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Décisions

CJCE, 16 juillet 1992, n° C-83/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Meilicke

Défendeur :

ADV/ORGA F. A. Meyer AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schockweiler (faisant fonction)

Président de chambre :

M. Kapteyn

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco, Zuleeg

Avocat :

Me Dingler

CJCE n° C-83/91

16 juillet 1992

LA COUR,

1 Par ordonnance du 15 janvier 1991, parvenue à la Cour le 1er mars suivant, le Landgericht Hannover a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles portant sur l'interprétation de la deuxième directive 77-91-CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1, ci-après "deuxième directive").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant M. Wienand Meilicke, demandeur au principal, à la société ADV/ORGA (ci-après "ADV/ORGA"), dont il est actionnaire et dont le directoire a refusé de lui communiquer certaines informations lors de l'assemblée générale des actionnaires du 16 février 1990.

3 Ce litige s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'Aktiengesetz, loi allemande sur les sociétés anonymes, telles qu'interprétées par le Bundesgerichtshof.

4 A cet égard, il convient d'observer que, pour ce qui concerne les augmentations de capital, l'Aktiengesetz soumet les apports de capital autres qu'en numéraire (ci-après "apports en nature") à des conditions de publicité et de contrôle plus sévères que celles applicables aux apports en numéraire.

5 La jurisprudence allemande qualifie toutefois certains apports en numéraire d'"apports en nature dissimulés". Il en est ainsi, notamment, de l'apport en numéraire précédé ou suivi d'une opération par laquelle la société en cause verse au souscripteur une somme qui permet à cette société de se libérer d'une dette qu'elle avait contractée auprès du souscripteur. Selon la jurisprudence du Bundesgerichtshof, un tel apport ne peut être considéré comme un apport en numéraire et doit, par conséquent, être soumis aux règles particulières applicables aux apports en nature, conformément à l'article 27 de l'Aktiengesetz et à l'article 10 de la deuxième directive. Si ces règles ne sont pas respectées, l'apport en nature dissimulé n'a pas d'effet libératoire (voir notamment arrêt du Bundesgerichtshof du 15 janvier 1990, II ZR 164-88, DB p. 311; BGHZ 110, p. 47).

6 Cette jurisprudence a été critiquée à plusieurs reprises par M. Meilicke, partie demanderesse au principal, notamment dans son livre Die "verschleierte" Sacheinlage; eine deutsche Fehlentwicklung (Schaeffer Verlag, Stuttgart, 1989), annexé aux observations déposées par M. Meilicke devant la Cour, conformément à l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour. Il estime que la jurisprudence en cause est contraire à la deuxième directive, et notamment à son article 11, qui prévoit une réglementation exhaustive pour prévenir que les dispositions en matière d'apport en nature soient éludées.

7 M. Meilicke possède une action de la société ADV/ORGA. A la suite des difficultés financières auxquelles elle s'est trouvé confrontée, cette société a, le 28 avril 1989, décidé d'augmenter son capital de 5 millions de DM. Les nouvelles actions émises à cet effet, à un cours de 300 % garanti par la Commerzbank, sont finalement devenues la propriété de cette banque.

8 Lors de l'assemblée générale de ADV/ORGA du 16 février 1990, M. Meilicke a fait poser plusieurs questions au directoire concernant l'augmentation du capital intervenue en 1989 et l'utilisation des liquidités ainsi obtenues. Par ces questions, M. Meilicke cherchait à savoir en substance si l'apport de capital avait servi à réduire les dettes de la société envers la Commerzbank.

9 La demande de M. Meilicke était formée au titre de l'article 131, paragraphe 1, première phrase, de l'Aktiengesetz, qui prévoit que le directoire doit fournir à chaque actionnaire, présentant une demande à cet effet lors de l'assemblée générale, des informations concernant les affaires de la société, dans la mesure où ces informations lui permettent de se prononcer en connaissance de cause sur l'un des points mis à l'ordre du jour. L'article 131, paragraphe 3, définit les circonstances dans lesquelles le directoire peut refuser de donner ces informations.

