CJCE, 5 octobre 2000, n° C-337/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Moitinho de Almeida, Sevón
Rapporteur :
M. Skouris
Juges :
MM. Kapteyn, Puissochet, Jann, Ragnemalm, Wathelet
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 septembre 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, à l'occasion de la décision du 22 novembre 1996 attribuant à la société Matra-Transport (ci-après "Matra") le contrat d'ensemblier du projet de métro léger du district urbain de l'agglomération rennaise, la République française a méconnu les obligations découlant de la directive 93-38-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84), et en particulier de ses articles 4, paragraphe 2, et 20, paragraphe 2, sous c).
Cadre juridique
La réglementation communautaire
La directive 93-38
2 L'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 93-38 prévoit :
"1. Pour passer leurs marchés de fournitures, de travaux et de services ou organiser leurs concours, les entités adjudicatrices appliquent les procédures qui sont adaptées aux dispositions de la présente directive.
2. Les entités adjudicatrices veillent à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services."
3 Selon l'article 20, paragraphe 2, sous c), de la directive 93-38 :
"Les entités adjudicatrices peuvent recourir à une procédure sans mise en concurrence préalable dans les cas suivants :
...
c) lorsque, en raison de leur spécificité technique, artistique ou pour des raisons tenant à la protection des droits d'exclusivité, l'exécution du marché ne peut être confiée qu'à un fournisseur, un entrepreneur ou à un prestataire de services déterminé".
4 L'article 45, paragraphes 1 et 3, de la directive 93-38 dispose :
"1. Les États membres adoptent les mesures nécessaires pour se conformer à la présente directive et les appliquent au plus tard le 1er juillet 1994. ...
2. ...
3. La directive 90-531-CEE ne produit plus d'effets à partir de la date de mise en application de la présente directive par les États membres et cela sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne les délais visés à l'article 37 de ladite directive."
La directive 90-531-CEE
5 Hormis quelques différences rédactionnelles, les dispositions de la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 297, p. 1), concernant le principe de non-discrimination entre fournisseurs ou entrepreneurs (article 4) et les cas de recours autorisé à une procédure sans mise en concurrence préalable (article 15) avaient le même contenu que les dispositions correspondantes de la directive 93-38, reproduites aux points 2 et 3 du présent arrêt.
6 L'article 37, paragraphes 1 et 2, de la directive 90-531 prévoit :
"1. Les États membres adoptent les mesures nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 1er juillet 1992. Ils en informent immédiatement la Commission.
2. Les États membres peuvent prévoir que les mesures visées au paragraphe 1 ne s'appliquent qu'à partir du 1er janvier 1993.
..."
La réglementation nationale
7 L'article 104, II, du Code des marchés publics est libellé comme suit :
"Il peut être passé des marchés négociés sans mise en concurrence préalable lorsque l'exécution ne peut être réalisée que par un entrepreneur ou un fournisseur déterminé.
Il en est ainsi dans les cas suivants :
1°) Lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l'emploi d'un brevet d'invention, d'une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur ou un seul fournisseur ;
2°) Lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation qui, à cause des nécessités techniques, d'investissements préalables importants, d'installations spéciales ou de savoir-faire, ne peut être confiée qu'à un entrepreneur ou un fournisseur déterminé ;
3°) Pour les prestations mentionnées à la dernière phrase de l'article 108.
Ces marchés sont dispensés de l'avis public à la concurrence prévu à l'article 38."
Antécédents du litige
8 Par délibération n° 89-18, du 26 octobre 1989, le comité syndical du Syndicat intercommunal des transports collectifs de l'agglomération rennaise (ci-après le "Sitcar") a décidé de :
"1°) confirmer les décisions antérieures de doter l'Agglomération d'un Transport Collectif en Site Propre...
