement à la situation dans l'affaire Vriend précitée, les normes communes de qualité dans le secteur des fruits et légumes constituent une règlementation exhaustive et compliquée. En vue d'une exécution efficace sur le plan national, il serait préférable d'en confier le contrôle aux organismes déjà existants, tels que le KCB et son conseil de discipline. Comme, selon le droit néerlandais, les règles édictées par un organisme de droit privé ainsi que le pouvoir disciplinaire d'un tel organisme ne sont obligatoires que pour les affiliés, il serait nécessaire de prévoir l'affiliation obligatoire. Etant donné que le KCB est tenu d'admettre comme affilié quiconque demande par écrit à se soumettre à son contrôle et que, en vertu même de la règlementation communautaire, quiconque souhaite expédier des fruits et légumes hors de la zone d'expédition doit de toute manière s'adresser au KCB, l'obligation d'affiliation ne serait qu'une formalité justifiée par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi.
12. Cette argumentation ne saurait toutefois être retenue. Comme le Gouvernement néerlandais l'a lui-même reconnu, un contrôle efficace peut entre organisé sans une telle obligation d'affiliation et il est de jurisprudence constante que des considérations d'ordre administratif ne sauraient justifier une dérogation, par un Etat Membre, aux règles du droit communautaire.
13. Il convient donc de répondre à la question posée que l'article 34 du traité CEE ainsi que la règlementation portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes s'opposent à ce qu'une règlementation nationale prévoie qu'une association de droit privé désignée comme organisme unique de contrôle au sens du règlement n° 1035/72 ne délivre les accusés de réception et les certificats de contrôle, visés dans le règlement n° 2638/69, qu'à ceux qui sont affiliés à cette association.
14. Il y a lieu d'ajouter qu'il appartient à la seule juridiction nationale, en appliquant son droit interne, d'apprécier si cette constatation est de nature à affecter la validité d'une décision par laquelle un conseil de discipline d'une telle association a infligé une amende à une société affiliée, pour méconnaissance des normes communes de qualité.
Sur les dépens
15. Les frais exposés par le Gouvernement des Pays-Bas et par la Commission des Communautés Européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard de l'appelante au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, LA COUR (2e chambre), statuant sur la question à elle soumise par le collège Van Beroep voor Het Bedrijfsleven, par décision du 29 décembre 1981, dit pour droit : L'article 34 du traité CEE ainsi que la règlementation portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes s'opposent à ce qu'une règlementation nationale prévoie qu'une association de droit privé désignée comme organisme unique de contrôle au sens du règlement n° 1035/72 du conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, ne délivre les accusés de réception et les certificats de contrôle, visés dans le règlement n° 2638/69 de la Commission, du 24 décembre 1969, portant dispositions complémentaires sur le contrôle de qualité des fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la communauté, qu'à ceux qui sont affiliés à cette association.