10 M. Meilicke a estimé que les réponses données par le directoire aux questions posées lors de l'assemblée générale du 16 février 1990 n'étaient pas satisfaisantes et que, dès lors, il n'avait pas obtenu les informations qu'il était en droit de demander en vertu de l'article 131 de l'Aktiengesetz. Il a de ce fait assigné la société ADV/ORGA devant le Landgericht Hannover, selon la procédure prévue à l'article 132 de l'Aktiengesetz.

11 L'article 132 de l'Aktiengesetz institue une procédure spéciale permettant aux actionnaires de faire valoir leur droit à l'information. L'article 132, paragraphe 1, première phrase, dispose que la question de savoir si le directoire est tenu de communiquer les informations demandées est tranchée par le Landgericht du district dans lequel la société a son siège social.

12 Au cours de la procédure écrite suivie devant le Landgericht Hannover, M. Meilicke a fait valoir que les réponses aux questions posées à la société ADV/ORGA étaient nécessaires pour apprécier l'exactitude du bilan annuel. Il a précisé à cet égard que ces réponses devraient lui permettre de vérifier si l'augmentation du capital de la société en 1989 constituait un apport en nature dissimulé et si les exigences de la législation et de la jurisprudence allemandes relatives à un tel apport étaient satisfaites.

13 Au cours de la procédure écrite suivie devant la juridiction nationale, ADV/ORGA a fait valoir que les informations demandées par M. Meilicke n'étaient pas pertinentes pour apprécier l'exactitude du bilan et que les conditions d'application de l'article 131 de l'Aktiengesetz n'étaient pas remplies. Elle a également contesté l'intérêt à agir de M. Meilicke, eu égard aux critiques qu'il avait lui-même formulées, en tant qu'auteur de certains ouvrages, à l'encontre de la jurisprudence allemande. ADV/ORGA a estimé par ailleurs que les conditions d'application de cette jurisprudence n'étaient pas réunies.

14 Lors de l'audience devant la juridiction nationale, les parties ont commenté en particulier l'arrêt du Bundesgerichtshof du 15 janvier 1990, précité, et l'opportunité d'un renvoi préjudiciel. Pour ce qui concerne ce dernier point, le Landgericht Hannover a invité les parties à se prononcer de façon plus détaillée.

15 A cet égard, ADV/ORGA a d'abord répété que les conditions d'application de la jurisprudence du Bundesgerichtshof sur l'apport en nature dissimulé n'étaient pas réunies et que, par conséquent, il n'y avait pas lieu de saisir la Cour de justice. Elle a ensuite fait valoir, à titre subsidiaire, que, si le Landgericht considérait que l'existence d'un apport en nature dissimulé pouvait être présumée et que seul le montant de cet apport était inconnu, il convenait de vérifier si le directoire avait agi illégalement. Au soutien de cet argument, ADV/ORGA a fait valoir que le comportement du directoire ne pouvait être considéré comme illégal si la jurisprudence allemande était contraire à la deuxième directive. Dans ce contexte, ADV/ORGA a déclaré, en accord avec M. Meilicke, que cette question de compatibilité devait être soumise à la Cour de justice, conformément à l'article 177.

16 M. Meilicke a fait valoir, pour sa part, que les faits de l'espèce au principal pouvaient effectivement révéler un apport en nature dissimulé, au sens de la jurisprudence allemande, et que les renseignements demandés étaient nécessaires à cette constatation. En accord avec ADV/ORGA, il a toutefois considéré que la question de la compatibilité de la jurisprudence allemande avec la deuxième directive devait faire l'objet d'un renvoi préjudiciel et a soumis, à cet effet, sept propositions de questions préjudicielles au Landgericht Hannover.

17 Dans son ordonnance de renvoi, le Landgericht a estimé qu'il était satisfait aux conditions de l'article 131 de l'Aktiengesetz, dès lors que les principes de la théorie de l'apport en nature dissimulé, développée en Allemagne par la jurisprudence et la doctrine, justifiaient la demande d'informations de M. Meilicke. Le Landgericht observe qu'il se pourrait en effet que le remboursement de dettes d'emprunt de la société défenderesse, contractées avant l'augmentation de capital, au moyen d'apports en numéraire du prêteur, soit nul pour fraude aux dispositions du droit des sociétés relatives à l'apport de capital en nature.

