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Décisions

CJCE, 5 octobre 2000, n° C-16/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Sevón, Schintgen

Rapporteur :

M. Skouris

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Kapteyn, Gulmann, Puissochet, Wathelet

CJCE n° C-16/98

5 octobre 2000

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 janvier 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, à l'occasion de la procédure de passation de marchés lancée par le Syndicat départemental d'électrification de la Vendée (ci-après le "Sydev") en décembre 1994 pour l'attribution de travaux d'électrification et d'éclairage public, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 2, 14, paragraphes 1, 10 et 13, ainsi que des articles 21, 24 et 25 de la directive 93-38-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84, ci-après la "directive").

Cadre juridique

2 La directive vise à réaliser l'ouverture des marchés publics dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications.

3 Aux termes de l'article 1er, points 1 et 6, de la directive :

"Aux fins de la présente directive, on entend par :

1°) 'pouvoirs publics' : l'état, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

Est considéré comme un organisme de droit public tout organisme :

- créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial,

- doté d'une personnalité juridique

et

- dont soit l'activité est financée majoritairement par l'Etat, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'Etat, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public ;

...

6°) 'soumissionnaire' : le fournisseur, l'entrepreneur ou le prestataire de services qui présente une offre..."

4 L'article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive prévoit :

"1. La présente directive s'applique aux entités adjudicatrices :

a) qui sont des pouvoirs publics ou des entreprises publiques et qui exercent une des activités visées au paragraphe 2 ;

...

2. Les activités relevant du champ d'application de la présente directive sont les suivantes :

a) la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution :

i) d'eau potable

ou

ii) d'électricité

ou

iii) de gaz ou de chaleur

ou l'alimentation de ces réseaux en eau potable, en électricité, en gaz ou en chaleur ;

..."

5 Aux termes de l'article 4, paragraphe 2, de la directive :

"Les entités adjudicatrices veillent à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services."

6 L'article 14, paragraphes 1, 10 et 13, de la directive dispose :

"1. La présente directive s'applique aux marchés dont la valeur estimée hors TVA égale ou dépasse :

...

c) 5 000 000 d'écus en ce qui concerne les marchés de travaux.

...

10. Le calcul de la valeur d'un marché de travaux aux fins de l'application du paragraphe 1 doit être fondé sur la valeur totale de l'ouvrage. On entend par ouvrage le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique et technique.

Lorsque, notamment, une fourniture, un ouvrage ou un service est réparti en plusieurs lots, la valeur de chaque lot doit être prise en compte pour l'évaluation de la valeur indiquée au paragraphe 1. Lorsque la valeur cumulée des lots égale ou dépasse la valeur indiquée au paragraphe 1, les dispositions de ce paragraphe s'appliquent à tous les lots. Toutefois, dans le cas de marchés de travaux, les entités adjudicatrices peuvent déroger à l'application du paragraphe 1 pour des lots dont la valeur estimée hors TVA est inférieure à 1 000 000 d'écus, pour autant que le montant cumulé de ces lots n'excède pas 20 % de la valeur de l'ensemble des lots.

...

13. Les entités adjudicatrices ne peuvent pas contourner l'application de la présente directive en scindant les marchés ou en utilisant des modalités particulières de calcul de la valeur des marchés."

7 L'article 20, paragraphe 1, de la directive prévoit que les entités adjudicatrices peuvent choisir d'appliquer la procédure ouverte, la procédure restreinte ou la procédure négociée "pour autant que, sous réserve du paragraphe 2, une mise en concurrence ait été effectuée en vertu de l'article 21".

8 L'article 21, paragraphes 1 et 5, de la directive dispose :

"1. Dans le cas des marchés de fournitures, travaux ou services, la mise en concurrence peut être effectuée :

a) au moyen d'un avis établi conformément à l'annexe XII partie A, B ou C

ou

b) au moyen d'un avis périodique indicatif établi conformément à l'annexe XIV

ou

c) au moyen d'un avis sur l'existence d'un système de qualification établi conformément à l'annexe XIII.

...

5. Les avis visés au présent article sont publiés au Journal officiel des Communautés européennes."

9 L'article 24, paragraphes 1 et 2, de la directive prévoit :

"1. Les entités adjudicatrices qui ont passé un marché, ou organisé un concours, communiquent à la Commission, dans un délai de deux mois après la passation de ce marché et dans des conditions à définir par la Commission, conformément à la procédure définie à l'article 40, les résultats de la procédure de passation du marché au moyen d'un avis établi conformément à l'annexe XV ou à l'annexe XVIII.

2. Les informations fournies à l'annexe XV titre I, ou à l'annexe XVIII, sont publiées au Journal officiel des Communautés européennes. ..."

10 L'article 25, paragraphes 1 et 5, de la directive énonce :

"1. Les entités adjudicatrices doivent être en mesure de fournir la preuve de la date d'envoi des avis prévus aux articles 20 à 24.

...

5. Les marchés ou concours pour lesquels un avis est publié au Journal officiel des Communautés européennes en vertu de l'article 21 paragraphe 1 ou paragraphe 4 ne doivent pas être publiés, par tout autre moyen, avant la date d'envoi de cet avis à l'Office des publications officielles des Communautés européennes. Cette publication ne doit pas contenir de renseignements autres que ceux qui sont publiés au Journal officiel des Communautés européennes."

11 Aux termes de l'article 45, paragraphe 1, de la directive :

"Les Etats membres adoptent les mesures nécessaires pour se conformer à la présente directive et les appliquent au plus tard le 1er juillet 1994. Ils en informent immédiatement la Commission."

