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Décisions

CJCE, 3e ch., 17 décembre 1987, n° 287-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Landsorganisationen I Danmark for Tjenerforbundet I Danmark

Défendeur :

Ny Mølle Kro

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Mancini

Juges :

MM. Everling, Galmot

CJCE n° 287-86

17 décembre 1987

LA COUR,

1. Par demande du 12 novembre 1986, parvenue à la Cour le 21 novembre suivant, l'Arbejdsretten (tribunal du travail) de Copenhague a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure engagée par la Landsorganisationen I Danmark for Tjenerforbundet I Danmark (Confédération générale des travailleurs du Danemark, agissant pour la Fédération danoise des rémunérés aux gages) contre Mme Hannibalsen.

3. Cette dernière avait, en 1980, cédé à bail l'auberge Ny Mølle Kro à Mme Larsen, laquelle a conclu, le 1er octobre 1980, un accord d'adhésion avec l'Hotel-og Restaurationspersonalets Samvirke (Syndicat du personnel de l'hôtellerie et de la restauration). En vertu de cet accord, Mme Larsen était tenue de respecter les conventions collectives conclues par ce syndicat.

4. En janvier 1981, Mme Hannibalsen a résilié le contrat de bail et a repris l'exploitation de l'auberge à son compte, au motif que Mme Larsen n'avait pas respecté le contrat de bail. L'auberge a toutefois été fermée jusqu'à la fin du mois de mars 1981, Mme Hannibalsen l'ayant ensuite gérée personnellement. Ainsi qu'il ressort du dossier, l'établissement en cause est régulièrement exploité en tant que restaurant pendant la seule saison d'été, alors qu'en dehors de cette saison, il est loué à des cercles privés.

5. Le litige au principal porte, en substance, sur l'obligation de Mme Hannibalsen de verser des arriérés de salaire à une employée de l'auberge, Mme Hansen, qui y avait travaillé comme serveuse, après la reprise de l'établissement, du 12 mai au 19 août 1983. La requérante au principal fait valoir que la rémunération qui avait été versée à Mme Hansen était inférieure au montant exigible au titre d'une convention collective à laquelle Mme Larsen se serait reconnue liée et qui lierait, du fait d'un transfert d'entreprise, Mme Hannibalsen en tant que cessionnaire, subrogée dans les obligations de la cédante résultant du contrat de travail.

6. Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de certaines dispositions de la directive 77-187, précitée, l'Arbejdsretten a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1°) Les termes "transfert ... à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion", figurant à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, visent-ils également une situation dans laquelle le propriétaire d'une entreprise cédée à bail reprend lui-même la gestion de l'entreprise à la suite d'une violation du contrat de bail, commise par le locataire-gérant ?

2°) La directive précitée s'applique-t-elle si l'entreprise transférée était provisoirement fermée au moment du transfert, de sorte qu'il n'y avait pas de salariés employés à ce moment là dans l'entreprise ?

3°) En va-t-il différemment aux fins de la réponse à donner à la question 2, s'il s'agit d'une entreprise qui est régulièrement fermée une partie de l'année - par exemple, un hôtel, une pension ou un restaurant, qui n'ouvrirait que pour la saison d'été ?

4°) L'article 3, paragraphe 2, de la directive doit-il s'entendre en ce sens que les conditions de rémunération et de travail qui étaient en vigueur, conformément à une convention collective, doivent être maintenues par le cessionnaire, nonobstant la circonstance qu'au moment du transfert aucun salarié n'était engagé dans l'entreprise ?"

7. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, des dispositions communautaires en cause ainsi que du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

8. Par la première question, la juridiction nationale demande en substance si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens que la directive s'applique à la reprise, par le propriétaire, de l'exploitation d'une entreprise cédée à bail, à la suite d'une violation du contrat de bail par le locataire-gérant.

9. A cette question, la Dansk Arbejdsgiverforening (Confédération danoise du patronat), partie intervenante au principal, suggère de donner une réponse négative, au motif que le locataire-gérant ne pourrait pas être assimilé à un propriétaire dans ses rapports avec les salariés de l'entreprise et que, de toute façon, la reprise, par le propriétaire, de l'exploitation de l'entreprise à la suite d'une violation du contrat de bail revêtirait un caractère contraignant, ce qui exclurait l'existence d'une cession volontaire.

10. En revanche, la Landsorganisationen I Danmark, le Gouvernement britannique et la Commission suggèrent d'y répondre par l'affirmative, au motif que le locataire-gérant serait chef d'entreprise pendant la durée du bail et que la reprise, par le propriétaire, de l'exploitation de l'entreprise à la suite d'une violation du contrat de bail interviendrait en vertu d'un accord conclu entre le propriétaire et le locataire-gérant.

