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Décisions

CJCE, 5e ch., 27 juin 1996, n° C-234/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tomberger

Défendeur :

Gebrüder von der Wettern GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Edward

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Puissochet, Moitinho de Almeida, Gulmann, Wathelet

Avocats :

Mes Herrmann, Hofmeister

CJCE n° C-234/94

27 juin 1996

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 21 juillet 1994, parvenue à la Cour le 18 août suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 31, paragraphe 1, et 59 de la quatrième directive 78-660-CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (JO L 222, p. 11, ci-après la "quatrième directive"), telle que modifiée par la septième directive 83-349-CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, point g), du traité, concernant les comptes consolidés (JO L 193, p. 1).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Mme Tomberger (ci-après la "demanderesse") à Gebrueder von der Wettern (ci-après la "défenderesse"), société de droit allemand établie en Allemagne.

3 L'article 2, paragraphe 3, de la quatrième directive, libellé dans les mêmes termes que le quatrième considérant, prévoit:

"Les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société."

4 Le paragraphe 5 du même article dispose:

"Si, dans des cas exceptionnels, l'application d'une disposition de la présente directive se révèle contraire à l'obligation prévue au paragraphe 3, il y a lieu de déroger à la disposition en cause afin qu'une image fidèle au sens du paragraphe 3 soit donnée."

5 L'article 31, paragraphe 1, de la quatrième directive prévoit:

"1. Les États membres assurent que l'évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait suivant les principes généraux suivants:

...

c) le principe de prudence doit en tout cas être observé et notamment:

aa) seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent y être inscrits;

bb) il doit être tenu compte de tous les risques prévisibles et pertes éventuelles qui ont pris naissance au cours de l'exercice ou d'un exercice antérieur, même si ces risques ou pertes ne sont connus qu'entre la date de clôture du bilan et la date à laquelle il est établi;

...

d) il doit être tenu compte des charges et produits afférents à l'exercice auquel les comptes se rapportent, sans considération de la date de paiement ou d'encaissement de ces charges ou produits;

..."

6 L'article 59, paragraphe 1, de la quatrième directive, modifié, dispose:

"Les États membres peuvent permettre ou prescrire que les participations au sens de l'article 17 détenues dans le capital d'entreprises sur la gestion et la politique financière desquelles est exercée une influence notable soient inscrites au bilan conformément aux paragraphes 2 à 9 suivants, comme sous-poste des postes "Parts dans des entreprises liées" et "Participations", selon le cas".

7 L'article 59, paragraphes 2 à 9, modifié, prévoit deux méthodes d'évaluation des participations visées au paragraphe 1.

8 La demanderesse, actionnaire de la défenderesse, met en cause les comptes annuels de cette société, tels qu'ils ont été établis pour l'exercice allant du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1989 et approuvés le 19 octobre 1990 par son assemblée générale.

9 La défenderesse détient notamment des participations de 100 % dans les sociétés Technische Sicherheitssystem GmbH et Gesellschaft fuer Bauwerksabdichtungen mbH (ci-après les "sociétés TSS et GfB").

10 Le 29 juin 1990, les comptes annuels des sociétés TSS et GfB, établis pour l'exercice allant également du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1989, ont été approuvés par décision de leur assemblée générale respective. Il ressortait de ces comptes que certains bénéfices avaient été affectés à la défenderesse pour l'exercice 1989 sans qu'ils lui aient été encore versés.

11 Les comptes annuels de la défenderesse pour 1989 ont fait apparaître les bénéfices qui lui ont été distribués par les sociétés TSS et GfB pour l'exercice 1988, mais non ceux qui lui ont été affectés au titre de l'exercice 1989.

12 Estimant que, en vertu de la quatrième directive, les comptes annuels de la défenderesse pour l'exercice 1989 auraient dû faire apparaître les bénéfices affectés à cette dernière par les sociétés TSS et GfB pour ce même exercice, la demanderesse a introduit un recours devant le Landgericht visant à l'annulation de la décision de l'assemblée générale de la défenderesse portant approbation de ces comptes annuels pour 1989. Le recours, rejeté en première instance et en appel, a fait l'objet d'une demande en "Revision" devant le Bundesgerichtshof.

