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Décisions

CJCE, 12 mars 1996, n° C-441/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pafitis, Investment and Shipping Enterprises Est

Défendeur :

Trapeza Kentrikis Ellados, Trapeza tis Ellados

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kakouris (faisant fonction)

Présidents de chambre :

MM. Edward, Hirsch

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Gulmann, Murray, Ragnemalm, Sevón

Avocats :

Mes Koukouli-Spiliotopoulou, Stamoulis, Doukaris, Kampitsis, Skandamis, Bachas, Chatzis, Markopoulos, Mavrias, Soufleros, Armaos

CJCE n° C-441/93

12 mars 1996

LA COUR,

1 Par décision du 3 août 1993, parvenue à la Cour le 16 novembre suivant, le Polymeles Protodikeio Athinon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 25 et suivants et 29 de la deuxième directive 77-91-CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1, ci-après la "deuxième directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la banque Trapeza Kentrikis Ellados AE, constituée sous la forme d'une société anonyme (ci-après la "banque TKE"), et les nouveaux actionnaires aux anciens actionnaires, M. Pafitis e.a. qui contestent les augmentations du capital social de la banque TKE réalisées par la décision du gouverneur de la Banque de Grèce n° 826, du 28 juillet 1986 (Journal officiel de la République hellénique, *** édition A 117 du 29 juillet 1986) et de l'acte n° 71 du commissaire provisoire de la banque TKE, du 24 septembre 1986, confirmé par la suite par la loi n° 1682-1987 (Journal officiel de la République hellénique, *** édition A 14 du 16 février 1987). Ces actes ont été pris en vertu du décret présidentiel n° 861-1975.

3 La loi d'exception n° 1665-1951 (Journal officiel hellénique, *** édition A 31 du 27 janvier 1951), telle qu'elle était en vigueur à l'époque des faits litigieux, prévoyait dans son article 6 que, lorsque les capitaux de la banque se trouvent diminués à la suite de pertes ou lorsque la Commission monétaire estime qu'ils ne correspondent plus, pour quelque autre raison que ce soit, aux besoins de la banque, cette commission invite la banque à remplacer les capitaux perdus ou à augmenter le capital dans un délai qu'elle fixe, lequel ne peut être inférieur à 60 jours.

4 Selon l'article 8, paragraphe 1, de cette loi d'exception, lorsqu'une banque n'est pas en mesure ou refuse d'augmenter son capital, entrave d'une quelconque façon la surveillance ou enfreint des dispositions, quelles qu'elles soient, de lois, de décisions ou de règlements de la Commission monétaire, celle-ci peut soit retirer l'agrément de la banque mise en liquidation, soit désigner auprès d'elle un commissaire.

5 Par acte n° 397 (Journal officiel de la République hellénique, *** édition A 133 du 13 septembre 1984), le gouverneur de la Banque de Grèce a placé la banque TKE sous la tutelle d'un commissaire provisoire.

6 Le décret présidentiel n° 861-1975, concernant le placement des banques sous le régime du commissaire provisoire, prévoit dans son article 1er, paragraphe 3, disposition intégralement reprise à l'article 1er de la loi n° 236-1975 (Journal officiel de la République hellénique, *** édition A 275 du 5 décembre 1975), que, à compter de la publication de la décision portant nomination du commissaire provisoire au Journal officiel de la République hellénique, tous les pouvoirs et compétences des organes statutaires de la banque cessent de plein droit et sont dévolus, avec l'administration de celle-ci, au commissaire provisoire ou aux commissaires provisoires agissant collectivement.

7 Les demanderesses au principal sont actionnaires de la banque TKE depuis avant 1984, date à laquelle son capital social était de 670 000 000 DR.

8 Par la décision n° 826 du 28 juillet 1986, précitée, le gouverneur de la Banque de Grèce, en application de l'article 6 de la loi d'exception n° 1665-1951, précitée, a invité la banque TKE à augmenter son capital social à hauteur de 1 500 000 000 DR afin de pouvoir exercer ses activités sur une base stable. En se substituant à l'assemblée générale, le commissaire provisoire a décidé, par l'acte n° 71 du 24 septembre 1986, précité, la modification de l'article 6 du statut de la banque, fixant son capital social à 1 700 000 000 DR.