Les faits et la procédure précontentieuse

12 Le 21 décembre 1994, le Sydev, organisme regroupant au niveau départemental les différents syndicats intercommunaux d'électrification, a envoyé aux fins de publication au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (ci-après le "BOAMP") une série de 37 avis de marché portant sur des travaux d'électrification ou d'éclairage public, à réaliser au cours d'une période triennale dans le département français de la Vendée. L'ensemble de ces avis, publiés au BOAMP du 12 janvier 1995, portait sur des travaux s'élevant à la somme de 609 000 000 francs sur les trois années prévues, dont 483 000 000 francs au titre des marchés en matière d'électrification et 126 000 000 francs au titre des marchés en matière d'éclairage public.

13 Dans tous les avis publiés au BOAMP, le Sydev a été désigné comme l'"organisme qui passe le marché" ; les offres devaient être transmises à la direction des travaux du Sydev, à son adresse, en précisant dans chaque cas le nom du syndicat intercommunal concerné. Les travaux à réaliser sur les réseaux de distribution d'électricité étaient décrits de manière identique dans les avis y afférents ; ils concernaient "les opérations d'électrification ainsi que les travaux annexes induits tels que, par exemple, le génie civil du réseau téléphonique, le génie civil du réseau de télédistribution, le réseau de sonorisation". La description des travaux à réaliser sur les réseaux d'éclairage public était également effectuée de manière identique dans les avis correspondants ; ces travaux concernaient "les opérations d'éclairage public, ainsi que les travaux annexes induits tels que, par exemple, le réseau de sonorisation".

14 À la même date, soit le 21 décembre 1994, le Sydev a envoyé simultanément aux fins de publication au niveau communautaire les 6 principaux avis de marché en matière d'électrification. Ces avis, qui ont été publiés le 6 janvier 1995 au Journal officiel des Communautés européennes (JO S 3, p. 211), indiquaient que les candidatures devaient être transmises au Sydev, à son adresse, en précisant dans chaque cas le nom de l'entité locale concernée. Dans tous ces avis, ce dernier était désigné comme l'entité adjudicatrice, mention suivie dans tous les cas, hormis un seul, du nom de l'entité locale concernée.

15 Les marchés ont été adjugés selon la procédure d'appel d'offres restreint sur série de prix et la formule des bons de commande. Selon les procès-verbaux des procédures de passation communiqués par le Gouvernement français, l'attribution des marchés s'est déroulée de la manière suivante : dans un premier temps, une liste restreinte de candidats a été établie en fonction du critère de la production de l'ensemble des certificats attestant le respect d'exigences administratives et la capacité d'exécution des travaux en question ; dans un second temps, l'un des candidats a été sélectionné, vraisemblablement en fonction du critère du moins-disant. Les offres se présentaient sous la forme d'une différence exprimée en pourcentage par rapport à la série de prix proposée ; le candidat retenu devait recevoir l'ordre de réaliser des opérations déterminées au cours de la période triennale.

16 Les avis d'attribution concernant les 37 marchés qui font l'objet de la présente affaire (ci- après les "marchés litigieux"), y compris les 6 marchés publiés au Journal officiel des Communautés européennes (ci-après le "JOCE"), ont été publiés au BOAMP du 29 septembre 1995. Dans ces avis, le Sydev était à chaque fois désigné comme étant l'"organisme qui a passé le marché". Aucun avis d'attribution n'a en revanche été envoyé aux fins de publication au JOCE.

17 La Commission a considéré que les marchés litigieux constituaient des lots d'un ouvrage unique, dont l'initiative revenait à un seul pouvoir adjudicateur, à savoir le Sydev, et qui auraient dû être soumis dans leur ensemble, et non pas seulement pour les 6 principaux d'entre eux, aux règles de la directive. Elle a en conséquence adressé aux autorités françaises, le 17 janvier 1996, une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle mettait en cause la scission des lots en marchés différents, l'absence de publication communautaire pour les deux tiers des lots et l'emploi d'une formule dérivée de la procédure de mise en concurrence permanente pour laquelle la Commission avait déjà engagé une autre procédure d'infraction.

18 Par lettre du 14 juin 1996, les autorités françaises ont contesté l'infraction reprochée en faisant valoir que les marchés litigieux n'ont pas été scindés artificiellement, mais qu'ils ont été effectivement conclus par chacun des syndicats intercommunaux d'électrification concernés du département de la Vendée et que, de ce fait, le seuil de publication d'un avis au JOCE devait s'appliquer à chacun de ces marchés pris individuellement. Les autorités françaises soutenaient également dans cette lettre que les syndicats intercommunaux concernés n'avaient pas eu recours à une procédure de mise en concurrence permanente en cours de marché.

19 Le 7 avril 1997, la Commission a adressé aux autorités françaises un avis motivé selon lequel, à l'occasion de la procédure lancée par le Sydev et ses adhérents en décembre 1994 concernant des travaux d'électrification et d'éclairage public, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive, notamment de ses articles 1er, points 1, 5 et 7, 4, paragraphe 2, 14, paragraphes 1, 10 et 13, ainsi que de ses articles 21, 24 et 25. La Commission a invité le Gouvernement français à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai d'un mois à compter de la notification de celui-ci. Elle l'a également invité à lui fournir dans le même délai, conformément à l'article 41 de la directive, tous éléments pertinents pour apprécier la situation exacte des titulaires du marché, notamment les procès-verbaux d'attribution et les contrats.