13 Le Bundesgerichtshof estime que le droit d'une entreprise (la société mère) qui est l'unique associé ou qui détient une partie majoritaire dans une autre société (la filiale) à participer aux bénéfices de cette dernière est suffisamment concrétisé au jour retenu pour la clôture du bilan de la filiale pour que l'on puisse considérer que ce droit fait partie du patrimoine de la société mère. Il en résulterait que cette créance devrait être prise en considération dans les comptes annuels de la société mère "dès la date de naissance" de l'obligation correspondante de la filiale à l'égard de la société mère. Toutefois, le Bundesgerichtshof s'interroge sur la compatibilité de cette position avec les exigences de la quatrième directive.

14 C'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle dans les termes suivants":

"Le fait de considérer que le droit aux bénéfices d'une société vis-à-vis d'une société à responsabilité limitée, dont la première société est le seul associé et pour laquelle les présomptions, au sens de l'article 17, paragraphe 2, de la loi sur les sociétés anonymes, selon laquelle ladite société contrôle l'autre, ainsi que de l'article 18, paragraphe 1, 3e phrase, de la loi précitée, selon laquelle les deux sociétés constituent un groupe (Konzern), n'ont pas été réfutées, appartient, dès la date de clôture du bilan de la société contrôlée, au patrimoine de la société qui est l'unique associé de l'autre ou qui détient une participation majoritaire dans cette dernière et que ce droit aux bénéfices doit par conséquent être inscrit à l'actif de cette société "dès cette date", dans l'hypothèse où les exercices des deux sociétés coïncident et où l'assemblée générale de la société à responsabilité limitée contrôlée par l'autre décide d'arrêter les comptes annuels et de répartir les bénéfices à une date à laquelle la vérification des comptes annuels de la société qui contrôle entièrement l'autre n'est pas encore terminée, est-il contraire à la règle énoncée à l'article 31, paragraphe 1, lettre c), point aa), de la quatrième directive du 25 juillet 1978 (78-660-CEE), selon laquelle seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent être inscrits dans ce bilan, ainsi qu'aux principes figurant à l'article 59 de la même directive relatifs à la méthode dite de mise en équivalence ('Equity method') ?"

15 A titre liminaire, il y a lieu de souligner que, ainsi qu'il ressort des termes de la question préjudicielle et de l'ordonnance de renvoi, cette question s'inscrit dans le cadre d'une série d'hypothèses très spécifiques:

- la société mère est l'unique associé de la filiale, et la contrôle,

- selon le droit national, la société mère et la filiale forment un groupe,

- les exercices des deux sociétés coïncident,

- les comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause ont été arrêtés par son assemblée générale avant que la vérification des comptes annuels de la société mère pour ce même exercice n'ait été terminée,

- il ressort des comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause, tels qu'adoptés par son assemblée générale, qu'au jour retenu pour la clôture du bilan de la filiale - à savoir le dernier jour de cet exercice - celle-ci a affecté des bénéfices à la société mère, et

- le juge national estime, à la lumière des présomptions du droit national concernant les relations entre la société mère et sa filiale, que le droit de la société mère à participer aux bénéfices en cause est suffisamment concrétisé au jour retenu pour la clôture des bilans des deux sociétés pour que l'on puisse considérer que ce droit fait partie, ce même jour, du patrimoine de la société mère.

16 S'agissant de l'article 59 de la quatrième directive, modifié, auquel la juridiction de renvoi fait référence, il suffit d'observer, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 12 de ses conclusions, que cette disposition ne saurait avoir d'influence pour résoudre le litige au principal puisque le législateur allemand ne s'est pas prévalu de la faculté que cette disposition lui accorde, en sorte que les méthodes d'évaluation prévues dans cette dernière ne s'appliquent pas en Allemagne.

17 Quant à l'article 31 de la quatrième directive, il convient de rappeler que celle-ci tend à la coordination des dispositions nationales concernant la structure et le contenu des comptes annuels de certaines formes de sociétés (voir le premier considérant). Pour coordonner le contenu des comptes annuels, cette directive prévoit le principe de l'"image fidèle", dont le respect constitue son objectif primordial. Selon ce principe, les comptes annuels des sociétés visées par la quatrième directive doivent donner une image fidèle de leur patrimoine, de leur situation financière, ainsi que de leurs résultats (voir le quatrième considérant et l'article 2, paragraphes 3 et 5, de la quatrième directive).

18 L'application du principe de l'image fidèle doit être guidée, dans la mesure du possible, par les principes généraux contenus dans l'article 31 de la quatrième directive. En l'occurrence, les principes énoncés à l'article 31, paragraphe 1, sous c), aa) et bb), et sous d), revêtent une importance particulière.

