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Décisions

Conseil Conc., 18 mai 2004, n° 04-A-08

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

Plusieurs acquisitions d'entrepôts réalisées par le groupe Scottish & Newcastle-Kronenbourg dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Aloy, de M. Henry, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, M. Nasse, vice-président, Mmes Aubert, Perrot, MM. Piot, Robin, membres.

Conseil Conc. n° 04-A-08

18 mai 2004

Le Conseil de la concurrence (section III-B),

Vu la lettre enregistrée le 10 août 2001 sous le numéro A 343 par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions du titre III du livre IV du Code de commerce (avant sa modification par la loi n° 2001-420 relative aux nouvelles régulations économiques, ci-après loi NRE), d'une demande d'avis relative à plusieurs acquisitions d'entrepôts réalisées par le groupe Scottish & Newcastle-Kronenbourg dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR (café, hôtellerie, restauration) ; Vu le livre IV du Code de commerce, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-4, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par le groupe Scottish & Newcastle-Kronenbourg, les sociétés Seca, Kihl, Tafanel, Ferrer et Feuvrier et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants du groupe Scottish & Newcastle-Kronenbourg, de la société Seca et de la société Kihl entendus au cours de la séance du 2 juillet 2003 ; Le vice-président confédéral de l'Union des métiers et industrie de l'hôtellerie (UMIH), le directeur des achats France du groupe Accor, le président et le vice-président de la Centrale européenne de boissons (CEB), le président-directeur général de la Brasserie Meteor, les représentants du groupe Interbrew entendus conformément aux dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce, Adopte l'avis fondé sur les constatations et les motifs ci-après exposés :

I. - LE SECTEUR

1. La bière est une boisson issue de la fermentation alcoolique d'un moût préparé à partir du malt de céréales (principalement de l'orge), de sucres alimentaires et de houblon. D'après l'Association des brasseurs de France (ABF), la filière brassicole dans son ensemble employait 160 800 personnes en 2000 et dégageait un chiffre d'affaires de 12,6 milliards d'euro. L'industrie brassicole stricto sensu (les brasseurs) employait en 1999 près de 5 700 salariés, soit 14 % des effectifs de l'industrie des boissons et son chiffre d'affaires représentait près de 14 % du chiffre d'affaires global de l'industrie des boissons.

2. La production brassicole française ne suffit pas à couvrir la demande intérieure. La consommation française de bières s'est élevée en 2000 à près de 21 millions d'hectolitres. Près de 75 % de ce volume a été produit par les brasseries installées en France, les 25 % restant étant importés. En 2000, d'après l'ABF, les sociétés brassicoles françaises ont produit près de 18,9 millions d'hectolitres de bière dont plus de 10 % ont été exportés, essentiellement en Europe. Le solde des échanges de bières est toutefois négatif : les importations représentent quasiment le double des exportations.

A. - La consommation de bières

1. La stagnation des volumes et la diversification des produits

3. Exprimée en volume, la consommation finale totale de bière est stagnante, voire en lente érosion (23 351 khl de bières ont été consommés en 1990 contre 21 420 khl en 2000). Toutefois, exprimée en valeur, la consommation de bières a augmenté sur la même période, passant de 9 140 MF en 1990 à 10 033 MF en 1999, soit respectivement 1 393 M et 1 529 M.

Figure 1

Evolution de la consommation de bière,en volume et en valeur

(indice base 100 en 1990)

Sources : ABF pour les volumes et Etude Xerfi (2000) sur le marché de la bière pour les valeurs

4. Cette hausse de la valeur des bières consommées s'explique par la diversification des bières vendues. A côté de la bière traditionnellement la plus vendue, la bière blonde de type Pils, encore appelée " bière de luxe ", et qui contient entre 4,4 % et 5,5 % d'alcool, sont apparus de nouveaux produits qui requièrent des techniques de fabrication différentes et dont le positionnement marketing correspond à une image de marque plus valorisante.

5. Les bières blondes, de type " spéciales ", qui se distinguent par un choix plus sévère de matières premières que les bières de luxe, par un temps de garde plus long, voire par une fermentation haute, et qui contiennent plus de 5,5 % d'alcool se sont fortement développées, ainsi que les bières dites " de spécialité ", comme les bières d'abbaye, les bières blanches (brassées avec des malts blancs conjugués avec des malts de froment et affichant entre 4,4 % et 7 % d'alcool), les bières brunes (brassées à partir de malts bruns fortement torréfiés, et affichant entre 4,4 % et 8 % d'alcool) ou enfin les bières ambrées (brassées avec des malts grillés torréfiés, et de 4,5 % à 8 % d'alcool).

6. En 2000, les bières de luxe représentent près de 60 % des volumes vendus et les bières spéciales et de spécialité près de 30 %, alors qu'en 1995 ces dernières ne représentaient que 20 % des ventes.

7. Les bières sont consommées dans les foyers ou hors domicile. La bière vendue par le circuit alimentaire, à destination de la consommation dans les foyers, appelé 1er marché par la profession brassicole, représente près de 70 % de la consommation totale de bières. Les acquisitions examinées dans le présent avis concernant la distribution des bières consommées hors domicile, seul ce segment de la consommation sera détaillé ci-dessous.

2. La consommation hors domicile de la bière

a) Les bières consommées hors domicile sont en baisse

8. L'augmentation régulière du volume du marché des boissons consommées hors domicile (10 % en 10 ans) s'accompagne d'une évolution dans la répartition des types de boissons. Les boissons alcoolisées sont en baisse, avec une chute de 13 % des volumes consommés, les boissons chaudes ont augmenté de 22,5 % en 10 ans, et les boissons rafraîchissantes sans alcool de 45 %. Parmi les boissons alcoolisées, les bières connaissent la plus forte chute de volumes et ne représentent aujourd'hui plus que 15,5 % des boissons consommées hors domicile.

9. Trois évaluations différentes du marché de la bière consommée hors domicile, chacune réalisée par un cabinet d'études et versée au dossier par un brasseur, sont disponibles.

Tableau 1

L'importance du marché de la bière consommée en CHD, en khl, estimations selon les brasseurs

<emplacement tableau>

10. Ces trois sources d'informations ont des appréciations convergentes de l'évolution de ce marché : les ventes de bières chutent annuellement de 2,5 à 3 %.

b) Les différents types de bières consommées hors domicile

11. Les bières sans alcool ou faiblement alcoolisées (bock) sont de moins en moins consommées hors domicile, de sorte que les trois types de bières, que sont les bières dites " de luxe " (blonde traditionnelle de type pils), les bières spéciales (bières blondes plus alcoolisées) et les bières de spécialité (blanche, d'abbaye, etc.) représentent 99 % de la consommation en 1999 contre 92 % en 1990.

12. Les bières de luxe sont les plus largement consommées (60 % du volume total). Les bières spéciales représentent 26 % du volume total et les bières de spécialité sont les seules bières dont la consommation a augmenté entre 1990 et 1999, aussi bien en valeur absolue qu'en valeur relative.

Tableau 2

La répartition des types de bières consommées hors domicile, en volume

<emplacement tableau>

c) Les lieux de la consommation hors domicile

13. Les établissements traditionnels de consommation hors domicile, cafés, hôtels, restaurants (CHR), encore désignés sous le terme " deuxième marché " ont vu leur nombre baisser au cours des dernières années (199 000 établissements en 1990 à 157 000 en 1999, d'après Gira). Ils sont de plus en plus concurrencés par de nouvelles formes de restauration, appelées troisième marché.

14. D'une part, sont apparus des établissements dits " chaînés " appartenant à des réseaux relevant de l'hôtellerie, de la restauration à thème, collective ou encore rapide, comme le groupe Accor, Sodhexo, ou McDonald. Sur la période 1990-1999, le chiffre d'affaires total de ces établissements a progressé de 41 %, passant de 107,4 à 151,7 milliards de francs HT, ce qui représente 38 % du chiffre d'affaires total du secteur de la restauration hors foyer en 1999. D'autre part, les circuits de vente alternatifs comme les boulangeries, les stations-service ou encore la vente à emporter, se sont développés (leur chiffre d'affaires a progressé de 88 % sur la période 1990-1999) et ils représentent, en 1999, 10 % du total de la CHD.

15. Les établissements dans lesquels la consommation de bières s'effectue sur place offrent, en plus des produits, un service et une ambiance qui sont recherchés par les consommateurs et que n'offrent pas les circuits de vente alternatifs, c'est-à-dire les épiceries, les boulangeries, les stations service dans lesquelles les consommateurs achètent des canettes de bière pour les boire à l'extérieur. En outre, les points de vente alternatifs sont livrés en boissons et donc en bières, par des grossistes confiseurs, des grossistes alimentaires, ou encore des grossistes en meunerie tandis que les CHR traditionnels et les établissements chaînés sont livrés en boissons par les entrepositaires grossistes. Le terme " troisième marché " sera donc réservé dans cet avis aux établissements dans lesquels la consommation s'effectue sur place.

16. La bière reste consommée en très grande majorité dans les CHR traditionnels (87,5 % de la consommation hors domicile de bière en 1999). Les nouveaux lieux de consommation de bières, comme les chaînés, représentent en 1999 moins de 6 % des ventes de bières, mais la croissance des volumes vendus est de 8,4 % par an. Le tableau suivant illustre ces éléments.

Tableau 3

La répartition des ventes de bières en CHD selon les lieux de consommation

<emplacement tableau>

d) Les bières hors domicile sont consommées en pression et en bouteilles

17. Hors domicile, la bière est vendue à la pression ou en bouteilles. On assiste à une concentration de la consommation autour des bières pression : alors qu'elles représentaient les 2/3 des bières consommées en 1990, 3 bières consommées hors domicile sur 4 sont des bières pression en 1999, soit près de 6 millions d'hectolitres. La très forte chute des bouteilles consignées (29 % des bières consommées hors domicile en 1990 contre 16 % en 1999) n'a été que partiellement compensée par la hausse des bouteilles perdues et des boîtes (les bières vendues en contenants perdus représentaient plus de 3 % en 1990 contre 8 % en 1999).

B. - La production de bières

1. La brasserie française est une industrie concentrée

18. Au début des années 70, l'ABF recensait 70 sociétés brassicoles en activité sur le territoire français. Celles-ci n'étaient plus que 22 en 1994 et sont moins de 15 en 2000. Le mouvement de concentration, qui s'est échelonné sur près de 30 ans, a résulté du rachat de brasseries de taille moyenne (entre 100 000 hl par an et 500 000 hl) par les groupes Sogebra et Kronenbourg. Ainsi, en 1996, Heineken a acquis le Groupe Saint Arnould qui contrôlait les sociétés Brasseries de Saint Omer et Caves de Saint Arnould ainsi que la société Brasserie Fischer et sa filiale Grande Brasserie Alsacienne d'Adelshoffen. Cette dernière acquisition a été autorisée par arrêté ministériel le 20 août 1996, après avis du Conseil de la concurrence (1).

19. A l'heure actuelle, les trois principaux brasseurs sur le marché français sont le groupe Sogebra, filiale du brasseur néerlandais Heineken, le groupe britannique Scottish et Newcastle avec les brasseries Kronenbourg et le groupe belge Interbrew avec les brasseries Stella Artois. Les brasseries Heineken et Kronenbourg produisent leurs bières en France alors qu'Interbrew l'importe du site de Louvain. Les principaux acteurs sur le marché français sont sous le contrôle de brasseurs étrangers. Pris ensemble, ces 3 brasseurs réalisent [75-85] % du chiffre d'affaires de l'industrie brassicole en 1998, d'après les données d'Agreste.

20. La concentration de l'industrie brassicole s'explique, notamment, par le caractère fortement capitalistique du processus de production. L'ABF estime que les investissements consentis par la brasserie l'apparentent à l'industrie lourde : le secteur investit près de 152 millions d'euro par an dans la modernisation des outils de production, soit 8 % du chiffre d'affaires.

21. Les autres brasseurs actifs en France, au nombre d'une dizaine, sont de taille plus modeste. Leur production annuelle est comprise entre 100 000 hl et 500 000 hl. On peut citer Brasserie Meteor, Brasseurs de Gayant, Brasserie Castellain, Brasserie La Choulette, Brasserie Duyck, Brasserie Jeanne d'Arc et Brasserie Terken. Depuis une dizaine d'années, on assiste au développement de " microbrasseries ", principalement dans l'ouest et le nord de la France, qui ont des stratégies de " niche " : elles développent des bières de spécialité, travaillent avec quelques points de vente et leurs produits sont bien souvent connus à l'échelle d'un département, voire d'une ville (2).

22. L'activité de brasserie est principalement concentrée dans le nord et l'est de la France qui regroupent les 3/4 des brasseurs et emploient les 4/5 des effectifs totaux de cette industrie.

2. Les trois principaux brasseurs du marché français

23. Les trois principaux brasseurs français sont adossés à des groupes brassicoles d'envergure internationale. Leurs parts de marché sur le marché français de la bière sont présentées dans le tableau suivant.

Tableau 4

Les parts de marché des trois principaux brasseurs tous circuits confondus, en volumes

<emplacement tableau>

24. Tous circuits de commercialisation confondus, alimentaire et hors domicile, le leader de la bière en France est Kronenbourg, avec [35-45] % du marché exprimé en volume en 2000. Heineken est le deuxième brasseur, avec une part de marché de [30-40] %, et Interbrew réalise [10-20] % des volumes. Selon les informations recueillies, les parts de marché des brasseurs évoluent relativement peu.

25. Kronenbourg, Heineken et Interbrew sont présents dans les deux segments de consommation de la bière, l'alimentaire et le hors domicile. Mais l'importance relative de ces deux marchés diffère selon le brasseur. Interbrew est spécialisé dans le CHD : il y réalise en 2000 près de [60-70] % de ses ventes en volumes, ce qui représente [60-70] % en valeur. Kronenbourg est spécialisé dans le marché alimentaire, qui représente en 2000 près de [60-70] % de ses ventes en volume. Enfin, Heineken réalise en 2000 près de [30-40] % des volumes de ses ventes dans le circuit CHD, ce qui représente près de [40-50] % de la valeur de ses ventes.

26. Sur le segment de la consommation de bières hors domicile, les positions concurrentielles sont les suivantes : Kronenbourg et Heineken fournissent chacun près de [30-40] % des bières consommées hors domicile et Interbrew en fournit [0-10] %.

Tableau 5

Les parts de marché des brasseurs sur la bière consommée hors domicile, en volume

<emplacement tableau>

a) Des groupes d'envergure mondiale

27. Au cours des dernières années, on a assisté à la constitution de groupes brassicoles d'envergure mondiale. Ainsi, Danone a cédé en mars 2000 la quasi-totalité de ses activités brassicoles, soit les Brasseries Kronenbourg en France, Alken Maes en Belgique et une partie du brasseur italien Birra Peroni, au groupe britannique Scottish et Newcastle, spécialisé dans les boissons et le secteur du loisir (" branded beverages and leisure retailing "). Ce groupe possède des pubs en Angleterre et ses activités brassicoles, outre les apports du groupe Danone, sont implantées au Royaume-Uni (Brasseries Scottish Courage, dont la marque la plus connue est Foster's, et Brasseries Beamish qui commercialise une bière brune " stout " du même nom).

28. Le chiffre d'affaires généré par les ventes de bières du groupe Scottish et Newcastle était de 2 062,3 millions de £ en 2000 et de 2 757 millions de £ en 2001 (soit respectivement 3 194,09 millions d'euro et 4 270,04 millions d'euro) (4). Le " operating profit " de l'activité bières était de 206,2 millions de £ en 2000 de et de 264,6 millions de £ en 2001, soit respectivement 319,36 millions d'euro et 409,81 millions d'euro (5). Scottish et Newcastle se classe parmi les dix premiers brasseurs mondiaux.

29. Heineken, groupe néerlandais, détient la couverture géographique la plus étendue : il est présent dans plus de 170 pays, soit en produisant directement dans ses 110 brasseries localisées dans 50 pays, soit en faisant fabriquer ses produits sous licence. Le volume total de bière produit est de [100-110] millions d'hectolitres, chiffre qui inclut les brasseries licenciées. Le volume produit par les brasseries du groupe, au sens strict, s'élève à [80-90] millions d'hectolitres.

30. Le groupe Heineken n'a pas effectué d'acquisition majeure depuis Cruzcampo en Espagne en 1999 et l'acquisition de la majorité du capital de la Brasserie Martiner et Gemer, brasseur slovaque. Il s'est plutôt recentré sur la rationalisation de ses sites de production. A titre d'illustration, la Brasserie Adelshoffen, située à Schiltigheim en France, a été fermée à la fin 2000.

31. Heineken est actuellement le troisième brasseur mondial, avec un chiffre d'affaires total de [...] millions d'euro en 2001 (contre [...] en 2000) (6) et un " operating profit " de [...] millions d'euro en 2001 contre [...] en 2000.

32. Depuis 1995, le groupe Interbrew a procédé à de nombreuses acquisitions qui l'ont propulsé au 2e rang mondial, derrière l'américain Anheuser Bush. En 1995, le groupe familial belge a acheté le brasseur canadien Labatt, ce qui a doublé sa taille. Entre 1997 et 1999, Interbrew a acquis une dizaine de brasseurs en Russie, Europe de l'Est (Bosnie, Croatie, Roumanie) et en Asie du Sud (Chine, Corée du Sud), de sorte qu'il était devenu le 5e brasseur au niveau mondial. En 2000, Interbrew s'est implanté au Royaume-Uni en achetant la division bières de Whitbread puis les activités brassicoles de Bass (" Carling ", " Tennents ", etc.). Enfin, en 2001, Interbrew a acquis le brasseur allemand Beck. Les volumes totaux de bières produits par le groupe, qui étaient de [...] millions en 2000, s'élèvent à [...] millions d'hectolitres en 2001.

33. Le chiffre d'affaires net du groupe Interbrew, hors droits d'accises, est de 7 303 millions d'euro en 2001 (5 657 millions d'euro en 2000) et le revenu d'exploitation (EBITDA) est de 1 533 millions d'euro en 2001 (1 156 en 2000) (7).

b) Les trois principaux brasseurs français offrent la gamme complète des bières

34. Face à une consommation stagnante depuis une dizaine d'années, les brasseurs d'envergure européenne ont favorisé le développement de bières de spécialités, produits qui sont généralement vendus plus chers que les bières de luxe ou spéciales. L'évolution du marché en valeur, présentée aux paragraphes 4 à 6, atteste de cette montée en gamme des bières consommées en France. Les brasseurs investissent alors dans des campagnes publicitaires dont le montant dépasse généralement [...] MF pour promouvoir l'une de leurs marques.

35. A l'heure actuelle, les trois principaux brasseurs sur le marché français de la bière offrent la gamme complète des bières, qui comporte au moins une bière de luxe, une bière spéciale et des bières de spécialité, les deux produits phares de cette sous-catégorie étant la bière d'abbaye (Leffe pour Interbrew, Grimbergen pour Kronenbourg et Affligem pour Heineken) et la bière blanche (Hoegaarden pour Interbrew, Brugs pour Kronenbourg et Wickse Witte pour Heineken).

Tableau 6

Les principales marques de bière

<emplacement tableau>

c) Les capacités de production inexploitées

36. Kronenbourg et Heineken, qui sont les deux principaux brasseurs présents sur le marché français, ont des capacités de production sur le territoire national assez proches et qu'ils utilisent à hauteur de [80-90] % : leurs capacités excédentaires sont donc similaires (8).

C. - La distribution de bières aux CHR

37. Lorsque l'industrie brassicole était peu concentrée, les brasseries distribuaient elles-mêmes leur production dans la ville où elles étaient implantées. La restructuration du secteur de la brasserie (par fusions entre brasseries) dans les années 1960 à 1980 a abouti à la fermeture de certaines unités de production et à la reprise de l'activité de distribution par des distributeurs de charbon ou fuel domestique qui livraient déjà les cafés : les entrepositaires grossistes indépendants sont ainsi apparus.

38. Les brasseurs ont profité de cette consolidation pour constituer leur réseau de distribution. Concernant Heineken, grâce à l'acquisition d'Union de Brasseries en 1986, le groupe est devenu propriétaire du réseau de distribution France Boissons auquel il a adjoint les entrepôts de distribution qu'il détenait déjà ainsi que ceux issus de l'acquisition de Brasserie Pelforth. En 1985, le réseau France Boissons comprenait [...] filiales. Concernant Kronenbourg, l'Union française de brasserie, filiale de SEB (Société européenne de brasserie), gérait une vingtaine d'entrepôts dispersés sur le territoire national. Le regroupement de SEB et de Brasseries Kronenbourg, suite à la prise de contrôle de ces deux dernières sociétés par le groupe BSN, a permis d'étoffer le réseau de distribution contrôlé par Kronenbourg.

39. Au milieu des années 1990, les principaux brasseurs du marché français ont procédé à de nombreuses acquisitions d'entrepositaires indépendants (voir paragraphes 47 à 57). Dans le même temps, les " cash and carry ", grossistes auprès desquels l'enlèvement de la marchandise s'effectue par les points de vente eux-mêmes, se sont développés (voir paragraphes 65 à 67).

1. Les entrepositaires grossistes " traditionnels "

40. A l'heure actuelle, l'activité principale des entrepositaires grossistes consiste en la livraison des boissons aux établissements de la restauration hors foyer, alors que dans les années 1970-1980, ils livraient aussi les grandes et moyennes surfaces, qui représentaient une part importante de leur clientèle. A la suite de l'intégration, par la grande distribution, de sa logistique propre, les entrepositaires grossistes ont été écartés de cette fonction et ceux qui travaillent encore avec la grande distribution alimentaire le font, le plus souvent, en tant que prestataires de services des distributeurs ou des fabricants.

41. L'activité de distribution de boissons aux débits de boissons nécessite (1) l'acheminement des produits depuis le fabricant jusqu'à l'entrepôt (9) ; (2) le stockage des produits et, compte tenu de la saisonnalité de la consommation des boissons hors domicile, la constitution de stocks prévisionnels importants, nécessaires pour suivre une demande fluctuante selon le climat ; (3) la livraison une à deux fois par semaine, voire tous les jours, aux points de vente grâce à une flottille de camions ou de camionnettes ; (4) la reprise des emballages vides consignés et les opérations comptables nécessaires à leur gestion.

a) Un secteur atomisé

42. Au milieu des années 1980, il y avait entre 1 500 et 2 000 entrepositaires grossistes, dont 500 étaient estimés de taille moyenne ou importante. Depuis lors, le secteur a connu un phénomène de concentration qui a ramené à 1 150 le nombre d'entrepositaires traditionnels, qu'ils soient intégrés ou indépendants.

43. Les entrepositaires grossistes traditionnels restent atomisés. Leur nombre élevé tient au caractère nécessairement limité de leur zone de livraison : un maillage serré du territoire est nécessaire pour livrer tous les débits de boissons de France. En effet, le fonctionnement d'un établissement de consommation hors domicile implique des livraisons fréquentes de quantités de boissons relativement faibles. Le débit de boissons est approvisionné en général au moins une fois par semaine en fûts de bière. Les bouteilles de bières sont vendues par caisses, ainsi que les BRSA et toutes les boissons dont l'emballage est consigné. Dans la mesure où les capacités de stockage des points de vente sont très limitées, les entrepositaires grossistes délivrent des petites quantités de bouteilles en même temps que les fûts et ils récupèrent les emballages consignés.