18 Le Landgericht estime toutefois qu'il n'est pas en mesure de statuer sur la demande de M. Meilicke, car il a des doutes sur le point de savoir si l'objet de cette demande est légitime. En effet, s'il s'avère que la théorie de l'apport en nature dissimulé n'est pas compatible avec le droit communautaire, et notamment avec la deuxième directive, la demande de M. Meilicke devient sans objet. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la société ADV/ORGA partage ces doutes et que M. Meilicke soutient que l'incompatibilité de cette théorie avec le droit communautaire est claire et que celle-ci devrait conduire au rejet de sa requête.

19 Le Landgericht estime, par conséquent, qu'il convient, dans l'intérêt de la sécurité juridique, d'user de son droit de saisir la Cour de justice, conformément à l'article 177, et de poser les questions préjudicielles suivantes:

"1. Le principe selon lequel le remboursement de dettes d'emprunt d'une société anonyme, contractées avant une augmentation de capital de la société, au moyen d'apports en numéraire du prêteur, doit s'effectuer selon les dispositions protectrices prévues pour les opérations d'apport en nature est-il compatible avec le droit communautaire ?

Plus précisément,

2. la deuxième directive du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (77-91-CEE, JO L 26, p. 1), est-elle directement applicable, au sens que tout ressortissant communautaire peut l'invoquer devant les juridictions nationales et que les juridictions nationales doivent tenir compte de la lettre et des objectifs de la directive dans l'interprétation des dispositions nationales d'application (en l'occurrence la loi allemande transposant la deuxième directive du Conseil en matière de coordination du droit des sociétés du 13 décembre 1978, Bundesgesetzblatt I, 1978, p. 1959) ?

3. La deuxième directive du Conseil, en particulier dans ses articles 10, 11 et 27, paragraphe 2, constitue-t-elle une simple norme minimale autorisant les États membres à édicter ou appliquer des dispositions nationales plus strictes pour empêcher la fraude aux dispositions des articles 10 et 27, paragraphe 2, en matière de contrôle de la valeur et de publicité que représente la réalisation concomitante d'opérations financières et d'un apport en numéraire,

ou bien

l'article 11 de la directive réglemente-t-il de façon exhaustive la protection contre la fraude, assurant le respect des dispositions des articles 10 et 27, paragraphe 2, de la directive en matière d'apport en nature, ce qui interdit aux États membres d'édicter des dispositions plus strictes ou plus larges s'en écartant,

ou bien

découle-t-il des objectifs des articles 10 et 27, paragraphe 2, de la directive, à côté de l'article 11, une protection contre la fraude, obligatoire pour tous les États membres, assurant le respect des dispositions en matière d'apport en nature ?

3.1. Si les articles 10, 11 et 27, paragraphe 2, de la deuxième directive constituent une simple norme minimale,

a) existe-t-il un principe de standstill en ce sens que le droit national plus strict n'est admis que s'il existait déjà lors de l'adoption de la directive ?

aa) L'étendue du droit national plus strict encore admis et du droit national plus strict qui n'est plus admis parce qu'il a été adopté après la date à prendre en considération doit-elle être établie par les juridictions nationales, ou bien relève-t-elle de l'interprétation du droit communautaire qui incombe à la Cour de justice ?

bb) Si l'étendue du droit national contraire au principe de standstill relève de l'interprétation du droit communautaire par la Cour de justice, est-ce une atteinte au principe de standstill que de considérer le remboursement de dettes de la société envers le souscripteur d'une augmentation de capital comme une fraude illicite à la législation en matière d'apport en nature ?

cc) Si l'étendue du droit national contraire au principe de standstill est établie par les juridictions nationales, quelle est la date à prendre en considération pour juger si le droit national plus strict dont le principe de standstill permet le maintien peut ou non être conservé (par exemple début des négociations sur la directive, adoption par le Parlement européen ou adoption par le Conseil des ministres), et

dd) le droit national plus strict dont le principe de standstill permet le maintien n'est-il constitué que de normes juridiques formelles (loi, règlement) ou inclut-il aussi l'état de la jurisprudence et de la doctrine à la date à prendre en considération au sens de la question sous cc) ?