2°) retenir, pour la première ligne, les principes directeurs du tracé de l'étude 'TAU', soit :
- la desserte de Villejean d'Ouest en Est ; - la traversée du centre historique du Nord au Sud ;
- le passage à la gare assurant la meilleure interconnexion des trois réseaux de transport urbain, interurbain et ferroviaire ;
- la desserte des quartiers Alma-Châtillon et du Blosne dans sa partie la plus importante, le Sud-Est...
3°) opter pour la technologie de métro automatique léger VAL...
4°) solliciter de l'État le concours financier le plus élevé possible...
5°) établir tous les contacts utiles avec la Région et le Département sur les bases précédemment indiquées...
6°) autoriser le Bureau à procéder aux consultations nécessaires pour un examen lors d'une prochaine séance du Comité Syndical du contrat à intervenir pour les études d'Avant-Projet...
7°) décider d'étudier au plus tôt une modification de la clé de répartition actuelle de la contribution des communes au SITCAR..."
9 Par délibération n° 90-25, du 19 juillet 1990, le comité syndical du Sitcar a décidé de :
"1° prendre acte que les études et la réalisation de la part 'système et équipements liés au système' donneront lieu à la conclusion d'un marché d'ensemblier avec la société Matra-Transport, dès que celle-ci sera en mesure de s'engager sur un prix d'objectif garanti,
2°) approuver le principe d'un marché d'assistance et d'études d'accompagnement des études d'avant-projet sommaire de la part 'Génie Civil et équipements non liés au système' à conclure avec ladite société et autoriser Monsieur le Président du Comité à le signer."
10 Par lettre de son président-directeur général, du 9 juillet 1991, adressée au président du comité syndical du Sitcar, Matra a précisé que le prix garanti du projet de référence de mars 1991 s'élevait à 987 millions de FRF, valeur janvier 1991. Le président-directeur général de Matra a néanmoins indiqué que, à partir de ce prix, Matra avait recherché, à la demande du Sitcar, "des économies provenant à la fois d'apports complémentaires de Matra Transport et de propositions d'aménagements de programmes ne diminuant pas la qualité du service rendu". Sur cette base, le président-directeur général de Matra a proposé certaines modifications de données de programme au Sitcar et il a annoncé que, si ces données nouvelles étaient confirmées, la part "Système" du projet VAL pourrait être ramenée à un prix garanti de 953,2 millions de FRF hors taxes, valeur janvier 1991.
11 Par délibération n° 93-44, du 30 mars 1993, le conseil du district urbain de l'agglomération rennaise (ci-après le "conseil du district"), qui s'est substitué au Sitcar en 1992, a, d'une part, approuvé la prestation d'ensemblier proposée par Matra dans le cadre de la procédure négociée et, d'autre part, autorisé la société d'économie mixte des transports collectifs de l'agglomération rennaise (ci-après la "Semtcar") à signer le marché avec Matra conformément aux dispositions de la convention de mandat approuvée par le conseil du district par délibération du 15 janvier 1993.
12 Par jugement du 16 février 1994, le Tribunal administratif de Rennes (France) a annulé la déclaration d'utilité publique, du 15 février 1993, relative au projet de métro léger du district urbain de l'agglomération rennaise (ci-après la "DUP"), ce qui a eu pour conséquence, notamment, que la subvention que l'État avait prévu d'allouer pour assurer le financement des travaux n'a pas pu être accordée.
13 Par délibération n° 95-233, du 22 septembre 1995, le conseil du district a décidé "le retrait de la délibération n° 93-44 en date du 30 mars 1993 approuvant le marché négocié avec Matra-Transport et autorisant sa signature par la SEMTCAR, cette délibération n'ayant pas fait l'objet du moindre début d'exécution et étant devenue sans objet". En outre, par délibération n° 95-234, du même jour, le conseil du district a décidé de "demander à la SEMTCAR de reprendre la mise au point de ce marché avec Matra-Transport dans le cadre de l'enveloppe financière prévisionnelle prévue pour l'opération et de la soumettre à nouveau au District pour approbation".