44. L'entrepositaire-grossiste va donc organiser les tournées de façon à minimiser les coûts qu'entraînent la livraison de petites quantités (un ou deux fûts et quelques caisses) à plusieurs établissements (10). La profession souligne que c'est le déplacement " à vide ", c'est-à-dire sans activité commerciale, qui revient le plus cher.

45. Ces éléments, combinés au fait que la livraison constitue une part relativement importante du coût total des boissons pour le CHR, ont pour effet de limiter la zone de chalandise d'un entrepositaire-grossiste.

46. Nombre d'entrepôts sont de petite taille. La moitié d'entre eux a un chiffre d'affaires inférieur à 10 MF. Ceux qui desservent une vingtaine de cafés ont une surface de stockage de quelques centaines de mètres carrés et moins de cinq employés ne sont pas rares : près de 150 distributeurs sont des entreprises en nom propre avec une taille très réduite. A côté de ces entreprises très souvent familiales qui opèrent avec des structures de coûts assez faibles (un camion, un petit local, peu ou pas de salariés), il existe des distributeurs de plus grande taille, adossés ou non à un brasseur.

b) ... marqué par l'intégration verticale par les brasseurs

L'ampleur du mouvement d'intégration verticale, en termes d'acquisitions

47. Les années 1990 ont vu naître le mouvement d'intégration verticale de la fonction de distribution par les principaux brasseurs présents sur le marché. En 1996, le groupe Heineken-Sogebra a pris le contrôle, dans un premier temps, du groupe Saint-Arnoult qui contrôlait les sociétés Brasseries Saint-Omer et Caves de Saint-Arnoult et qui exerçait, en sus de ses activités brassicoles proprement dites, des activités de distribution via une dizaine d'entrepositaires grossistes. Dans un second temps, Heineken a pris le contrôle de la société Fischer qui détenait des participations dans des entrepositaires grossistes et qui contrôlait la société Grande Brasserie alsacienne d'Adelshoffen. Cette opération a apporté au groupe Heineken [...] entrepôts.

48. L'opération précitée avait été examinée par le Conseil de la concurrence (avis n° 96-A-09 du 9 juillet 1996) qui était d'avis qu'elle présentait des risques d'atteinte à la concurrence sur les deux marchés de la bière (alimentaire et hors domicile) que ne compensaient pas les contributions au progrès économique.

49. L'arrêté pris par le ministre en charge de l'Economie, le 20 août 1996, procède d'une analyse concurrentielle différente du marché des bières vendues dans le circuit alimentaire et conclut à l'absence de risques d'atteinte à la concurrence sur ce marché (11). Concernant le marché des bières vendues hors domicile, le ministre a suivi l'avis du conseil qui avait relevé que, face à une offre très concentrée, la demande demeurait atomisée, qu'une grande partie des CHR étaient liés aux brasseurs et aux entrepositaires grossistes par des contrats, et que les barrières à l'entrée sur ce marché étaient élevées, notamment du fait des réseaux d'entrepositaires grossistes appartenant aux brasseurs. Le Conseil avait noté que l'acquisition du groupe Fischer entraînant la prise de contrôle de son réseau d'entrepositaires grossistes par le réseau Heineken, cette opération était de nature à rendre encore plus difficile l'entrée ou le maintien sur le marché de brasseurs indépendants.

50. Le ministre a subordonné son autorisation à l'opération Heineken/Fischer à la cession, par le groupe Heineken, d'un ensemble d'entrepôts ayant réalisé en France un chiffre d'affaires égal à celui réalisé par les entrepôts du groupe Fischer. L'arrêté prévoyait que les cessions devaient se faire au bénéfice d'acheteurs juridiquement et financièrement indépendants des trois principaux brasseurs, Heineken, Kronenbourg et Interbrew. Les rétrocessions effectuées par Heineken concernaient [...] entrepôts.

51. Un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 9 avril 1999, a annulé l'arrêté du ministre en charge de l'Economie au motif que cette décision privait la société Interbrew de la possibilité de se porter acquéreur des entrepôts en question sans qu'elle ait été en mesure de présenter des observations puisqu'elle n'avait pas reçu de projet de décision accompagné de l'avis du Conseil de la concurrence.

52. Le groupe Heineken avance qu'il a acquis [...] entrepôts dont le chiffre d'affaires est supérieur à 15 millions de francs depuis 1996, en sus des acquisitions comprises dans les opérations Saint-Arnould et Fischer. Le nombre d'acquisitions concernant des sociétés de taille inférieure n'est pas connu. Parallèlement aux acquisitions, Heineken a procédé à des restructurations et donc à des fermetures d'entrepôts. Il considère, qu'à la date de la saisine du ministre concernant le présent avis, le réseau France Boissons était constitué de [...] filiales, comportant [...] entrepôts.

53. Sur la période 1996-2000, Kronenbourg a acquis directement [...] entrepôts et le groupe Danone a réalisé deux acquisitions majeures : Tafanel, dans la région parisienne, compris dans la présente saisine, et le groupe [...], situé près de [...], qui comprenait [...] entrepôts. Kronenbourg a aussi réalisé des prises de participation minoritaires. Kronenbourg a procédé à des restructurations et à des fermetures d'entrepôts, mais dans une moindre mesure que Heineken. A la date de la présente saisine, la distribution de Kronenbourg comprend, d'une part, Elidis, qui compte [...] filiales, soit près de [...] entrepôts, d'autre part, les entrepôts du groupe [...] et enfin ceux de Tafanel. Au total, près de [...] entrepôts sont détenus par Kronenbourg.

54. Interbrew indique avoir racheté, durant cette période, une trentaine d'entrepôts de taille modeste. A la date de la saisine, le groupe possédait [...] entrepôts.

55. Il convient de noter que les acquisitions d'entrepositaires par les brasseurs se sont poursuivies après la présente saisine : Interbrew a fourni des éléments selon lesquels Kronenbourg et Heinenken auraient acquis respectivement [...] et [...] entrepôts entre la date de la saisine et mars 2003.

56. En 2001, les 1 100 entrepositaires grossistes étaient répartis comme suit :

Près de 300 entrepôts affiliés à un réseau intégré à un brasseur dont :

Heineken (France Boissons) : [...] ;

Kronenbourg (Elidis + [...] + Tafanel) : [...] ;

Stella Artois : [...] ;

Près de 800 entrepôts indépendants.

L'évolution de l'intégration verticale, en % de la distribution des boissons

57. Selon les données issues d'une étude réalisée par l'institut Gira, et présentées par la FNB, les distributeurs intégrés représentent [40-50] % du chiffre d'affaires de la distribution de toutes les boissons à destination de la CHD en 2000, contre [15-25] % en 1990.

Tableau 7

Evolution 1990-2000 des entrepositaires grossistes traditionnels en % CA toutes boissons

<emplacement tableau>

c) ... et le regroupement des indépendants

58. Parallèlement, les indépendants se regroupent et s'associent en groupements. En 1985, la FNB (Fédération nationale des boissons), syndicat des entrepositaires, a créé, avec l'accord de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture, l'Institut de restructuration et de développement des entrepositaires en boisson (IRDEB) qui est une société de financement destinée à favoriser la concentration des entrepositaires.

59. Des groupements d'indépendants se sont créés dans l'objectif d'augmenter leur pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs et aussi de faire des offres aux clients du troisième marché, les lieux de consommation hors domicile chaînés. Les deux principaux groupements sont Distriboissons et la Centrale européenne de boissons. Les liens entre ces groupements et les brasseurs sont étudiés en 4.2.

60. Distriboissons est une centrale d'achats. Ses actionnaires sont Elidis, du groupe Kronenbourg, et des distributeurs indépendants. Selon les guides Vasseurs, édition 2002, [...] entrepôts adhèrent à ce groupement. Pour être actionnaire de Distriboissons, l'entrepôt adhérent doit s'approvisionner directement auprès de Brasseries Kronenbourg. Les autres membres de Distriboissons, qui n'en sont pas actionnaires, sont des affiliés : la condition d'approvisionnement en direct n'est pas obligatoire pour eux.

61. La CEB ou Centrale européenne de boissons a été créée en 1997 et est devenue société anonyme en 1998. Elle regroupe des membres qui sont des distributeurs indépendants ainsi que le réseau de distributeurs du groupe Interbrew (12). Selon les guides Vasseurs, [...] entrepôts adhèrent à ce groupement. La CEB et Distriboissons ont créé en mars 2000 un groupement d'intérêt économique, Horizon, qui est une centrale d'achats pour les autres boissons que la bière.

d) La gamme des produits distribués par les entrepositaires s'est élargie

62. Pour tenir compte de l'évolution de sa clientèle, l'entrepositaire a étendu sa gamme de produits dans toutes les directions susceptibles de l'intéresser et relevant de la même logistique. Les boissons traditionnellement vendues par le distributeur, à savoir les bières, cidres et les boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA) se sont diversifiées et les vins et champagnes, les alcools et spiritueux ou encore les cafés, thés et chocolat sont maintenant offerts. Selon Gira, les bières et le vin représentent une part similaire du chiffre d'affaires des distributeurs CHD (autour de 35 %).

Tableau 8

Les produits livrés par les entrepositaires-grossistes en % du CA

<emplacement tableau>

e) Les activités connexes des entrepositaires grossistes : financement et marchand de biens

63. L'entrepositaire grossiste joue un rôle très important dans le financement de sa clientèle CHR. Le plus souvent, l'entrepositaire grossiste se porte caution solidaire pour l'obtention d'un prêt par le cafetier auprès d'une banque, d'un organisme de crédit ou d'une filiale spécialisée du brasseur. L'entrepositaire grossiste peut aussi aider directement au financement ou à l'octroi d'un prêt, s'il possède lui-même une filiale spécialisée dans l'octroi de crédits.

64. Une fonction commerciale essentielle des entrepositaires grossistes réside dans leur activité de marchand de biens. Au courant des projets de vente des cafés, ils en informent des acheteurs potentiels, prévoient les mutations de fonds de commerce et aident au montage des dossiers de financement des reprises ou installations, qu'ils financeront eux-mêmes ou en collaboration avec les brasseurs. Cette activité des entrepositaires grossistes est mise en avant dans les catalogues et annuaires destinés aux cafetiers.

2. Les cash and carry

65. Le fait marquant de la distribution à destination des établissements de consommation, hors domicile ces dernières années, est l'émergence et le développement des cash and carry. D'après Gira, entre 1990 et 2000, leur chiffre d'affaires total a été multiplié par 2,2, passant de 11,6 Mds de francs à 25,7 Mds de francs. Enfin, le chiffre d'affaires des cash and carry réalisé avec la vente de boissons pour la CHD a été multiplié par près de 3, passant de 1,6 Md de francs à 4,5 Mds de francs.

66. Les cash and carry appartiennent à deux groupes alimentaires : les magasins Promocash, du groupe Carrefour, sont au nombre de 127 en France et Metro, du groupe allemand homonyme, au nombre de 72, d'après les guides Vasseurs 2000.

67. Un cafetier qui s'approvisionne auprès des cash and carry doit se déplacer pour aller chercher la marchandise. A l'heure actuelle, les établissements de CHD vont principalement chercher les boissons comme les alcools ou spiritueux, qui ne représentent pas l'essentiel des volumes de boissons consommés. Les bouteilles de bières ou d'autres boissons sont aussi concernées, mais il s'agit de bouteilles non consignées puisque les cash and carry n'assurent pas la gestion des consignes. L'approvisionnement des bières en fût, ne concerne que les bières étrangères, les trois principaux brasseurs français ne livrant pas de bières en fûts aux cash and carry. Enfin, les cash and carry ne participent pas au financement des points de vente.

D. - Les relations entre les distributeurs et les fournisseurs de boissons

1. L'approvisionnement en autres boissons que la bière

68. La structure du marché de fournisseurs en autres boissons est concentrée, comme l'illustre le tableau suivant qui expose l'importance des trois premiers fournisseurs pour les ventes de chacune des catégories de boissons réalisées par les établissements de la consommation hors domicile, qu'ils soient traditionnels ou chaînés.

Tableau 9

Le poids des industriels des boissons en CHD en % des ventes de chaque catégorie

<emplacement tableau>

69. Du fait de leur organisation en réseau, et donc de la massification de leurs achats, les distributeurs intégrés à un brasseur ont une puissance d'achat vis-à-vis de ces fournisseurs concentrés que n'ont pas les distributeurs indépendants isolés. En 2000, Distriboissons et le groupement d'indépendants, CEB, ont créé une centrale d'achats pour les boissons autres que la bière, nommée Horizon, en réponse à l'affiliation de France Boissons à la centrale d'achats Francap.

70. Concernant les BRSA (boissons rafraîchissantes sans alcool) et les alcools, les distributeurs intégrés ou les groupements d'indépendants offrent l'intégralité des marques : ils n'ont pas développé de partenariats avec une marque en échange d'une exclusivité. Concernant le café, les distributeurs intégrés ont lancé, ces dernières années, des partenariats avec des marques afin de développer la qualité.

2. Les relations entre les distributeurs et les brasseurs

71. Les entrepositaires ont deux sources d'approvisionnement en bières : soit la brasserie directement, soit un autre entrepositaire qui joue un rôle de grossiste. Le transport depuis la brasserie jusqu'à l'entrepôt qui a un débit suffisant pour s'approvisionner en direct ne présente pas les mêmes caractéristiques que le transport aval, depuis l'entrepôt jusqu'au cafetier. Les camions qui enlèvent la bière à la brasserie transportent près de 200 hl de bières, soit en fûts, soit en citernes.

a) La sélection des entrepositaires grossistes par les brasseurs

72. Les brasseurs sélectionnent les entrepositaires aptes à distribuer la bière dans des conditions de qualité et d'hygiène satisfaisantes et leur confèrent ensuite le statut de distributeur agréé. Un contrat de distribution sélective est alors passé pour une durée déterminée entre le brasseur et le distributeur. Les entrepositaires grossistes traditionnels sont les distributeurs agréés des trois principaux brasseurs français.

73. A l'heure actuelle, aucun cash and carry n'a passé de contrat de distribution sélective avec un des trois principaux brasseurs français, alors qu'ils offrent des services d'installation et d'entretien des tirages à pression pour des bières de marque étrangère. Promocash offre des fûts de Mösbrau et Metro propose une gamme plus étendue, avec des fûts de Gilbert, bière belge avec deux produits (de luxe et spéciale), d'une bière hollandaise et d'une bière danoise. Les prix proposés par les cash and carry aux CHR sont notoirement inférieurs à ceux des entrepositaires.

74. Concernant le contrat de distribution sélective proprement dit, il est important de noter qu'il laisse l'entrepositaire libre de distribuer d'autres marques de bière que celles du brasseur. Un distributeur entrepositaire grossiste est donc généralement agréé par l'ensemble des brasseurs.

75. Les obligations du distributeur concernent, notamment, des mesures techniques sur le stockage des fûts, les modalités de retour de ceux-ci au brasseur, le montage et l'entretien des tirages à pression chez les débits de boissons selon le cahier des charges, et enfin, la capacité du distributeur à assurer la promotion de la marque du brasseur auprès du cafetier.

76. Le brasseur participe généralement au financement des tirages à pression chez le cafetier, et la hauteur de sa participation dépend de la marque de la bière qui sera servie : le brasseur cofinancera plus largement un appareillage pour qu'y soient tirées ses bières.

b) Le prix de gros de la bière

77. Le prix auquel l'entrepositaire achète les bières au brasseur dépend de plusieurs variables : les quantités totales achetées, l'importance des marques du brasseur dans les ventes totales du distributeur et l'objectif de volume ou de progression.

78. En effet, les conditions générales de vente, applicables à tout distributeur, définissent les ristournes dont bénéficie le distributeur en fonction des volumes commandés. Ces conditions générales de vente sont généralement doublées par une " convention de coopération commerciale " ou un " contrat de coopération commerciale " ou encore des " conditions générales de ristournes ", selon les termes utilisés par les brasseurs, qui ont le même objet : définir les réductions supplémentaires en fonction de la part de marché du brasseur au sein des ventes du distributeur, ou encore en fonction des progressions des bières du brasseur, des objectifs atteints, ou de la présence de la gamme. Ces rémunérations prennent la forme de réductions supplémentaires sur le prix de la bière (ristournes sur facture ou hors facture).

c) Les relations entre les brasseurs et les groupements de distributeurs

79. Distriboissons est une centrale de référencement qui regroupe la tête du réseau Elidis et des entrepositaires grossistes indépendants. Deux points du fonctionnement de Distriboissons sont intéressants au regard du lien de cette centrale d'achat avec le brasseur, en l'occurrence, le groupe Kronenbourg.

80. Tout membre de Distriboissons, qu'il soit actionnaire (" adhérent " selon la terminologie de Distriboissons) ou " affilié " (sans participation au capital, mais qui bénéficie des avantages de la centrale d'achats) s'engage à commercialiser au moins [...] des produits offerts par l'ensemble des fournisseurs référencés par Distriboissons. Pour être adhérent de Distriboissons, l'entrepositaire grossiste doit s'approvisionner directement auprès des brasseries Kronenbourg. Cette condition n'est plus valable pour un simple affilié.

81. Distriboissons perçoit, pour le compte de ses adhérents et affiliés, toute ristourne, c'est-à-dire toute réduction de prix qui n'est pas nécessairement déduite du prix facturé à l'adhérent ou affilié par le fournisseur, mais réglée de façon différée. Il s'engage à lui reverser la ristourne dont le montant est directement lié à ses propres achats auprès du fournisseur concerné et une quote-part des ristournes dont le montant total est lié aux achats de l'ensemble des membres de Distriboissons.

82. La Centrale européenne de boissons a été créée en 1997. Elle regroupe des distributeurs indépendants. Il s'agit plus d'une centrale de référencement que d'une véritable centrale d'achats, les remises de volume n'étant pas appliquées au total des commandes de la centrale. Toutefois, l'adhésion au groupement CEB permet à l'entrepositaire de bénéficier d'une remise dite de groupement de la part d'Interbrew.

83. En conclusion, la tarification de la bière aux entrepositaires grossistes comporte des incitations très fortes pour que le distributeur développe de façon prioritaire les marques d'un des brasseurs. Les conditions générales de vente l'incitent à concentrer les volumes de bière auprès d'un brasseur afin de bénéficier des remises de quantité, les ristournes le récompensent des efforts commerciaux qu'il a consentis pour développer majoritairement les marques d'un brasseur et, enfin, les modulations de l'aide à l'entretien du tirage à pression selon les marques de bière sont autant de facteurs qui poussent le distributeur à privilégier un partenariat commercial avec un brasseur. Toutefois, il n'existe pas d'engagement d'approvisionnement exclusif de l'entrepôt au profit d'un brasseur, ni d'attribution de territoire d'exclusivité à un distributeur. De fait, les entrepositaires grossistes indépendants conservent toute liberté contractuelle et le partenariat qu'ils peuvent engager avec un des brasseurs ne les prive pas de la possibilité de vendre les produits concurrents. Ils sont des distributeurs multi-marques. Concernant les distributeurs intégrés, leurs relations avec les brasseurs sont régies par les mêmes dispositions.

E. - Les relations brasseur/distributeur avec le débit de boissons

84. Au nombre des restrictions verticales dans le secteur de la bière figurent les relations contractuelles entre les établissements CHR traditionnels et les brasseurs et/ou les distributeurs. Elles prennent deux formes : les contrats de bière, aux termes desquels un point de vente s'engage à vendre exclusivement les marques de bières pression du brasseur partenaire en contrepartie d'avantages financiers, et les contrats de gamme, conclus entre un CHR et un entrepositaire grossiste, qui précisent les boissons pour lesquelles le point de vente s'engage à s'approvisionner exclusivement chez l'entrepositaire grossiste partenaire.

1. Les contrats de bière

85. En contrepartie d'un avantage financier ou matériel consenti par le brasseur au cafetier, celui-ci s'engage à s'approvisionner pour tout ou partie de ses bières, auprès dudit brasseur pour une durée limitée. Un contrat est alors passé entre le brasseur et le cafetier, le " contrat de bière ". Ce contrat désigne en outre le distributeur auprès duquel le cafetier est tenu de s'approvisionner.

86. Le règlement d'exemption n° 1984/83 du 22 juin 1983 déclarait conforme au droit communautaire les accords exclusifs de fourniture de bières et autres boissons, sous certaines conditions. Dans le préambule de ce règlement, (considérant 15) la Commission avait rappelé que : " les avantages économiques et financiers que le fournisseur accorde au revendeur (dans le cadre du contrat de bière) facilitent sensiblement l'installation ou la modernisation de débits de boissons (...) ainsi que leur entretien et exploitation : que l'obligation d'achat exclusif et l'interdiction de concurrence amènent le revendeur à concentrer ses efforts de vente sur les produits visés dans l'accord avec tous les moyens dont il dispose ; que de tels accords conduisent les parties contractantes à une coopération de longue durée qui leur permet d'améliorer la qualité des produits et du service à la clientèle fournis par le revendeur ; qu'ils permettent une planification à long terme des ventes et donc une organisation rentable de la production et de la distribution ".

87. Ce règlement a été remplacé par le règlement n° 2790-1999 du 12 décembre 1999. Afin de se conformer au nouveau règlement, les brasseurs ont limité l'exclusivité au fût et réduit la durée des contrats à 5 ans.

88. La part du marché liée par des contrats d'exclusivité est de [70-80] % des cafés purs, cafés-tabacs et cafés-restaurants et de moins de 20 % pour l'ensemble des établissements de la restauration hors domicile (restauration collective et établissements chaînés compris).

Tableau 10

Etablissements liés par un contrat de bière en 2000

<emplacement tableau>

89. La fraction des volumes fûts qui est vendue sous exclusivité a aussi été évaluée, en rapportant les déclarations des brasseurs sur les volumes de bières en fûts qu'ils vendent sous contrats à la consommation de fûts pour l'année 2000 (5 377 604 hl, d'après ABF).

Tableau 11

Les volumes de bières en fûts vendus sous contrats

<emplacement tableau>

2. Les contrats entrepositaire-cafetier

90. Le cafetier peut être lié au distributeur de deux façons : soit en vertu de la désignation au sein du contrat de bière, soit parce qu'il a conclu avec ce dernier un contrat de gamme qui peut porter sur l'ensemble des boissons achetées par le point de vente.

91. Le contrat de gamme est une convention entre l'entrepositaire-grossiste et un client CHR par laquelle le client CHR s'engage à s'approvisionner pour les boissons qu'il aura choisies (bières en bouteilles, et/ou en fûts si le point de vente n'est pas lié par un contrat de bière, et/ou autres boissons), auprès du distributeur en contrepartie des avantages économiques qui lui sont consentis. La FNB a défini un contrat de gamme type qu'utilisent aussi bien les indépendants que les réseaux intégrés. Ce contrat, signé pour une durée de 5 ans, précise les volumes conventionnels. Il prévoit une pénalité en cas de non-respect de l'exclusivité de fourniture : le débit de boissons devra régler une part fixée conventionnellement du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat.