9 Pour réaliser cette augmentation, le commissaire provisoire a invité les actionnaires de la banque TKE, par un avis publié dans les journaux politiques et économiques, à exercer leurs droits préférentiels à l'égard de l'augmentation dans un délai de 30 jours et a invité tout tiers intéressé à participer à l'augmentation à l'expiration de ce délai. Celui-ci ayant expiré sans que les parties demanderesses aient exercé leur droit préférentiel, les actions nouvelles ont finalement été cédées à des tiers. Par la suite, trois nouvelles augmentations du capital social ont été décidées en 1987, 1989 et 1990 par l'assemblée générale des nouveaux actionnaires de la banque TKE, avec modification correspondante des statuts.

10 L'article 24, paragraphe 2, de la loi hellénique n° 1682-1987 a confirmé, avec effet à la date de leur adoption, la décision de nomination d'un commissaire provisoire auprès de la banque TKE ainsi que l'acte par lequel ce dernier avait ordonné que les actions correspondant à l'augmentation de capital social de la banque TKE soient mises à la disposition des actionnaires.

11 Les demanderesses au principal ont d'abord attaqué, devant la juridiction de renvoi, la modification des statuts de la banque TKE, qui a opéré l'augmentation de capital à hauteur de 1 700 000 000 DR aux motifs que cette modification résultait d'une décision du commissaire provisoire, tandis que l'assemblée générale des actionnaires n'avait pas été convoquée pour décider de l'augmentation de capital et que le régime du commissaire provisoire avait pris fin d'office à la suite de l'expiration de la durée raisonnable de ce régime. Elles ont ensuite contesté la répartition des actions et ont demandé que soit constaté le fait que les autres défenderesses au principal, qui se présentaient comme nouveaux actionnaires de la banque à la suite de l'augmentation du capital, n'avaient pas acquis la qualité d'actionnaire ni le droit de participer à l'assemblée générale des actionnaires de la banque TKE. Enfin, elles ont demandé à voir constater la nullité des décisions concernant les trois augmentations du capital social opérées ultérieurement et les modifications correspondantes des statuts.

12 Dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale se demande si la jurisprudence de la Cour consacrant, en ce qui concerne les sociétés anonymes ordinaires, le principe de la compétence de l'assemblée générale pour décider des augmentations de capital s'étend également aux sociétés anonymes bancaires au motif que, en droit interne, une réglementation relative aux banques (loi n° 236-1975, précitée) s'applique spécifiquement aux sociétés anonymes bancaires. Cette réglementation a pour objet d'assurer leur assainissement, en raison de l'importance particulière que les banques revêtent pour le fonctionnement du crédit, pour la garantie des dépôts et pour la bonne marche de l'économie nationale, motifs qui constituent un objectif d'intérêt général.

13 C'est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'application directe sur le territoire hellénique de la deuxième directive du Conseil des Communautés européennes (77-91-CEE du 13 décembre 1976), et en particulier de ses dispositions relatives au maintien et à la modification du capital des sociétés anonymes (les articles 25 et suivants et l'article 29) comporte-t-elle une portée telle que les juridictions helléniques sont tenues d'appliquer purement et simplement ces dispositions aux sociétés anonymes bancaires ?

2) Les dispositions précitées sont-elles incompatibles avec les dispositions contraires du décret présidentiel n° 861-1975, qui a été confirmé par la loi n° 236-1975 et de l'article 24 de la loi n° 1682-1987, qui dérogent aux dispositions qui forment le droit commun du fonctionnement des sociétés anonymes, dans le but d'obtenir un assainissement plus efficace des sociétés anonymes bancaires en raison du but social et économique particulier qu'elles poursuivent, lequel constitue un objectif d'intérêt général, de telle sorte qu'elles font obstacle à l'application de ces dispositions contraires ?

3) La publication de la convocation dans les quotidiens doit-elle être considérée comme constituant une information par écrit des actionnaires titulaires d'actions nominatives au sens de l'article 29, paragraphe 3, troisième phrase de ladite directive (77-91-CEE) ?"

Sur les première et deuxième questions

14 Par ses première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi soulève trois problèmes relatifs au champ d'application de la deuxième directive et, en particulier, de ses articles 25 et 29.

15 Le premier problème concerne la question de savoir si les sociétés anonymes bancaires en tant que telles relèvent de la deuxième directive et, en particulier, de ses articles 25 et 29.