20 Par lettre du 2 juillet 1997, les autorités françaises ont répondu audit avis motivé en maintenant leur argumentation précédente. Elles ont joint à cette lettre les procès-verbaux relatifs aux marchés litigieux ainsi que les actes d'engagement correspondant à ces marchés.

21 Par note du 16 décembre 1997, les autorités françaises ont transmis à la Commission des documents complémentaires, à savoir les cahiers des clauses administratives particulières et les séries de prix des marchés litigieux.

22 N'étant pas satisfaite de la réponse du Gouvernement français à l'avis motivé, la Commission a introduit le présent recours.

Sur l'applicabilité de la directive aux marchés litigieux, eu égard à son absence de transposition à l'époque des faits

23 Il est constant que, à la fin de l'année 1994 et au début de l'année 1995, période au cours de laquelle s'est déroulée la procédure de passation des marchés litigieux, la République française n'avait pas encore transposé la directive dans le droit interne (voir arrêt du 29 mai 1997, Commission/France, C-311-96, Rec. p. I-2939).

24 Cette circonstance n'est toutefois pas de nature à s'opposer à l'applicabilité de la directive aux marchés litigieux, le délai de transposition de celle-ci, fixé à son article 45, paragraphe 1, ayant expiré le 1er juillet 1994, donc antérieurement au déroulement de la procédure de passation desdits marchés.

Sur les griefs invoqués

25 À l'appui de son recours, la Commission invoque deux séries de griefs.

26 En premier lieu, les marchés litigieux auraient été conclus en méconnaissance de l'article 14, paragraphes 1, 10 et 13, ainsi que des articles 21, 24, 25 et 4, paragraphe 2, de la directive ; en effet, alors qu'ils constituaient en réalité des lots d'un ouvrage unique, celui-ci aurait été artificiellement scindé tant du point de vue technique que du point de vue géographique, ce qui aurait entraîné la violation des dispositions de la directive en matière de seuil, de publicité et d'égalité de traitement entre soumissionnaires.

27 En second lieu, les avis de marché que les autorités françaises ont transmis aux fins de publication au JOCE auraient été incomplets, ce qui serait la source de manquements distincts aux obligations découlant des dispositions de la directive.

28 En vue de statuer sur les manquements reprochés, il convient au préalable d'examiner s'il y a eu scission artificielle entre plusieurs marchés d'un ouvrage unique au sens de l'article 14, paragraphes 10, premier alinéa, et 13, de la directive. Si, au terme de cet examen, il s'avérait que tel a été effectivement le cas, il conviendrait alors d'analyser les manquements reprochés au regard des autres dispositions de la directive.

Sur le grief tiré de la prétendue scission artificielle d'un ouvrage unique au sens de l'article 14, paragraphes 10, premier alinéa, et 13, de la directive

Observations préliminaires

29 En vue de circonscrire la notion d'ouvrage aux fins du présent litige, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon l'article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive, "Le calcul de la valeur d'un marché de travaux aux fins de l'application du paragraphe 1 doit être fondé sur la valeur totale de l'ouvrage. On entend par ouvrage le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique et technique".

30 L'article 14, paragraphe 13, précise que "Les entités adjudicatrices ne peuvent pas contourner l'application de la présente directive en scindant les marchés ou en utilisant des modalités particulières de calcul de la valeur des marchés".

31 Cette disposition exprime de manière concrète les obligations qui découlent pour les entités adjudicatrices de l'article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive et doit, dès lors, être prise en considération conjointement avec ce dernier en vue de statuer sur l'existence d'une scission d'ouvrage.

32 Le Gouvernement français conteste la pertinence en l'espèce de la notion d'ouvrage. Il soutient que ce n'est pas la réalisation d'un ouvrage qui justifie le respect des procédures que prévoit la directive dès lors que le seuil défini par celle-ci est atteint, mais le fait que les marchés dont il s'agit ont pour objet "des travaux de bâtiment ou de génie civil visés à l'annexe XI" de ladite directive, ainsi que le précise l'article 1er, point 4, sous b), de celle-ci.

33 Il y a lieu de relever à cet égard que l'argumentation invoquée par le Gouvernement français concerne les conditions d'application de la directive à un "marché de travaux", tel qu'il est défini à son article 1er, point 4, sous b), et non pas les conditions auxquelles des marchés de travaux au sens de cette disposition doivent être regardés comme faisant partie d'un ouvrage unique, en vue de vérifier si le seuil d'application de la directive, fixé à son article 14, paragraphe 1, sous c), est atteint. Or, seule cette dernière question importe en l'espèce, la Commission ayant précisément reproché à la République française la méconnaissance de ce seuil d'application, en raison de la scission artificielle de l'ouvrage concerné.

34 Dès lors, ladite argumentation du Gouvernement français doit être rejetée.

35 Il convient également de préciser les critères au regard desquels doit être appréciée l'existence d'un ouvrage.

36 À cet égard, il résulte de la définition de l'ouvrage figurant à l'article 14, paragraphe 10, premier alinéa, seconde phrase, de la directive que l'existence d'un ouvrage doit être appréciée par rapport à la fonction économique et technique du résultat des travaux concernés.

37 En l'espèce, il s'agit d'une série de travaux ponctuels d'entretien et d'extension qui portent sur des réseaux de distribution d'électricité et d'éclairage public existants, et dont le résultat, lorsqu'ils seront achevés, fera partie intégrante de la fonction remplie par les réseaux concernés.

38 Il s'ensuit que, pour ce type de travaux, l'appréciation de l'existence d'un ouvrage doit être effectuée par rapport à la fonction économique et technique que remplissent les réseaux de distribution d'électricité et d'éclairage public en question.