92. En conclusion, l'exclusivité de marque, aux termes de laquelle un CHR traditionnel s'engage pour une durée de 5 ans à acheter ses bières auprès d'un unique brasseur, ne concerne que les bières en fûts. Près de la moitié des volumes totaux de bières pression consommés en France sont toutefois concernés par cette exclusivité. Concernant les bières en bouteilles et les autres boissons, le CHR peut s'engager auprès d'un entrepositaire grossiste à s'approvisionner uniquement chez lui, mais l'exclusivité ne porte alors pas sur les marques des boissons.

II. - LES OPÉRATIONS

A. - Le brasseur acquéreur

93. Le groupe Scottish&Newcastle est une société britannique, enregistrée en Ecosse, qui exerce ses activités dans la production de bières, la distribution de boissons à destination des débits de boissons et qui possède des chaînes de pubs et de restaurants. Présent principalement au Royaume-Uni et en Irlande, le groupe Scottish&Newcastle a pris le contrôle de la branche bière du groupe Danone en France et en Belgique au milieu de l'année 2000. Concernant la France, l'opération portait sur l'acquisition :

* d'une société brassicole, Brasseries Kronenbourg SA ;

* d'une holding regroupant des sociétés spécialisées dans la distribution de boissons à destination des établissements de consommation hors domicile (CHD), Elidis Holding SA ;

* d'une société spécialisée dans les opérations de financement des points de vente, la Sofid, Société financière de développement ;

* de [...] société mère du groupe [...], composé de sociétés spécialisées dans la distribution CHD et situées, pour la plupart, dans les régions [...].

94. L'acquisition de la branche bière du groupe Danone par le groupe Scottish&Newcastle, notifiée à la Commission européenne, a été autorisée, les deux groupes n'ayant pas développé leur présence sur les mêmes marchés géographiques (13).

95. A la suite de cette opération, les activités en France du groupe Scottish&Newcastle sont structurées de la façon suivante. [...]

96. Dans la suite de l'avis, l'appellation Kronenbourg désignera le groupe Scottish&Newcastle en France. En tant que de besoin, il sera fait référence à la structure juridique (société) en cause.

97. En 2000, Kronenbourg a produit 8 855 khl bières, employait 3 904 salariés ([...]), répartis de façon égale entre activité de production et de distribution. Le chiffre d'affaires de la brasserie s'est élevé, la même année, à 5,4 milliards de francs, exportations comprises, et le chiffre d'affaires consolidé de Elidis était de 3,1 milliards de francs, dont 38 % correspondant à la distribution de bières du groupe Kronenbourg.

B. - Les opérations visées par la demande d'avis

98. La demande d'avis, en date du 8 août 2001, visait les opérations suivantes, réalisées entre 1997 et 2001, et qui n'ont pas fait l'objet de notifications au titre de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : Tafanel (Paris), Blanchet SA (Paris, Villeneuve-la-Garenne), Speed boissons (Le Buisson), Seca (Avrillé), Dordogne boissons (Marsac), Laclotre (Poitiers, Niort), Ets Guy Besson (Bellegarde), Bousch (Saint-Avold), Hydral Ets (Sarrebourg), Ferrer (Audincourt), Weber Ritz (Thionville), Feuvrier Ets (Besançon, Ornans, Mamirolle), Ets Murgier (Belleville), Morel (Varenne), Sobodis NBS (Saint-Quentin). Par lettre du 21 janvier 2002, la DGCCRF a fait savoir au Conseil que les précisions apportées par les parties la conduisaient à écarter du champ de l'examen du Conseil les entrepôts Weber Ritz, Morel, Bousch et Guy Besson, dans lesquels Kronenbourg ne possédait pas de participation ou ne détenait qu'une participation très minoritaire. Il a également précisé que, bien que les acquisitions des entrepôts Seca et Ferrer aient été réalisées en 1996, elles entraient dans le champ de la saisine du Conseil. Au total, 11 opérations ont donc été examinées.

C. - La nature des opérations

99. Aux termes de l'article L. 430-2 du Code de commerce avant sa modification par la loi NRE (14) du 15 mai 2001, " la concentration résulte de tout acte, qu'elle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante ".

100. Les opérations visées dans la saisine ont pris la forme soit de l'acquisition de la totalité du capital d'une entreprise, soit d'une prise de participation minoritaire, soit du passage d'une participation minoritaire à la détention de la totalité des actions. Si l'acquisition par une entreprise de plus de 50 % du capital d'une autre entreprise suffit à conférer à l'entreprise acquéreur une influence déterminante sur l'autre entreprise, tel n'est pas nécessairement le cas d'une prise de participation inférieure à ce seuil.

1. L'acquisition de l'intégralité du capital (trois opérations)

a) Dordogne boissons

101. En avril 1999, Elidis a acquis, auprès du groupe familial propriétaire, l'intégralité des actions de l'entrepositaire grossiste Dordogne boissons. Située à 5 km de Périgueux (Dordogne, 24). Cette société employait [< 10] salariés, réalisait un chiffre d'affaires de [...] MF au moment de son acquisition et livrait aux débits de boissons [< 10 000] hl de fûts de bière par an (15). Elle a reçu la nouvelle dénomination de Elidis Périgueux, société rattachée à Elidis boissons Services Aquitaine Centre.

b) Speed boissons

102. En janvier 2000, Elidis a acquis 100 % des actions de la société Speed boissons, entrepositaire grossiste situé à 20 km de Sarlat (Dordogne, 24), qui employait [< 10] salariés et livrait [< 10 000] hl de fûts de bières, pour un chiffre d'affaires de [...] MF. L'établissement a été rattaché à Elidis Brive, établissement lui-même rattaché à Elidis Boissons services Aquitaine Centre.

c) Blanchet

103. En février 1996, la société Blanchet, créée pour les besoins de l'opération par le groupe Danone, a acheté à la famille Blanchet [...] fonds de commerce situés à Paris (17e) et à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine, 92). Le chiffre d'affaires [...] consolidé de ces [...] entrepôts s'élevait à [...] MF en 1995 et l'effectif salarié était de [150-200] personnes. Le volume de bières en fûts distribué totalisait [150 000-160 000] hl en 1996. L'établissement a reçu la nouvelle dénomination de Elidis Paris et a été rattaché à la société Elidis boissons service, présente dans la région parisienne.

104. Ces trois opérations, par lesquelles le groupe Kronenbourg a acquis l'intégralité du capital des sociétés concernées, sont des concentrations au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce, avant modification par la loi du 15 mai 2001.

2. L'acquisition d'une minorité du capital (quatre opérations)

105. Quatre opérations examinées sont des prises de participations minoritaires au sein du capital d'entrepositaires grossistes : Ferrer, Feuvrier, Kihl/Hydral et Murgier. Kronenbourg fait valoir dans ses observations que au regard des critères d'analyse développés, tant par les instances de contrôle européennes que nationales, ces participations minoritaires ne sont pas contrôlantes et que les opérations en cause ne constituent donc pas des concentrations au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce. Kronenbourg affirme notamment que en tant qu'actionnaire minoritaire, il ne détient, dans les entreprises dont il s'agit, aucun droit particulier qui serait susceptible de lui donner une influence déterminante, d'autant plus que la majorité du capital de ces entreprises est réunie dans les mains de groupes familiaux et non d'un actionnariat dispersé.

106. Une prise de participation minoritaire peut aboutir à l'exercice, par l'actionnaire minoritaire et de façon exclusive, d'une influence déterminante sur l'activité de l'entreprise cible et l'existence de ce contrôle découle d'un faisceau de circonstances de droit et de fait.

107. La notion de contrôle de droit s'applique aux situations dans lesquelles l'actionnaire minoritaire détient des droits particuliers qui lui permettent d'exercer une influence déterminante sur les décisions stratégiques et commerciales de la société, comme c'est, par exemple, le cas lorsque l'actionnaire minoritaire détient des actions préférentielles qui confèrent une majorité des droits de vote, ou encore des droits de veto sur des décisions stratégiques. En revanche, la détention, par l'actionnaire minoritaire, d'un droit de préemption sur d'autres actions ne peut pas, en elle-même, lui donner un pouvoir de contrôle sur l'entreprise, à moins que l'exercice de ce droit de préemption ne soit certain et prévu à brève échéance, de sorte que les circonstances de droit et de fait en fonction desquelles les autorités de concurrence examinent l'opération peuvent intégrer cette évolution.

108. Par ailleurs, lorsque le reste de l'actionnariat est dispersé, un actionnaire minoritaire peut se trouver en situation de contrôler, de fait, les activités de l'entreprise cible. L'exercice d'un contrôle de fait peut aussi trouver son origine dans le caractère inextricablement lié des activités des entreprises et de la reconnaissance par les actionnaires majoritaires du préjudice qu'ils subiraient s'ils venaient à s'opposer aux décisions de l'actionnaire minoritaire.

109. En l'espèce, les prises de participation minoritaires réalisées par Kronenbourg dans le capital des sociétés Ferrer, Feuvrier, Murgier et Kihl ont donné lieu à une modification des statuts. Les dispositions de ces statuts, relativement similaires d'une opération à l'autre, conféraient à Kronenbourg un droit de veto sur certaines décisions du conseil d'administration, relatives à des engagements financiers importants et un droit de préférence en cas de cession des actions. Kronenbourg a, de plus, conclu avec les groupes familiaux des sociétés Ferrer, Feuvrier et Kihl, des pactes d'actionnaires, comportant notamment une promesse de vente à échéance indéterminée de la totalité du capital en sa faveur. Dans leurs modalités, aucune de ces dispositions juridiques n'excède ce qui est normalement consenti à des actionnaires minoritaires afin de protéger leurs intérêts financiers et ne permet à Kronenbourg de contrôler la stratégie de l'entreprise. De plus, l'actionnariat majoritaire des sociétés concernées est constitué d'un groupe familial et il est concentré entre les mains de quelques personnes. Au vu des éléments concernant les relations commerciales entre Kronenbourg et les entrepositaires concernés qui figurent au dossier, il ne peut être soutenu que le brasseur exerce un contrôle de fait sur les activités commerciales du distributeur. Les comités de gestion paritaires, qui devaient veiller au développement de ces relations commerciales et dont la création avait été prévue lors des opérations Ferrer, Feuvrier et Kihl, n'ont jamais vu le jour et l'effet du plan de développement des ventes de Kronenbourg conclu avec Murgier n'a pu être constaté. Au total, au vu des éléments réunis lors de l'instruction, les opérations en cause n'ont pas, en l'état, conféré à Kronenbourg une influence déterminante sur ces quatre entreprises et ne constituent donc pas des concentrations au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce. Les modalités juridiques de ces prises de participation et les relations commerciales de Kronenbourg avec ces entrepositaires sont détaillées, pour chaque opération, ci-après.

a) Ferrer (Montbéliard, Doubs)

110. En juillet 1996, Elidis qui, à l'époque s'appelait Sopardis, a acquis auprès du groupe familial propriétaire [< 50] % du capital de la société Ferrer, à la faveur d'une augmentation de capital. Conformément au protocole d'accord signé entre Kronenbourg et le groupe familial Ferrer, les statuts de la société ont été modifiés et un pacte d'actionnaires a été signé.

111. Kronenbourg dispose de [...] sièges au conseil d'administration contre quatre pour le groupe familial Ferrer. Le président, représentant du groupe familial, dispose d'une voix prépondérante. Les modalités de vote de l'article 14 des statuts donnent à Kronenbourg un droit de veto sur des décisions [...].

112. Les statuts et le pacte d'actionnaires confèrent, en cas de cession d'actions à des tiers par une partie, un droit de préférence à l'autre partie. Le pacte d'actionnaires comporte également un engagement d'achat par Kronenbourg et une promesse de vente par le groupe Ferrer, qui reste valable aussi longtemps que Kronenbourg détiendra des titres de la société Ferrer ou que le pacte d'actionnaires sera lui-même en vigueur. Aux termes de son article 6, le pacte d'actionnaires est conclu pour une durée prenant fin au [...]. Certaines circonstances permettent à Kronenbourg de déclencher la cession : [...].

113. Ferrer réalisait un chiffre d'affaires égal à [...] MF au moment de cette opération. Le comité de gestion paritaire, dont la création était annoncée dans le point 4 du pacte d'actionnaires dans le but de développer les marques de Kronenbourg, n'a jamais été créé. En 2000, cet entrepôt livrait [< 10 000] hl de fûts de bières aux débits de boissons, dont [75-85] % de marques Kronenbourg. Kronenbourg avance qu'en 2003 cette proportion n'est plus que de [60-70] %.

b) Feuvrier (Besançon, Doubs)

114. En 1997, Kronenbourg a acquis, auprès du groupe familial Feuvrier, une participation de [< 50] % dans la société du même nom. Un protocole d'accord entre les deux parties prévoyait une augmentation de capital qui serait souscrite par Kronenbourg en vue de porter sa participation à [< 50] %, ainsi qu'une modification des statuts et la signature d'un pacte d'actionnaires. L'augmentation de capital prévue a effectivement été réalisée en [...] (16).

115. Kronenbourg dispose de [...] sièges au conseil d'administration, contre trois pour le groupe familial Feuvrier. Le président, membre de ce groupe familial, dispose d'une voix prépondérante en cas de partage des voix, aux termes de l'article 16 des statuts. Selon le même article, les décisions [...] requièrent la majorité des 2/3 des membres plus une voix.

116. Les dispositions des statuts et du pacte d'actionnaires relatives aux droits de préférence, à l'engagement d'achat par Kronenbourg et à la promesse de vente du groupe familial sont les mêmes que celles précédemment examinée pour Ferrer, hormis quelques nuances sur [...].

117. Enfin, une nouvelle organisation administrative et commerciale de Feuvrier, qui comprenait un plan de développement des marques Kronenbourg, la remontée de tableaux de bord mensuels et la mise en place d'un comité de gestion paritaire qui " aura pour mission essentielle la fixation annuelle des objectifs commerciaux et leurs budgets correspondants dans le souci constant du développement des parts de marché des produits du groupe Kronenbourg dans les ventes de la SA Feuvrier par rapport aux boissons concurrentes (17) " devait être mise en place après l'entrée au capital du groupe Kronenbourg. Cependant, ce comité de gestion paritaire n'a pas été installé. Dans ce contexte, la forte progression de la part des bières Kronenbourg dans les volumes de bières en fûts livrés par Feuvrier, qui serait passée de [< 10 000 hl] sur [< 10 000 hl] en 1998, soit [25-35] %, à [55-65] % des [< 10 000 hl] livrés en 2000, apparaît à elle seule insuffisante pour caractériser l'exercice d'un contrôle de fait du brasseur minoritaire.

c) Murgier (Beynost Miribel, Ain)

118. En 1994, une augmentation du capital de Murgier a permis à Kronenbourg d'entrer au capital de cette société à hauteur de [< 50] %. Un protocole d'accord, signé à cette date entre le groupe familial Murgier, détenteur du reste des actions, et Kronenbourg, prévoit que les statuts seront modifiés et que la part de Kronenbourg sera portée à [< 50] % par le biais d'une nouvelle augmentation de capital qui s'est effectivement réalisée en [...]. En 1994, l'entrée de Kronenbourg au capital de la société Murgier, à hauteur de [< 50] %, avait été assortie de la signature d'un protocole d'accord et d'une modification des statuts.

119. Kronenbourg dispose de [...] sièges au conseil d'administration contre sept pour le groupe familial Murgier. La voix du président, qui est un membre du groupe familial Murgier, n'est pas prépondérante. Pour le reste, les dispositions relatives aux modalités de vote des décisions importantes et celles relatives à l'exercice du droit de préemption sont les mêmes que celles décrites ci-dessus pour Feuvrier. Il n'a pas été signé de pacte d'actionnaires. Ces dispositions, introduites en [...], lorsque Kronenbourg est entré dans le capital de Murgier à hauteur de [< 50] %, n'ont pas conféré à ce groupe un contrôle de droit sur l'entreprise. Cette conclusion reste valable pour la seconde opération qui a permis à Kronenbourg, en 1997, de détenir [< 50] % du capital, ce qui n'a pas donné lieu à la signature d'un pacte d'actionnaires, ni à des modifications substantielles des statuts de la société cible.

120. Le protocole d'accord signé en [...] prévoyait, en son article 9, qu'un plan de développement des marques Kronenbourg serait mis en place. Murgier livrait, en 2000, [20 000-30 000] hl de bière en fûts aux débits de boissons, dont [60-70] % de marques Kronenbourg. Toutefois, aucun élément du dossier ne permet de penser que cette part résulterait d'une progression consécutive à l'acquisition examinée.

d) Kihl/Hydral (Sarreguemines, Sarrebourg, Moselle)

121. La société Kihl, détenue majoritairement par le groupe familial du même nom, comptait, depuis 1969, Elidis comme actionnaire minoritaire, à hauteur de [< 50] %. En 1998, un protocole d'accord et un pacte d'actionnaires ont été signés entre la famille Kihl et Kronenbourg. Kihl réalisait, entre 1998 et 2001, un chiffre d'affaires de l'ordre de [...] millions d'euro, dont un tiers à l'export.

122. En juin 2001, la société Kihl a fusionné avec la société Hydral, entrepositaire basé à Sarrebourg (57), détenu par le groupe familial Bréhat, qui détenait une capacité de livraison de [< 10 000] hl de fûts de bière, dont une majorité de bières Kronenbourg. Le capital de l'entité issue de la fusion, nommée Kihl, a été réparti entre Kronenbourg [< 50] %, le groupe familial Kihl [>50] % et le groupe familial Brehat [< 50] %, entre lesquels un pacte d'actionnaires a été signé. Cette société distribuait, en 2001, près de [10 000-20 000] hl de bière en fûts, dont [50-60] % de marques Kronenbourg.

123. Les dispositions juridiques régissant la présence de Kronenbourg au capital de la société Kihl étant très similaires à celles décrites pour les sociétés Ferrer et Feuvrier, il y a lieu de considérer, dans un premier temps, que Kronenbourg n'était pas en mesure d'exercer un contrôle de droit sur les activités de Kihl, avant la fusion de celle-ci avec Hydral. Kronenbourg était, en effet, représenté au conseil d'administration par [...] et la famille Kihl par [...]. Kronenbourg disposait de droits de veto sur les décisions concernant [...]. En revanche, comme pour les opérations précédentes, les décisions de nomination et révocation du personnel d'encadrement, passation de tous traités et marchés, établissement de succursales, etc, étaient prises à la majorité des membres présents, avec une prépondérance de la voix du président (un représentant du groupe familial Kihl) en cas de partage des voix. Les dispositions relatives au droit de préférence et à la promesse de vente du groupe familial étaient les mêmes que celles prévues par les statuts et les pactes d'actionnaires des sociétés Feuvrier et Ferrer.

124. S'agissant des relations commerciales avec le brasseur, le comité de gestion paritaire, dont l'institution était prévue aux termes du pacte d'actionnaires, n'a jamais vu le jour. En l'absence d'éléments sur l'évolution des parts des marques Kronenbourg au sein des ventes de la société Kihl depuis la signature du pacte d'actionnaires, aucun élément ne permet de conclure à l'exercice d'une influence déterminante de Kronenbourg sur Kihl pour la période antérieure à la fusion Kihl/Hydral.

125. Cette dernière opération n'a pas non plus permis à Kronenbourg d'exercer une influence déterminante sur l'entité ainsi créée. D'une part, l'opération s'est traduite par une baisse de la participation de Kronenbourg de [< 50] % à [< 50] %, et une baisse de sa représentation au conseil d'administration [...]. Enfin, certains des droits de veto accordés dans le précédent pacte ont été significativement réduits et n'ont plus concerné [...]. D'autre part, le plan de développement sur cinq ans des marques de Kronenbourg n'a pas été un obstacle à la décision récente de Kihl de s'approvisionner directement auprès de Heineken et d'engager avec ce brasseur des relations commerciales du même type que celles qui l'unissent à Kronenbourg, selon les observations de Kihl en réponse au rapport.

3. L'acquisition de l'intégralité du capital suite à la détention d'une minorité (quatre opérations)

126. Quatre opérations consistent en des prises de participations complémentaires qui ont permis à Kronenbourg de détenir la totalité du capital de l'entrepôt cible. Le brasseur ne conteste pas, dans ses observations en réponse au rapport, que ces opérations constituent des concentrations au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce, puisque, soutenant que les prises de participation minoritaires initiales n'étaient pas contrôlantes, il analyse les opérations dont le conseil est saisi comme des prises de contrôle exclusives sur des sociétés jusque-là non contrôlées. Il fait néanmoins valoir que, dans l'hypothèse où le conseil considérerait que Kronenbourg contrôlait les entreprises en question dès le stade des acquisitions minoritaires, l'achat du reste des titres ne modifierait pas la situation de la concurrence et ne serait pas contrôlable.

127. Toutefois, comme le précise la communication de la Commission européenne relative au contrôle des concentrations : " une opération doit également être considérée comme une concentration lorsqu'elle entraîne un changement dans la structure du contrôle, tel le passage d'un contrôle commun à un contrôle exclusif ou une augmentation du nombre d'actionnaires exerçant un contrôle en commun. ".

128. Ainsi que cela résulte des indications qui vont être fournies ci-dessous, les opérations Laclotre, Sobodis et Seca constituent des concentrations au sens de l'article L. 430-2 avant modification par la loi du 15 mai 2001, aucun élément ne permettant d'affirmer que les participations minoritaires que Kronenbourg détenait dans le capital de ces sociétés lui conféraient l'exercice d'une influence déterminante sur les actions de ces dites sociétés. Dès lors, l'acquisition du solde du capital qui lui a conféré la détention de la totalité des actions a permis au brasseur d'exercer un contrôle exclusif sur ces sociétés.

129. S'agissant de Tafanel, la participation minoritaire de [< 50] % détenue par Kronenbourg dans le capital de cette société, antérieurement à l'opération dont le Conseil est saisi, avait créé une situation dans laquelle le groupe familial Tafanel et le brasseur exerçaient conjointement le contrôle de l'entreprise. Dans ces conditions, l'opération par laquelle Kronenbourg est devenu propriétaire de la totalité du capital s'analyse comme un changement de nature du contrôle, qui de conjoint est devenu exclusif, et constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.

D. - Laclotre

130. Laclotre, entrepositaire grossiste situé à Chasseneuil-du-Poitou (Vienne, 86) et sa filiale, Entrepôts Réunis du Poitou, basée à Niort (Deux Sèvres, 79), étaient détenus par le groupe familial Laclotre à hauteur de [>50] % et par Elidis à hauteur de [< 50] %. En 1997, Elidis est devenue propriétaire de la totalité des actions. A cette date, la société Laclotre réalisait un chiffre d'affaires de [...] MF et distribuait aux débits de boissons [10 000-20 000] hl de bières en fûts toutes marques confondues via l'entrepôt de Poitiers et [< 10 000] hl via celui de Niort. L'entrepôt de Niort avait également une activité importante de rétrocession à d'autres entrepositaires.

131. A la suite de cette opération, l'entrepôt de Niort est devenu Elidis Boissons Services Niort et 5 entrepôts y ont été rattachés, en tant qu'établissements secondaires, y compris l'ancien entrepôt Laclotre de Poitiers, devenu Elidis Boissons Services Poitiers. Les autres établissements secondaires sont basés à Joué-lès-Tours (37), La Rochelle, Royan et Marennes-d'Oléron (17).