b) Si les articles 10, 11 et 27, paragraphe 2, de la deuxième directive constituent une norme minimale (avec ou sans principe de standstill), le droit national plus strict ne peut-il être établi que par une législation nationale formelle ou bien aussi, malgré les termes harmonisés des dispositions nationales d'exécution, par l'interprétation ou l'application par analogie par les juridictions nationales ?

c) Si les articles 10, 11 et 27, paragraphe 2, de la deuxième directive constituent des normes minimales, du point de vue de quelle catégorie d'intéressés convient-il de trancher la question de savoir si une norme protectrice nationale constitue un droit plus strict admis ou un droit plus large non admis? Le souci de sécurité juridique de la société et des tiers en cas d'opérations entre souscripteur et société concomitantes avec un apport en nature (en l'espèce le remboursement d'une créance du souscripteur sur la société) fait-il également partie des intérêts protégés de la norme minimale ?

3.2. Si l'article 11 réglemente de façon exhaustive la protection contre la fraude, cela signifie-t-il qu'il est interdit aux États membres de considérer qu'une augmentation de capital en numéraire ou une opération financière est irrégulière et doit donner lieu à des sanctions sur le plan civil ou pénal au seul motif que la société a remboursé une dette existante envers le souscripteur de l'augmentation de capital en numéraire en concomitance avec l'augmentation de capital en numéraire, sans respecter les dispositions de l'article 10 de la directive en matière de publicité et de vérification de la valeur ? Cela signifie-t-il en particulier qu'il est interdit aux États membres d'exiger une publicité et une vérification de la valeur conformément aux articles 10 et 27, paragraphe 2, de la directive, lorsque l'opération financière (en l'espèce le remboursement de dettes) est une opération courante au sens de l'article 11, paragraphe 2, de la directive et qu'elle est réalisée après l'expiration du délai fixé par la législation nationale conformément à l'article 11, paragraphe 1, de la directive ?

3.3. Si les articles 10, 11 et 27, paragraphe 2, ne constituent pas une norme minimale sur laquelle peut prévaloir le droit national plus restrictif, mais que l'article 11 ne réglemente pas non plus de façon exhaustive la protection contre la fraude, s'il faut au contraire déduire des objectifs de la directive que les États membres ont tous le devoir de prévenir la fraude à l'obligation de vérification et de publicité des apports en nature que représente la dissociation d'un apport en numéraire et d'une opération financière, les principes juridiques de la protection contre la fraude doivent-ils résulter directement et uniformément du droit communautaire, en particulier des objectifs de la directive, ou bien ces principes juridiques doivent-ils découler dans chaque État membre du droit national de l'État membre concerné ?

4. Une augmentation de capital au moyen du remboursement d'une créance du souscripteur sur la société

a) constitue-t-elle nécessairement une augmentation de capital en numéraire ?

b) constitue-t-elle nécessairement une augmentation de capital en contrepartie d'apports autres qu'en numéraire au sens de l'article 27, paragraphe 1 et 2, de la directive CEE ?

c) ou existe-t-il un droit d'option permettant de considérer un tel apport soit comme une augmentation de capital en numéraire soit comme une augmentation de capital par apports autres qu'en numéraire? Cette option éventuelle est-elle ouverte à l'assemblée générale des actionnaires, en vertu de l'article 25, paragraphe 1, première phrase, de la deuxième directive, ou aux États membres ?

d) ou bien les États membres sont-ils habilités à délimiter à leur gré les apports en numéraire et les apports autres qu'en numéraire de façon autonome ?

5. Sur l'article 7, première phrase, de la deuxième directive:

5.1. L'article 7, première phrase, de la deuxième directive doit-il être interprété en ce sens que l'apport que constitue le renonciation à une créance sur la société doit être considéré en partie ou en totalité comme nul lorsque la société est dans une situation financière critique, ou bien l'article 7, première phrase, autorise-t-il l'apport à sa valeur nominale indépendamment de la solvabilité de la société ?