14 Enfin, par délibération n° 96-280, du 22 novembre 1996, le conseil du district a approuvé "les termes du projet de marché négocié, à conclure avec la Société Matra-Transport International relatif à la réalisation de la part Système et des équipements liés au Système", le montant total du marché étant "de 1 054 360 000 F HT exprimé en valeur novembre 1996 décomposé en une tranche ferme d'un montant de 1 050 490 000 F HT et une tranche conditionnelle d'un montant de 3 870 000 F HT". Il a également autorisé "la SEMTCAR à signer le marché en application de l'article 7.4 de la convention de mandat du 23 février 1993".
Procédure précontentieuse
15 Saisie d'une plainte relative aux conditions d'attribution du projet de métro automatique léger du district urbain de l'agglomération rennaise à Matra, la Commission a, par lettre du 7 janvier 1997, demandé aux autorités françaises de lui communiquer diverses informations concernant la passation de ce marché, en leur prescrivant de justifier le recours à une procédure négociée sans mise en concurrence préalable, sur le fondement de l'article 104, II, du Code des marchés publics, pour l'attribution de ce marché.
16 Les autorités françaises ont répondu à la Commission par une lettre du 17 février 1997, puis par deux notes complémentaires des 25 février et 4 mars 1997. Elles ont notamment fait valoir que le marché en cause avait été attribué par une délibération du comité syndical du Sitcar, du 26 octobre 1989, date à laquelle le pouvoir adjudicateur avait fait le choix de se doter d'un système de métro automatique de type VAL, fourni par Matra. Selon les autorités françaises, cette délibération valait adjudication du marché avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1993, de la directive 90-531 et a fortiori avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1994, de la directive 93-38, et en particulier de ses articles 4, paragraphe 2, et 20, paragraphe 2, sous c). En outre, les autorités françaises ont indiqué, à titre subsidiaire, que Matra était la seule société capable de répondre aux besoins de la collectivité. Elles ont fait valoir, à cet égard, que cette société avait déjà réalisé des investissements préalables importants sur le site rennais et ont conclu qu'aucune règle communautaire n'avait été méconnue.
17 Jugeant cette réponse insatisfaisante, la Commission a, par lettre du 17 juin 1997, conformément à la procédure prévue à l'article 169 du traité, mis les autorités françaises en demeure de présenter leurs observations dans un délai de six semaines, notamment sur la compatibilité des dispositions de l'article 104, II, du Code des marchés publics, ayant servi de base légale à la décision de l'entité adjudicatrice, avec les exigences de l'article 20, paragraphe 2, sous c), de la directive 93-38.
18 Par lettre du 20 août 1997, les autorités françaises ont répondu à la mise en demeure en réaffirmant que la décision d'attribuer le marché d'ensemblier à Matra avait été prise par délibération du 26 octobre 1989 et, subsidiairement, que l'article 104, II, du Code des marchés publics était compatible avec l'article 20, paragraphe 2, sous c), de la directive 93-38. Deux réponses complémentaires ont été transmises les 29 septembre et 7 novembre 1997.
19 Considérant que ces réponses n'apportaient pas d'éléments de nature à remettre en cause les griefs figurant dans sa lettre de mise en demeure, la Commission a, le 5 mars 1998, adressé à la République française un avis motivé, auquel celle-ci a répondu le 12 juin 1998.
20 C'est dans ce contexte juridique et factuel que la Commission a introduit le présent recours.
Sur le fond
21 La Commission considère que l'attribution à Matra du contrat d'ensemblier du projet de métro léger du district urbain de l'agglomération rennaise par procédure négociée sans mise en concurrence préalable constitue une violation de la directive 93-38, et en particulier de ses articles 4, paragraphe 2, et 20, paragraphe 2, sous c).
22 Étant donné qu'il résulte des points 8 à 11 du présent arrêt que certains éléments factuels relatifs au marché en cause ont eu lieu avant la date d'expiration du délai de transposition de la directive 93-38, il convient, avant de statuer sur la violation alléguée de cette directive, d'examiner si elle est applicable à la procédure en cause.