39 Lors de la procédure écrite, tant la Commission que le Gouvernement français ont développé leur argumentation en partant de la prémisse selon laquelle l'existence d'une seule et même entité adjudicatrice est une condition nécessaire pour qu'une série de marchés puisse être considérée comme tendant à la réalisation d'un ouvrage unique.

40 Interrogée à ce sujet lors de l'audience, la Commission a toutefois précisé que l'existence d'une seule et même entité adjudicatrice n'est pas une condition nécessaire, mais seulement un indice de l'existence d'un seul ouvrage.

41 Au cours de l'audience, la Commission a également soutenu que des marchés doivent être regardés comme tendant à la réalisation d'un ouvrage unique lorsqu'ils présentent entre eux un lien tel qu'une entreprise de la Communauté pourra les considérer comme une même opération économique et se porter candidate pour la réalisation de l'ensemble.

42 Il convient de relever que, si l'existence d'une seule et même entité adjudicatrice et la possibilité pour une entreprise de la Communauté de réaliser l'ensemble des travaux qui sont visés par les marchés concernés peuvent, selon les circonstances, constituer des indices corroborant l'existence d'un ouvrage au sens de la directive, elles ne sauraient, en revanche, constituer des critères déterminants à cet égard. Ainsi, la pluralité d'entités adjudicatrices et l'impossibilité de réalisation de l'ensemble des travaux concernés par une seule entreprise ne sont pas de nature à remettre en cause l'existence d'un ouvrage lorsque cette conclusion s'impose en application des critères fonctionnels définis à l'article 14, paragraphe 10, premier alinéa, seconde phrase, de la directive.

43 En effet, la définition de la notion d'ouvrage que comporte cette disposition ne subordonne pas l'existence d'un ouvrage au concours d'éléments tels que le nombre d'entités adjudicatrices ou la possibilité de réalisation de l'ensemble des travaux par une seule entreprise.

44 Cette interprEtation est conforme à l'objectif de la directive qui est de garantir que des entreprises d'autres Etats membres seront en mesure de soumissionner des marchés ou des ensembles de marchés susceptibles de présenter un intérêt pour des raisons objectives tenant à leur valeur.

45 D'une part, il est concevable que, pour des motifs de nature administrative ou autre, un programme de travaux tendant à la réalisation d'un ouvrage au sens de la directive puisse faire l'objet de plusieurs procédures, dont l'initiative reviendrait à différents pouvoirs adjudicateurs. Tel pourrait être le cas, par exemple, de la construction d'une route traversant le territoire de plusieurs collectivités locales, dont chacune détient la responsabilité administrative sur une partie de la route. Dans une telle hypothèse, l'objectif susmentionné ne serait pas atteint si l'application de la directive était exclue au motif que la valeur estimée de chaque partie de l'ouvrage est inférieure au seuil de 5 000 000 écus.

46 D'autre part, une entreprise de la Communauté peut souhaiter être informée de la valeur de l'ensemble des lots qui constituent un ouvrage, même si elle n'est pas en mesure de réaliser la totalité de ceux-ci, car c'est seulement de cette manière qu'elle peut apprécier l'étendue exacte du marché et ajuster ses prix en fonction du nombre des lots pour lesquels elle se propose de soumissionner, y compris, le cas échéant, ceux dont la valeur est inférieure au seuil de 5 000 000 écus.

47 Il résulte de ce qui précède que c'est au regard des critères fixés à l'article 14, paragraphe 10, premier alinéa, seconde phrase, de la directive, tels que précisés au point 38 du présent arrêt, que doit être appréciée l'existence d'un ouvrage en l'espèce.

48 La Commission ayant reproché à la République française la scission de l'ouvrage concerné à la fois sur une base technique (marchés distincts en matière d'électrification et d'éclairage public) et sur une base géographique (marchés distincts au niveau de chaque syndicat intercommunal), il convient d'examiner, en premier lieu, s'il y a eu scission entre travaux d'électrification et travaux d'éclairage public soit au niveau départemental, soit au niveau intercommunal ; si tel n'est pas le cas, il conviendra de rechercher, en second lieu, s'il y a eu scission à l'intérieur de chacune de ces deux catégories de travaux.

Quant au grief tiré d'une scission artificielle de l'ouvrage entre travaux d'électrification et travaux d'éclairage public

49 À l'appui de son grief, la Commission invoque notamment la circonstance que le réseau de sonorisation est mentionné tant dans tous les avis de marché en matière d'électrification que dans ceux en matière d'éclairage public. Elle invoque également les avis de marché publiés par les syndicats départementaux de la Dordogne et du Calvados qui ne font pas la distinction entre les travaux d'éclairage public et les travaux d'électrification.

50 Le Gouvernement français fait valoir que, en l'espèce, il s'agit de réseaux de distribution locale d'électricité ou d'éclairage public indépendants les uns des autres et que, par conséquent, les travaux portant sur ces réseaux ne concourent pas à la mise en place d'un ouvrage unique doté d'une continuité fonctionnelle ou économique.

51 Conformément à la constatation effectuée au point 38 du présent arrêt, il convient, en vue de se prononcer sur ce grief, de prendre en considération la fonction économique et technique remplie par les réseaux concernés de distribution d'électricité et d'éclairage public.

52 Un réseau de distribution d'électricité est, d'un point de vue technique, destiné à transporter l'électricité produite par un fournisseur au consommateur individuel final ; ce dernier est, sur le plan économique, tenu de payer le fournisseur en fonction de sa consommation.