E. - Seca

132. Seca, entrepositaire grossiste dont le capital était, avant juillet 1998, détenu à hauteur de [>50] % par M. Garot et par la SARL Société Angevine de participations, représentée par ce dernier, et à hauteur de [< 50] % par Elidis, est située à Avrillé, près d'Angers (Maine-et-Loire). En [...], le chiffre d'affaires de cet entrepositaire grossiste était de [30-40] MF et son effectif salarié, de [20-30] personnes. Ce distributeur livrait aux débits de boissons [10 000-20 000] hl de fûts de bières et approvisionnait d'autres entrepositaires. En juillet 1998, Elidis est devenu propriétaire de la totalité du capital de la société, devenue depuis Elidis Angers, et rattachée à Elidis Boissons Loire Océan.

F. - Sobodis

133. Basée à Gauchy (Aisne, 02), où se trouve son siège social et son établissement principal, Sobodis possède un établissement secondaire à Soissons. Cette société était, avant août 1996, détenue par la société Chaffard Holding (appartenant à la famille Chaffard), la famille Rivez et Sopardis (devenue Elidis), à hauteur de [< 50] % pour cette dernière. En août 1996, l'acquisition d'actions détenues par la famille Rivez a permis à Sopardis d'augmenter sa participation à hauteur de [< 50] %. Enfin, en avril 1997, Sopardis a acquis le reste du capital. Le chiffre d'affaires de Sobodis était de [...] MF en 1997 et son effectif salarié de [30-40] personnes. Ce distributeur livrait, à la même date, [10 000-20 000] hl de bière en fûts aux débits de boissons.

G. - Tafanel

134. La société Tafanel a son siège social à Paris. Elle exploite de nombreux entrepôts sur Paris et sa région, par l'intermédiaire de plusieurs filiales (Compagnie générale de distribution de boissons, Société nouvelle Jupiter, Société parisienne de distribution de boissons, Société anonyme d'exploitation de Socodis SA, Tafanel commercialisation, Gestion administrative Tafanel, CHR Conseil, Les entrepôts alimentaires de Sainte-Geneviève-des-Bois). Le volume de bière en fûts distribué par les établissements Tafanel était de [200 000-210 000] hl en [...]. Son chiffre d'affaires global était, la même année, de [...] MF, et son effectif salarié de [300-350] personnes en [...].

135. En [...], le groupe Danone a pris une participation de [< 50] % dans Tafanel, par l'intermédiaire d'une de ses filiales, la société Financière GLC. Cette filiale était incluse dans le périmètre de l'opération notifiée à la Commission européenne par le groupe Scottish & Newcastle en 2000. En 2001, le groupe Scottish & Newcastle a acquis auprès de la famille Tafanel [...] du capital restant de la société, opération visée dans la saisine.

136. Cette prise de participation s'inscrivait dans le contexte de relations commerciales privilégiées entre Kronenbourg et l'entrepositaire puisque, depuis [...], les sociétés Kronenbourg et Tafanel étaient liées par un contrat de [...] de bière en fûts pour les 20 arrondissements de la ville de Paris ainsi que pour Neuilly et Boulogne-Billancourt, lequel a été reconduit en 1990. Aux termes de ce contrat, [...] (article 2). La participation de [< 50] % au capital de Tafanel a permis à Kronenbourg d'exercer un contrôle sur les activités de cette entreprise, conjointement avec la famille Tafanel, propriétaire du solde des actions. En effet, disposant de la quasi-parité des actions, les deux parties (le brasseur et le groupe familial) doivent nécessairement s'entendre sur la politique commerciale de l'entreprise.

137. En 2000, l'opération par laquelle Kronenbourg devient propriétaire de l'intégralité du capital de Tafanel, permet donc au groupe Kronenbourg de passer d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif.

III. - LA CONTRÔLABILITÉ DES OPÉRATIONS

A. - Sur le droit applicable

138. Kronenbourg fait valoir qu'en raison de l'entrée en vigueur du nouveau régime de contrôle des concentrations instauré par la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), au 18 mai 2001, date de la publication du décret d'application, les acquisitions d'entrepôts visées par la saisine A 343 échappent au pouvoir de contrôle du ministre de l'Economie. La société soutient que, conformément à l'article 94, alinéa 2 de la loi NRE, le nouveau régime de contrôle des concentrations ne s'applique qu'aux " opérations engagées de façon irrévocable " postérieurement à son entrée en vigueur. Par ailleurs, selon Kronenbourg, la loi NRE ne contiendrait pas de disposition de droit transitoire qui prorogerait les pouvoirs de contrôle du ministre de l'Economie à l'égard des opérations engagées antérieurement à son entrée en vigueur. Enfin, Kronenbourg fait valoir que le régime antérieur de contrôle des concentrations n'aurait plus de force juridique puisque les dispositions de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, codifiées au livre IV du Code de commerce, ont été remplacées par de nouvelles règles issues de la loi NRE et que le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, fixant les conditions d'application de ladite ordonnance, a été abrogé par l'article 50 du décret du 30 avril 2002. La société en conclut que l'acte par lequel le ministre a saisi le conseil d'une demande d'avis sur ces acquisitions est illégal.

139. Sur la base d'une argumentation similaire, selon laquelle le nouveau régime de contrôle des concentrations a privé le ministre de l'Economie du pouvoir de contrôler les opérations de concentration engagées de façon irrévocable antérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions, Heineken a adressé au ministre de l'Economie une requête visant au retrait de la saisine A 342, par laquelle le ministre avait saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions du titre III du livre IV du Code de commerce (avant sa modification par la loi n° 2001-420 relative aux les nouvelles régulations économiques, ci-près loi NRE), d'une demande d'avis relative à plusieurs acquisitions d'entrepôts réalisées par le groupe Sogebra-Heineken dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR (café, hôtellerie, restauration). Cette requête ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet par le ministre de l'Economie, Sogebra a, le 19 juillet 2002, intenté un recours en annulation contre cette décision devant le Conseil d'Etat. Elle demandait aussi au Conseil d'Etat d'enjoindre au ministre de l'Economie de retirer la saisine A 342.

140. Par un arrêt du 9 juillet 2003, le Conseil d'Etat a rejeté le recours de Sogebra au motif que la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre de l'Economie a le caractère d'un acte préparatoire et ne constitue pas en elle-même une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et qu'il en est de même de la décision par laquelle le ministre chargé de l'Economie refuse de retirer cette saisine.

141. Au surplus, le Conseil d'Etat se prononce, d'une part, sur les conséquences de l'entrée en vigueur de la loi NRE sur les pouvoirs qu'avait le ministre en charge de l'Economie de contrôler, a posteriori, des opérations de concentrations et, d'autre part, sur le régime qu'il conviendrait d'appliquer en pareil cas de contrôle a posteriori d'opérations. Il a jugé que : " Considérant au surplus que, si la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a rendu obligatoire la notification au ministre chargé de l'Economie des projets de concentrations entrant dans le champ de l'application des articles L. 430-1 et L. 430-2 du Code de commerce et si celui-ci a, de ce fait, perdu, dans le nouveau régime issu de la loi précitée, le pouvoir de contrôler a posteriori, sauf dans les cas prévus à l'article L. 430-8 du Code de commerce, les opérations de concentration définitivement réalisées, il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article 94 de ladite loi que le ministre a conservé ce pouvoir s'agissant des opérations de concentrations engagées de façon irrévocable avant la date d'entrée en vigueur du nouveau régime de contrôle des concentrations, laquelle résulte des dispositions combinées de l'article 94 de la loi du 15 mai 2001 et de l'article 51 du décret du 30 avril 2002, pris pour son application ; qu'il résulte des mêmes dispositions que l'examen de ces dernières opérations reste régi, dans le cas où le ministre décide de les soumettre au conseil de la concurrence, aux règles de fond et de procédure fixées par les articles L. 430-1 à L. 430-7 du Code de commerce dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi que les règlements pris pour leur application ; ".

B. - Sur la prescription

142. Kronenbourg fait encore valoir que la rédaction de l'ordonnance du 1er décembre 1986, telle que codifiée au livre IV du Code de commerce, indique clairement que la prescription triennale s'applique aux concentrations. Dans l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'article 27, traitant de la prescription triennale, figurait dans le titre III consacré aux pratiques anticoncurrentielles tandis que le contrôle des concentrations faisait l'objet du titre V. La codification de l'ordonnance, en septembre 2000, a eu pour résultat de placer cet article, devenu article L. 462-7 et dont la formulation est restée identique, dans le titre VI, intitulé " Du Conseil de la concurrence ", au sein du chapitre II, " Des attributions ". Kronenbourg tire argument de ce changement de place pour prétendre que le droit français des concentrations a été clarifié par la codification en ce qu'il prévoit dorénavant que la prescription triennale est applicable au contrôle des opérations de concentrations. Il s'ensuivrait, selon Kronenbourg, que le ministre en charge de l'Economie ayant saisi le conseil le 8 août 2001, toutes les opérations intervenues avant le 8 août 1998 sont prescrites, et que le Conseil de la concurrence ne peut pas se prononcer sur les opérations Blanchet, Ferrer et Laclotre, qui ont eu lieu en 1996, ni sur Murgier, Sobodis et Feuvrier, qui datent de 1997, ni enfin sur Seca, qui a eu lieu en juillet 1998.

143. Cependant, la codification d'un texte de loi s'effectuant à droit constant, il ne peut être tiré aucune conclusion du changement de place de l'article relatif à la prescription lors de son intégration dans le Code de commerce. Au surplus, les dispositions relatives à la prescription ont pour objet d'encadrer l'exercice d'un droit contentieux et n'ont aucun sens en matière de procédure consultative. Il n'y a donc pas lieu de considérer que certaines opérations ne devraient pas être examinées dans le cadre du présent avis parce qu'il s'est écoulé plus de trois ans entre leur réalisation et la saisine du ministre. L'exception tirée par Kronenbourg de l'écoulement d'un prétendu délai de prescription doit, dès lors, être rejetée.

C. - Sur les seuils de référence

144. Aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce avant sa modification par la loi du 15 mai 2001 : " Tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante peut être soumis, par le ministre chargé de l'Economie, à l'avis du Conseil de la concurrence. "

145. Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 % des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substitutables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs.

146. La condition fixée à l'article L. 430-1 du Code de commerce relative au chiffre d'affaires n'est pas remplie en l'espèce, aucun des entrepositaires grossistes parties aux opérations visées dans la saisine n'ayant réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs à la date des opérations. Il y a donc lieu de rechercher si le seuil en valeur relative fixé par ce même texte est atteint.

147. Dans le cadre de cette saisine, deux marchés sont concernés par les opérations : le marché des marques de bière à destination de la consommation hors domicile et le marché de la distribution de la bière aux débits de boissons (voir section IV de cet avis).

148. En 2000, Kronenbourg dispose d'une part de marché de [30-40] % du marché de la bière consommée hors domicile, exprimé en volume, et cette part était de [30-40] % en 1996 (voir paragraphes 160 et 161). Le dépassement du seuil en termes de parts de marché sur l'un des marchés concernés par la concentration suffit à déclencher le contrôle sur l'ensemble des marchés affectés.

IV. - LES MARCHÉS CONCERNÉS PAR LES OPÉRATIONS

A. - Le marché des bières vendues dans les établissements de la consommation hors domicile

149. Il est constant, dans la doctrine des autorités de la concurrence, de distinguer un marché de la bière destinée à la distribution alimentaire et un marché de la bière destinée à la consommation hors domicile.

1. La dimension produits

a) La consommation de bière à domicile diffère de celle en établissements

150. La Cour de justice des Communautés européennes a précisé dans l'arrêt Delimitis/Heiniger Braü du 28 février 1991 (18) : " Du point de vue du consommateur, le secteur des débits de boissons, comprenant notamment les cafés et restaurants, se distingue de celui du commerce de détail, au motif que la vente dans les débits de boissons est associée non pas uniquement au simple achat d'une marchandise, mais également à une prestation de service et que la consommation de bière dans les débits de boisson ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique. Cette spécificité des ventes dans les débits de boissons est confirmée par le fait que les brasseries ont organisé des systèmes de distribution propres à ce secteur nécessitant des installations spéciales et que les prix pratiqués dans ce secteur sont, en général, supérieurs à ceux pratiqués pour les ventes dans le commerce de détail. "

151. Comme le précise cet arrêt, la consommation de bières dans un débit de boissons satisfait le " plaisir " de consommer une bière, mais aussi celui de le faire dans un établissement de restauration. La consommation de la bière en établissements de restauration se distingue donc très nettement de la consommation de bière à domicile pour laquelle l'agrément du consommateur ne dépendra que des qualités du produit.

b) Les circuits de livraison des points de vente diffèrent de la distribution alimentaire

152. Le canal de distribution de la bière à destination de la distribution alimentaire diffère du canal à destination des établissements de restauration hors domicile. Dans le premier cas, les centrales d'achats des GMS achètent auprès des brasseurs directement et les plates-formes logistiques des distributeurs vont chercher les produits à la brasserie. Dans le second cas, un distributeur intermédiaire existe entre le brasseur et l'établissement de restauration hors domicile : l'entrepositaire grossiste de boissons. Ce dernier s'approvisionne auprès du brasseur s'il commande des volumes suffisants pour que l'enlèvement à la brasserie soit économiquement rentable ou auprès d'un entrepositaire grossiste de plus grande taille si les volumes de bière qu'il achète sont trop faibles.

153. L'entrepositaire grossiste livre ses clients cafés, hôtels ou restaurants en boissons. La fréquence des livraisons dépend du taux de rotation des produits, mais il n'est pas rare que le café soit approvisionné plusieurs fois par semaine. L'entrepositaire grossiste récupère les emballages consignés (fûts et bouteilles) de l'ensemble des boissons concernées, bières mais aussi boissons rafraîchissantes vendues en bouteilles, etc.

154. Il convient donc de retenir un marché des bières consommées dans des établissements de restauration hors domicile. Le Conseil de la concurrence, dans son avis sur la concentration Heineken - Fischer (19), a repris cette analyse et a conclu à la distinction entre un marché de la bière destiné à la distribution alimentaire et un marché de la bière destinée aux cafés, hôtels et restaurants.

155. En termes de volume, ce marché représente près de 30 % du total des bières vendues, alors qu'en termes de valeur, la proportion des bières consommées hors domicile est plus élevée. En 2000, la valeur de ce marché s'est élevée à près de 8 milliards de francs (1,2 milliard d'euro), pour un volume total compris entre 7 et 7,5 millions d'hectolitres d'après Gira.

156. Le volume du marché des bières consommées dans des établissements de restauration hors domicile décroît régulièrement, de près de 2 % par an. Ce marché représentait près de 9 millions d'hectolitres en 1990, 7,5 millions d'hectolitres en 1999, et légèrement plus de 7 millions en 2001.

157. Ce marché est différencié au sens où la bière consommée hors domicile n'est pas un produit homogène, mais se caractérise par la variété des types de bières, d'une part (de luxe, soit la pression, spéciale ou de spécialité), par le choix entre une bière pression et une bière en bouteilles d'autre part, et enfin par la diversité des lieux dans lesquels le consommateur peut boire une bière. Ces points ont été exposés aux paragraphes 11 à 17. Cette différenciation du marché ne nécessite cependant pas une délimitation plus fine des marchés pertinents puisque ces segments restent largement substituables entre eux pour le consommateur final.

2. La dimension géographique

158. Le marché des marques de bière consommées hors domicile n'est pas plus large que le territoire national. En effet, d'une part, les modes de consommation et les préférences des consommateurs diffèrent d'un pays à l'autre. D'autre part, la particularité du système de distribution en France (marqué par une forte intégration verticale des deux brasseurs principaux) est un argument majeur en faveur de la définition d'un marché national. Un producteur étranger qui ne posséderait pas de réseau de distribution implanté en France, devrait, pour pénétrer le marché français, soit créer un réseau de distribution suffisamment dense, soit s'assurer de pouvoir accéder à un réseau détenu par un tiers ou à différents entrepositaires grossistes situés sur le territoire.

159. Une segmentation plus fine que l'échelon national n'est pas pertinente puisqu'en France l'essentiel de la consommation de bière hors domicile est constitué par des marques qui se situent au moins à l'échelon national, voire européen ou international. Les marques régionales constituent une part très faible de la consommation française : ce sont des bières de niche. Même si historiquement les consommateurs des régions brassicoles avaient une préférence relative pour les bières de " leur " brasseur (Stella Artois dans le Nord et en Picardie et Kronenbourg en Alsace), la profession s'accorde à reconnaître que ce phénomène tend à disparaître. De surcroît, la concurrence entre les brasseurs s'exerce au niveau national et les décisions stratégiques des brasseurs concernant le marché de la consommation hors domicile sont prises de façon centralisée, au niveau national (décision d'investissement dans la distribution, de lancement de campagnes de publicité, etc.).

3. Les parts de marché des brasseurs

160. Les parts de marché des brasseurs en consommation de bières hors domicile sont fournies en volume. Selon leurs propres estimations, les parts de marché des deux majors n'ont pas évolué entre 1996 et 2000, Kronenbourg ayant même perdu un point de part de marché.

Tableau 12

Les parts de marché des brasseurs, selon leurs propres estimations

<emplacement tableau>

161. L'offre sur le marché des bières vendues hors domicile est oligopolistique. En 2000, les deux leaders, Heineken et Kronenbourg, desservent plus de [65-75] % de ce marché, et cette proportion s'élève à [85-95] % s'il est tenu compte du troisième acteur, Interbrew.

B. - Le marché de la distribution des bières à destination des établissements de consommation hors domicile

1. La dimension produits

162. La société Kronenbourg fait valoir qu'il convient de prendre en considération un marché de la distribution de l'ensemble des boissons à destination des établissements de consommation hors domicile. A l'appui de cette délimitation, elle soutient que la demande des points de vente concerne un assortiment de boissons, et pas uniquement la bière. Du côté de l'offre, Kronenbourg souligne le fait que les entrepositaires grossistes livrent l'ensemble des boissons dont a besoin un point de vente (bières, eaux embouteillées, jus de fruits, boissons rafraîchissantes sans alcool, vins, alcool, cafés, etc.) et que ces acteurs ont constamment élargi les références des produits offerts, le nombre moyen de références articles boissons variant entre 2 000 et 2 500 à l'heure actuelle. La part de la bière dans le chiffre d'affaires d'Elidis, réseau intégré de Kronenbourg, s'élève à [40-50] %, le solde étant assuré par les BRSA (environ [20-30] %), le vin ([10-20] %) l'alcool, ainsi que le café et divers autres produits ([< 10] %). Enfin, Kronenbourg fait valoir qu'Elidis représente [10-20] % du chiffre d'affaires de la distribution toutes boissons assurée par les entrepositaires grossistes traditionnels.

163. Kronenbourg avance que les intervenants auprès desquels les points de vente s'approvisionnent en boissons ne sont pas restreints aux seuls entrepositaires grossistes traditionnels, mais qu'il convient de prendre en compte les cash and carry, les distributeurs de vins et les achats en direct auprès des producteurs. Les entrepositaires grossistes traditionnels ne représentent que 36,5 % du chiffre d'affaires total généré par l'ensemble de ces acteurs de la distribution toutes boissons confondues. Kronenbourg souligne que les cash and carry sont des acteurs à part entière de la distribution de l'ensemble des boissons, dont ils assurent 10 %, et que les marchands de vins, même s'ils ne sont pas forcément actifs en matière de distribution de bières, constitueraient une alternative pour un brasseur nouvel entrant. Représentant 26 % de la distribution toutes boissons, ils seraient d'autant plus incités à diversifier leur gamme de produits offerts en direction de la bière que les entrepositaires grossistes traditionnels ont développé la distribution de vins.

164. Mais la distribution de la bière présente des spécificités. En premier lieu, les exigences des points de vente en matière d'approvisionnement en bières en fûts sont spécifiques par rapport aux autres boissons. Les tirages à pression nécessitent des entretiens réguliers, qui sont réalisés par les entrepositaires grossistes.

165. La bière en fûts nécessite l'installation d'un équipement particulier dans le débit de boissons, le tirage à pression. Un CHR possède au moins deux points de tirage de la bière au comptoir. Le " premier bec ", dans lequel coule une bière de catégorie de luxe, voire spéciale, écoule les plus forts débits de bières : il s'agit du " demi ". Un tirage à pression nécessite des mécanismes de froid, puisque la bière est servie fraîche, et de poussée, les fûts étant généralement stockés dans la cave du CHR et reliés aux becs de tirage par des tuyaux. Selon la qualité de la bière, des installations différentes, ou à tout le moins des dosages gazeux propres, peuvent être requis. Par exemple, la Guinness (bière brune de type stout) est tirée avec un mélange de di-oxygène de carbone et d'azote, ce qui donne à la mousse un aspect crémeux.

166. L'installation d'un tirage à pression requiert des travaux de plomberie, voire de maçonnerie. Elle est estimée entre 25 000 et 30 000 F (3 811 à 4 573 euro) pour un poste de 3 ou 4 becs. Cet investissement n'est quasiment jamais réalisé par le cafetier et, la plupart du temps, il est financé à parts égales par l'entrepositaire et le brasseur (voir paragraphe 63).

167. L'entretien et la sanitation des tirages de bière est une opération déterminante pour la qualité de la bière en fût, qui est un produit vivant, non pasteurisé. D'après l'audit réalisé par l'Association des brasseurs de France en 1999 auprès des entrepositaires grossistes et portant sur la qualité de la bière, il doit avoir lieu toutes les 6 semaines. Passé ce délai, la qualité bactériologique des bières pression s'en ressent. L'opération de sanitation est réalisée par les plombiers spécialisés de l'entrepositaire grossiste ou des entreprises spécialisées. Elle n'est pas à la charge du cafetier, mais à celle du distributeur et/ou du brasseur. Réalisées 8 à 10 fois par an, les interventions coûtent près de 300 FF (45 euro) : le coût total de l'entretien des tirages à pression est de près de 3 000 FF par an (450 euro).

168. La fréquence des livraisons de bières au point de vente est d'au moins une fois par semaine. D'après la profession, un café " moyen " sert, avec le premier bec, près de 30 demis par jour ouvrable (21), soit 150 demis en une semaine de 5 jours. Sachant qu'un fût contient 30 ou 50 litres, soit moins de 120 demis ou de 200, du fait des pertes à chaque verre, l'entrepositaire grossiste livre donc le CHR au moins une fois par semaine (22).

169. En deuxième lieu, le choix d'un débit de boissons en matière d'approvisionnement en boissons est largement déterminé par les conditions de livraison des bières. En effet, la bière en fût est un produit phare pour les CHR traditionnels, qui représente près de 48 % de ses ventes. Au surplus, une large part de ces points de vente sont financés par le brasseur et le distributeur en contrepartie d'une exclusivité, ou alors l'entretien des tirages à pression est financé par l'entrepositaire grossiste. Une fois son choix porté sur un entrepositaire grossiste, le point de vente se fera livrer, pour les autres boissons, par ce distributeur.