11. Il est à rappeler, à cet égard, que la directive 77-187 vise, aux termes de ses considérants, à "protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en particulier pour assurer le maintien de leurs droits". A cette fin, elle prévoit, entre autres, le transfert des droits et obligations résultant pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail (article 3, paragraphe 1), le maintien, par le cessionnaire, des conditions de travail convenues par une convention collective (article 3, paragraphe 2), ainsi que la protection des travailleurs concernés contre le licenciement, par le cédant ou le cessionnaire, en raison du seul fait du transfert (article 4, paragraphe 1). L'article 1er, paragraphe 1, dont l'interprétation est demandée en l'espèce, définit le champ d'application de la directive en disposant qu'elle est "applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion".

12. Il résulte de l'ensemble de ces considérants et dispositions que la directive a pour finalité d'assurer, autant que possible, le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en leur permettant de rester au service du nouveau chef dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant. La directive est donc applicable dès lors qu'il y a changement, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion, de la personne, physique ou morale, responsable de l'exploitation de l'entreprise et qui, de ce fait, contracte les obligations d'employeur vis-à-vis des salariés travaillant dans l'entreprise, sans qu'il importe de savoir si la propriété de l'entreprise est transférée. En effet, les employés d'une entreprise qui change de chef, sans qu'il y ait transfert de propriété, se trouvent dans une situation comparable à celle des employés d'une entreprise aliénée et ont donc besoin d'une protection équivalente.

13. Il s'ensuit que, dans la mesure où le locataire-gérant, en vertu du contrat de bail, acquiert la qualité de chef d'entreprise dans le sens indiqué ci-dessus, le transfert doit être considéré comme un transfert d'entreprise, à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive.

14. Des considérations analogues s'imposent dans le cas de la reprise, par le propriétaire, de l'exploitation de l'entreprise cédée à bail, à la suite d'une violation du contrat de bail par le locataire-gérant. Une telle reprise intervient, elle aussi, sur la base du contrat de bail. Par conséquent, dans la mesure où elle a pour effet de faire perdre au locataire-gérant la qualité de chef d'entreprise, qualité que le propriétaire acquiert à nouveau, elle doit également être considérée comme un transfert d'entreprise, à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive.

15. Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens que la directive s'applique à la reprise, par le propriétaire, de l'exploitation d'une entreprise cédée à bail, à la suite d'une violation du contrat de bail par le locataire-gérant.

Sur les deuxième et troisième questions

16. Par les deuxième et troisième questions, la juridiction nationale demande en substance si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il vise l'hypothèse dans laquelle l'entreprise transférée était, au moment du transfert, temporairement fermée et n'avait donc pas d'employés à son service. Cette question est posée eu égard notamment à l'hypothèse où l'entreprise en cause est généralement fermée pendant une partie de l'année et où le transfert intervient pendant la période d'interruption saisonnière des activités de l'entreprise.

17. La Landsorganisationen I Danmark fait valoir à cet égard que la fermeture temporaire de l'entreprise au moment du transfert n'exclut pas l'applicabilité de la directive, lorsque l'établissement dont il s'agit poursuit des activités saisonnières et que la durée de la fermeture coïncide avec celle de l'interruption saisonnière normale des activités. Ce point de vue est contesté par la Dansk Arbejdsgiverforening, qui nie l'applicabilité de la directive dans l'hypothèse où l'entreprise est temporairement fermée et ne compte pas d'employés au moment du transfert. Le Gouvernement britannique et la Commission soutiennent une thèse intermédiaire, en ce sens que la directive s'appliquerait dès lors que l'entreprise cédée conserve son identité, sans qu'il importe de savoir si elle emploie ou non du personnel pendant une certaine période limitée.

18. Le point de vue du Gouvernement britannique et de la Commission doit être retenu. Ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 18 mars 1986 (Spijkers, 24-85, Rec. p. 1119), l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 vise l'hypothèse dans laquelle l'entreprise garde son identité, en ce sens qu'une entité économique encore existante est transférée, ce qui résulte notamment du fait que son exploitation est effectivement poursuivie ou reprise par le nouveau chef d'entreprise, avec les mêmes activités économiques ou des activités analogues.