5.2. Si l'article 7, première phrase, de la deuxième directive autorise l'apport d'une créance sur la société à sa valeur nominale, sans vérification de la solvabilité de la société,

a) la question de savoir si la renonciation à une créance peut constituer un apport est-elle une question d'application de la directive communautaire, qui est soustraite à l'interprétation par la Cour de justice;

b) ou bien l'article 7, première phrase, constitue-t-il une norme minimale autorisant les États membres à poser en droit national des conditions supplémentaires plus strictes en matière d'apport,

c) ou bien l'article 7, première phrase, règle-t-il de façon exhaustive la question des apports autorisés ?

5.3. Dans la mesure où, selon la question 5.2, sous b), l'article 7, première phrase, de la deuxième directive ne réglemente pas de façon exhaustive la possibilité de faire l'apport de créances sur la société, mais où il s'agit d'une norme minimale permettant que le droit national pose des conditions plus strictes en matière d'apport, la question suivante est également soumise à la Cour:

a) existe-t-il, et sous quelles conditions, un principe de standstill, et l'instauration du contrôle de la solvabilité en cas d'apport d'une créance sur la société constitue-t-elle une violation du principe de standstill (voir question 3.1, sous a), aa) à dd);

b) le droit national plus strict suppose-t-il une norme juridique formelle expresse ou peut-il également être instauré par une interprétation plus restrictive de la loi de transposition (en l'espèce l'article 27, paragraphe 2, première phrase, de l'Aktiengesetz) et

c) en fonction de quelle catégorie d'intéressés faut-il déterminer si les conditions supplémentaires posées en matière d'apport constituent des règles plus strictes admises ou des règles plus larges non admises ?

5.4. Si l'article 7, première phrase, réglemente selon la question 5.2, sous c), de façon exhaustive les apports autorisés, l' " évaluation économique " d'une créance sur la société s'effectue-t-elle

a) du point de vue de la société, et donc sans tenir compte de sa solvabilité, ou

b) du point de vue du créancier, et donc en tenant compte des diminutions de la valeur résultant de la solvabilité moindre de la société ?

6. Si les articles 7, 10, 11 et 27, paragraphe 2, de la directive doivent être interprétés en ce sens qu'une protection uniforme contre la fraude est imposée dans la Communauté et qu'elle interdit de rembourser les créances du souscripteur sur la société et d'effectuer concomitamment un apport un numéraire sans respecter les dispositions de l'article 10 en matière de publicité et de vérification de la valeur, la Cour de justice est invitée à répondre à la question de savoir si les modalités suivantes constituent une fraude non admise aux dispositions en matière d'apport en nature:

a) Le montant de l'apport en numéraire doit-il être identique au montant de la créance remboursée, ou bien y a-t-il nullité dès lors qu'ils sont partiellement identiques ?

b) Doit-il exister un lien subjectif entre l'apport en numéraire et l'opération financière (en l'espèce le remboursement de la créance) ou une concomitance de fait suffit-elle ? Si un lien subjectif est nécessaire, la coïncidence dans le temps permet-elle d'inférer le lien subjectif? Quelle doit être l'étroitesse de la coïncidence dans le temps ?

c) Si seul un lien subjectif constitue une fraude non admise, ce lien subjectif exige-t-il une intention d'éluder les dispositions en matière d'apport en nature ou suffit-il d'avoir conscience que les dispositions en matière d'apport en nature pourraient être appliquées, ou n'est-il pas du tout nécessaire de connaître des dispositions en matière de publicité et de vérification de la valeur des apports en nature si l'on connaît le lien subjectif entre l'apport en numéraire et le remboursement de la dette ? Un lien subjectif n'est-il préjudiciable que lorsqu'une opération est une condition sine qua non de l'autre, ou suffit-il que la réalisation de l'une soit le motif de la réalisation de l'autre opération? Faut-il que le mobile existe des deux côtés ou suffit-il qu'une opération soit le mobile de la réalisation de l'autre opération pour l'une des parties ?