16 Le deuxième problème a trait à l'applicabilité de la directive eu égard au caractère spécifique de la réglementation nationale en cause, qui vise, en tant qu'objectif d'intérêt général et en dérogation avec les règles de droit commun des sociétés anonymes, à obtenir un assainissement plus efficace des sociétés anonymes bancaires qui se trouvent, en raison de leur endettement, dans une situation exceptionnelle. La juridiction de renvoi demande en substance si, en tenant compte de ce caractère spécial, l'article 25 de la deuxième directive s'oppose à ce qu'une réglementation nationale prévoie que le capital d'une société anonyme bancaire se trouvant dans une telle situation exceptionnelle peut être augmenté par voie administrative et sans délibération de l'assemblée générale.

17 Le troisième problème concerne plus particulièrement les conditions d'application de l'article 25.

Quant à l'applicabilité de la deuxième directive aux sociétés anonymes bancaires

18 Il ressort du titre de la deuxième directive et de son article 1er qu'elle s'applique aux sociétés visées à l'article 58, second alinéa, du traité CE, constituées sous la forme de sociétés anonymes.

19 Le critère adopté par le législateur communautaire pour définir le champ d'application de la deuxième directive est, dès lors, celui de la forme juridique de la société, quelle que soit son activité.

20 Il n'existe qu'une seule exception à cette règle générale, à savoir celle prévue à l'article 1er, paragraphe 2, qui autorise les États membres à ne pas appliquer la directive aux sociétés d'investissement à capital variable et aux coopératives constituées sous la forme de sociétés anonymes.

21 Étant donné que les sociétés anonymes bancaires ne relèvent pas de cette exception, elles relèvent, dès lors, de la deuxième directive.

22 Cette conclusion est au demeurant confirmée par le fait que la deuxième directive, tels ses articles 20, paragraphe 1, sous c), 23, paragraphe 2, et 24, paragraphe 2, prend expressément en considération les particularités de l'activité bancaire en prévoyant que certaines dispositions ne s'appliquent pas ou peuvent ne pas être appliquées par les États membres aux banques et autres établissements financiers constitués sous la forme de sociétés anonymes.

23 Les articles 25 et 29 de la deuxième directive ne prévoient cependant pas une telle dérogation.

24 Il y a donc lieu de constater que la deuxième directive et, en particulier, ses articles 25 et 29 s'appliquent aux sociétés anonymes bancaires.

Quant à l'applicabilité de l'article 25 de la deuxième directive à des mesures d'assainissement d'une société bancaire

25 Les défenderesses au principal font valoir que l'augmentation du capital social en cause constitue une mesure d'assainissement d'un établissement de crédit qui ne relève pas du domaine d'application de l'article 25 de la deuxième directive.

26 A l'appui de cette thèse, elles avancent plusieurs arguments tendant à démontrer qu'une réglementation relative à l'assainissement des établissements de crédit revêt, tant au niveau communautaire qu'au niveau national, le caractère d'une lex specialis par rapport au droit commun des sociétés.

27 Elles soutiennent, en premier lieu, que la deuxième directive ne vise pas l'assainissement, la dissolution et la liquidation de sociétés anonymes et, à plus forte raison, d'établissements de crédit. Ces questions font l'objet d'autres mesures législatives prises ou envisagées au niveau communautaire.

28 A cet égard, elles se réfèrent notamment à la proposition modifiée de directive du Conseil concernant l'assainissement et la liquidation des établissements de crédit et les systèmes de garantie des dépôts (JO 1988, C 36, p. 1, ci-après la "proposition modifiée de directive").

29 Les défenderesses au principal soulignent que cette proposition modifiée de directive a précisément pour objet principal d'éviter la dissolution et la liquidation des établissements de crédit en raison de l'importance qui est attachée au fait qu'ils puissent continuer à fonctionner sur une base saine. Même si elle vise à régler leur liquidation, elle serait inspirée par l'exigence d'une application rigoureuse des règles de surveillance et par la notion d'intérêt public.

30 Elles constatent que la réglementation d'assainissement en cause est, hormis quelques dispositions purement interprétatives des mesures adoptées, reprise intégralement dans la liste des mesures nationales qui est jointe à la proposition modifiée de directive, dans laquelle figurent les mesures qui seraient réciproquement reconnues par les États membres comme étant destinées à maintenir ou à rétablir la situation financière d'un établissement de crédit.