170. En troisième lieu, les points de vente n'arbitrent pas entre les mêmes acteurs lorsqu'ils achètent des fûts de bière et lorsqu'ils achètent d'autres produits. Concernant les autres boissons, le débit de boissons compare l'économie que représente l'enlèvement auprès du cash and carry des boissons vendues à un prix plus intéressant que si elles étaient livrées par les entrepositaires, avec la perte de temps qu'impliquent des déplacements réguliers. Les cash and carry constituent une alternative aux entrepositaires grossistes pour l'approvisionnement en autres boissons, mais pas pour les fûts de bières, pour les raisons suivantes. D'une part, les cash and carry ne sont pas sélectionnés par les trois principaux brasseurs (Kronenbourg, Heineken et Interbrew) comme distributeurs susceptibles de vendre leurs produits dans des conditions de qualité satisfaisante à leurs yeux. Un point de vente qui souhaiterait offrir des bières pression de ces marques ne peut donc s'adresser qu'aux entrepositaires grossistes. Ce point a été développé au paragraphe 73. D'autre part, les marques de fûts de bière qu'offrent les cash and carry n'ont pas le niveau de notoriété des marques dominantes, de sorte qu'ils tiennent une place marginale pour l'approvisionnement en fûts des débits de boissons.

171. En quatrième lieu, les cash and carry sont en concurrence avec les entrepositaires grossistes pour l'approvisionnement en bières en bouteilles mais, d'une part, ils n'offrent pas de services de livraison au point de vente, ni de services de consigne et, d'autre part, l'approvisionnement en bouteilles de bières reste, à titre principal, assuré par les entrepositaires grossistes. En effet, en 1999, les bouteilles consignées représentaient 16,2 % de la consommation de bières hors domicile, tandis que les bières en contenants perdus représentaient près de 8 % (23).

172. En cinquième lieu, les points de vente du troisième marché ne s'approvisionnent qu'auprès des entrepositaires grossistes et non auprès des cash and carry. Ainsi que l'a souligné un représentant du groupe Elior lors de la séance, la politique d'approvisionnement en boissons est centralisée et les points de vente ne disposent pas de marge de manœuvre : ils commandent les marques choisies par le groupe et se font livrer par le réseau de distribution référencé.

173. Pour l'ensemble de ces raisons, il convient d'isoler le marché de la distribution des bières aux points de vente. La nature verticale des opérations examinées autorise cette délimitation. En effet, ainsi que cela est rappelé dans le rapport annuel du Conseil de la concurrence 2001 : " L'objectif poursuivi in fine par les autorités de concurrence à travers la notion de marché pertinent est d'apprécier le pouvoir de marché d'une entreprise, c'est-à-dire sa capacité à augmenter ses prix au-delà du prix concurrentiel sans que la baisse des ventes qui en résulte annule la hausse des profits escomptés " (24).

174. Dans le cadre d'une opération verticale, le pouvoir de marché de la structure intégrée peut s'exercer sur deux marchés distincts, qui sont des étapes de la chaîne de valeur, ainsi que l'a dit le Conseil de la concurrence : " Considérant que l'intégration verticale du groupe, renforcée par l'opération examinée, est en principe susceptible d'emporter plusieurs effets anticoncurrentiels ; que, d'une part, des situations de puissance d'achat ou de vente à certains niveaux de la chaîne de valeur pourraient s'en trouver renforcées ; que des risques d'éviction de concurrents moins intégrés verticalement ne sont pas à exclure ; que la constitution de grands groupes intégrés occupant une position forte tant sur les marchés de contenus que sur ceux de la communication pourrait contribuer à rendre plus malaisée l'entrée sur les marchés en cause ; qu'en effet, dès lors que les activités d'amont et d'aval sont dominées par des groupes intégrés, il sera difficile à un nouvel entrant de se limiter à un seul marché " (25).

175. La détention de la distribution par les brasseurs est susceptible de restreindre la concurrence entre les brasseurs à la condition que cette intégration verticale constitue des barrières à l'entrée pour la distribution des bières des brasseurs non intégrés. Dans cette perspective, il semble donc logique de s'intéresser à la distribution de la bière afin d'évaluer les pouvoirs de marché, amont et aval, des structures intégrées.

2. Les dimensions géographiques

a) La dimension nationale de la distribution de bières aux débits de boissons

176. Le marché de la distribution possède une dimension nationale du fait que le segment de clientèle des établissements chaînés et de la restauration collective est uniformément présent sur l'ensemble du territoire national et que les entreprises qui gèrent ces points de vente négocient les conditions d'approvisionnement avec le réseau de distribution au niveau national.

177. Cette dimension nationale provient aussi de l'organisation en réseau de la distribution intégrée, qui lui permet de mener des campagnes nationales de promotion, d'investir dans des équipements informatiques et, concernant les autres boissons que la bière, de négocier avec les fournisseurs au niveau national.

b) Les parts de marché des entrepositaires grossistes au niveau national

178. Les parts de marché des distributeurs qui opèrent sur le marché de la distribution des bières aux débits de boissons sont mesurées en utilisant les volumes vendus de bières en fûts. D'une part, le fût représente la très grande majorité des ventes de bières hors domicile (76 % en 1999). D'autre part, le fût constitue l'instrument de mesure le plus simple et le plus couramment utilisé par les distributeurs.

179. Le tableau suivant présente les estimations que font les brasseurs de leurs parts de marché entre 1996 et 2000 sur le marché de la distribution de bières au niveau national, ainsi que les volumes vendus. La part de marché des indépendants au niveau national est obtenue par soustraction.

Tableau 13

Les parts de marché des réseaux de distribution intégré, selon les brasseurs

<emplacement tableau>

180. Le périmètre des entrepôts pris en compte pour évaluer la part de marché du réseau de distribution de Kronenbourg ne comprend pas les participations minoritaires qu'il détient dans plusieurs distributeurs, qui représentent environ [< 10] % du marché. Seule une analyse au cas par cas des opérations, du type de celles développées au titre II de cet avis, permettrait d'établir si Kronenbourg exerce véritablement un contrôle sur ces entrepositaires.

181. La part de marché de la distribution Heineken comprend les participations minoritaires détenues par ce brasseur. Il s'agit de participations relativement peu nombreuses comparées à celles que détient Kronenbourg, de sorte que leur impact sur la part de marché est négligeable [< 5] %.

182. En 2000, les réseaux de distribution intégrés à des brasseurs assurent la très grande majorité de la distribution de bières en France. Heineken a une position légèrement plus forte que Kronenbourg (respectivement [30-40] % et [20-30] % du marché), et Interbrew occupe la troisième place, avec une part de marché sensiblement plus faible.

183. Pris ensemble, les trois réseaux intégrés assurent [60-70] % de la distribution en 2000. Les indépendants représentent donc [30-40] % de la distribution de bières sur le territoire national, mais dans la mesure où la concurrence qu'ils exercent porte, à titre principal, sur les marchés locaux, ce chiffre ne rend pas véritablement compte de leur capacité concurrentielle, qui doit être analysée au cas par cas, pour chaque marché local.

184. Il est difficile de tirer des enseignements sur l'évolution, entre 1996 et 2000, de la position des intégrés au niveau national. Kronenbourg fait valoir qu'entre 1996 et 2000 sa part de marché distributive n'a pas été significativement influencée par les acquisitions qu'il a réalisées : elle est quasiment constante, [20-30] % en 1996 et [20-30] % en 2000.

185. L'intégration des systèmes comptables des filiales d'Elidis n'étant pas réalisée en 1996, Kronenbourg n'a pas pu fournir directement sa part de marché distributive pour 1996 et a eu recours à une estimation. La méthode suivie par Kronenbourg est la suivante : les ventes des brasseries Kronenbourg aux entrepositaires grossistes d'Elidis ont représenté, en 1996, [...] hl. Kronenbourg estime ensuite que la vente de bières de marques Kronenbourg représente les 2/3 de l'activité des distributeurs Elidis. Le volume total de bières distribué par Elidis s'élève donc, selon cette estimation, à [...] hl, ce qui représente une part de marché de [20-30] %.

186. Toutefois, cette méthode d'estimation n'est pas une mesure de l'activité de livraison aux points de vente proprement dite. Fondée sur les données de ventes de la brasserie, elle inclut l'activité d'intermédiaire consistant, pour un distributeur, à acheter aux brasseries pour revendre à d'autres entrepositaires. Cette méthode aboutit à surestimer la part de marché d'Elidis. Il serait donc inexact de conclure, sur une telle base, à une stagnation des parts de marché distributives de Kronenbourg entre 1996 et 2000.

c) La dimension locale de la distribution de bières aux débits de boissons

187. Un débit de boissons situé dans une ville arbitrera entre un certain nombre de distributeurs répartis dans une zone géographique limitée autour de cette ville. Ainsi, un cafetier de Lille ne fait pas appel à un distributeur marseillais. En effet, le manque d'espace de stockage sur place des débits de boissons impose des livraisons fréquentes (au minimum une fois par semaine) et en petites quantités (un ou plusieurs fûts, quelques caisses de bouteilles consignées). S'il est difficile de connaître avec exactitude la part du service de livraison dans les conditions d'approvisionnement des débits de boissons, puisque le prix que facture l'entrepositaire grossiste au cafetier comprend aussi bien les produits livrés que la livraison proprement dite ou la rémunération du soutien commercial et financier consenti par l'entrepositaire grossiste au café, la profession s'accorde à souligner que le service de livraison représente une part importante du coût pour le point de vente.

188. Vu du côté de l'offre, lors d'une tournée de livraison, le " roulage à vide " du camion est plus coûteux que les activités de livraison proprement dites. Ainsi, le rayon d'action d'un distributeur est limité car, au-delà d'une certaine distance à partir de son entrepôt, il ne sera pas économiquement rentable pour lui d'aller livrer les points de vente. Au surplus, les entrepositaires grossistes assurent une fonction de dépannage et leur proximité géographique est une composante importante du service rendu. D'après les guides Vasseurs, le rayon d'intervention des entrepositaires est de l'ordre de la centaine de km.

189. Pour l'ensemble de ces raisons, il convient de retenir une dimension locale pour le marché de la distribution des bières. Une étude versée au dossier par Interbrew et réalisée par le professeur Montet montre que les prix moyens de 2 produits Interbrew pratiqués par les entrepositaires grossistes et relevés sur un échantillon de 39 villes diffèrent sensiblement d'une zone géographique à l'autre, et que les écarts relevés restent à peu près constants entre 1992 et 1998.

190. Ces constatations ne doivent pas pour autant conduire à définir un marché de la distribution CHR traditionnel qui serait uniquement local et un marché de la distribution clients chaînés qui serait national. En premier lieu, les produits demandés sont identiques : tous les types de conditionnement sont demandés par les deux segments, même si la répartition est différente (la proportion de boîtes est plus importante dans le segment dit du 3e marché). En deuxième lieu, la livraison aux deux catégories de clients est identique sur le plan de la logistique. En troisième lieu, il n'y a pas de cloisonnement entre les deux canaux de distribution. L'organisation en réseau permet de pénétrer la distribution aux clients chaînés et également, a fortiori, aux clients CHR traditionnels.

191. La mise en évidence d'une double dimension géographique se retrouve régulièrement dans l'analyse développée par les autorités de la concurrence en matière de grande distribution. La Commission, à cet égard, a régulièrement retenu que les rapports de concurrence entre les grandes chaînes de détail ne se limitaient pas à une concurrence sur le plan local mais recouvraient en réalité une dimension géographique plus large s'agissant de la structure de l'assortiment, des campagnes de publicité, des actions de promotion ou de lancement d'un nouveau produit avec la coopération du fournisseur, de la politique de fidélisation de la clientèle.

3. Les marchés locaux concernés par les concentrations examinées

192. Les opérations en cause étant qualifiées de concentrations au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce avant sa modification par la loi du 15 mai 2001, il convient d'analyser les conséquences qui en ont résulté sur la structure des marchés locaux de distribution de bières. Cet exercice, qui repose, d'une part, sur la délimitation géographique du marché affecté et, d'autre part, sur l'identification des positions concurrentielles des entrepositaires grossistes avant et après l'opération, sera conduit pour les opérations suivantes : Dordogne boissons, Speed boissons, Blanchet, Tafanel, Laclotre, Seca et Sobodis.

193. Pour délimiter le marché local concerné par chacune de ces opérations, Kronenbourg a considéré la zone comprise dans un rayon de 80 à 100 km autour de la ville où l'entrepôt cible est situé.

194. Concernant les structures du marché local affecté par la concentration examinée, les positions concurrentielles des entrepositaires grossistes avant et après l'opération sont reconstruites sur la base des informations données par le brasseur et celles de ses concurrents. Les parts de marché des entrepositaires grossistes sont données en 2000. Si une autre acquisition est intervenue postérieurement à celle examinée, son effet sur la part de marché distributive de Kronenbourg est présenté. Enfin, si des acquisitions ont été réalisées après 2000 et ont affecté la structure du marché, il en est tenu compte. Concernant les entrepositaires grossistes indépendants, il n'est pas tenu compte des distributeurs qui livrent moins de 1 500 hl de bières en fûts. En effet, ces acteurs du marché ne sont pas susceptibles de livrer une concurrence efficace aux réseaux intégrés.

a) La Dordogne (Dordogne boissons et speed boissons)

195. Le marché retenu comprend les villes de Périgueux, Brive-la-Gaillarde, Sarlat-la-Canéda et Bergerac et couvre la partie centre, sud et est du département Dordogne, soit une zone d'une cinquantaine de km de rayon. Le volume total de bières en fûts consommées sur ce marché s'élève, en 2000, à près de [50 000-60 000] hl, selon Kronenbourg.

196. Sur ce marché, la position d'Elidis en 2000 résulte d'acquisitions successives d'entrepositaires de petite taille réalisées depuis 1996, date à laquelle le brasseur était déjà présent via un entrepositaire basé à Saint-Cyprien (26). Kronenbourg a ainsi acquis Golfier (qui livrait [< 5 000] hl de fûts de bières) en 1996 ; Marty Burgat en 1998 ([< 2 000] hl) ; Dordogne boissons en 1999 ([< 3 000] hl) ; Speed boissons en 2000 ([< 2 000] hl), ces deux dernières opérations étant visées par la saisine du ministre et Malhage en 2000 ([< 2 000] hl). Kronenbourg estime que sa part de marché s'élève à [30-40] % en 2000. Cette estimation est cohérente avec l'évaluation donnée par Interbrew ([25-35] %). L'acquisition de Dordogne boissons a permis à Kronenbourg de gagner [< 10] % du marché (27), et celle de Speed boissons, [< 10] % (28).

197. L'entrepôt Garonne boissons, situé à Cahors, à 50 km au sud de Sarlat, est le seul distributeur France boissons, du réseau de distribution de Heineken, qui intervient sur le marché local. Selon Kronenbourg, cet entrepôt dessert environ [< 10] % du marché. Interbrew possède un entrepôt intervenant sur la zone, dénommé Roy, et qui livre [< 5000] hl de bières en fûts, soit environ [< 10] % du marché local en 2000.

198. En 2000, la distribution intégrée à des brasseurs assure près de [40-50] % du marché local de la Dordogne, comme l'illustre le graphique suivant. L'ensemble des indépendants représente donc plus de la moitié de la distribution de bières dans cette zone. L'entrepositaire indépendant de plus grande taille est Le Bihan, qui appartient au président de la CEB, et qui dessert près de [10-20] % du marché. Mespoulet et Lavialle ont une part de marché individuelle supérieure à 10 %. Aucun de ces trois concurrents indépendants n'est donné, dans la profession, comme travaillant de façon privilégiée avec l'un des brasseurs.

Figure 2. Dordogne : parts de marché des réseaux intégrés en 2000 [...]

Paris (Blanchet et Tafanel)

199. La région parisienne est la première région de consommation de bières hors domicile en France, avec pour l'année 2000 plus de 1,3 million d'hl de bières tous contenants annuels, soit près 20 % de la consommation totale, et près de 1 million d'hl de bières pression, soit 20 % de la consommation totale de bières en fûts. La majorité de la consommation s'effectue au sein de la capitale et de la petite ceinture. Toutefois, de plus en plus de bières sont consommées en grande banlieue du fait du développement qu'y connaissent les activités économiques et de l'essor des lieux de résidence.

200. Le marché considéré par Kronenbourg est Paris et sa petite couronne. Dans le cadre de la procédure relative à la demande d'avis portant sur des acquisitions d'entrepôts réalisées par Heineken, enregistrée au conseil sous le numéro A 342, ce brasseur a fourni une étude locale du marché parisien qui retient, comme marché pertinent, la zone formée par le recouvrement des zones de chalandise des entrepôts acquis. Cette zone couvre Paris et sa petite couronne plus la partie est de la région parisienne. Dans le cadre de la présente procédure, Heineken a versé, en tant que témoin, cette étude locale. Le marché considéré par Interbrew est l'ensemble de la région parisienne.

201. Cependant, il résulte des éléments recueillis au cours de l'instruction que le marché pertinent de la distribution de bières affecté par les opérations notifiées est la région Ile-de-France. En effet, les débits de boissons de cette région sont placés dans des conditions de concurrence qui sont très proches, quelle que soit leur localisation (Paris intra-muros ou grande banlieue). La très grande majorité des entrepositaires grossistes interviennent sur l'ensemble de la région Ile-de-France, sans distinction entre Paris et le reste de la région, et détiennent des parts de marché semblables sur Paris et la petite couronne et sur l'ensemble de la région, ainsi que l'atteste le tableau suivant.

Tableau 14

Estimations par les brasseurs de leurs propres parts de marchés distributives en vol fûts

<emplacement tableau>

202. France boissons possède, à l'heure actuelle, 3 filiales en région parisienne :

SA Bertrand, qui possède 5 entrepôts de distribution situés à : La Villette (75), Compiègne (60), Mantes (78), Arpajon (91), Meaux (94) ;

Erval Robert Frères, qui possède 5 entrepôts de distribution situés à : Nogent-sur-Marne (94), les Alluets-le-Roi (78), Etrechy (91), Gretz-Armainvilliers (77), Pommeuse (77), Montereau-Fault-Yonne (77) ;

France boissons Nord, qui possède 1 entrepôt de distribution situé à Drancy (93).

203. Heineken a fourni, année par année, les parts de marché en toutes bières distribuées en direct aux CHR par ses entrepôts dans la zone considérée. Les parts de marché distributives en fûts sont obtenues en appliquant le coefficient multiplicateur qui permet de traduire les parts de marché tous contenants en parts de marché fûts. Le tableau suivant récapitule les parts de marché distributives de Heineken sur le marché de l'Ile-de-France entre 1996 et 2000.

Tableau 15

Evolution des parts de marché de France boissons entre 1996 et 2000

<emplacement tableau>

205. Avant 1996, Elidis possédait l'entrepôt Elidis Ile-de-France à Poissy. Les acquisitions réalisées par Kronenbourg selon ses sources sur la période 1996-2000 sont les suivantes :

Blanchet, acquis en mars 1996 et devenu Elidis Paris ;

Jouvence Deparde, racheté en 1996 et devenu Elidis Alfortville, rattaché à Elidis Ile-de-France ;

Collange (93), [< 5 000] hl, racheté en juillet 1996 et rattaché à Elidis Ile-de-France ;

Brasserie Bouras (93), [< 5 000] hl, racheté en mai 1996 et rattaché à Ilidis Ile-de-France ;

Tafanel, dans lequel Kronenbourg détenait une participation minoritaire de [...] qu'il a complétée à 100 % en 2000.

206. Kronenbourg a fourni une reconstruction historique des volumes de ventes fûts toutes marques de son réseau Elidis. Ces volumes comprennent les rétrocessions (fournitures à d'autres entrepositaires grossistes) et ne correspondent donc pas strictement aux volumes de vente en direct aux CHR. De plus ils correspondent à toute l'activité bière du distributeur et non aux seuls volumes distribués sur la zone. Il y a lieu d'opérer des corrections sur les parts de marché d'Elidis Poissy. La première vise à tenir compte des rétrocessions effectuées par cet entrepôt, égales à [30 000-40 000] hl fûts pour l'année 2000, que l'on supposera constantes durant la période 1996-2000. La seconde correction prend en compte le fait qu'Elidis Poissy effectue seulement [50-60] % de son activité sur la zone (comme indiqué par Kronenbourg pour l'année 2000).

207. Kronenbourg n'ayant pas fourni d'évolution du volume du marché parisien entre 1996 et 2000, cette évolution peut être reconstruite en appliquant au volume donné pour l'année 2000 ([...] hl fûts) le taux de décroissance donné par ABF (- 8 % de décroissance entre 1999 et 2000 ; + 3 % de croissance entre 1998 et 1999 ; + 1 % de croissance entre 1997 et 1998 ; et - 9 % de décroissance entre 1996 et 1997).

208. Le tableau suivant présente l'évolution des parts de marché distributives de Kronenbourg sur le marché parisien. Dans la mesure où il a été considéré que le groupe Kronenbourg exerçait, avec la famille Tafanel, un contrôle conjoint sur l'entrepôt Tafanel avant l'opération examinée de 2000, le total de parts de marché inclut Tafanel durant la période 1996-2000.

Tableau 16

Evolution des parts de marché de la distribution Kronenbourg entre 1996 et 2000

<emplacement tableau>

209. On constate une croissance lente mais régulière des entrepôts Elidis Poissy et Tafanel, contrebalancée par des pertes de part de marché d'Elidis Paris (ex-Blanchet), qui représentent près de [< 10] % entre 1996 et 2000. Ces pertes de parts de marché d'Elidis Paris seraient dues à la concurrence exercée par les frères Blanchet, qui ont ouvert un entrepôt en 1996, Bières de Paris, et auraient récupéré un certain nombre de clients de l'ex-Blanchet.

La part de marché d'Interbrew

210. En 2000 Interbrew possède 2 distributeurs principaux sur la région parisienne :

Brasserie Nouvelle de Lutèce, possédant 2 entrepôts dans les départements 92 et 94, qu'Interbrew a acquis en 1997 ;

Passelac (93), acquis en 1999.

211. En 2001 Interbrew a acquis CEB Dampierre (78).

Tableau 17

Evolution des parts de marché de la distribution Interbrew entre 1996 et 2000

<emplacement tableau>

212. En 2000, les distributeurs intégrés à des brasseurs représentent près de [80-90] % du marché parisien. La part des indépendants, pris ensemble, est donc de près de [10-20] %. Le plus gros distributeur indépendant est Brasseurs Parisiens, qui dessert près de [< 10] % du marché. Puis viennent plusieurs distributeurs qui ont moins de 5 % de part de marché individuelle (Jacques Milliet, Brasserie de l'Etoile, Brasseries des Vosges etc.). Le tableau suivant présente les principales caractéristiques des indépendants. Compte tenu de la taille importante du marché parisien (plus de 1 million d'hl), le seuil en-dessous duquel les distributeurs ne sont pas de taille à exercer une pression concurrentielle sur les réseaux intégrés a été fixé à près de 5 000 hl (correspondant à 0,5 % du marché environ).

Tableau 18

Les principaux distributeurs indépendants sur le marché parisien en 2000

<emplacement tableau>

213. Le graphique suivant récapitule les parts de marché des réseaux intégrés entre 1996 et 2000.

Figure 3. Paris : parts de marché distributives en 1996 et en 2000 [...]

c) Poitiers (Laclotre)

214. L'acquisition de Laclotre a permis à Kronenbourg de disposer de deux entrepôts, l'un situé à Niort et l'autre à Poitiers. D'après Kronenbourg, il n'y a pas lieu de distinguer deux marchés pertinents pour étudier les effets de l'acquisition de Laclotre SA et le marché retenu comprend les villes de Poitiers (86) et Niort (79), distantes entre elles de 65 km et reliées par l'A 10. Ce marché couvre une zone définie par un rayon d'une cinquantaine de km autour de chaque ville. Il correspond à peu près à la partie sud des départements de la Vienne et des Deux-Sèvres. Kronenbourg fournit une estimation du volume total de fûts de bières distribués sur la zone égale à [40 000-50 000] hl pour l'année 2000.