53 En revanche, un réseau d'éclairage public est, d'un point de vue technique, destiné à éclairer des lieux publics en utilisant à cet effet l'énergie électrique que procure le réseau de distribution d'électricité. L'autorité qui assure l'éclairage public en supporte elle-même le coût, quitte à recouvrer par la suite les sommes exposées auprès de la population desservie, sans moduler les montants exigés en fonction de l'utilité retirée par les personnes concernées.

54 Il en résulte qu'un réseau de distribution d'électricité et un réseau d'éclairage public ont une fonction économique et technique différente.

55 Il convient d'ajouter que cette différence de fonction reste la même, que l'on se situe au niveau départemental ou au niveau intercommunal.

56 Dès lors, les travaux portant sur les réseaux de distribution d'électricité et d'éclairage public ne sauraient être considérés comme constituant des lots d'un ouvrage unique scindé artificiellement en méconnaissance de l'article 14, paragraphes 10, premier alinéa, et 13, de la directive.

57 Cette constatation ne saurait être remise en cause par les éléments invoqués par la Commission.

58 D'une part, la circonstance que les travaux en matière de sonorisation sont mentionnés tant dans les avis en matière d'électrification que dans ceux en matière d'éclairage public ne signifie pas que les réseaux correspondants remplissent la même fonction économique et technique. En effet, cette mention pourrait s'expliquer par le fait que des parties d'un réseau de sonorisation passent par les gaines de distribution électrique et par les mâts d'éclairage public, en sorte que des travaux sur chacun de ces réseaux impliquent des interventions sur le réseau de sonorisation.

59 D'autre part, la circonstance que, dans deux autres départements français, les entités adjudicatrices ont choisi de faire figurer sur le même avis de marché les travaux en matière d'électrification et ceux concernant l'éclairage public n'est pas de nature à affecter la fonction économique et technique différente que ces réseaux sont destinés à remplir.

60 Dans ces conditions, le grief tiré d'une scission artificielle de l'ouvrage entre travaux d'électrification et travaux d'éclairage public doit être rejeté.

Quant au grief tiré de la scission artificielle de l'ouvrage en ce qui concerne les travaux d'électrification

61 La Commission reproche aux autorités françaises d'avoir artificiellement scindé entre plusieurs entités à l'intérieur du département de la Vendée l'ouvrage concernant les travaux d'électrification. Elle invoque à cet égard la contiguïté géographique des réseaux, la simultanéité des programmes de travaux, la description identique de ces travaux dans les avis de marché correspondants et la coordination d'ensemble assurée par le Sydev.

62 Le Gouvernement français fait valoir en revanche que chaque syndicat intercommunal a conclu un marché séparé pour le réseau relevant de son ressort. Il précise à cet égard que les syndicats intercommunaux ont la responsabilité des réseaux de distribution d'énergie électrique à basse tension à partir des transformateurs qui alimentent en électricité les consommateurs situés sur le territoire de leur ressort.

63 Le fait que ces transformateurs puissent être eux-mêmes reliés à un réseau de lignes à haute tension ne permettrait pas d'affirmer que l'ensemble constitue un réseau unique et que, en conséquence, toutes les interventions effectuées sur ce réseau doivent être considérées comme relevant d'un ouvrage unique. S'il en était ainsi, il conviendrait de considérer comme lot d'un ouvrage unique toute intervention sur le réseau de distribution d'électricité français dans son ensemble ; or, une telle conception serait excessive et irait à l'encontre de la lettre et de l'esprit de la réglementation communautaire en matière de marchés publics, qui n'a d'autre objet que de permettre une coordination des procédures de passation de tels contrats.

64 Il convient de constater à cet égard que, même si, pour des raisons d'ordre administratif, les syndicats intercommunaux de la Vendée ont la responsabilité des réseaux de distribution d'électricité à basse tension sur le territoire des communes qui en font partie, cet élément ne saurait, pour les motifs indiqués aux points 43 et 45 du présent arrêt, être déterminant, dès lors que ces réseaux sont interconnectables et que, considérés dans leur ensemble, ils remplissent une même fonction économique et technique, qui consiste en l'acheminement et la vente aux consommateurs du département de la Vendée de l'énergie électrique produite et fournie par l'Électricité de France.

65 Concernant l'argument du Gouvernement français selon lequel un tel raisonnement serait susceptible de s'appliquer à l'ensemble du réseau de distribution d'électricité français, il convient de relever que chaque cas de passation d'un marché doit être apprécié en fonction de son contexte et de ses propres particularités. En l'espèce, il existe des éléments importants, tels que la simultanéité de lancement des marchés litigieux, la similitude des avis de marché, l'unité du cadre géographique à l'intérieur duquel ces marchés ont été lancés et la coordination assurée par le Sydev, organisme regroupant les syndicats intercommunaux d'électrification au niveau départemental, qui plaident pour le regroupement desdits marchés à ce niveau.

66 Il convient donc d'accueillir ce grief de la Commission et de constater que les marchés en matière d'électrification font partie d'un ouvrage unique qui a été scindé artificiellement. Dès lors, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 14, paragraphes 10, premier alinéa, et 13, de la directive.

Quant au grief tiré de la scission artificielle de l'ouvrage en ce qui concerne les travaux d'éclairage public

67 La Commission fait valoir que l'ouvrage concernant les travaux d'éclairage public a été artificiellement scindé entre plusieurs entités à l'intérieur du département de la Vendée. Elle invoque à l'appui de son grief les mêmes arguments que ceux qu'elle a soulevés au soutien du grief concernant les travaux d'électrification.