23 Il ressort notamment de la délibération du comité syndical du Sitcar du 19 juillet 1990, et plus particulièrement de l'affirmation que "les études et la réalisation de la part 'système et équipements liés au système' donneront lieu à la conclusion d'un marché d'ensemblier avec la société Matra-Transport, dès que celle-ci sera en mesure de s'engager sur un prix d'objectif garanti", que, à cette date, les négociations entre le pouvoir adjudicateur et Matra étaient déjà en cours.
24 En outre, dans sa lettre du 9 juillet 1991, le président-directeur général de Matra a confirmé que, sous réserve de l'acceptation de certaines modifications au projet de référence qu'il proposait, la part "Système" du projet VAL pourrait être ramenée à un prix garanti de 953,2 millions de FRF hors taxes, valeur janvier 1991, ce qui constitue un indice sérieux que, à cette date, les négociations entre le pouvoir adjudicateur et Matra se trouvaient à un stade avancé.
25 Il en résulte que les négociations du pouvoir adjudicateur avec Matra ont été entamées avant le 1er juillet 1994, date d'expiration du délai de transposition de la directive 93-38, et même avant le 9 août 1993, date de la publication de cette directive au Journal officiel des Communautés européennes.
26 Étant donné que les négociations constituent la caractéristique essentielle d'une procédure de passation de marché négociée, il convient de constater que, en l'espèce, la procédure en cause a été lancée avant l'adoption de la directive 93-38 et, a fortiori, avant l'expiration de son délai de transposition. Or, cette directive ne prévoit pas de règles transitoires concernant les procédures déjà engagées avant le 1er juillet 1994 et toujours en cours à cette date.
27 Dès lors, en vue de statuer sur l'application des dispositions de la directive 93-38 invoquées par la Commission dans la présente espèce et étant donné que la procédure en cause s'est étendue sur une longue période, il y a d'abord lieu de rechercher le droit applicable ratione temporis à cette procédure.
28 La Commission estime que, pour déterminer le droit applicable à une procédure de passation d'un marché, il convient normalement de prendre en compte la date d'attribution du marché. La Commission n'exclut pas que la date du lancement de la procédure de passation puisse également être prise en considération. Néanmoins, elle précise que, entre ce lancement et l'attribution du marché, il doit exister un délai raisonnable, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.
29 Selon la Commission, le marché en cause n'a été attribué que par la délibération du 22 novembre 1996, soit bien après l'entrée en vigueur de la directive 93-38. Elle considère que la délibération du 26 octobre 1989 ne portait que sur le choix de la technologie du métro automatique léger VAL, produit développé à l'époque par au moins deux constructeurs. Même le 19 juillet 1990, il ne serait pas encore possible de parler de contrat avec Matra, faute d'accord sur un quelconque prix ou sur les éléments constitutifs d'un marché. Par conséquent, la décision d'attribuer le marché à Matra n'aurait eu lieu que par la délibération du conseil du district du 30 mars 1993, c'est-à-dire après que ladite société s'était formellement engagée sur un prix garanti.
30 La Commission assure que, si tout avait été arrêté à cette date, elle n'aurait pas introduit le présent recours, bien que la directive 90-531 soit déjà entrée en vigueur. Toutefois, elle fait observer que, après l'annulation de la DUP par le Tribunal administratif de Rennes, le pouvoir adjudicateur a procédé au retrait de la délibération du 30 mars 1993, alors que rien ne l'y contraignait juridiquement. Or, en droit administratif français, un retrait serait analogue à une annulation contentieuse. La Commission en conclut que, étant donné que le retrait n'a pas été attaqué par Matra, il est devenu définitif, ce qui a eu pour conséquence que ladite délibération est réputée n'avoir jamais existé. Ce serait donc par la délibération du 22 novembre 1996 que le marché litigieux a été attribué à Matra.