19. Pour déterminer si ces conditions sont réunies, il convient de prendre en considération l'ensemble des circonstances de fait caractérisant l'opération en cause. Le fait que l'entreprise en cause était, au moment du transfert, temporairement fermée et n'avait donc pas d'employés à son service constitue certes un élément à prendre en considération pour apprécier si une entité économique encore existante a été transférée. Toutefois, la fermeture temporaire de l'entreprise et l'absence consécutive de personnel au moment du transfert ne sont pas à elles seules de nature à exclure l'existence d'un transfert d'entreprise au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive.

20. Cette conclusion s'impose notamment dans l'hypothèse d'une entreprise à caractère saisonnier et, plus particulièrement, lorsque, comme en l'espèce, le transfert intervient pendant la période d'interruption saisonnière des activités de l'entreprise. En effet, une telle fermeture n'est en règle générale pas de nature à mettre fin à l'existence de l'entreprise en tant qu'entité économique.

21. Les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'un transfert au sens indiqué relèvent de la compétence de la juridiction nationale, compte tenu des éléments d'interprétation spécifiés ci-dessus.

22. Pour ces raisons, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il vise l'hypothèse dans laquelle une entité économique encore existante a été transférée. Pour apprécier si tel est le cas, il convient de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant l'opération en cause, au nombre desquelles peut figurer, le cas échéant, la fermeture temporaire de l'entreprise et l'absence de personnel au moment du transfert, éléments qui ne sont toutefois pas, surtout dans l'hypothèse d'une entreprise saisonnière, à eux seuls de nature à exclure l'applicabilité de la directive.

Sur la quatrième question

23. Par la quatrième question, la juridiction nationale demande en substance si l'article 3, paragraphe 2, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il oblige le cessionnaire à maintenir les conditions de travail convenues par une convention collective à l'égard de travailleurs qui n'étaient pas employés de l'entreprise à la date du transfert.

24. Selon la Landsorganisationen I Danmark, cette question appelle une réponse affirmative. En revanche, la Dansk Arbejdsgiverforening, le Gouvernement britannique et la Commission soulignent que seuls les salariés employés de l'entreprise à la date du transfert peuvent se prévaloir du bénéfice de la directive, à l'exclusion de ceux qui ont été embauchés postérieurement à la cession.

25. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, notamment dans son arrêt du 11 juillet 1985 (Mikkelsen, 105-84, Rec. p. 2646), l'objet de la directive est d'assurer, autant que possible, la continuation du contrat de travail ou de la relation de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d'empêcher que les travailleurs concernés ne soient placés dans une position moins favorable du seul fait du transfert. Il est donc conforme au système de la directive d'interpréter celle-ci de telle sorte que, sauf disposition spécifique contraire, son bénéfice puisse être invoqué par les seuls travailleurs dont le contrat, ou relation de travail, est en cours à la date du transfert, sous réserve, toutefois, que soient respectées les règles impératives de la directive relatives à la protection des travailleurs contre le licenciement du fait du transfert.

26. Il s'ensuit que l'article 3, paragraphe 2, de la directive doit être considéré comme ne visant à assurer le maintien, par le cessionnaire, des conditions de travail convenues par une convention collective qu'en ce qui concerne les travailleurs qui étaient déjà employés de l'entreprise à la date du transfert, à l'exclusion de ceux qui ont été engagés postérieurement à cette date.

27. Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l'article 3, paragraphe 2, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il n'oblige pas le cessionnaire à maintenir les conditions de travail convenues par une convention collective à l'égard de travailleurs qui n'étaient pas employés de l'entreprise à la date du transfert.

Sur les dépens

28. Les frais exposés par le Gouvernement britannique et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Arbejdsretten de Copenhague, par demande du 12 novembre 1986, dit pour droit :

1°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, doit être interprété en ce sens que la directive s'applique à la reprise, par le propriétaire, de l'exploitation d'une entreprise cédée à bail, à la suite d'une violation du contrat de bail par le locataire-gérant.

2°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il vise l'hypothèse dans laquelle une entité économique encore existante a été transférée. Pour apprécier si tel est le cas, il convient de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant l'opération en cause, au nombre desquelles peut figurer, le cas échéant, la fermeture temporaire de l'entreprise et l'absence de personnel au moment du transfert, éléments qui ne sont toutefois pas, surtout dans l'hypothèse d'une entreprise saisonnière, à eux seuls de nature à exclure l'applicabilité de la directive.

3°) L'article 3, paragraphe 2, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il n'oblige pas le cessionnaire à maintenir les conditions de travail convenues par une convention collective à l'égard de travailleurs qui n'étaient pas employés de l'entreprise à la date du transfert.