215. Avant l'acquisition examinée des entrepôts de Laclotre et des Entrepôts Réunis du Poitou en, Kronenbourg ne disposait pas de distributeur dans la zone de Poitiers-Niort. En 1997, Elidis Niort a acquis Fallourd, distributeur situé à Saint-Maixent (79), qui livre dans le marché local considéré. Fin 2002, Elidis a acheté le fonds de commerce du distributeur indépendant Pelletier, situé à Parthenay. A l'heure actuelle, la part de marché distributive de Kronenbourg est de l'ordre de [55-65] % (30).

216. Kronenbourg n'a pas fourni la part de marché de Laclotre au moment de son acquisition. Cette part peut néanmoins être reconstruite. D'une part, la taille du marché en 1997, année où l'acquisition est effective, est évaluée en tenant compte de la baisse de la consommation de bières en fûts constatée au niveau national (- 1 % de taux de croissance annuel moyen entre 1990 et 1999), soit [45 000-55 000] hl en 1997. D'autre part, pour les volumes distribués par Laclotre et ERP au moment de leur acquisition, Kronenbourg indique qu'ils s'élèvent respectivement à [25 000-35 000] hl pris ensemble. Ainsi, en 1997, la part de marché d'Elidis sur le marché de Poitiers-Niort peut être estimée à près de [60-70] %, selon les chiffres utilisés.

217. L'acquisition de Laclotre a permis au groupe Kronenbourg de pénétrer le marché local de Poitiers Niort et d'en détenir, en 1997, environ [60-70] %. A l'heure actuelle, la part d'Elidis s'élève à [55-65] %.

218. France boissons possède un entrepôt sur la zone, situé à Vouneuil-sous-Biard, France boissons Boiteau, qu'il possédait avant 1995. D'après les guides Vasseurs, il s'agit d'un établissement secondaire de Boiteau, lequel est situé à La Chapelle-sur-Erdre (44). Sur la zone locale, en 2000, France boissons Boiteau est crédité de [10-20] % du marché, d'après Kronenbourg et Interbrew. En l'absence d'acquisitions ultérieures, il est raisonnable de considérer que cette part de marché est restée stable.

219. Interbrew ne possède pas d'entrepôt dans cette zone.

220. Ainsi, Elidis est prédominant sur le marché de Poitiers-Niort (plus de [60-70] % à l'heure actuelle), où France boissons détient une faible part de marché ([10-20] %) et où Interbrew est absent, les indépendants représentent moins de [20-30] % du marché local. Le distributeur indépendant de plus grande taille est Fromaget, qui détient [10-20] % du marché. Affilié à la Centrale européenne de boissons (CEB), il travaille à titre principal avec Interbrew. Trois autres distributeurs indépendants de taille significative (1 500 hl) distribuant en direct des CHR sur la zone ont été identifiés (Guérin, Rodier et Lancereau, Godet) : leur part de marché individuelle reste néanmoins inférieure à 5 %.

221. Le graphique suivant récapitule les parts de marché des réseaux intégrés aux brasseurs en 2000.

Figure 4. Poitiers : parts de marché des réseaux intégrés en 2000 [...]

d) Angers (Seca)

222. Le marché retenu comprend une zone de chalandise couvrant les villes d'Angers, Saumur et Cholet, correspondant à peu près à la partie sud du département de Maine-et-Loire. Ce marché a une dimension réduite (de l'ordre de 50 km de rayon). La délimitation géographique du marché faite par Interbrew ne contredit pas cette analyse.

223. Kronenbourg fournit une estimation du volume total (tous entrepôts Elidis, y compris ses concurrents) de fûts de bières distribué sur la zone égale à [35 000-45 000] hl pour l'année 2000. Une estimation du volume distribué sur la zone à la date d'acquisition peut être obtenue en tenant compte de l'évolution de la consommation de la région telle que fournie par ABF : - 2,5 % entre 1998 et 2000, ce qui donne un volume de fûts de bières distribué sur la zone de [35 000-45 000] hl en 1998.

224. Avant l'acquisition de Seca en juillet 1998, Kronenbourg a acquis un entrepôt dénommé Sabibog, localisé à Saumur, qui réalisait un volume de distribution de [< 1 0 000] hl de fûts de bières, soit près de [10-20] % du marché à l'époque (31). Cet entrepôt a pris le nom de Elidis Saumur. Seca, qui distribuait en 1998, près de [10 000-20 000] hl de fûts de bières, est devenue Elidis Angers (rattaché à Elidis boissons Loire Océan). Selon Kronenbourg, sa part de marché distributive sur le marché d'Angers s'élève à [40-50] % en 2000. L'acquisition de Seca a permis à Kronenbourg de gagner près de [40-50] % de part de marché, ce qui porte sa part distributive à [50-60] % en 1998. Entre 1998 et 2000, il est à noter que la part de marché distributive de Kronenbourg a baissé, passant de [50-60] % à [40-50] %.

225. Concernant le réseau de distribution de Heineken, l'entrepôt Rambault, filiale de France boissons située à Saint-Barthélémy-d'Anjou, à 5 km d'Angers, intervient sur la zone, où il détient une part de marché de l'ordre de [30-40] %, d'après les estimations convergentes de Kronenbourg et Interbrew.

226. A la date de l'acquisition, la société Interbrew ne possédait aucun entrepôt intervenant sur la zone. Elle a pris, en 2001, une participation minoritaire dans l'entrepôt Plumejeau, ce qui, selon les indications de la société Interbrew, lui a donné le contrôle de l'entrepositaire grossiste. La part de marché d'Interbrew s'élève à [< 10] % en 2001.

227. La distribution intégrée assure, à l'heure actuelle, la quasi-totalité des ventes de bières en fûts aux débits de boissons sur le marché d'Angers (entre [80-90] %). Le plus gros distributeur indépendant actif sur ce marché est Pitault Berry, qui livre près de 2 000 hl sur la zone, soit près de [< 10] %. Les autres distributeurs indépendants présents desservent individuellement quelques pourcentages du marché (moins de 5 %).

Figure 5. Angers : parts de marché des réseaux intégrés en 2000 [...]

e) Saint-Quentin (Sobodis)

228. Le marché retenu correspond à une zone de chalandise couvrant les villes de Saint-Quentin, Laon, Soisson et Chauny, et recouvrant une partie importante du département de l'Aisne, qui correspond à une zone de l'ordre de 50 km de rayon.

229. Le volume total de fûts de bières distribués sur le marché local de Saint-Quentin peut être estimé à près de [30 000-40 000] hl (32). Une estimation du volume distribué sur la zone à la date d'acquisition peut être obtenue en considération de l'évolution de la consommation de la région telle que fournie par ABF : - 6 % entre 1998 et 2000, ce qui donne un volume de fûts de bières distribué sur la zone de [30 000-40 000] hl en 1996.

230. Avant l'acquisition de Sobodis en 1997, qui distribuait [10 000-20 000] hl, Kronenbourg était présent sur le marché de Saint-Quentin via la filiale La Vendis du groupe [...], à hauteur de [30-40] % de part de marché. Ce groupe, rattaché dès 1996 au groupe Danone, comporte plusieurs entrepôts, notamment [...]. La société Sobodis est devenue Elidis Saint-Quentin, elle-même rattachée à Elidis boissons service Nord. Selon Kronenbourg, sa part de marché distributive sur le marché de Saint-Quentin s'élève à [55-65] % en 2000. L'acquisition de Sobodis a permis à Kronenbourg de gagner près de [30-40] % de part de marché, ce qui porte sa part distributive à [65-75] % en 1998. Entre 1998 et 2000, il est à noter que la part de marché distributive de Kronenbourg a baissé, passant de [65-75] % à [55-65] %.

231. Ni Heineken, ni Interbrew ne sont présents, en tant que distributeur, sur le marché de Saint-Quentin.

232. Un brasseur régional indépendant, Les Enfants de Gayant, possède deux entrepôts de distribution en Picardie. Il s'agit de Cardoso, situé dans l'Aisne, et de Martin, situé dans l'Oise, qui n'intervient pas sur le marché local de Saint-Quentin. La part de marché de Cardoso est d'environ [<10] % et concerne presque exclusivement des produits de son brasseur.

233. Un distributeur indépendant de grande taille est actif sur le marché de Saint-Quentin : il s'agit de Sogedib Lefranc, qui dessert près de [10-20] %, et qui livre presque exclusivement des produits Interbrew. Roche Poyart, qui vend en majorité des bières Kronenbourg et qui est affilié à Distriboissons, détient une part de marché de l'ordre de [0-10] %.

234. Le graphique suivant récapitule les parts de marché distributives des distributeurs intégrés aux brasseurs.

Figure 6. Saint-Quentin : parts de marché des réseaux intégrés en 2000 [...]

235. Au surplus, le conseil constate que, sur les marchés concernés par les prises de participation minoritaire dont il était saisi, mais dont il n'a pas considéré qu'il s'agissait de concentrations, la mise en œuvre des promesses de vente prévues par les pactes d'actionnaires signés entre Kronenbourg et les groupes familiaux majoritaires, porterait la part des réseaux intégrés dans les ventes de bières aux CHR sur les marché locaux concernés à des niveaux également très élevés [70-80] % sur le marché de Montbéliard-Belfort, [70-80] % sur celui de Besançon, [90-100] % sur celui de Sarrebourg.

V. - LES EFFETS DES OPÉRATIONS SUR LA CONCURRENCE

236. Les opérations de concentration décrites ci-dessus sont susceptibles d'avoir des effets, d'une part, sur le degré de concentration des marchés de la distribution de bières, d'autre part, sur l'intégration verticale des brasseurs.

A. - La concentration du marché de la distribution de la bière

1. L'ampleur du mouvement de concentration et la participation des acquisitions examinées dans le cadre du présent avis à ce mouvement

237. Le mouvement de concentration et de restructuration de la distribution de la bière a pris plusieurs formes. On observe une réduction du nombre d'entrepositaires. Au milieu des années 80, le nombre d'entrepositaires grossistes sur le territoire national était estimé entre 1 500 et 2 000, dont environ 500 de taille moyenne ou importante. A l'heure actuelle, il existe près de 1 150 entrepositaires traditionnels. Cette réduction résulte en partie des concentrations réalisées par les brasseurs, l'intégration des entrepositaires dans les réseaux des trois grands brasseurs s'étant accompagnée de restructurations. L'ensemble des acquisitions réalisées par Kronenbourg au niveau national, de 1996 à 2000, n'a pas modifié sensiblement sa part de marché dans la distribution de la bière, qui était de [20-30] % en début de période et est estimée à [20-30] % en fin de période. Dans le même temps, la part de marché du réseau d'Heineken s'est accrue de [20-30] % à [30-40] % et celle du réseau d'Interbrew, de [< 10] % à [< 10] %.

238. Sur les marchés locaux concernés par les opérations examinées dans le présent avis, les effets des acquisitions de Kronenbourg sur le degré de concentration du marché sont parfois plus importants : de 1996 à 2000, la part de la distribution de bière du brasseur passe de [20-30] % à [35-45] % sur le marché de la Dordogne ; de [15-25] % à [30-40] % sur le marché parisien ; de 0 à [55-65] % sur le marché de Poitiers ; de [10-20] % à [erreur matérielle : lire [40-50] %] sur le marché d'Angers ; de [30-40] % à [65-75] % sur le marché de Saint-Quentin. Compte tenu des positions occupées en début de période et des acquisitions qui ont été réalisées ensuite par les réseaux intégrés de Heineken et Interbrew, le degré de concentration de ces marchés locaux en fin de période est souvent élevé. La part de marché des trois réseaux intégrés est, en 2000, de [35-45] % sur le marché de la Dordogne, de [80-90] % sur le marché parisien, de [70-80] % sur le marché de Poitiers, de [80-90] % sur celui d'Angers et de [65-75] % sur celui de Saint-Quentin.

239. La concentration du secteur de la distribution peut aussi être mesurée avec l'évolution entre 1990 et 2000 des parts de marché de la distribution toutes boissons, retracée dans le tableau 7 du paragraphe 57. Parallèlement à l'intégration par les brasseurs, les distributeurs indépendants se sont regroupés soit autour de la CEB soit autour de Distriboissons, (cf. paragraphes 58 à 61).

2. Les gains d'efficacité liés à la consolidation du marché

240. Kronenbourg fait valoir que les mutations du secteur de la consommation hors domicile ont fait évoluer l'activité historique des entrepositaires grossistes, qui consistait en la livraison de fûts de bières aux CHR traditionnels. Les entrepositaires grossistes ont, notamment, élargi la gamme des boissons qu'ils proposent aux débits de boissons, en réponse à la baisse de la demande sur les boissons alcoolisées. Le déclin des établissements traditionnels (les CHR) les a également amenés à développer leurs capacités d'animation commerciale auprès de ces points de vente pour les soutenir. De plus, à côté des CHR traditionnels se sont développés les établissements chaînés et du troisième marché, qui ont des exigences différentes vis-à-vis de leurs fournisseurs en boissons, notamment en termes de couverture du territoire national. Enfin, la concurrence des cash and carry pousse les distributeurs traditionnels à améliorer leurs services.

241. Pour Kronenbourg, ces évolutions rendaient nécessaire une consolidation du secteur de la distribution de la bière, auparavant trop atomisé et marqué par la prépondérance des capitaux à structure familiale, qui pesaient sur les possibilités de développement. Les acquisitions réalisées par le brasseur lui ont permis de fusionner des entrepôts situés sur la même zone de chalandise et de procéder aux réorganisations nécessaires. Des plates-formes d'envergure régionale, comme celles de Poitiers-Niort, ont également été mises en place.

242. Concernant la phase aval de l'activité d'entrepositaire grossiste, le Conseil relève que le regroupement de distributeurs auparavant isolés peut améliorer l'efficacité de l'organisation des tournées de livraisons aux points de vente. La consolidation des entrepositaires grossistes permet aussi de rentabiliser, sur une plus grande activité, la partie qui peut être considérée comme fixe dans le court terme, des investissements nécessaires à l'activité d'entrepositaire, comme par exemple, les frais généraux (comptabilité, par exemple). Toutefois, ces économies sont limitées par la structure des coûts de livraison. Le coût principal de la livraison résidant dans le transport des marchandises entre l'entrepôt et le point de vente, l'implantation de dépôts secondaires est nécessaire pour desservir les zones qui présentent une faible densité de points de vente. De fait, la consolidation de la distribution n'a pas véritablement modifié l'implantation géographique des entrepôts qui restent présents sur tout le territoire ni supprimé le maillage fin des dépôts.

243. Concernant l'approvisionnement, Kronenbourg fait valoir que les concentrations réalisées accroissent la puissance d'achat des grossistes vis-à-vis des fournisseurs qui, pour la plupart, appartiennent à de grands groupes internationaux et permettent d'obtenir des fournisseurs des conditions d'achat plus intéressantes. En outre, à compter d'un certain volume de boissons, l'entrepositaire grossiste peut aller directement chercher auprès du fabricant les produits. Il supporte alors le coût de transport, mais à compter d'un certain volume de bières enlevées, l'enlèvement direct s'avère plus rentable que l'enlèvement auprès d'un entrepositaire grossiste voisin de plus grande taille qui facturera une marge pour rentabiliser son activité de grossiste. Il existe donc des économies logistiques au stade amont de l'activité des entrepositaires grossistes, qui peuvent être exploitées par une concentration horizontale de la distribution.

244. Le Conseil note cependant que la constitution de groupements de distributeurs indépendants, comme la CEB, permet d'exploiter une partie de ces gains qui relèvent de la massification des achats.

245. Kronenbourg expose encore que la concentration horizontale de la distribution permet de répondre à certaines attentes des établissements chaînés de la consommation hors domicile. Ainsi, un réseau de distribution est en mesure de coordonner ses entrepôts pour assurer la livraison à des horaires précis, qui permet aux chaînes d'organiser leur gestion interne en conséquence. La mutualisation au sein d'un réseau des coûts de logistique permet aussi d'offrir un assortiment large de produits, voire de gérer des gammes de produits semblables. Enfin, la mise en place de systèmes d'échanges de données informatisées permet de fournir aux clients chaînés des informations leur permettant de mieux gérer l'activité de son réseau.

246. Le Conseil considère que la mise en place de réseaux couvrant tout le territoire national répond, en effet, aux exigences des établissements chaînés qui veulent s'adresser à un guichet unique et mener des négociations centralisées. Les coûts de transaction se trouvent ainsi réduits. Ce point est important parce qu'il concerne le segment de la clientèle qui est en croissance. Le représentant d'Elior, l'un des premiers groupes de restauration collective et commerciale européen, a confirmé, lors de la séance, que l'approvisionnement en bières de ses 5 000 points de vente est négocié avec un petit nombre d'interlocuteurs. Parmi eux, figure la CEB, pour une part non négligeable, la qualité des services offerts par le groupement d'indépendants étant selon lui comparable à celles des réseaux intégrés comme France boissons ou Elidis, pour un prix concurrentiel.

247. La société Kronenbourg souligne aussi que les gains d'efficacité liés à la consolidation de son réseau de distribution sont encore, pour partie, à venir. Elle rappelle que l'intégration des entrepositaires grossistes acquis en 1995-1996 s'est déroulée en plusieurs étapes et n'est pas complètement achevée. L'année 1997 a vu la mise en place de contrats de location-gérance, la naissance de l'entité Elidis et le passage de [...] de filiales à [...] réparties en deux zones. Les sociétés ont commencé de fusionner en 1998, année pendant laquelle Elidis est devenu un département du groupe Danone, rattaché aux Brasseries Kronenbourg. Le nom d'Elidis s'est substitué à ceux des entrepositaires grossistes en 1999, année pendant laquelle les fusions ont transformé la vingtaine de filiales en une douzaine d'unités régionales de gestion. Une réduction de douze à sept régions est prévue. Kronenbourg estime que la taille efficace d'un entrepôt de " premier niveau ", qui s'approvisionne directement auprès des brasseurs, se situe aux environs de 30 000 hl de bière en fûts par an, ce qui, compte tenu d'un marché total d'environ 5 millions d'hectolitres, représente environ 170 entrepôts. Par ailleurs, Kronenbourg estime qu'à l'heure actuelle il existe environ 200 entrepôts de premier rang.

B. - L'intégration verticale des brasseurs

248. Les acquisitions examinées dans le présent avis s'inscrivent dans le cadre du mouvement d'intégration verticale des brasseurs constaté en France depuis quelques années. Les rachats d'entrepositaires grossistes indépendants ont, en effet, été exclusivement le fait des brasseurs, leurs principaux fournisseurs.

1. Les gains d'efficacité liés à l'intégration verticale et leur transmission aux débits de boissons

249. Le conseil relève que, d'une manière générale, les fusions verticales peuvent permettre de réduire l'ampleur de la double marginalisation. Quand deux entreprises amont et aval possèdent un pouvoir de marché et qu'elles maximisent séparément leur profit propre, chacune impose à l'autre une externalité négative, provoquant ainsi une baisse du surplus des consommateurs et des profits des entreprises. En alignant les intérêts des deux parties, l'intégration supprime ces externalités, ce qui conduit à un prix ou un niveau de services, plus efficace.

250. Kronenbourg, s'appuyant sur une étude économique fournie par le professeur Rey, détaille les gains d'efficacité qu'une intégration entre un brasseur et la distribution de boissons aux CHR est susceptible de générer. Outre la suppression de la double marginalisation, la société expose qu'une telle intégration permet de mieux coordonner les efforts du brasseur et du distributeur en ce qui concerne la qualité des produits vendus et la promotion des produits.

251. De façon concrète, Kronenbourg fait valoir que l'intégration des entrepositaires grossistes a permis de lancer une " politique de becs de tirage-pression ", visant à définir les gammes de bières adaptées aux différents profils des CHR. Lancée en 1999 grâce à une collaboration entre les responsables commerciaux de Kronenbourg et d'Elidis, cette politique a conduit à la définition de gammes types, comprenant 1 à 7 becs, réparties entre une dizaine de familles de CHR. Kronenbourg avance aussi qu'un réseau de distribution intégré s'est avéré plus efficace pour la mise en œuvre d'une " stratégie valeur ", ayant pour objet de développer les ventes des bières spéciales et de spécialité. Par exemple, la proportion des contrats d'exclusivité passés avec les CHR traditionnels qui concernent la bière spéciale " 1664 " est plus élevée lorsque des distributeurs Elidis sont désignés dans ces contrats que lorsque ce sont des distributeurs indépendants qui sont les partenaires ([40-50] % des contrats signés en 2000 contre moins de [35-45] %).

252. Pour Kronenbourg, le passage de la contenance des fûts de 50 à 30 l a également été facilité par la meilleure coordination des décisions que permet l'intégration de la distribution. Ce changement était, en effet, essentiellement soutenu par les distributeurs, puisqu'il permettait d'améliorer les conditions de travail des chauffeurs-livreurs et aurait pu rencontrer l'opposition du brasseur, propriétaire des fûts, qui avait investi dans un parc important de fûts de 50 l. Grâce à une coordination entre le brasseur et son distributeur, la transition entre les deux contenants s'est faite de façon progressive.

253. Enfin, Kronenbourg soutient que l'intégration verticale de la distribution permet d'aligner les intérêts du brasseur et de l'entrepositaire grossiste lors de la signature de contrats d'exclusivité par les CHR traditionnels. En effet, dans ces contrats, le CHR s'engage à acheter la bière pression chez le brasseur et à se faire livrer par l'entrepositaire, en contrepartie d'investissements de leur part qu'ils supportent, en général, à parts égales (voir paragraphe 63). Kronenbourg fait valoir que le coût d'opportunité des investissements et les bénéfices tirés des contrats de bières ne sont pas identiques pour les deux partenaires. L'intégration verticale de la distribution par le brasseur permet donc d'aligner les intérêts des uns et des autres et d'intensifier les efforts d'investissements consentis aux CHR dans le cadre des contrats. La société précise que, d'ores et déjà, le " prix moyen " du contrat, c'est-à-dire l'effort consenti par Kronenbourg est passé de [...] euro par hectolitre souscrit en 1995 à [...] euro en 2002, soit de [...] à [...] de remise pour un prix moyen par hectolitre de [...] euro.