31 En revanche, le Gouvernement français considère que, même si les marchés publics sont définis, au sens du droit communautaire, comme des contrats conclus par écrit, cela ne fait pas obstacle à ce que seule la date de lancement de la procédure de passation soit prise en considération pour apprécier le droit applicable à une telle procédure. En outre, l'exigence d'un délai raisonnable entre le lancement de la procédure et l'attribution du marché pour que le lancement puisse être pris en compte pour la détermination du droit applicable ne trouverait de fondement ni dans la législation communautaire ni dans la jurisprudence de la Cour.
32 Le Gouvernement français estime que la désignation de Matra comme attributaire ne date pas de la délibération du 22 novembre 1996, mais, implicitement, de celle du 26 octobre 1989, car le VAL étant une marque de Matra, aucune autre entreprise que Matra n'aurait pu être choisie par le pouvoir adjudicateur comme cocontractant. En ce qui concerne la délibération du 19 juillet 1990, elle constituerait une décision d'attribution : selon le Gouvernement français, dès lors que la délibération acquérait son caractère exécutoire et que Matra s'engageait sur un prix, cette dernière était en droit d'en invoquer le respect, dans la mesure où ladite délibération était génératrice à son profit de droits subjectifs. Matra s'étant engagée sur un prix d'objectif garanti de 953,2 millions de FRF hors taxes, le 9 juillet 1991, elle aurait dès lors disposé d'un droit à la conclusion du contrat d'ensemblier avec le district urbain de l'agglomération rennaise.
33 Quant au retrait de la délibération du 30 mars 1993, le Gouvernement français fait valoir, d'une part, qu'il était imposé au pouvoir adjudicateur et, d'autre part, qu'il n'était pas motivé par la volonté de renégocier les éléments substantiels du marché. En outre, il n'aurait pas eu pour objet ou pour effet de remettre en cause la décision prise le 19 juillet 1990 de contracter avec Matra. En retirant cet acte, le conseil du district aurait simplement différé la signature du marché en tirant les conséquences de l'annulation de la DUP, acte émanant du préfet et dont l'annulation ne serait imputable ni au district urbain de l'agglomération rennaise ni à Matra, bénéficiaire du contrat.
34 Le Gouvernement français admet que le retrait de cet acte entraîne la disparition du contrat de l'ordonnancement juridique pour l'avenir comme pour le passé. Mais, s'agissant des stipulations contractuelles au fond, au-delà du formalisme procédural, elles seraient, sinon validées, du moins exemptes de tout reproche et, en conséquence, la procédure de passation du marché serait, sinon en droit, du moins en fait, simplement suspendue dans l'attente d'une nouvelle DUP. En conséquence, le retrait de la délibération du 30 mars 1993 serait de pure forme et ne saurait, dès lors, porter atteinte à la continuité de la procédure sur le fond.
35 Il convient de rappeler, d'une part, que, par le présent recours en manquement, la Commission reproche à la République française une violation des dispositions de la directive 93-38 qui trouverait son origine dans une décision précise du pouvoir adjudicateur. Cette décision portait sur le choix de ce dernier de recourir à une procédure négociée sans mise en concurrence préalable pour la passation du marché en cause. Ce serait ce choix qui, selon la Commission, ne trouverait pas de fondement dans l'article 20, paragraphe 2, de la directive 93-38.
36 Il importe de relever, d'autre part, que la décision d'un pouvoir adjudicateur relative au type de procédure à suivre et à la nécessité ou non de procéder à une mise en concurrence préalable pour l'adjudication d'un marché public constitue une phase distincte de la procédure, phase au cours de laquelle sont définies les caractéristiques essentielles du déroulement de cette procédure et qui, normalement, ne peut qu'avoir lieu au stade du lancement de celle-ci.
37 Dès lors, pour apprécier si la directive 93-38 est applicable à une telle décision et, donc, pour déterminer quelles étaient les obligations du pouvoir adjudicateur découlant du droit communautaire à cet égard, il convient, en principe, de prendre en considération le moment auquel ladite décision a été adoptée.
