CJCE, 7 février 1985, n° 186-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Botzen
Défendeur :
Rotterdamsche Droogdok Maatschappij BV
LA COUR,
1. Par jugement du 25 août 1983, parvenu à la Cour le 1er septembre suivant, le Kantonrechter de Rotterdam a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de certaines dispositions de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26).
2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'une procédure engagée par M. Arie Botzen et autres contre la Rotterdamsche Droogdok Maatschappij BV.
3. Les requérants au principal étaient employés de la Rotterdamsche Droogdok Maatschappij Heijplaat BV (dénommée ci-après 'ancienne RDM '), laquelle fut déclarée en faillite par jugement du 6 avril 1983. Afin d'éviter une liquidation totale de cette société et en vue de sauvegarder une fraction aussi grande que possible des postes de travail, une nouvelle société, la Rotterdamsche Droogdok Maatschappij BV (dénommée ci-après 'nouvelle RDM '), a été constituée dès le 30 mars 1983.
4. Le 7 avril 1983, un accord fut conclu entre l'ancienne RDM et la nouvelle RDM. Aux termes de cet accord, la nouvelle RDM a repris certaines divisions de l'entreprise, y compris l'ensemble du personnel y affecté, et a repris, en outre, un certain nombre d'employés des divisions non transférées, à savoir des services généraux et administratifs. En revanche, les autres travailleurs, dont les requérants au principal, furent congédiés par les syndics de l'ancienne RDM.
5. Estimant que ce licenciement n'était pas valide dès lors qu'ils seraient entr"s de plein droit, à la date du transfert, au service de la nouvelle RDM, les requérants au principal ont introduit un recours contre celle-ci devant le Kantonrechter de Rotterdam visant au paiement du salaire dû à compter du 7 avril 1983 jusqu'au jour où la relation de travail sera terminée. Ils ont demandé en outre, à titre de mesure provisoire, la condamnation de la nouvelle RDM à leur payer, avec effet au 7 avril 1983, ou, subsidiairement, à compter de la date de la décision à rendre, un montant mensuel équivalant à leur salaire, ainsi qu'à leur permettre d'effectuer leur travail habituel. A l'appui de leur recours, ils font valoir que la transaction dont il s'agit doit être considérée comme un transfert d'entreprise ou d'une partie d'entreprise au sens des articles 1639 a) et 1639 b) du Code civil néerlandais, introduits par la loi du 15 mai 1981 aux fins de la mise en œuvre de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977.
6. Ladite directive, arrêtée par le Conseil sur la base notamment de l'article 100 du traité, vise, aux termes de ses considérants, à "protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en particulier pour assurer le maintien de leurs droits". A cette fin, elle dispose, à son article 3, paragraphe 1, que "les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire". L'article 4, paragraphe 1, assure la protection des travailleurs concernés contre le licenciement par le cédant ou le cessionnaire, sans préjudice, toutefois, des "licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi". En outre, la directive impose, à son article 6, au cédant et au cessionnaire certaines obligations d'informer et de consulter les représentants des travailleurs concernés par le transfert. Enfin, l'article 7 précise que la directive "ne porte pas atteinte à la faculté des Etats membres d'appliquer ou d'introduire des dispositions... plus favorables aux travailleurs".
7. Estimant que la décision à rendre dépendait de questions relatives à l'interprétation de la directive 77-187, précitée, le Kantonrechter de Rotterdam a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
" 1°) Le champ d'application de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE s'étend-il également à la situation dans laquelle le cédant de l'entreprise a été déclaré en état de faillite ou a obtenu une "surseance van betaling" (règlement judiciaire) ?
2°) Le champ d'application de ladite directive s'étend-il également aux droits et obligations qui découlent pour le cédant des contrats de travail existant à la date du transfert et conclus avec des travailleurs qui n'exercent pas exclusivement des activités comportant l'utilisation de moyens d'exploitation affectés à la partie de l'entreprise qui a été transférée ?
3°) Le champ d'application de ladite directive s'étend-il également aux droits et obligations qui découlent pour le cédant de contrats de travail existant à la date du transfert et conclus avec des travailleurs affectés à un service administratif de l'entreprise (par exemple au service général d'exploitation, au service du personnel, etc.) qui effectuait certes des tâches au profit de la partie transférée de l'entreprise, mais qui n'a pas été transféré lui-même ? "
Sur la première question
8. La première question est identique à une question posée dans l'affaire 135-83, Abels, qui fait l'objet d'un arrêt de ce jour.