31 Or, selon les défenderesses au principal, la circonstance que, selon la proposition modifiée de directive, l'application de ces mesures ne dépendrait pas du respect des dispositions de la deuxième directive et, en particulier, de son article 25 démontre que ce qui l'emporte, c'est l'assainissement, même par voie d'une augmentation obligatoire du capital social, tel que prévu par la réglementation hellénique, les conditions plus particulières de cette augmentation étant nécessairement reléguées au second rang et subordonnées à cet objectif prioritaire.

32 Il ressortirait, dès lors, de la proposition modifiée de directive que la question de l'augmentation du capital d'un établissement de crédit s'insère dans le cadre de l'objectif plus général et prioritaire de l'assainissement d'un établissement de crédit et est finalement assimilée à cet objectif.

33 Cette conclusion se trouverait renforcée, selon elles, par la circonstance que, non seulement au niveau national, mais également au niveau communautaire, un ensemble de règles spéciales relatives aux établissements de crédit est d'application, ce qui souligne la nature tout à fait particulière des établissements de crédit. A cet égard, serait révélateur le fait que les directives concernant les institutions financières sont quantitativement plus nombreuses que celles relatives aux sociétés en général.

34 Quant au Gouvernement portugais, il estime également que, en cas de crise financière, la situation d'une banque est fondamentalement différente de celle d'une société anonyme en général dans la mesure où, d'une part, le passif des banques est pour l'essentiel constitué des fonds de leurs déposants et, d'autre part, la garde et la gestion de l'épargne publique constituent une fonction essentielle des banques. Lorsqu'une banque se trouve en situation de crise financière, il est à la fois nécessaire de protéger les intérêts de ses déposants, en assurant par tous les moyens le remboursement de leurs avoirs, et d'éviter que les déposants de cette banque soient pris d'une panique qui se propagerait au public en général, donnant lieu à une course généralisée aux retraits des fonds déposés dans l'ensemble du système bancaire.

35 C'est la raison pour laquelle, selon le Gouvernement portugais, tant la législation des États membres que celle de la Communauté admettent la spécificité des banques en adoptant des normes qui s'écartent du régime applicable aux sociétés en général.

36 S'agissant de la législation communautaire, ce Gouvernement renvoie non seulement à la proposition modifiée de directive, mais également, comme le font d'ailleurs les demanderesses au principal, à la deuxième directive 89-646-CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77-780-CEE (JO L 386, p. 1).

37 Dérogeant au régime prévu à l'article 17 de la deuxième directive, la directive 89-646 établit en son article 10, paragraphe 1, la règle selon laquelle les fonds propres d'un établissement de crédit ne peuvent devenir inférieurs au capital initialement exigé de lui et prévoit, au paragraphe 5 de cet article, que les autorités peuvent accorder, dans une telle perspective, un délai limité pour que l'établissement régularise sa situation.

38 En réponse à ces arguments, il y a lieu de préciser tout d'abord que la deuxième directive vise, conformément à l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CE, à coordonner les garanties qui sont exigées dans les États membres à l'égard des sociétés, au sens de l'article 58, second alinéa, du même traité, afin de rendre ces garanties équivalentes et de protéger les intérêts des associés et des tiers. La deuxième directive a ainsi pour objet d'assurer un niveau minimal de protection des actionnaires dans l'ensemble des États membres.

39 Cet objectif serait sérieusement compromis si les États membres pouvaient déroger aux dispositions de la directive, en maintenant en vigueur des réglementations, même qualifiées de spéciales ou d'exceptionnelles, qui permettent, par voie de mesure administrative et en dehors de toute décision de l'assemblée générale des actionnaires, qu'une augmentation du capital social soit décidée (voir arrêts du 30 mai 1991, Karella et Karellas C-19-90 et C-20-90, Rec. p. I-2691, points 25 et 26, et du 24 mars 1992, Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias e.a., C-381-89, Rec. p. I-2111, points 32 et 33).

40 Pour ces motifs, la Cour a donc déjà considéré que l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive fait obstacle à l'application d'une réglementation qui, visant à assurer l'assainissement et la poursuite de l'activité d'entreprises qui ont une importance particulière pour l'économie nationale et qui se trouvent, en raison de leur endettement, dans une situation exceptionnelle, permet de décider l'augmentation du capital social par acte administratif et sans décision de l'assemblée générale (arrêts Karella et Karellas, point 31, Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias e.a., point 37, précités, et du 12 novembre 1992, Kerafina-Keramische und Finanz-Holding et Vioktimatiki, C-134-91 et C-135-91, Rec. p. I-5699, point 18, ci-après la "jurisprudence Karella et Syndesmos Melon").