254. Les déclarations des représentants de la CEB confirment ce point : " La présence de distributeurs intégrés, appartenant à un brasseur, a modifié la concurrence à laquelle se livrent les distributeurs pour obtenir l'approvisionnement d'un café. Les distributeurs intégrés sont en mesure d'offrir au café des conditions plus intéressantes que le distributeur indépendant : le prix est généralement plus faible et le distributeur intégré est prêt à supporter un risque financier plus élevé que le distributeur indépendant. Ceci s'explique parce que les distributeurs intégrés sont en mesure de procéder à des "lissages" régionaux, les gains dans une région compensant les pertes dans une autre et parce qu'ils sont adossés à des brasseurs qui disposent d'une surface financière plus large que les distributeurs indépendants. "

255. Toutefois, le conseil relève que des relations tarifaires entre le brasseur et les entrepositaires présentent certaines spécificités qui ne favorisent pas la suppression de la double marge. Il ressort, en effet, des déclarations faites en séance par des responsables des Brasseries Kronenbourg et des responsables du réseau Elidis que leur politique tarifaire est déterminée de façon largement autonome. En particulier, le prix auquel un distributeur achète la bière à un brasseur est défini par les conditions générales de vente et les contrats commerciaux, qui sont décrits aux paragraphes 77 à 78. Ces dispositifs contractuels procurent un avantage aux distributeurs " colorés ", qui distribuent, à titre principal, les marques d'un brasseur mais leurs critères s'appliquent indifféremment aux distributeurs, qu'ils soient indépendants ou intégrés. Un distributeur membre d'un réseau et un indépendant, qui ont des activités comparables aussi bien en termes de volume que de portefeuilles de marques, se verront donc appliquer des conditions équivalentes. Dans ce contexte, le fait d'être intégré au brasseur ne procure pas un avantage concernant les conditions d'approvisionnement. De fait, aucun élément au dossier ne suggère que le renforcement de l'intégration verticale se serait traduit par une baisse des prix dont auraient bénéficié les CHR ou leurs clients.

2. Le risque de fermeture du marché

256. En regard des gains d'efficacité mentionnés ci-dessus, l'analyse économique n'exclut pas que l'un des intérêts de l'intégration verticale puisse être, pour une entreprise, la possibilité d'évincer ses concurrents non intégrés ou au moins de les pénaliser en augmentant leurs coûts. Les pratiques peuvent consister à refuser de vendre un input à des entreprises en aval (ou à le fournir à un prix élevé). Le même type d'effet se produit, de manière symétrique, si la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter et de distribuer les produits des fabricants indépendants en amont et tente ainsi de les exclure du marché.

257. L'intégration verticale produit alors les mêmes effets que des clauses restrictives de concurrence passées entre un fournisseur et ses distributeurs. Dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales, la Commission européenne mentionne, parmi ces pratiques, le monomarquisme qui consiste pour le fabricant à inciter l'acheteur à s'approvisionner exclusivement ou principalement auprès d'un seul fournisseur sous l'effet d'une obligation expresse ou d'un mécanisme incitatif. Elle signale que, du point de vue de la concurrence, les clauses de ce type risquent de fermer l'accès des fournisseurs concurrents ou potentiels au marché ou de faciliter la collusion entre fournisseurs en cas d'utilisation cumulative. Comme pour les autres types de restrictions verticales, si la part de marché du fournisseur n'excède pas 30 %, ces risques sont peu probables. Toutefois, la Commission insiste également sur le risque de verrouillage du marché découlant de l'effet cumulatif de la conclusion par plusieurs grands fournisseurs d'accords de monomarquisme avec un très grand nombre de leurs fournisseurs. Elle estime qu'un tel effet cumulatif est peu probable en dessous de 50 % de part de marché cumulée pour les cinq premiers fournisseurs.

258. Ces critères fournissent une grille d'analyse qui peut être appliquée de façon pertinente aux risques de forclusion des fournisseurs indépendants par les brasseurs intégrés. La faisabilité et l'intérêt de pratiques de forclusion dépendent en effet, en premier lieu, du pouvoir de marché de l'entreprise intégrée. De même, la présence sur les marchés amont et aval d'autres entreprises verticalement intégrées est à prendre en compte pour évaluer le degré de fermeture de ces marchés à la suite de l'intégration. En second lieu, pour que ces pratiques aient pour effet de fermer l'accès d'un concurrent au marché aval, il faut que l'entrée sur celui-ci soit difficile et qu'il n'existe pas d'alternatives suffisantes à la distribution par l'entreprise intégrée. Les critiques qui mettent en doute l'intérêt de ces pratiques pour l'entreprise intégrée observent, certes, que, dans l'hypothèse où des pratiques de forclusion existeraient, les entreprises non intégrées peuvent se protéger en contractant avec d'autres firmes indépendantes ou en en prenant le contrôle. Encore faut-il que ces entreprises indépendantes existent ou puissent être créées. La Commission insiste de même sur l'importance des barrières à l'entrée : " Dans la mesure où il est relativement facile pour des fournisseurs concurrents de créer de nouveaux débouchés ou de trouver des acheteurs alternatifs pour le produit considéré, le verrouillage ne devrait pas poser de réel problème " (point 144 des lignes directrices). Elle insiste également sur la capacité de faire contrepoids dont disposent les acheteurs qui, s'ils sont suffisamment puissants, ne laisseront pas facilement écarter l'offre de biens ou de services concurrents.

259. Au cas d'espèce, il importe donc, afin d'apprécier le risque de forclusion des brasseurs indépendants, d'évaluer les conditions de la concurrence sur les marchés aval et amont et l'existence d'alternatives aux réseaux de distribution intégrés. Il convient également d'apprécier dans quelle mesure les détaillants peuvent imposer aux distributeurs intégrés de continuer à livrer d'autres marques que celles de leurs brasseurs.

a) Les conditions de la concurrence sur les marchés aval et amont

260. Les bières offertes au consommateur se sont largement diversifiées ces dernières années : de nouvelles sortes de bière se sont développées (bières blanches et autres spécialités) et de nouvelles marques sont apparues, produites par les grands groupes brassicoles, qui offrent aujourd'hui la même gamme de bières (voir paragraphes 34 et 35) ou qui proviennent de brasseurs d'implantation régionale, voire de micro-brasseries (voir paragraphe 21). Toutefois, cette diversification ne doit pas masquer le fait que l'offre sur le marché des bières vendues hors domicile est largement oligopolistique : en 2000, les deux leaders, Heineken et Kronenbourg, desservent plus de [60-70] % de ce marché, dont % [30-40] % pour Kronenbourg. Cette proportion s'élève à [80-90] % s'il est tenu compte du troisième acteur, Interbrew.

261. Le degré de concentration sur les marchés de la distribution de la bière précités, établi ci-dessus aux paragraphes 237 et 238, est également très important, les trois brasseurs totalisant [60-70] % des ventes de bières en fûts en 2000, au niveau national, dont [20-30] % pour Kronenbourg. Ainsi qu'il a été indiqué, le degré de concentration du marché de distribution de la bière et d'intégration verticale est plus élevé pour certains des marchés locaux qui font l'objet de la saisine du ministre.

262. S'agissant des conditions d'entrée sur ces marchés, le conseil avait considéré, dans son avis n° 96-A-09, " qu'il existe sur le marché de la bière destinée aux cafés-hôtels-restaurants de fortes barrières à l'entrée ; qu'à celles communes à l'ensemble du secteur de la bière, telles celles qui découlent du caractère fortement capitalistique du processus de production ou du caractère mature de ce marché, il convient d'ajouter les barrières spécifiques constituées par les réseaux intégrés d'entrepositaires grossistes, l'existence de contrats d'approvisionnement exclusifs passés avec les débitants de boissons par les trois brasseurs, qui détiennent ensemble 90 % du marché, la forte concentration de l'offre qui ne permet que difficilement l'acquisition d'une brasserie déjà implantée sur le marché pour le pénétrer, et la forte fidélité aux marques qui caractérisent ce marché ; que cette situation rend difficile l'accès de nouveaux concurrents sur ce marché ainsi que le développement de ceux qui y sont déjà présents ; que, d'ailleurs, aucun nouvel opérateur n'a pénétré, de manière significative et indépendante des deux groupes Heineken et Danone sur le marché français ces dernières années ". A la suite de l'opération de concentration qui faisait l'objet de cet avis, ces conditions relevées par le Conseil n'ont fait que se renforcer.

263. Les barrières à l'entrée sur le marché de la distribution de la bière sont également fortes compte tenu de la nature particulière des relations commerciales entre les entrepositaires-grossistes et les CHR. Comme décrit au paragraphe ci-dessus, 70 à 80 % des CHR sont liés à un entrepositaire-grossiste par un contrat de bière, d'une durée de cinq ans, qui désigne le distributeur auprès duquel le cafetier est tenu de s'approvisionner, ce qui confère une certaine viscosité au marché. Par ailleurs, les CHR peuvent être liés directement au distributeur par un contrat de gamme, de même durée. Les professionnels du secteur, dont notamment le représentant de l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie (UMIH), entendu en séance, ont aussi insisté sur l'importance des relations personnelles entre l'entrepositaire et le cafetier.

264. La création ex nihilo d'un réseau d'entrepositaires grossistes ne représente pas un investissement particulièrement lourd (le chiffre de 200 millions d'euro est avancé dans la profession), mais la rentabilité des entrepôts peut prendre un certain nombre d'années. En effet, du fait des rendements d'échelle croissants, il est nécessaire d'avoir un certain nombre de clients pour dégager un chiffre d'affaires suffisant et pouvoir réaliser un bénéfice. Les pertes cumulées durant ces années sont d'autant plus grandes que l'acquéreur ne peut pas exploiter ces économies. Or le gain de nouveaux clients est assez long du fait du coût de changement de fournisseurs. Interbrew a créé quelques entrepôts dans les zones où le brasseur n'était pas implanté, notamment à Valence, Lorient, Nantes et Mâcon. La société indique que le point de rentabilité ne peut être atteint qu'au-dessus d'un volume de livraison de [< 10 000] hl de fûts de bières.

265. Le prix élevé des transactions, phénomène déjà relevé dans l'avis précité par le conseil citant le témoignage des Brasseries Meteor : " De plus, force est de constater que les derniers prix d'achat des fonds de commerce d'entrepositaires se sont faits dans des conditions telles que seul un contrôle de la part de marché peut justifier des prix aussi insensés ", a été confirmé par le test de marché concernant les acquisitions plus récentes, dont celles faisant l'objet du présent avis. Malgré cela, le fait que les brasseurs aient privilégié le rachat des entrepositaires existants et le caractère limité des exemples récents de création d'entreprises sont également de nature à indiquer que le marché de la distribution de la bière est d'accès difficile.

b) Les alternatives à la distribution intégrée pour les brasseurs qui ne possèdent pas de réseau de distribution

Le recours aux distributeurs indépendants

266. Kronenbourg conteste que les réseaux intégrés constituent un véritable " goulot d'étranglement " incontournable. Selon ses arguments, dans la mesure où les brasseurs non intégrés peuvent recourir aux entrepositaires-grossistes indépendants pour distribuer leurs produits, le refus, par les réseaux intégrés, de les distribuer ne les évincerait pas pour autant du marché des bières vendues hors domicile. A l'appui de sa démonstration, Kronenbourg met en avant le nombre élevé de distributeurs indépendants (près de 700, dont 110 dits de " premier niveau ", c'est-à-dire qui ont un volume suffisant d'activités pour s'approvisionner directement auprès des brasseries Kronenbourg).

267. Or le secteur des entrepositaires grossistes indépendants (voir la description détaillée aux paragraphes 42 à 46) est marqué par un grand nombre d'entreprises de petite taille qui exercent leur activité dans des zones de chalandise beaucoup plus réduites que les entrepôts intégrés. Les désavantages de coûts liés à leur taille peuvent cependant, comme il a été constaté aux paragraphes 244 et 246, être en partie compensés par la constitution de groupements d'indépendants.

268. De nombreux distributeurs indépendants sont, par ailleurs, marqués par leur forte " coloration ", dans la mesure où ils commercialisent essentiellement les marques de l'un des trois grands brasseurs. Les mécanismes des remises de fidélité (paragraphes 77 et 78) incitent, en effet, un distributeur indépendant à travailler de façon privilégiée avec l'un des brasseurs. Leur aptitude à présenter une alternative pour les brasseurs indépendants est alors limitée.

269. En tout état de cause, du fait de l'acquisition massive des entrepositaires-grossistes par les deux brasseurs principaux qui a connu une accélération à partir de 1996, le nombre de distributeurs indépendants restants avec lesquels il est possible, pour un brasseur concurrent, de nouer des relations commerciales est de plus en plus réduit. Si, sur un marché local donné, leur nombre est trop réduit et si leur taille n'est pas suffisante, ils ne pourront pas offrir de relais efficace au brasseur non intégré pour distribuer ses propres marques.

270. S'agissant de la possibilité pour un brasseur indépendant de s'assurer le contrôle d'autres d'indépendants et de constituer ainsi son propre réseau, ou de la possibilité pour Interbrew de développer son réseau, le nombre réduit d'entrepositaires-grossistes indépendants doit encore être pondéré du fait de l'existence de participations minoritaires des brasseurs intégrés dans les entrepôts indépendants. Ces participations sont en effet, comme on l'a vu ci-dessus aux paragraphes 105 à 125, souvent assorties de droits de préférence en faveur du brasseur, qui subordonnent toute vente d'action à des tiers à son approbation. Selon ses propres déclarations, les participations minoritaires détenues par Kronenbourg représentent [< 10] % du marché de la distribution de bières.

271. De plus, un cas, versé au dossier par Interbrew et confirmé en séance par les déclarations du vendeur, montre que Kronenbourg a pu conclure avec des entrepositaires des pactes, comportant de tels droits de préférence, en l'absence même de toute prise de participation capitalistique. En l'espèce, le pacte de préférence conclu avec [...] a permis à Kronenbourg de contrer l'offre [...] et de devenir le propriétaire de cet entrepôt. Le courrier adressé, le 5 juin 2002, par le conseil du brasseur à l'entrepositaire est particulièrement clair sur ce mécanisme : " Le pacte a pour objet de vous interdire de céder votre société sans avoir préalablement offert à la société Kronenbourg la possibilité de se porter acquéreur, quels que soient le niveau de prix et son auteur. " Dans un courrier du 12 septembre 2002, Kronenbourg informe [...] qu'il met en ouvre le droit de préférence dont il bénéficie et que le prix est celui qui a été fixé dans le pacte : " En raison du pacte de préférence vous liant à la société Brasseries Kronenbourg et daté du 10 juillet 1998, vous interrogez ma cliente sur ses intentions. La société Brasseries Kronenbourg m'a chargé par ces présentes de vous informer qu'elle entendait exercer son droit de préférence dans le cadre de la cession des titres, objet de votre projet initié en date du 25 juillet 2002. En conséquence, Brasseries Kronenbourg acquerra 100 % des titres de la société [...], soit [...] actions de pleine propriété et dans les conditions précisées dans votre lettre du 25 juillet 2002, à l'exception toutefois du prix proposé de [...] euro net. En effet, il convient, à défaut d'accord entre les parties et si la préemption est exercée par Brasseries Kronenbourg, que le prix soit déterminé selon les modalités décrites à l'annexe 1 du pacte de préférence (voir article 5 du pacte de préférence du 10 juillet 1998). La détermination du prix futur a été fixée par Brasseries Kronenbourg au vu des bilans que vous avez notifiés, à la somme de [...] euro, qui est la fixation objective dudit prix selon les modalités arrêtées entre les parties. C'est donc à ce prix que la cession des titres se fera à compter du 29 juillet 2002, date de réception de la lettre par Brasseries Kronenbourg. En vous remerciant de bien vouloir nous confirmer votre agrément sur cette modalité afin que les formalités de réalisation de l'acquisition puissent se réaliser. "

272. Le contrat d'affiliation au groupement de distributeurs Distriboissons comporte en son article 20 également une clause de droit de préférence aux termes de laquelle l'adhérent s'oblige à informer préalablement Distriboissons s'il envisage de céder tout ou partie de son fonds, et à conditions égales, s'engage à donner la préférence par rapport à un tiers à tout adhérent que Distriboissons lui désignerait, ou à Distriboissons lui-même.

Les alternatives aux entrepositaires grossistes traditionnels

273. Kronenbourg fait valoir dans ses observations que, même si le Conseil décide de cantonner son examen au marché de la distribution de la bière, il doit être tenu compte des alternatives constituées par les canaux de distribution " toutes boissons ". La société cite, notamment, les distributeurs de vin qui, pour rentabiliser leurs tournées et diversifier leurs activités se tournent vers la distribution de la bière et donne quelques exemples de marchands de vin qui ont entrepris de distribuer de la bière. Elle met également en avant le rôle grandissant des cash and carry sur lesquels les brasseurs s'appuieraient pour pénétrer le marché français de distribution de la bière. Selon Kronenbourg, ce type de distribution développe les services jusqu'ici proposés par les entrepositaires, y compris pour la bière en fûts, avec une étendue de gammes de services, des normes de qualité et des prix largement compétitifs par rapport aux distributeurs traditionnels. Le brasseur cite, notamment, l'exemple de Metro qui afficherait en 2003 une hausse de 20 % de ses ventes de bières en fûts. Par ailleurs, Kronenbourg souligne le large assortiment proposé par les cash and carry pour les autres boissons, notamment les bières en bouteilles, à des prix notoirement moindres que ceux de la distribution traditionnelle, et soutient que le maillage de plus en plus fin du territoire par leurs points de vente diminue fortement l'inconvénient que constitue pour les cafetiers l'obligation de se déplacer. Promocash disposerait aujourd'hui de 130 établissements et Metro de 78 points de vente. Au total, la part des cash and carry dans la distribution " toutes boissons " serait passée de [< 10] % en 1990 à [10-20] % en 2000 et ces établissements assureraient [10-20] % de l'approvisionnement en bières des CHR en 2002 contre [< 10] % en 1995.

274. Cependant, à l'heure actuelle, les cash and carry ne sont pas agréés par les trois principaux brasseurs pour assurer la distribution de leurs bières en fûts et ne constituent donc pas, pour la quasi-totalité des CHR, une alternative aux entrepositaires grossistes. Par ailleurs, l'offre des cash and carry en fûts ne concerne qu'un très petit nombre de marques importées limitées à Mösbrau pour Promocash, Gilbert, Bavaria et Thor pour Metro, ce dernier proposant également une marque propre, Metreau. Par rapport aux entrepositaires, les cash and carry présentent pour les brasseurs indépendants désirant avoir accès à la distribution de la bière en fûts, plusieurs faiblesses. Malgré la multiplication de leurs points de vente, le maillage du territoire national n'est pas comparable à celui des 1 150 entrepôts et ils ne sont donc en mesure d'offrir des services de livraison, d'installation et d'entretien des systèmes de tirage qu'à un petit nombre de CHD. De plus, ils ne participent pas, contrairement aux entrepositaires, au financement des CHD aux côtés des brasseurs, ce qui limite l'accès des bières qu'ils distribuent au " premier bec ".

275. Promocash a ainsi précisé, dans ses écritures remises en séance, que " compte tenu de ses restrictions d'approvisionnement, notre enseigne n'est pas complètement concurrente des grossistes sur ce marché ". Il estime sa part des ventes de bière en fûts aux détaillants à [< 1] % du total. Il ajoute : " Promocash pourrait commercialiser plus de fûts en proposant une formule cash and carry (emporté, paiement immédiat), une offre globale de marques fournisseurs et de marques propres avec des services et une gamme de solutions en cohérence avec son concept (sanitation, prix, ...) donc sans financement. "

276. Dans ces circonstances, les cash and carry ne constituent pas, à l'heure actuelle, une alternative pour les brasseurs qui ne possèdent pas de réseau de distribution pour accéder aux points de vente.

c) La capacité de contrepoids des acheteurs

277. Kronenbourg souligne, dès lors, que la bière ne représente qu'une partie de l'activité de son réseau de distribution et que, en cas de refus d'approvisionner un point de vente avec une bière concurrente, ce dernier peut se tourner vers un distributeur alternatif. Le réseau de Kronenbourg perdra alors la marge commerciale qu'il réalise sur la bière, mais aussi sur l'ensemble des produits livrés.

278. Sur ce point, les CHR traditionnels doivent être distingués des établissements du " troisième marché ". Pour ces derniers, il résulte clairement du témoignage apporté par le représentant du groupe Elior en séance qu'ils choisissent d'abord les marques de bières qu'ils entendent proposer sur leurs points de vente, en fonction d'études marketing sur les attentes de leur clientèle, et qu'ils ont la capacité d'imposer ce choix aux distributeurs. Les CHR traditionnels, en revanche, au nombre de plusieurs dizaines de milliers et acheteurs de quantités souvent très faibles, n'ont pas cette capacité. Il ressort des tests de marché qu'ils sont relativement indifférents aux marques de bières qu'ils proposent et concluent avec un distributeur et un brasseur essentiellement en fonction des conditions financières obtenues.

279. Le poids des contrats de bière limite, par ailleurs, la capacité des détaillants CHR à changer de distributeur et de fournisseur rapidement. La forte proportion des CHR liées par un contrat de bière d'une durée de cinq ans à un brasseur, a été soulignée au paragraphe 263 ci-dessus (environ [70-80] %). Elle s'explique par le caractère déterminant, pour les CHR, des financements et des remises liés à ces contrats, dont l'impact global a été évalué à près de [< 10] % du prix de la bière, comme cela a été vu au paragraphe 253.

280. Enfin, dans un contexte où le cafetier est relativement peu sensible à la marque, l'entrepositaire dispose d'un pouvoir de prescription qui tient à la fréquence des livraisons, à l'existence de relations personnalisées entre distributeurs et aussi à sa participation, aux côtés du brasseur, au financement des débits de boissons. Les entrepositaires sont les mieux renseignés sur les transmissions et cessions de CHR et les mieux placés pour orienter le choix d'un cafetier sur un contrat de bière. Kronenbourg, dans ses observations rapportées ci-dessus aux paragraphes 249 à 253, a insisté sur la convergence d'intérêts accrue entre le brasseur et l'entrepositaire intégré. Le distributeur est en situation de faire pencher la décision du CHR vers les produits de son brasseur. A l'échéance, il y a de fortes chances pour que les renégociations des contrats de bières des clients de l'entrepositaire intégré favorisent le brasseur acquéreur.

281. Il ressort donc de l'examen du fonctionnement du marché que les CHR traditionnels ne sont pas en mesure de s'opposer à l'exclusion des marques non intégrées.

d) La tendance au monomarquisme des réseaux intégrés

282. Kronenbourg avance deux arguments pour expliquer que son réseau de distribution n'a pas forcément intérêt à limiter ses approvisionnements en bières concurrentes pour distribuer, de façon exclusive, ses marques.

283. D'une part, des accords de coopération commerciale entre brasseurs tiers et réseau intégré existent, aux termes desquels le réseau intégré accepte de développer les marques d'un brasseur tiers contre des redevances de coopération commerciale. Des brasseurs étrangers, tels que Carlsberg et Anhauser Bush, ont passé des contrats de distribution avec Kronenbourg. Le brasseur Interbrew, quant à lui, avait des accords commerciaux avec France Boissons pour le développement de ses marques.

284. D'autre part, la substituabilité des gammes de bières n'est pas totale et le réseau a intérêt à conserver dans son portefeuille les produits concurrents pour satisfaire les points de vente qui ont une préférence pour la marque plutôt que pour le prix.

285. Le Conseil note, cependant, que les clauses d'exclusivité des contrats de bière, s'ils limitent la faculté de choix des cafetiers, empêchent également les distributeurs acquis de convertir les volumes sous contrats avec des brasseurs concurrents avant la date d'échéance. Cette viscosité de la demande confère une certaine lenteur aux mouvements de conversions.