9 Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit, pour ce qui est de ladite question, que :
"L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, ne s'applique pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement dans une situation dans laquelle le cédant a été déclaré en état de faillite, étant entendu que l'entreprise ou l'établissement en cause fait partie de la masse de faillite, sans préjudice toutefois de la faculté des Etats membres d'appliquer à un tel transfert de façon autonome les principes de la directive. Celle-ci s'applique cependant au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement à un autre chef d'entreprise intervenu dans le cadre d'une procédure du type de celle d'une "surseance van betaling" (sursis de paiement)."
10. Pour la motivation, il y a lieu de renvoyer à l'arrêt précité, dont le texte est joint au présent arrêt.
Sur les deuxième et troisième questions
11. Les deuxième et troisième questions visent en substance à savoir si l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il englobe également les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert et conclu avec des travailleurs qui, bien que n'appartenant pas à la partie transférée de l'entreprise, exercent certaines activités comportant l'utilisation de moyens d'exploitation affectés à la partie transférée ou qui, étant affectés à un service administratif de l'entreprise qui n'a pas été lui-même transféré, effectuaient certaines tâches au profit de la partie transférée.
12. Aux termes de la disposition susvisée, "les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire".
13. A cet égard, la Rotterdamsche Droogdok Maatschappij fait valoir que seuls les travailleurs occupés à temps plein ou substantiellement à temps plein dans la partie transférée de l'entreprise sont visés par le transfert de leur relation de travail, à l'exclusion de ceux effectuant des tâches partielles dans différents établissements ou parties d'établissements et de ceux qui, tout en travaillant pour plusieurs établissements ou parties d'établissements, font partie des effectifs restants.
14. En revanche, la Commission estime que le seul critère déterminant pour le transfert des droits et obligations des travailleurs consiste dans la question de savoir si le service auquel ils étaient affectés et dans le cadre duquel se concrétisait, du point de vue de l'organisation, leur relation de travail, est transféré ou non.
15. Le point de vue de la Commission doit être retenu. En effet, la relation de travail est essentiellement caractérisée par le lien qui existe entre le travailleur et la partie de l'entreprise ou de l'établissement à laquelle il est affecté pour exercer sa tâche. Pour apprécier si les droits et obligations résultant d'une relation de travail sont transférés, en vertu de la directive 77-187, du fait d'un transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, il suffit donc d'établir à quelle partie de l'entreprise ou de l'établissement le travailleur en cause se trouvait affecté.
16. Il y a donc lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il n'englobe pas les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert et conclu avec des travailleurs qui, bien que n'appartenant pas à la partie transférée de l'entreprise, exerçaient certaines activités comportant l'utilisation de moyens d'exploitation affectés à la partie transférée, ou qui, étant affectés à un service administratif de l'entreprise qui n'a pas été lui-même transféré, effectuaient certaines tâches au profit de la partie transférée.
Sur les dépens
17. Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais et danois ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour, statuant sur les questions à elle soumises par le Kantonrechter de Rotterdam, par jugement du 25 août 1983, dit pour droit :
1°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, ne s'applique pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement dans une situation dans laquelle le cédant a été déclaré en état de faillite, étant entendu que l'entreprise ou l'établissement en cause fait partie de la masse de faillite, sans préjudice toutefois de la faculté des Etats membres d'appliquer à un tel transfert de façon autonome les principes de la directive. Celle-ci s'applique cependant au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement à un autre chef d'entreprise intervenu dans le cadre d'une procédure du type de celle d'une "surseance van betaling" (sursis de paiement).
2°) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il n'englobe pas les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert et conclu avec des travailleurs qui, bien que n'appartenant pas à la partie transférée de l'entreprise, exerçaient certaines activités comportant l'utilisation de moyens d'exploitation affectés à la partie transférée, ou qui, étant affectés à un service administratif de l'entreprise qui n'a pas été lui-même transféré, effectuaient certaines tâches au profit de la partie transférée.