41 Certes, bien que la deuxième directive ne vise pas spécifiquement l'assainissement des instituts de crédit ni, d'ailleurs, des sociétés anonymes en général et que ces questions ne font pas encore l'objet d'une harmonisation au niveau communautaire, il n'en résulte pas pour autant qu'il est loisible aux États membres de prendre des mesures d'assainissement à leur égard qui vont à l'encontre des dispositions de la directive, qui, comme il a été constaté au point 24, s'appliquent aux sociétés bancaires.

42 En effet, pour ce qui est des mesures d'assainissement, l'article 25, qui assure, conformément à l'objectif de la deuxième directive, un niveau minimal de protection des actionnaires dans l'ensemble des États membres, s'applique, à défaut d'une exception expresse, aux établissements de crédit dans les mêmes conditions qu'à toute autre entreprise ayant une importance particulière pour l'économie nationale et qui se trouverait, en raison de son endettement, dans une situation exceptionnelle.

43 S'agissant des arguments tirés de la proposition modifiée de directive, il convient de constater qu'elle ne fait pas partie du droit positif communautaire et que, en tout état de cause, le seul fait que la réglementation litigieuse au principal figure dans la liste annexée à cette proposition et qui identifie, comme l'a relevé à juste titre la Commission lors de l'audience, des mesures nationales qui, selon les indications fournies par chacun des États membres sur sa demande, devaient être considérées comme des mesures d'assainissement ne préjugerait en rien leur conformité aux dispositions de la deuxième directive.

44 Quant à la législation communautaire relative au secteur bancaire, il convient d'observer, comme l'a fait M. l'Avocat général au point 19 de ses conclusions, que la majorité de ces directives visent à réaliser et à compléter le droit d'établissement et la libre prestation des services dans ce secteur par des dispositions spécifiques s'appliquant aux banques. En outre, les nombreuses dispositions en matière de surveillance, qui attribuent aux autorités compétentes le pouvoir d'exiger d'un établissement de crédit la régularisation dans un délai déterminé de sa situation patrimoniale devenue inadéquate, n'affectent pas la compétence des organes de l'établissement de crédit pour prévoir eux-mêmes la manière d'y remédier.

45 Les arguments tirés par les défenderesses au principal et par le Gouvernement portugais de la proposition modifiée de directive et de la législation communautaire relative au secteur bancaire ne sauraient donc être retenus.

46 Les défenderesses au principal font valoir en deuxième lieu que le caractère de lex specialis de la législation bancaire est étroitement lié à la nature des règles de surveillance en tant que dispositions dictées par l'intérêt public. Les règles de surveillance des établissements de crédit constitueraient un système fermé de dispositions tendant, d'une part, à la protection de la structure financière et à la sauvegarde de la confiance du public dans cette structure et, d'autre part, à la protection des déposants. Les mesures d'assainissement des établissements de crédit, qui font partie intégrante des règles de surveillance, poursuivraient les mêmes objectifs. Conformément à la législation hellénique en vigueur, ces mesures comprendraient l'augmentation du capital social par décision d'un commissaire provisoire.

47 Elles soutiennent à cet égard que la Cour aurait déjà reconnu que la cohérence d'un tel système fermé ne permet pas qu'il soit perturbé par l'intervention d'autres dispositions du droit national ou du droit communautaire (voir arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann, C-204-90, Rec. p. I-249, et Commission/Belgique, C-300-90, Rec. p. I-305). Les motifs fondamentaux qui ont conduit la Cour à statuer de la sorte devraient valoir également dans la présente affaire qui présente de grandes similarités avec l'affaire Bachmann.

48 Cette argumentation ne saurait davantage être retenue.

49 Il est vrai que des considérations relatives à la nécessité de protéger les intérêts des épargnants et, de manière plus générale, l'équilibre du système de l'épargne exigent un régime de surveillance stricte en vue d'assurer la solidité du système bancaire.

50 Toutefois, il n'en ressort pas qu'un tel régime national doit nécessairement prévoir des mesures qui privent les organes d'un établissement de crédit de la compétence qui leur est reconnue, en tant qu'organes d'une société anonyme, par l'article 25 de la deuxième directive.