68 Le Gouvernement français a, lors de la procédure écrite, souligné le caractère local et l'indépendance des réseaux d'éclairage public.

69 Il convient de constater à cet égard que, à la différence d'un réseau de distribution d'électricité, les réseaux d'éclairage public ne sont pas, d'un point de vue technique, nécessairement interdépendants, puisqu'ils peuvent être limités aux zones bâties et que l'existence d'une interconnexion entre eux ne s'impose pas. De même, sur le plan économique, il est possible que les entités locales concernées supportent chacune la charge financière qui résulte de l'exploitation d'un tel réseau. Au vu de ces éléments, il appartenait à la Commission d'établir que, du point de vue technique et économique, les réseaux d'éclairage public concernés en l'espèce revêtaient un caractère unitaire au niveau départemental. Or, la Commission n'a invoqué aucun élément en ce sens.

70 Il s'ensuit que, même si la fonction économique et technique de chaque réseau d'éclairage public est la même que celle de tous les autres à l'intérieur du département de la Vendée, il n'est pas possible de considérer que tous ces réseaux forment un ensemble ayant une fonction économique et technique unique au niveau départemental.

71 Dès lors, ce grief de la Commission doit être rejeté.

72 Lors de l'audience, le Gouvernement français a exprimé des doutes concernant la question de savoir si les travaux en matière d'éclairage public relèvent du champ d'application de la directive 93-38 ou de celui de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54). Il a soutenu à cet effet qu'un réseau d'éclairage public ne concerne pas la production, l'alimentation, le transport ou la distribution d'électricité, ainsi que l'exige l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 93-38, mais qu'il a davantage trait à une activité relative à la consommation d'électricité.

73 Indépendamment de la question de savoir s'il convient de prendre en considération un tel moyen, compte tenu du stade de la procédure auquel il a été invoqué, il suffit de relever que, eu égard aux constatations effectuées aux points 56 et 71 du présent arrêt, il n'y a pas lieu d'examiner si les travaux en matière d'éclairage public relèvent du champ d'application de la directive.

Sur le grief tiré de la méconnaissance des obligations en matière de seuil résultant de l'article 14, paragraphes 1, sous c), et 10, second alinéa, de la directive

74 La Commission fait grief aux autorités françaises d'avoir, en procédant à la scission artificielle du marché relatif aux travaux litigieux, méconnu les dispositions de la directive en matière de seuil.

75 Il convient de rappeler que l'article 14, paragraphe 1, sous c), fixe le seuil d'application de la directive à 5 000 000 écus et que, pour ce qui concerne les lots d'un ouvrage, le paragraphe 10, second alinéa, de la même disposition, tout en imposant de cumuler la valeur de tous les lots, permet de déroger à l'application de la directive pour les lots dont la valeur estimée hors TVA est inférieure à 1 000 000 écus, pour autant que le montant cumulé de ces lots n'excède pas 20 % de la valeur de l'ensemble des lots.

76 Compte tenu de la constatation effectuée au point 66 du présent arrêt, il y a lieu de vérifier si la valeur des marchés en matière d'électrification excède les seuils susmentionnés.

77 Or, il ressort du dossier que lesdits marchés, au nombre de 19, représentent une valeur totale estimée hors TVA à la somme de 483 000 000 francs sur les 3 années prévues. Ce montant excède de beaucoup le seuil de 5 000 000 écus, lequel, à l'époque considérée, équivalait à une somme de 33 966 540 francs.

78 Il en découle que les autorités françaises auraient dû appliquer la directive à tous les lots composant le marché relatif aux travaux d'électrification, hormis ceux dont la valeur unitaire estimée hors TVA était inférieure au seuil de 1 000 000 écus, lequel, à l'époque considérée, équivalait à une somme de 6 793 308 francs, pour autant que leur montant cumulé n'excédât pas 20 % de la valeur totale de l'ensemble des lots.

79 Il résulte des éléments fournis par la Commission en réponse à une question posée par la Cour que, parmi les marchés en matière d'électrification, un seul de ceux-ci, dont la valeur estimée hors TVA était de 6 000 000 francs, n'excédait pas le seuil de 1 000 000 écus. La valeur de ce marché était également inférieure aux 20 % de la valeur totale estimée hors TVA de l'ensemble des travaux d'électrification.

80 Or, les autorités françaises n'ont pas publié un appel à la concurrence au niveau communautaire pour les 18 autres marchés d'électrification, mais seulement pour 6 d'entre eux. Dès lors, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 14, paragraphes 1, sous c), et 10, second alinéa, de la directive.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 21, paragraphes 1 et 5, de la directive

81 Il convient de rappeler que, selon l'article 21, paragraphe 1, de la directive, la mise en concurrence d'un marché doit être effectuée au moyen d'un avis établi conformément à un modèle repris à l'annexe XII de celle-ci ; ladite disposition prévoit, à son paragraphe 5, que cet avis doit être publié au JOCE.

82 La Commission reproche, d'une part, aux autorités françaises d'avoir, en raison de la scission de l'ouvrage concernant les travaux d'électrification, omis de publier un avis à la concurrence au JOCE pour l'ensemble des marchés formant cet ouvrage, s'étant limitées à le faire pour seulement 6 d'entre eux.

83 D'autre part, les avis relatifs à ces 6 marchés, que les autorités françaises avaient envoyés aux fins de publication au JOCE, n'étaient pas, selon la Commission, conformes au modèle figurant à l'annexe XII de la directive, puisque les informations contenues dans ces avis étaient incomplètes et n'avaient pas permis de remplir plusieurs des rubriques prévues au modèle. Ce comportement constituerait un manquement supplémentaire à l'article 21, paragraphe 1, de la directive.