38 Certes, dans le cas d'espèce, la décision de recourir à une procédure négociée sans mise en concurrence préalable fait partie d'une procédure d'adjudication qui ne s'est conclue qu'en novembre 1996, soit plus de deux ans après l'expiration du délai de transposition de la directive 93-38. Toutefois, selon la jurisprudence dans le domaine des marchés publics, le droit communautaire n'impose pas à un pouvoir adjudicateur d'un État membre d'intervenir, à la demande d'un particulier, dans des rapports juridiques existants, qui ont été établis pour une durée indéterminée ou pour plusieurs années, dès lors que ces rapports ont été établis avant l'expiration du délai de transposition de la directive (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 1998, Tögel, C-76-97, Rec. p. I-5357, point 54).
39 S'il est vrai que l'arrêt Tögel, précité, concernait un contrat déjà conclu avant l'expiration du délai de transposition de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L. 209, p. 1), il n'en demeure pas moins que le principe général y énoncé peut s'appliquer à toutes les phases d'une procédure d'adjudication d'un marché qui ont été accomplies avant la date d'expiration du délai de transposition d'une directive mais font partie d'une procédure qui a été achevée après cette date.
40 Quant à l'argumentation de la Commission selon laquelle la date à laquelle il convient de se placer pour déterminer l'applicabilité de la directive 93-38 dans le temps est celle de l'attribution du marché, il suffit de constater qu'il serait contraire au principe de sécurité juridique de déterminer le droit applicable par référence à la date d'attribution du marché, dans la mesure où cette date marque la fin de la procédure tandis que la décision du pouvoir adjudicateur de procéder avec ou sans mise en concurrence préalable est normalement prise au stade initial de celle-ci.
41 En l'occurrence, même si l'existence d'une décision formelle du pouvoir adjudicateur de procéder par procédure négociée sans mise en concurrence préalable pour l'attribution du marché en cause ne résulte pas clairement des pièces versées au dossier, il importe de rappeler que, dans sa délibération du 19 juillet 1990, le comité syndical du Sitcar a décidé de "prendre acte que les études et la réalisation de la part 'système et équipements liés au système' donneront lieu à la conclusion d'un marché d'ensemblier avec la société Matra-Transport". En effet, il ressort de cette phrase que, au plus tard à la date de cette délibération, et donc bien avant l'expiration du délai de transposition de la directive 93-38, la décision du pouvoir adjudicateur de procéder par procédure négociée sans mise en concurrence préalable avait déjà été adoptée.
42 Par conséquent, il convient de conclure que la directive 93-38 n'est pas applicable au choix effectué par le pouvoir adjudicateur de recourir à une procédure négociée sans mise en concurrence préalable pour l'adjudication du marché relatif au projet de métro léger du district urbain de l'agglomération rennaise.
43 Toutefois, il convient de rappeler que, par deux délibérations distinctes du 22 septembre 1995, le pouvoir adjudicateur a, d'une part, procédé au retrait de la délibération du 30 mars 1993 attribuant le marché à Matra et, d'autre part, demandé à la Semtcar de continuer les négociations avec cette société.
44 Dès lors, il y a lieu d'examiner si les négociations entamées après le 22 septembre 1995 présentent des caractéristiques substantiellement différentes par rapport à celles déjà menées et sont, en conséquence, de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels du contrat, en sorte que l'application des dispositions de la directive 93-38 pourrait être justifiée.
45 À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, il incombe à la Commission, dans le cadre d'une procédure en manquement en vertu de l'article 169 du traité, d'établir l'existence du manquement allégué et d'apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l'existence de ce manquement (voir, notamment, arrêt du 25 novembre 1999, Commission/France, C-96-98, Rec. p. I-8531, point 36).
46 Il s'ensuit que, dans le cas d'espèce, il appartient à la Commission de présenter tous les éléments nécessaires afin d'établir que de nouvelles négociations ont été lancées après le 22 septembre 1995 et qu'elles sont de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels du contrat, ce qui pourrait justifier l'application des dispositions de la directive 93-38.