51 En effet, la protection des intérêts en cause peut être également et adéquatement garantie, ainsi que l'a relevé à juste titre M. l'Avocat général au point 18 de ses conclusions, par d'autres moyens, tels que, notamment, la création d'un système généralisé de garantie des dépôts, qui poursuivent le même objectif sans toutefois constituer un obstacle à la réalisation de l'objectif de la deuxième directive visant à assurer un niveau minimal de protection des actionnaires dans l'ensemble des États membres.

52 Dès lors, les États membres pourraient prendre, au cas où leur régime de surveillance des établissements de crédit ne répondrait pas aux exigences posées par la deuxième directive, les mesures nécessaires pour le rendre conforme, dans le délai imparti, à ces exigences et instaurer un système qui, tout en respectant les dispositions de la directive, protège les intérêts en cause.

53 Il ressort au demeurant du dossier que la République hellénique a, entre-temps, adopté des mesures législatives qui introduisent un système de garanties des dépôts et qui suppriment la fonction de commissaire provisoire, prévue par la réglementation litigieuse et, partant, ses pouvoirs, y compris le pouvoir de décider l'augmentation du capital d'une banque en se substituant à l'assemblée générale.

Quant aux conditions d'application de l'article 25 de la deuxième directive

54 Les défenderesses au principal font valoir que, en tout état de cause, les conditions d'application de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive ne sont pas réunies. Elles renvoient à cet égard aux arrêts Karella (point 30) et Syndesmos Melon (point 27), précités.

55 En effet, à la différence des dispositions nationales visées dans la jurisprudence Karella et Syndesmos Melon, mettant fin seulement aux pouvoirs des organes d'administration de l'entreprise, tandis que l'assemblée générale était maintenue, la législation visée dans la présente affaire prévoirait la désignation d'un commissaire provisoire assortie de la cessation de plein droit et de la dévolution à ce commissaire de tous les pouvoirs et compétences des organes statutaires, y compris l'assemblée générale. Une telle désignation constituerait une mesure tout à fait analogue à l'institution de mesures d'exécution forcée et notamment à un régime de liquidation au sens des arrêts Karella et Syndesmos Melon et, en outre, aboutirait à ce que la société concernée ne continue pas d'exister avec ses structures propres en ce qu'il y aurait dessaisissement des actionnaires et des organes normaux, au sens de cette jurisprudence.

56 Cet argument ne saurait être retenu.

57 Dans les arrêts Karella (point 30) et Syndesmos Melon (point 27), précités, la Cour a relevé que la deuxième directive est destinée à assurer le respect des droits des associés et des tiers, notamment dans les opérations de constitution d'une société et d'augmentation et de réduction de son capital. Certes, la directive ne fait pas obstacle à l'institution de mesures d'exécution forcée visant la disparition de la société et notamment à des régimes de liquidation plaçant la société sous un régime d'administration forcée dans le but de sauvegarder les droits des créanciers. En revanche, la directive continue à s'appliquer en cas de simple régime d'assainissement destiné à assurer la survie de la société, même si ce régime implique un dessaisissement temporaire des actionnaires et des organes normaux de la société.

58 Or, en l'occurrence, la désignation du commissaire provisoire ne s'apparente pas à l'institution de mesures d'exécution forcée ni notamment à un régime de liquidation, nonobstant que tous les pouvoirs et compétences des organes statutaires sont dévolus à ce commissaire. En effet, ainsi que les défenderesses au principal l'ont indiqué elles-mêmes, l'article 8, paragraphe 1, de la loi d'exception n° 1665-1951 distingue, quant aux mesures à prendre par la Commission monétaire, entre le retrait de l'agrément de la banque, entraînant la mise en liquidation de celle-ci, et la désignation d'un commissaire. De plus, comme les défenderesses au principal l'ont également souligné, la désignation du commissaire provisoire avait précisément pour objet la survie de la société concernée, démontrant par là qu'elle s'inscrit dans un régime d'assainissement d'une société.

59 On ne saurait dès lors considérer que la société ne continue pas d'exister, ce qui est d'ailleurs confirmé en l'espèce par le fait que les organes statutaires n'ont que temporairement été privés de leurs pouvoirs et compétences et que toutes les augmentations de capital qui ont succédé à celle adoptée par le commissaire provisoire ont de nouveau été décidées par l'assemblée générale des actionnaires.

60 Au vu des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de répondre aux première et deuxième questions que l'article 25 de la deuxième directive s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le capital d'une société anonyme bancaire se trouvant, en raison de son endettement, dans une situation exceptionnelle peut être augmenté par voie administrative et sans délibération de l'assemblée générale.