84 Ainsi qu'il a déjà été constaté au point 80 du présent arrêt, les autorités françaises se sont limitées à publier un appel à la concurrence au niveau communautaire pour seulement 6 des 18 marchés relatifs aux travaux d'électrification pour lesquels elles étaient tenues de publier un tel avis. La République française a ainsi manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 21, paragraphes 1 et 5, de la directive, pour ce qui concerne les 12 autres marchés.

85 En ce qui concerne les avis publiés au JOCE pour les 6 marchés en matière d'électrification, il y a lieu de constater que, comme la République française le reconnaît, cette publication a un caractère incomplet.

86 Il en résulte que, pour ce qui concerne ces avis, la République française a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 21, paragraphe 1, de la directive.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 24, paragraphes 1 et 2, de la directive

87 La Commission reproche aux autorités françaises d'avoir omis de lui communiquer les résultats de la procédure de passation concernant les marchés en matière d'électrification, y compris ceux pour lesquels un avis de marché avait été publié au JOCE, ce qui a empêché la publication dans celui-ci de l'avis d'attribution de ces marchés, en méconnaissance des obligations qui découlent de l'article 24 de la directive.

88 Le Gouvernement français admet le manquement reproché en ce qui concerne les 6 marchés pour lesquels un avis avait été publié au JOCE. Pour les autres marchés, il maintient son argumentation selon laquelle, en l'absence de scission technique ou géographique, lesdits marchés n'étaient pas visés par la directive.

89 Il convient de rappeler que l'article 24, paragraphe 1, de la directive impose aux entités adjudicatrices qui ont passé un marché de communiquer à la Commission les résultats de la procédure de passation au moyen d'un avis. Le paragraphe 2 de la même disposition détermine les informations qui sont publiées au JOCE.

90 En l'espèce, il est constant que les autorités françaises n'ont pas communiqué à la Commission les résultats des 18 procédures de passation concernant les marchés en matière d'électrification, auxquelles la directive était applicable.

91 Par conséquent, il convient de constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 24, paragraphes 1 et 2, de la directive.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 25 de la directive

92 La Commission fait valoir que le manquement de la République française aux articles 21 et 24 de la directive entraîne également un manquement aux dispositions de l'article 25 de celle-ci, qui concernent la transmission et la publication des avis.

93 Il convient de rappeler que, selon l'article 25, paragraphe 1, de la directive, les entités adjudicatrices doivent être en mesure de fournir la preuve de la date d'envoi des avis prévus aux articles 20 à 24. Le paragraphe 5 de la même disposition précise que les marchés pour lesquels un avis est publié au JOCE ne doivent pas être publiés avant la date d'envoi de cet avis à l'Office des publications officielles des Communautés européennes.

94 Eu égard à sa formulation générale, le grief de la Commission semble concerner aussi bien les cas des marchés en matière d'électrification, dans lesquels aucun avis de marché ou d'attribution n'a pu être envoyé ni publié au JOCE, que les cas dans lesquels un avis de marché, fût-il incomplet, a fait l'objet d'une publication dans celui-ci.

95 Dès lors, la Cour doit nécessairement distinguer les deux cas de figure pour apprécier le grief invoqué par la Commission.

96 En premier lieu, en ce qui concerne les marchés en matière d'électrification pour lesquels aucun avis de marché ou d'attribution n'a été envoyé aux fins de publication au JOCE, alors que la directive leur était applicable, il ne saurait y avoir, en raison même de ce défaut d'envoi, de manquement à l'article 25, paragraphe 1, de la directive, cette disposition n'étant susceptible de trouver à s'appliquer que s'il a été effectivement procédé à un tel envoi.

97 Étant donné, toutefois, que dans tous ces cas des avis ont été publiés au BOAMP, il convient de constater un manquement à l'article 25, paragraphe 5, de la directive.

98 S'agissant, en second lieu, des cas des marchés en matière d'électrification dans lesquels un avis de marché a été publié au JOCE, à supposer même qu'ils soient visés par ce grief de la Commission, il convient de relever, au vu des documents communiqués à la Cour, que ces avis mentionnaient la date de leur envoi, laquelle n'est pas contestée par la Commission, et qu'ils ont été envoyés le même jour aux fins de publication au BOAMP.

99 Dans ces conditions, aucun manquement à l'article 25, paragraphes 1 et 5, ne saurait être constaté en ce qui concerne ces avis.

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 4, paragraphe 2, de la directive

100 La Commission reproche à la République française d'avoir méconnu l'article 4, paragraphe 2, de la directive. Ce grief découlerait de ce que l'ensemble des marchés en matière d'électrification a fait l'objet d'une publication au niveau national, alors que seuls certains d'entre eux ont été publiés au niveau communautaire, qui plus est d'une manière incomplète.

101 La différence entre les deux séries d'avis publiés au BOAMP et au JOCE serait de nature à induire en erreur et à désavantager les soumissionnaires des autres Etats membres par rapport à leurs concurrents de l'Etat membre dans lequel lesdits marchés doivent être passés. Il serait en effet moins intéressant pour une entreprise ne bénéficiant pas d'une implantation locale de répondre à 6 appels d'offres différents, d'un montant unitaire à peine supérieur à 5 000 000 écus, plutôt qu'à un appel d'offres de près de 100 000 000 écus. En outre, un soumissionnaire ignorant l'étendue exacte du marché proposera normalement, selon la Commission, un prix moins compétitif, toutes choses étant égales par ailleurs, qu'un soumissionnaire ayant une connaissance de l'ensemble des marchés.