d) Y a-t-il fraude illicite même lorsqu'un organisme de crédit prend les nouvelles actions émises à l'occasion d'une augmentation de capital en numéraire en s'engageant à les offrir à la vente aux actionnaires anciens en vertu de l'article 186, paragraphe 5, de l'Aktiengesetz et quel effet a, sur la licéité de la fraude au droit en matière d'apport en nature, la question de savoir si, et pour quel montant, l'organisme de crédit qui souscrit l'augmentation de capital en numéraire est lui-même un actionnaire ancien et si le placement rapide sur le marché des capitaux ne semble pas poser de difficultés particulières au moment de la souscription par l'organisme de crédit ou si l'organisme de crédit a garanti le placement ?

e) Quel effet a, sur la licéité de la fraude au droit en matière d'apport en nature, le fait que la banque, malgré le remboursement de ses créances au moyen de l'apport en numéraire qu'elle a effectué, maintient ses lignes de crédit ? Faut-il à cet égard considérer si, et quand, la ligne de crédit maintenue est effectivement utilisée par la suite ou si, et quand, au moment de l'augmentation de capital en numéraire, il était à prévoir que les lignes de crédit seraient utilisées ?

7. Est-il compatible avec la compétence que l'article 25, paragraphe 1, première phrase, de la deuxième directive donne à l'assemblée générale de décider des augmentations de capital qu'une augmentation de capital en numéraire décidée par l'assemblé générale et en soi normalement libérée soit considérée ou traitée comme nulle ou illicite pour la seule raison que le directoire et le souscripteur ont convenu que l'augmentation de capital en numéraire serait concomitante avec une opération financière (en l'espèce le remboursement d'un prêt), par laquelle l'apport en numéraire revient en tout ou partie au souscripteur ? Faut-il tenir compte, pour juger si les éléments de fait d'une fraude illicite sont réunis, du fait que l'assemblée générale, lorsqu'elle a décidé l'augmentation de capital, avait connaissance d'un accord en ce sens entre le directoire et le souscripteur ou qu'elle aurait dû en avoir connaissance ?

8. Si la fraude aux dispositions de l'article 10 en matière de vérification de la valeur et de publicité que représente la dissociation d'un apport en numéraire et d'une opération d'achat est illicite, et si l'article 7, première phrase, de la deuxième directive doit être interprété en ce sens que l'apport que constitue la renonciation à une créance sur la société est illicite lorsque la société est dans une situation financière critique (voir question 5.1 ci-dessus), le remboursement de la société en difficulté est-il valable parce que la créance ne peut constituer un apport, en dépit de la concomitance avec l'apport en numéraire, ou bien le remboursement de la créance est-il alors illicite parce qu'il ne peut même pas être admis comme apport en nature vérifié en vue de l'immatriculation, et à plus forte raison si elle fait défaut ?"

20 Pour un plus ample exposé de la réglementation communautaire en cause, du déroulement de la procédure, ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

21 Eu égard au contexte dans lequel le Landgericht a posé les questions préjudicielles, il est nécessaire de rappeler et de préciser quelques principes relatifs à la compétence de la Cour au titre de l'article 177 du traité.

22 Il résulte tout d'abord d'une jurisprudence constante (voir, en premier lieu, arrêt du 1er décembre 1965, Schwarze, 16-65, Rec. p. 1081, et, en dernier lieu, arrêt du 25 juin 1992, Ferrer Laderer, point 6, C-147-91, Rec. p. I-0000) que la procédure prévue à l'article 177 du traité est un instrument de coopération entre la Cour et les juges nationaux.

23 Selon une jurisprudence également bien établie (voir, en premier lieu, arrêt du 29 novembre 1978, Pigs Marketing Board, point 25, 83-78, Rec. p. 2347, et, en dernier lieu, arrêt du 28 novembre 1991, Durighello, point 8, C-186-90, Rec. p. I-5773), dans le cadre de cette coopération, le juge national, qui est seul à avoir une connaissance directe des faits de l'affaire, est le mieux placé pour apprécier, au regard des particularités de celle-ci, la nécessité d'une décision préjudicielle pour rendre son jugement.

24 En conséquence, dès lors que les questions posées par le juge national portent sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêt du 8 novembre 1990, Gmurzynska, point 20, C-231-89, Rec. p. I-4003).