286. Le Conseil relève aussi que, par définition, les remises de fidélité accordées par les brasseurs au distributeur, intégré ou non, en fonction de la part de leurs produits dans les ventes du distributeur favorisent déjà le monomarquisme. Ces remises sont détaillées dans les paragraphes 77 et 78. Les représentants de la CEB ont déclaré à ce sujet : " Les brasseurs accordent aux distributeurs des remises tarifaires qui sont basées sur la part du brasseur dans les ventes de l'entrepositaire grossiste. Les conditions de ces remises varient d'un brasseur à l'autre. Les remises sont d'autant plus intéressantes que la part de marché du brasseur dans les ventes de l'entrepôt est élevée : lorsque la part d'un brasseur est supérieure à [...] % des ventes du distributeur, la remise tarifaire varie entre [...] % du prix. "

287. Enfin, le Conseil observe que les brasseurs eux-mêmes reconnaissent qu'un des enjeux de l'acquisition des entrepôts est de " sécuriser leurs volumes ", et que les réseaux de distribution intégrés privilégient les marques du brasseur propriétaire, ainsi que cela résulte des éléments suivants :

288. En premier lieu, la CEB déclare que la tendance au monomarquisme, qui provient du jeu des remises de fidélité, se trouve amplifiée en cas d'acquisition du distributeur par le brasseur : " Ces remises défavorisent les entrepositaires grossistes indépendants par rapport aux distributeurs intégrés. En effet, les distributeurs indépendants distribuent les bières de plusieurs brasseurs. La part de marché d'un brasseur atteint rarement les seuils qui déclenchent les remises les plus importantes, alors qu'un distributeur intégré bénéficie de conditions plus avantageuses. "

289. En deuxième lieu, l'étendue très large de la gamme de bières fabriquée par le brasseur intégré favorise l'exclusion des bières concurrentes. Selon Interbrew, le lancement par Kronenbourg d'une marque sur un réseau sur lequel il n'était jusqu'alors pas présent se traduit rapidement par des problèmes d'accès à la distribution pour les marques concurrentes. Il cite notamment l'exemple de Guiness, déréférencée du réseau de Kronenbourg lorsque le brasseur a lancé sa propre bière " stout ", Beamish.

290. En troisième lieu, les ventes des bières des brasseurs concurrents dans les réseaux intégrés diminuent. Ainsi, les chiffres fournis par Interbrew sur l'évolution de ses ventes au sein du réseau Elidis montrent une baisse des volumes de [50-60] %, entre 1994 et 2001. Interbrew a pris en compte les distributeurs dans lesquels Kronenbourg détient une participation minoritaire et a raisonné à périmètre constant, ce qui signifie qu'il a considéré que les entrepôts contrôlés par Kronenbourg en 2001 étaient déjà sous le contrôle du brasseur les années précédentes.

Tableau 19

Evolution des ventes Interbrew dans la distribution Kronenbourg (majoritaire et minoritaires), en khl fûts

<emplacement tableau>

291. Lors de la séance, la société Brasseries Meteor, brasseur indépendant basé en Alsace (voir le paragraphe 21), a souligné les difficultés qu'elle rencontrait pour faire distribuer ses produits par les réseaux des brasseurs intégrés. Selon elle, les remises consenties par les réseaux intégrés sur ses bières seraient moindres que celles qu'ils proposeraient sur les bières du brasseur propriétaire. Elle a fait état d'une baisse sensible de ses ventes, de l'ordre de [10-20] % entre 1996 et 2002, qui n'excède cependant pas la baisse globale du marché. Elle explique le maintien de sa position par le recours aux entrepositaires indépendants sur les marchés géographiques sur lesquels l'offre alternative d'entrepositaires indépendants existait. Elle a déclaré, en revanche, que ce redéploiement de sa distribution n'a pas été possible sur certaines zones géographiques sur lesquelles ne subsistent plus de distributeurs indépendants.

292. L'évolution des ventes des brasseurs indépendants témoigne également du repli des brasseurs vers la distribution intégrée. Les représentants de la CEB ont ainsi signalé lors de la séance qu'à l'heure actuelle les marques des trois brasseurs intégrés ne représentaient plus que [70-80] % des ventes de ses adhérents contre [80-90] % en 1996.

293. En quatrième lieu, les éléments fournis par les brasseurs et présentés dans le tableau suivant illustrent la tendance au monomarquisme des réseaux intégrés : entre 1996 et 2000, la part des bières du brasseur a augmenté au sein de chacun des deux principaux réseaux. Elidis distribue à [70-80] % des bières Kronenbourg en 2000 contre [60-70] % en 1996, et ces chiffres sont identiques chez France Boissons pour les bières Heineken.

Tableau 20

Les marques détenues par les réseaux de distribution, volume en khl et %

<emplacement tableau>

294. Il résulte d'ores et déjà de ces éléments que, selon les données de marché recueillies, les réseaux de distribution intégrés privilégient les marques du brasseur propriétaire et que cette tendance s'accroît avec le degré d'intégration verticale du secteur.

e) Le cumul des opérations et l'atteinte à la concurrence sur le marché national des marques de bières

295. Les opérations de concentration dont le Conseil est saisi dans le cadre de la présente demande d'avis n'affectent qu'un très petit nombre de marchés locaux, pour la plupart d'entre eux d'une taille très réduite (de l'ordre de [50 000-60 000] hl pour la Dordogne, [40 000-50 000] hl pour Poitiers, [35 000-45 000] hl pour Angers et [30 000-40 000] hl pour Saint-Quentin). Toutefois, le présent avis doit être mis en regard de l'avis, rendu parallèlement sur les acquisitions du groupe Heineken pendant la même période, qui porte sur 11 marchés locaux. Par ailleurs, la présence, parmi les marchés examinés, du marché parisien, qui, avec plus de un million d'hectolitres représente 20 % de la bière distribuée au niveau national, permet de couvrir une part significative des marchés de distribution de la bière aux CHR, comme le ministre en a exprimé le souci dans son courrier du 21 janvier 2002, précisant l'étendue de sa saisine : " Cette liste (...) a été constituée avec le souci de couvrir de manière aussi exhaustive que possible le territoire national afin d'établir les positions réelles des deux groupes sur les différents marchés pertinents. "

296. Aussi est-il possible de considérer que les difficultés d'accès aux marchés locaux de la distribution de la bière aux CHR sont de nature à renforcer les barrières à l'entrée sur le marché national de la bière consommée hors domicile, voire à en évincer les brasseurs non intégrés. Le verrouillage de l'accès à la distribution dans les CHR est d'autant plus préjudiciable que, comme l'a constaté le conseil dans son avis n° 98-A-09 concernant les boissons gazeuses sans alcool au goût de cola, l'accès aux marchés de la consommation hors domicile constitue un enjeu crucial pour le jeu de la concurrence pour l'ensemble du secteur car les CHR constituent des lieux où se prennent des habitudes de consommation. Même si les grands brasseurs intégrés proposent une gamme étendue de marques de bières, celle-ci reste limitée par rapport à la grande diversité des marques de bières existantes, nationales et étrangères. Les difficultés d'accès à la distribution en CHR des brasseurs indépendants et des nouveaux entrants risquent de se traduire par une perte de diversité pour le consommateur.

C. - Conclusion sur les effets des opérations

297. Il résulte des éléments d'analyse ci-dessus qu'il existe un risque de verrouillage de l'accès à la distribution des brasseurs non intégrés sur les marchés locaux sur lesquels la majeure partie de la distribution de la bière est contrôlée par un ou plusieurs brasseurs. L'intégration verticale des deux premiers brasseurs, qui détiennent près de [60-70] % du marché de la distribution de bières au niveau national, dont [20-30] % pour le réseau de Kronenbourg, produit des effets cumulatifs. Les barrières à l'entrée sur les marchés de la distribution de la bière, l'absence d'alternative à la distribution par des entrepositaires-grossistes et l'incapacité des CHR à faire contrepoids permettent aux brasseurs intégrés de verrouiller l'accès à la distribution dès lors que les distributeurs indépendants n'offrent plus un débouché suffisant. D'ores et déjà, la part des brasseurs tiers dans les ventes des réseaux intégrés a diminué depuis 1996. Si la modernisation de la distribution de la bière et l'intégration verticale des brasseurs permettent des gains d'efficacité non contestables, ceux-ci ne sont pas de nature à compenser les effets restrictifs de concurrence d'une fermeture de la distribution aux brasseurs non intégrés et aux nouveaux entrants. De plus, la modernisation du secteur et les gains liés à la puissance d'achat peuvent être réalisés par des solutions n'impliquant pas un renforcement de l'intégration verticale des brasseurs, telle que le regroupement des indépendants ou une concentration horizontale du marché.

298. Les sept opérations de concentration identifiées au titre II du présent avis concernent cinq marchés locaux : Paris (Blanchet et Tafanel), Poitiers (Laclotre), Angers (Seca), Dordogne (Dordogne boissons et Speed boissons) et Saint-Quentin (Sobodis). Le conseil constate que, sur les trois premiers de ces marchés, la situation de la concurrence présente un risque de verrouillage du marché pour les brasseurs non intégrés.

299. Sur le marché parisien, l'acquisition de Blanchet porte la part de marché d'Elidis de [20-30] %, en 1996, à [30-40] %, en 2000. Ce marché est caractérisé par une prédominance des réseaux intégrés. En 2000, les réseaux intégrés assurent près de [80-90] % de la distribution de bières ([40-50] % pour Heineken, [30-40] % pour Kronenbourg, près de [< 10] % pour Interbrew). La part de marché des indépendants s'est réduite de [40-50] % à [10-20] %. Cette situation est de nature à générer, pour les brasseurs non intégrés, des difficultés d'accès à la distribution aux CHR. En conséquence, le conseil est d'avis que l'acquisition de Blanchet n'apporte pas au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les risques d'atteinte à la concurrence qu'elle comporte sur le marché parisien de la distribution de bière aux CHR. Le rachat de [< 50] % du capital de Tafanel, s'il constitue bien une opération de concentration comme examiné ci-dessus au paragraphe 129, n'a pas pour effet un accroissement de la part de marché d'Elidis, qui contrôlait déjà ce distributeur depuis de nombreuses années. Son bilan concurrentiel est neutre.

300. Sur le marché de Poitiers, l'acquisition de Laclotre a permis au groupe Kronenbourg de détenir une position importante sur le marché local de la distribution de bières à destination des cafés hôtels et restaurants (de l'ordre de [60-70] %), position que le brasseur a sinon augmentée, du moins conservée, grâce à des acquisitions postérieures d'entrepôts de petite taille. La part du réseau intégré France Boissons est, quant à elle, de l'ordre de [10-20] %. Un distributeur indépendant est de taille comparable à France Boissons. Il distribue quasiment exclusivement des bières Interbrew. Au total, les distributeurs indépendants assurent [20-30] % du marché de la distribution de la bière. Cette structure de marché est susceptible de conduire à des difficultés d'accès aux points de vente pour les brasseurs qui ne possèdent pas de réseau de distribution. En conséquence, le conseil est d'avis que l'acquisition de Laclotre n'apporte pas au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les risques d'atteinte à la concurrence qu'elle comporte sur le marché de la distribution de bière aux CHR de Poitiers.

301. Sur le marché d'Angers, le réseau Elidis assure environ [40-50] % de la distribution de la bière aux CHR, dont la plus grande partie est réalisée par l'entrepôt dont l'acquisition fait l'objet de la saisine du ministre. La part de marché cumulée de Elidis et France Boissons est de plus de [70-80] %. En 2000, les entrepositaires indépendants distribuaient moins de [10-20] % des bières à destination des CHR. En conséquence, le conseil est donc d'avis que l'acquisition de Seca n'apporte pas au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les risques d'atteinte à la concurrence qu'il comporte sur le marché de la distribution de bière aux CHR d'Angers. De plus, un distributeur indépendant, Plumejeau, dont la part de marché était estimée à [< 10] %, a été acquis par Interbrew en 2001, portant l'ensemble de la part de marché des réseaux intégrés à environ [80-90] %.

302. Sur le marché de la Dordogne, l'acquisition des entrepôts Dordogne boissons et Speed boissons a permis au réseau Elidis d'accroître sa part de marché de respectivement [< 10] % et [< 10] %, la portant à environ [30-40] %. Au total, les réseaux intégrés assurent environ de [40-50] % des ventes de bières aux CHR sur le marché concerné. En conséquence, le conseil est d'avis que les indépendants permettent aux brasseurs non intégrés d'avoir un accès libre au marché et que ces acquisitions ne portent pas atteinte à la concurrence.

303. Sur le marché de Saint-Quentin, l'acquisition de Sobodis a permis au réseau Elidis de porter sa part de marché dans la distribution de bière aux CHR, de [30-40] % en 1996 à [65-75] % en 1998. France Boissons est absente sur la zone, de même qu'Interbrew. Sur ce marché, l'un des entrepôts non intégrés à l'un des trois grands brasseurs, Cardoso, appartient à un brasseur régional indépendant, Les Enfants de Gayant. Sa part de marché est d'environ [< 10] % et concerne presque exclusivement des produits de son brasseur. Un distributeur indépendant de grande taille est également actif sur ce marché : il s'agit de Sogedib Lefranc qui dessert près de [10-20] %, et qui livre quasiment exclusivement des produits Interbrew. Un autre entrepositaire, Roche Poyart, vend en majorité des bières Kronenbourg et est affilié à Distriboissons. Sa part de marché est estimée à [0-10] %. L'approche régionale conduit à des estimations plus modérées de la part de marché du réseau du groupe Kronenbourg. De plus, selon Kronenbourg, sa part de marché sur la zone de Saint-Quentin serait, depuis 1998, retombée à [55-65] %. Au total, compte tenu de la présence d'indépendants de taille significative et en dépit de leur forte coloration, le conseil est d'avis que les brasseurs non intégrés ont accès aux points de vente et que l'acquisition de Sobodis ne porte pas atteinte à la concurrence.

304. Les acquisitions dont le conseil a considéré ci-dessus qu'elles portaient atteinte à la concurrence sur les marchés locaux concernés de la distribution de bière aux CHR, soit celles de Laclotre, de Seca et de Blanchet, affectent une part significative du marché national de la bière consommée hors domicile.

305. Le conseil note que les brasseurs ne doivent en aucune manière intervenir dans la gestion des entrepositaires-grossistes indépendants dans lesquels ils détiennent des participations minoritaires et que, de ce fait, les comités de gestion paritaire qui associent Kronenbourg et le distributeur, sur le modèle de ceux qui étaient prévus dans les prises de participation minoritaire de Kronenbourg examinées dans le présent avis, ne doivent pas être mis en place.

306. Enfin, le conseil est d'avis qu'à l'avenir, les prises de participation minoritaire dans le capital de distributeurs ne devraient pas être assorties de clauses qui confèrent à Kronenbourg de droit de préemption sur l'intégralité du solde du capital des distributeurs, puisque de telles clauses ont pour effet d'ériger des barrières à l'entrée sur le marché de la distribution, aucun autre acteur que le brasseur ne pouvant devenir propriétaire de l'entrepositaire-grossiste.

307. Sur la base des considérations qui précèdent, le conseil de la concurrence est d'avis :

* que les opérations Ferrer, Feuvrier, Hydral/Kihl et Murgier ne sont pas des concentrations au sens de l'article L. 430-2 avant sa modification par la loi du 15 mai 2001 ;

* que les opérations Laclotre, Seca et Blanchet soumises à son examen sont de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés ;

* que les opérations Tafanel, Sobodis, Dordogne boissons et Speed boissons ne sont pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

(1) Avis n° 96-A-09 du 9 juillet 1996 du Conseil de la concurrence et arrêté du 20 août 1996 du ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation et du ministre délégué aux finances et commerce extérieur.

(2) Par exemple, la Brasserie des Amis Réunis, installée dans le Nord, table essentiellement sur des bières événementielles telles que les bières de " Cosette " et de " Jean Valjean " offrant des produits originaux, les Brasseurs de Gayant proposent la " Madison ", bière au Grand Marnier, destinée à un public féminin ou la " Tequieros ", bière blonde à la Tequila.

(3) Interbrew n'a pas fourni directement sa part de marché mais une estimation de ses ventes en CHD tous contenants (1996 : [...] mhl, 2000 : [...] mhl, hors transmanche, réponse au questionnaire I) ainsi qu'une estimation du volume total du marché CHR (1996 : [...] mhl, 2000 : [...] mhl).

(4) Ce n'est qu'en 2001 que les ventes des brasseries Kronenbourg ont été incluses dans le chiffre d'affaires du groupe.

(5) Ces informations sont tirées des rapports d'activité de Scottish et Newcastle de 2001 et 2000.

(6) Ce chiffre inclut les droits d'accises.

(7) Ces informations sont tirées des rapports d'activités d'Interbrew de 2001 et 2000.

(8) Rappelons ici qu'Interbrew ne possède pas de site brassicole en France : il importe de Belgique les bières qu'il vend en France à partir de son site d'Armentières.

(9) Certains entrepositaires-grossistes disposent d'un embranchement SNCF eu égard au caractère pondéreux de la bière.

(10) Un camion livre une vingtaine de cafés.

(11) En page 97 du rapport d'activité 1996 du conseil, ce dernier note : " Le ministre a retenu l'analyse du marché de la bière destinée à la distribution de détail effectuée par le conseil, mais il n'en a pas tiré les mêmes conséquences. Alors que le conseil s'appuyant sur les déclarations des grands distributeurs (...) avait estimé qu'il n'existait pas de sources d'approvisionnement alternatives, particulièrement sur les segments MDD et MPP, auprès des brasseurs opérant en France ni auprès des brasseurs étrangers, le ministre a, en effet, estimé, que les barrières à l'entrée n'étaient pas telles qu'elles rendaient impossible l'entrée sur le marché de brasseurs, notamment étrangers, en mesure d'offrir des quantités significatives de bières. " Il a ainsi considéré que si le comportement prévisible des entreprises en duopole tel que l'avait décrit le conseil pouvait constituer un obstacle à la baisse des prix, la menace de pénétration de brasseurs étrangers sur le marché était, à elle seule, de nature à dissuader les entreprises à pratiquer des hausses de prix, dès lors que de telles pratiques auraient pour conséquence de leur faire perdre des parts de marché. "

(12) La CEB est composée des adhérents de plusieurs anciens groupements qui ont disparu suite à la création de la CEB : Générale de Boissons (GBF) et Omni Boissons, lui-même composé de quatre GIE (Distribuni, MAD, Interdistribution et Distribel).

(13) Décision COMP/ M. 1925 Scottish&Newcastle/groupe Danone du 11 juillet 2000.

(14) Les opérations ayant été réalisées avant la date de publication du décret d'application des dispositions de la loi NRE en matière de contrôle des concentrations, ce sont les dispositions du Code de commerce avant sa modification qui continuent de s'appliquer.

(15) Le volume des autres boissons distribuées n'est pas connu.

(16) Le rapport indiquait que Kronenbourg avait augmenté sa participation à hauteur de [60-70] % en [...]. Feuvrier, dans ses observations, a montré que la part de Kronenbourg n'avait pas augmenté et restait à [< 50] %.

(17) Point 4 du pacte d'actionnaires.

(18) Arrêt de la CJCE du 28 février 1991, Stergios Delimitis c/ Henninger Braeu AG, n° affaire C-234-89.

(19) Avis du Conseil de la concurrence n° 96-A-09 du 9 juillet 1996 a/s concentration Heineken/Fischer.

(20) Interbrew n'a pas fourni directement sa part de marché mais une estimation de ses ventes en CHD tous contenants (1996 : [...] mhl, 2000 : [...] mhl, hors transmanche, réponse au questionnaire I) ainsi qu'une estimation du volume total du marché CHR (1996 : [...] mhl, 2000 : [...] mhl).

(21) Le débit du premier bec d'un café moyen tourne autour de 50 hl par an, soit 100 fûts de bière de 50 litres ou 166 de 30 litres.

(22) C'est une approximation qui ne tient pas compte de la saisonnalité de la consommation de bières.

(23) Les bières en contenants perdus pouvant être achetées ailleurs qu'auprès des cash and carrys, la place de ces distributeurs est donc inférieure à 8 %.

(24) Rapport annuel 2001 du Conseil de la concurrence, p. 90.

(25)Avis n° 00-A-04 du 29 février 2000 relatif à l'acquisition par la société Vivendi de la participation de 15 % détenue par le groupe Richemont dans la société Canal +.

(26) La part de marché d'Elidis en 1996 n'est pas connue.

(27) Dordogne boissons distribue au moment de son acquisition, [< 3 000] hl de bières en fûts, soit [< 10] % du marché local.

(28) Speed boissons distribue au moment de son acquisition, [< 2 000] hl de bières en fûts, soit [< 10] % du marché.

(29) Heineken n'a pas fourni la répartition des ventes de ses entrepôts entre bouteilles et fûts, mais il a donné la part de marché de ses distributeurs pour les ventes de bières, tous contenants confondus. Un coefficient rectificateur doit lui être appliqué dans la mesure où les proportions dans lesquelles France boissons vend des fûts et des bouteilles sont différentes de celles dans lesquelles ces différents contenants sont consommés. Selon Gira, les fûts représentent 74 % des bières consommées hors domicile sur la période 1996-2000 (voir chapitre 1, tableau 12). Selon les données régionales Ile-de-France fournies par Heineken, les fûts représentent [80-90] % des volumes distribués par les entrepôts France boissons. Les parts de marché en fûts de France boissons peuvent donc être obtenues à partir des parts de marché tous contenants en multipliant ces dernières par un coefficient de proportionnalité égal à [...].

(30) Le rapport avait corrigé le chiffre de [50-60] % avancé par Kronenbourg en y ajoutant les parts de marché de Fallourd et Pelletier, entrepôts dans le périmètre d'Elidis. Kronenbourg valide ce point dans ses observations.

(31) Cette opération, de même que pour l'opération d'acquisition de Seca, a consisté en la cession des actions restantes, Kronenbourg détenant auparavant une participation minoritaire ([< 50] %) sur cet entrepôt.

(32) Ce chiffre résulte des corrections suivantes apportées à l'estimation de Kronenbourg de [25 000-35 000] hl initialement fournie par le brasseur. En premier lieu, Kronenebourg indique à tort que l'entrepôt indépendant Sogedib Lefranc n'existe plus depuis 1998. En réalité, cet indépendant est devenu adhérent à la CEB en 1998 et il continue à exercer une activité de distribution de bière en direct aux CHR. L'estimation donnée par Interbrew pour cet entrepôt est de [...] hl fûts (confirmation par le représentant lui-même de l'entrepôt). En second lieu, Interbrew indique que l'entrepôt Doquet (participation minoritaire d'Interbrew) n'intervient pas sur la zone. Il y a donc lieu de retrancher les [...] hl attribués à cet entrepôt sur la zone. En troisième lieu, l'établissement Nollevalle n'a aucune activité de vente en direct aux CHR, contrairement à ce qu'indique Kronenbourg, qui lui attribue un volume de [...] hl fûts. Au total, il convient d'apporter une correction au volume total distribué indiqué par Kronenbourg de [...] hl, ce qui donne donc un volume total fût sur la zone de [30 000-40 000] hl. L'estimation d'Interbrew sur ce marché est du même ordre ([30 000-40 000] H).

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