102 Le Gouvernement français maintient à titre principal sa thèse selon laquelle aucune scission artificielle n'a eu lieu en l'espèce. À titre subsidiaire, il soutient que la procédure retenue n'a pas entraîné de discrimination entre les soumissionnaires, puisque tous les candidats ont été invités à exprimer leur offre sous la forme d'un écart en plus ou en moins par rapport à la série de prix proposée par les entités adjudicatrices.

103 Il y a lieu de rappeler que, selon l'article 4, paragraphe 2, de la directive, "Les entités adjudicatrices veillent à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services".

104 Eu égard à la nature du grief de la Commission, il y a lieu de vérifier en premier lieu si cette disposition impose l'absence de discrimination entre les soumissionnaires, y compris les soumissionnaires potentiels.

105 À cet égard, il convient de prendre en considération l'article 1er, point 6, de la directive qui énonce que, aux fins de celle-ci, on entend par "soumissionnaire" le fournisseur, l'entrepreneur ou le prestataire de services qui présente une offre.

106 Il en résulte que, en se référant aux fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services, l'article 4, paragraphe 2, de la directive vise également les soumissionnaires.

107 S'agissant de la question de savoir si cette disposition vise aussi les soumissionnaires potentiels, il y a lieu de constater que le principe de non-discrimination qui y est énoncé s'applique à toutes les phases de la procédure de passation d'un marché, et non pas seulement à partir du moment où un entrepreneur a présenté une offre.

108 Cette interprEtation est conforme à la finalité de la directive qui vise à ouvrir les marchés auxquels elle s'applique à la concurrence communautaire. En effet, il serait porté atteinte à cette finalité si une entité adjudicatrice pouvait organiser une procédure de passation de telle manière que les entrepreneurs des Etats membres autres que celui dans lequel les marchés sont passés seraient dissuadés de soumissionner.

109 Il s'ensuit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive, en interdisant toute discrimination entre les soumissionnaires, protège également ceux qui ont été dissuadés de soumissionner, parce qu'ils ont été désavantagés par les modalités de la procédure qu'a suivie une entité adjudicatrice.

110 En second lieu, il convient de vérifier si la publication au niveau communautaire d'une partie seulement des marchés en matière d'électrification était constitutive d'une discrimination au sens de l'article 4, paragraphe 2.

111 Il y a lieu de constater à cet égard que, en l'absence d'une publication complète au niveau communautaire des marchés en matière d'électrification auxquels s'appliquait la directive, les entrepreneurs d'autres Etats membres n'ont pas été mis en mesure de prendre une décision en prenant en considération tous les éléments utiles dont ils auraient dû avoir connaissance. En revanche, les entrepreneurs qui étaient en mesure de consulter le BOAMP, dont la majorité étaient probablement des ressortissants de l'Etat membre dans lequel les marchés d'électrification ont été passés, ont disposé d'informations concernant l'étendue exacte de l'ouvrage concernant les travaux d'électrification.

112 Dès lors, il convient de constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4, paragraphe 2, de la directive.

113 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, les entités françaises compétentes pour la procédure de passation du marché en matière d'électrification, lancée en Vendée en décembre 1994,

- ayant scindé cet ouvrage,

- n'ayant pas publié au JOCE un appel à la concurrence pour l'intégralité des marchés composant cet ouvrage et excédant le seuil prévu à l'article 14, paragraphe 10, second alinéa, dernière phrase, de la directive, mais s'étant limitées à le faire pour 6 d'entre eux seulement,

- n'ayant pas communiqué toutes les informations prévues à l'annexe XII de la même directive en ce qui concerne les 6 appels à la concurrence publiés au JOCE,

- ayant omis de communiquer à la Commission les informations requises quant à l'attribution de l'ensemble des marchés composant cet ouvrage et excédant le seuil prévu à l'article 14, paragraphe 10, second alinéa, dernière phrase, de la directive,

la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 2, 14, paragraphes 1, 10 et 13, ainsi que des articles 21, paragraphes 1 et 5, 24, paragraphes 1 et 2, et 25, paragraphe 5, de cette directive.

Sur les dépens

114 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, de cette disposition, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

115 La Commission et la République française ayant succombé partiellement en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête :

1°) Les entités françaises compétentes pour la procédure de passation du marché en matière d'électrification, lancée en Vendée en décembre 1994,

- ayant scindé cet ouvrage,

- n'ayant pas publié au Journal officiel des Communautés européennes un appel à la concurrence pour l'intégralité des marchés composant cet ouvrage et excédant le seuil prévu à l'article 14, paragraphe 10, second alinéa, dernière phrase, de la directive 93-38-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, mais s'étant limitées à le faire pour 6 d'entre eux seulement,

- n'ayant pas communiqué toutes les informations prévues à l'annexe XII de la directive 93-38 en ce qui concerne les 6 appels à la concurrence publiés au Journal officiel des Communautés européennes,

- ayant omis de communiquer à la Commission les informations requises quant à l'attribution de l'ensemble des marchés composant cet ouvrage et excédant le seuil prévu à l'article 14, paragraphe 10, second alinéa, dernière phrase, de la directive 93-38,

la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 2, 14, paragraphes 1, 10 et 13, ainsi que des articles 21, paragraphes 1 et 5, 24, paragraphes 1 et 2, et 25, paragraphe 5, de cette directive.

2°) Le recours est rejeté pour le surplus.

3°) La Commission des Communautés européennes et la République française supporteront leurs propres dépens.