47 À cet égard, la Commission fait valoir que l'analyse des délibérations du 30 mars 1993 et du 22 novembre 1996 démontre qu'il s'agit d'offres différentes en ce qui concerne l'objet et le prix. Selon la Commission, l'offre de 1993 porte sur le système VAL 206 pour un montant de 966,4 millions de FRF hors taxes, alors que celle de 1996 propose un système VAL 208 pour 1 054 millions de FRF hors taxes.
48 D'une part, le changement de numéro distinguerait en fait deux versions différentes de la technologie VAL. D'autre part, sur le plan financier, les deux offres différeraient de près de 90 millions de FRF hors taxes, soit une augmentation d'environ 10 % de la valeur du contrat entre janvier 1993 et novembre 1996, ce qui serait supérieur à l'inflation cumulée sur cette période.
49 La Commission déduit de ces éléments que des différences substantielles en termes de technologie et de prix existent entre les deux offres de Matra, ce qui prouverait qu'il ne s'agit pas du même contrat.
50 Il y a lieu de constater, en premier lieu, que le fait que l'offre de 1993 portait sur le système VAL 206 tandis que l'offre de 1996 portait sur le système VAL 208 ne constitue pas un élément de nature à prouver l'existence d'une renégociation d'un terme essentiel du contrat qui justifierait l'application de la directive 93-38.
51 D'une part, ainsi que l'a relevé le Gouvernement français, cette modification des conditions du marché tient à l'évolution du matériel entre 1993 et 1996 et porte sur la taille de celui-ci, et cela de manière tout à fait marginale (2 cm en largeur). D'autre part, il ne saurait être exclu que, lors d'une procédure négociée qui, de par sa nature, peut s'étendre sur une longue période de temps, les parties prennent en considération les nouvelles évolutions technologiques intervenues pendant que les négociations se déroulaient, sans que ce fait soit considéré, à chaque fois, comme une renégociation des termes essentiels du contrat justifiant l'application des nouvelles règles de droit.
52 En deuxième lieu, s'agissant de l'argument de la Commission portant sur la différence de prix entre le contrat proposé en 1993 et celui proposé en 1996, il convient de relever que, à supposer même que cette différence de prix ait été supérieure à l'inflation cumulée dans cette période, cette situation n'est pas non plus de nature à établir que les négociations entamées après le retrait de la délibération du 30 mars 1993 avaient pour objet la renégociation d'un terme essentiel du contrat.
53 En effet, ainsi que l'a relevé le Gouvernement français sans être contredit sur ce point par la Commission, l'évolution du prix résulte de l'exacte application de la formule de révision des prix contenue dans le projet de marché agréé par les deux parties en 1993. Or, cet élément constitue plutôt une indication de la continuité de la procédure qu'un élément susceptible de prouver la renégociation d'un terme essentiel du contrat.
54 En troisième lieu, il convient d'ajouter qu'il résulte de certaines pièces versées au dossier que les négociations ont en réalité repris peu après le 22 septembre 1995 sur la base de tout ce qui avait précédé.
55 D'une part, les termes "reprendre la mise au point", employés dans la seconde délibération du 22 septembre 1995, sont particulièrement évocateurs d'une continuation et d'une actualisation des négociations. D'autre part, le Gouvernement français a produit une lettre adressée par Matra à la Semtcar, datée du 30 novembre 1995, indiquant que Matra avait étudié l'impact d'un réaménagement du planning de réalisation des opérations et, compte tenu des mises à jour convenues du cahier des clauses administratives particulières, confirmait le maintien de la validité jusqu'au 30 septembre 1996 de son offre négociée début 1993.
56 Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission n'a pas fourni d'éléments susceptibles d'établir que de nouvelles négociations démontrant la volonté des parties de renégocier les termes essentiels du contrat ont été entamées après le retrait de la délibération du 30 mars 1993 et, donc, après l'expiration du délai de transposition de la directive 93-38.
57 Dès lors, eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
58 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République française ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1°) Le recours est rejeté.
2°) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.