Sur la troisième question

61 L'article 29, paragraphe 3, de la deuxième directive concerne les modalités de l'offre de souscription à titre préférentiel qui, en vertu du paragraphe 1 de cette disposition, doit être faite aux actionnaires d'une société anonyme lors de toute augmentation du capital souscrit en apports en numéraire.

62 Il résulte de cette disposition que la législation d'un État membre peut ne pas prévoir la publication de cette offre de souscription dans le bulletin national désigné conformément à la première directive 68-151-CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8), lorsque toutes les actions de la société sont nominatives. Dans ce cas, aux termes de l'article 29, paragraphe 3, troisième phrase, de la deuxième directive, "les actionnaires doivent être informés par écrit."

63 Il est constant que, à l'époque des faits litigieux, la législation hellénique n'avait pas prévu, conformément aux prescriptions de cette disposition, la publication de l'information dans le bulletin national désigné à cet effet.

64 C'est dans ce contexte que la juridiction de renvoi demande si la publication de l'offre dans des quotidiens doit être considérée comme constituant, au sens de l'article 29, paragraphe 3, troisième phrase, de la deuxième directive, une information par écrit.

65 Afin de répondre à cette question, il y a lieu d'observer que l'article 29, paragraphe 3, vise à garantir que, en l'absence d'une publication dans le bulletin national désigné à cet effet, tous les titulaires d'actions nominatives soient, de façon nominative et individuelle, informés des modalités pour exercer leur droit préférentiel.

66 Il convient donc de répondre à cette question que la publication de l'offre de souscription dans des quotidiens ne constitue pas une information par écrit des titulaires d'actions nominatives au sens de l'article 29, paragraphe 3, troisième phrase, de la deuxième directive.

Sur l'abus de droit

67 Il ressort de la décision de renvoi que les défenderesses et les parties intervenantes au principal ont soulevé, devant la juridiction de renvoi, un argument tiré de l'article 281 du Code civil hellénique, aux termes duquel "l'exercice d'un droit est prohibé, s'il excède manifestement les limites imposées par la bonne foi ou les bonnes moeurs ou par la finalité sociale ou économique dudit droit." La juridiction de renvoi souligne que l'application de cette disposition permet de s'opposer à l'invocation de droits résultant du droit communautaire dès lors que, dans un cas déterminé, ces droits sont exercés d'une manière abusive.

68 Sans qu'il soit nécessaire, en l'absence d'une question du juge de renvoi à ce sujet, de se prononcer sur la question de savoir s'il est permis, dans le cadre de l'ordre juridique communautaire, d'appliquer une règle nationale afin d'apprécier si un droit conféré par les dispositions communautaires en cause est exercé d'une manière abusive, il n'en reste pas moins que, en tout état de cause, la mise en œuvre d'une telle règle ne saurait porter atteinte au plein effet et à l'application uniforme des dispositions communautaires dans les États membres.

69 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, selon sa jurisprudence constante, il appartient à la Cour, lorsque sont en jeu des droits invoqués par un particulier sur la base de dispositions communautaires, de vérifier le caractère approprié de la protection juridictionnelle prévue par les ordres juridiques nationaux.

70 En l'espèce, il y aurait atteinte à l'application uniforme du droit communautaire et à son plein effet si un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive était censé abuser de son droit au seul motif qu'il est un actionnaire minoritaire d'une société assujettie à un régime d'assainissement ou qu'il aurait bénéficié de l'assainissement de la société. En effet, étant donné que l'article 25, paragraphe 1, s'applique indistinctement à tous les actionnaires et indépendamment de l'issue d'une éventuelle procédure d'assainissement, le fait de qualifier un recours fondé sur l'article 25, paragraphe 1, d'abusif pour de pareils motifs reviendrait à modifier la portée de cette disposition.

Sur les dépens

71 Les frais exposés par les Gouvernements hellénique et portugais, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Polymeles Protodikeio Athinon, par décision du 3 août 1993, dit pour droit:

1) L'article 25 de la deuxième directive 77-91-CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le capital d'une société anonyme bancaire se trouvant, en raison de son endettement, dans une situation exceptionnelle peut être augmenté par voie administrative et sans délibération de l'assemblée générale.

2) La publication de l'offre de souscription dans des quotidiens ne constitue pas une information par écrit des titulaires d'actions nominatives au sens de l'article 29, paragraphe 3, troisième phrase, de la directive 77-91.