25 Néanmoins, dans son arrêt du 16 décembre 1981, Foglia, point 21 (244-80, Rec. p. 3045), la Cour a estimé qu'il lui appartenait, en vue de vérifier sa propre compétence, d'examiner les conditions dans lesquelles elle était saisie par le juge national. En effet, l'esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l'administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, précité, points 18 et 20, et du 3 février 1983, Robards, point 19, 149-82, Rec. p. 171).

26 A cet égard, la Cour a déjà eu l'occasion de préciser que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que soit défini le cadre juridique dans lequel l'interprétation demandée doit se placer et que, dans cette perspective, il peut être avantageux, selon les circonstances, que les faits de l'affaire soient établis et que les problèmes de pur droit national soient tranchés au moment du renvoi à la Cour, de manière à permettre à celle-ci de connaître tous les éléments de fait et de droit qui peuvent être importants pour l'interprétation qu'elle est appelée à donner du droit communautaire (arrêt du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association, point 6, 36-80 et 71-80, Rec. p. 735). En effet, en l'absence de tels éléments, la Cour peut se trouver dans l'impossibilité de donner une interprétation utile (voir arrêts du 3 février 1977, Benedetti, points 20 à 22, 52-76, Rec. p. 163, et du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, point 36, 205-82 à 215-82, Rec. p. 2633).

27 A la lumière de ces considérations, il y a lieu d'observer d'abord que le cadre concret du litige qui a donné lieu au renvoi préjudiciel est défini par les articles 131 et 132 de l'Aktiengesetz. Ces articles visent le droit de l'actionnaire à être informé par le directoire.

28 Les questions préjudicielles ne se rapportent pas directement à ce droit, mais soulèvent en substance le problème de la compatibilité de la théorie de l'apport en nature dissimulé, telle qu'elle résulte notamment de l'arrêt du Bundesgerichtshof du 15 janvier 1990, précité, avec la deuxième directive. La juridiction de renvoi estime qu'une réponse à ces questions est nécessaire pour lui permettre de statuer sur la demande d'information présentée par M. Meilicke. Elle précise à cet égard que cette demande devrait être rejetée s'il s'avérait que la théorie de l'apport en nature dissimulé, telle que formulée par la jurisprudence allemande, était incompatible avec la deuxième directive.

29 Il ressort toutefois du dossier qu'il n'est pas établi que les conditions d'application de cette théorie soient réunies en l'espèce au principal. En effet, ADV/ORGA a contesté tant au cours de la procédure devant le juge national que dans ses observations déposées devant la Cour que la jurisprudence allemande s'appliquait aux transactions intervenues entre elle et la Commerzbank. La juridiction de renvoi elle-même se prononce à ce sujet de façon conditionnelle, en indiquant qu'il se pourrait que l'apport de la Commerzbank soit contraire à la jurisprudence en cause.

30 Il s'ensuit que le problème relatif à la compatibilité de la théorie de l'apport en nature avec la deuxième directive est de nature hypothétique.

31 Il convient d'observer ensuite que le caractère hypothétique du problème sur lequel la Cour est appelée à se prononcer est confirmé par le fait que le dossier ne précise pas les éléments de fait et de droit qui permettraient de définir le contexte dans lequel l'augmentation de capital de ADV/ORGA a eu lieu et d'établir les liens entre l'apport effectué par la Commerzbank et la théorie de l'apport en nature dissimulé, telle qu'elle découle de la jurisprudence allemande. Or, les questions préjudicielles visent précisément la compatibilité de cette théorie avec la deuxième directive et soulèvent, partant, de nombreux problèmes, dont les solutions dépendent dans une large mesure des circonstances dans lesquelles l'augmentation de capital est intervenue.

32 Dans ces circonstances, la Cour est appelée à statuer sur un problème qui est de nature hypothétique sans disposer des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

33 Il s'ensuit que la Cour dépasserait les limites de sa fonction si elle décidait de répondre aux questions préjudicielles qui lui sont posées.

34 Il résulte des considérations qui précèdent qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les questions posées par le Landgericht Hannover.

Sur les dépens

35 Les frais exposés par le Gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Landgericht Hannover, par ordonnance du 15 janvier 1991, dit pour droit:

Il n'y a pas lieu de statuer sur les questions posées par le Landgericht Hannover.