19 Premièrement, le paragraphe 1, sous c), aa), de cet article prévoit que seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent y être inscrits.

20 Deuxièmement, le paragraphe 1, sous d), de ce même article précise qu'il doit être tenu compte, dans le bilan d'un exercice, de toutes les charges et de tous les produits y afférents, sans considération de la date de paiement ou d'encaissement de ceux-ci.

21 Troisièmement, en ce qui concerne les risques et les pertes prenant naissance au cours d'un exercice, le paragraphe 1, sous c), bb), exige qu'ils soient pris en compte même s'ils ne sont connus qu'entre la date de la fin de l'exercice et la date d'établissement du bilan relatif à cet exercice.

22 Il ressort de ces dispositions que la prise en compte de l'ensemble des éléments - bénéfices réalisés, charges, produits, risques et pertes - qui sont réellement afférents à l'exercice en cause permet d'assurer le respect du principe de l'image fidèle.

23 Or, en l'espèce, selon les comptes annuels de la filiale, les bénéfices en cause ont été réalisés par cette dernière pendant l'exercice 1989 et ont été affectés par celle-ci à la société mère en date du 31 décembre 1989, à savoir avant la clôture de cet exercice. Il convient que le juge national s'assure, préalablement à l'examen des comptes de la société mère, qu'aucun élément n'est susceptible de remettre en question le fait que cette présentation de la situation économique de la filiale respecte le principe de l'image fidèle.

24 Il résulte de tout ce qui précède que, si les comptes de la filiale respectent eux-mêmes le principe de l'image fidèle, il n'est pas contraire à la règle énoncée à l'article 31, paragraphe 1, sous c), aa), de la quatrième directive que le juge national considère que, dans les circonstances décrites, les bénéfices en cause doivent être inscrits au bilan de la société mère pour l'exercice au titre duquel la filiale a procédé à leur affectation.

25 Il convient, dès lors, de répondre à la question de la juridiction de renvoi que, dans l'hypothèse où

- une société (la société mère) est l'unique associé d'une autre société (la filiale), et la contrôle,

- selon le droit national, la société mère et la filiale forment un groupe,

- les exercices des deux sociétés coïncident,

- les comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause ont été arrêtés par son assemblée générale avant que la vérification des comptes annuels de la société mère pour ce même exercice n'ait été terminée,

- il ressort des comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause, tels qu'adoptés par son assemblée générale, qu'au jour retenu pour la clôture du bilan de la filiale - à savoir le dernier jour de cet exercice - celle-ci a affecté des bénéfices à la société mère, et

- le juge national s'est assuré que les comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause donnent une image fidèle de son patrimoine, de sa situation financière, ainsi que de ses résultats,

il n'est pas contraire à la règle énoncée à l'article 31, paragraphe 1, sous c), aa), de la quatrième directive que le juge national considère que les bénéfices en cause doivent être inscrits au bilan de la société mère pour l'exercice au titre duquel la filiale a procédé à leur affectation.

Sur les dépens

26 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et du Royaume-uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 21 juillet 1994, dit pour droit:

Dans l'hypothèse où

- une société (la société mère) est l'unique associé d'une autre société (la filiale), et la contrôle,

- selon le droit national, la société mère et la filiale forment un groupe,

- les exercices des deux sociétés coïncident,

- les comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause ont été arrêtés par son assemblée générale avant que la vérification des comptes annuels de la société mère pour ce même exercice n'ait été terminée,

- il ressort des comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause, tels qu'adoptés par son assemblée générale, qu'au jour retenu pour la clôture du bilan de la filiale - à savoir le dernier jour de cet exercice - celle-ci a affecté des bénéfices à la société mère, et

- le juge national s'est assuré que les comptes annuels de la filiale pour l'exercice en cause donnent une image fidèle de son patrimoine, de sa situation financière, ainsi que de ses résultats,

il n'est pas contraire à la règle énoncée à l'article 31, paragraphe 1, sous c), aa), de la quatrième directive 78-660-CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés, telle que modifiée par la septième directive 83-349-CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, point g), du traité, concernant les comptes consolidés, que le juge national considère que les bénéfices en cause doivent être inscrits au bilan de la société mère pour l'exercice au titre duquel la filiale a procédé à leur affectation.