CA Colmar, 1re ch. civ. A, 14 décembre 2004, n° 01-05477
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mayo (SARL)
Défendeur :
Setim Services (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
MM. Die, Allard
Avocats :
Mes Heichelbech, Bueb, Darbois.
Selon assignation à jour fixe délivrée le 3 septembre 2001, la société Setim Services a introduit devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg une action en concurrence déloyale à l'encontre de la société Mayo, accusée d'avoir débauché ses salariés permanents et intérimaires de son agence d'Haguenau et démarché sa clientèle de façon déloyale.
Par jugement du 15 novembre 2001, le Tribunal de grande instance de Strasbourg, reprochant à la société Mayo d'avoir désorganisé l'activité de sa concurrente en embauchant massivement ses salariés et de s'être approprié son fichier clients, a :
- dit que la société Mayo avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Setim Services,
- condamné la société Mayo à payer à la société Setim Services une provision de 76 224,51 euro à valoir sur le préjudice subi,
- commis M. Lidzborski en qualité d'expert aux fins de permettre à la juridiction saisie de déterminer le préjudice subi,
- renvoyé l'affaire à une audience ultérieure de mise en état.
Par déclaration reçue le 4 décembre 2001, la société Mayo a interjeté appel de cette décision.
Suivant conclusions remises au greffe le 20 février 2003, la société Mayo demande à la cour de:
- recevoir l'appel;
- infirmer le jugement entrepris;
- déclarer la demande de la société Setim Services irrecevable et mal fondée;
- condamner la société Setim Services à lui payer un montant de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des ennuis occasionnés à la concluante par la procédure et les agissements de la société Setim Services, avec les intérêts légaux;
- condamner la société Setim Services à payer une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- condamner la société Setim Services aux dépens.
Au soutien de son appel, la société Mayo fait valoir en substance:
- qu'il n'est pas démontré que la concluante a débauché les salariés permanents de la société Setim Services alors que ceux-ci avaient des motifs légitimes de quitter cette dernière ; qu'elle n'a pas davantage détourné le personnel intérimaire, qui a quitté la société Setim Services en raison des bons rapports qu'il entretenait avec son ancienne équipe administrative et de sa défiance à l'égard de la nouvelle équipe;
- qu'il n'était pas interdit aux nouveaux salariés de la concluante d'utiliser les connaissances et l'expérience acquises au service de l'intimée;
- que la concluante n'a commis aucun détournement du fichier clients de sa concurrente et n'a pas utilisé de documents émanant de la société Setim Services.
Selon conclusions déposées le 5 novembre 2003, la société Setim Services qui reprend la motivation du jugement entrepris en reprochant à la société Mayo d'avoir débauché le personnel de la concluante, d'avoir détourné des documents et de l'avoir dépouillée de sa clientèle, sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation de la société Mayo au paiement d'une indemnité de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 juin 2004.
Sur ce, LA COUR,
Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,
Attendu que l'appel a été interjeté suivant les formes légales, dans le mois du prononcé du jugement entrepris ; qu'il est régulier en la forme et recevable;
Attendu que par acte authentique du 9 mai 2000, la société Setim Services a pris en location-gérance le fonds d'activité de travail temporaire intérim qu'exploitait la société Europa Time Service à Sarreguemines, Mulhouse, Colmar et Haguenau à compter du 8 mai 2000;
Attendu que par courrier daté du 21 mars 2001, la société Setim Services a procédé au licenciement de M. Dinkel, responsable de l'agence de Haguenau ; que M. Dinkel a été embauché par la société Mayo en qualité de responsable d'agence à compter du 12 avril 2001 et affecté à l'agence que celle-ci ouvrait à Haguenau;
Attendu que par courrier daté du 5 avril 2001, Mme Schalber, que la société Setim Services employait en qualité de technico-commercial à l'agence d'Haguenau, a donné sa démission; que le 2 mai 2001, la société Setim Services a dispensé sa salariée de l'exécution du préavis à échéance au 4 mai 2001 ; que Mme Schalber a été embauchée par la société Mayo en qualité de technico-commercial à compter du 7 mai 2001;
Attendu que selon courrier du 11 avril 2001, M. Schwartz, technico-commercial de la société Setim Services en fonction à Haguenau, a donné sa démission ; que le 2 mai 2001, la société Setim Services a dispensé ce salarié de l'exécution du préavis à échéance au 11 mai 2001; que la société Mayo a embauché M. Schwartz en qualité de technico-commercial à compter du 14 mai 2001 ;
Attendu que selon courrier du 4 avril 2001, Mme Hoffmann, employée de bureau, a donné sa démission à la société Setim Services ; qu'après exécution de son préavis, elle a été embauchée en qualité d'employée de bureau par la société Mayo à compter du 14 mai 2001;
Attendu qu'ainsi, au 14 mai 2001, l'ensemble des salariés permanents que la société Setim Services avait employés sur son site d'Haguenau, travaillait pour le compte de sa nouvelle concurrente;
Attendu que si les démissions sont intervenues dans une ambiance de dégradation des relations sociales, qui les a certainement facilitées, ce départ simultané du personnel de l'intimée, concomitant à l'ouverture de son établissement, a, à l'évidence, été suscité par l'appelante ; qu'en privant la société Setim Services de toute son équipe commerciale, le départ a désorganisé l'activité de la plaignante qui a dû, dans l'urgence, pourvoir tous les emplois de son agence d'Haguenau et y affecter une équipe ignorante des spécificités du marché local;
Attendu qu'il résulte du dossier et des investigations menées par M. Lidzborski que quarante-huit des cinquante-six salariés intérimaires qui ont quitté la société Setim Services entre le 30 avril et le 18 mai 2001, ont été immédiatement embauchés par sa concurrente ; que confirmant globalement les investigations rapidement effectuées par Me Westermann, huissier de justice commis par le Président du Tribunal de grande instance de Strasbourg à l'effet de procéder à un comparatif des clients des parties, M. Lidzborski a pu constater que vingt-quatre entreprises clientes de la société Setim Services étaient devenues clientes de la société Mayo entre les mois d'avril à juin 2001;
Attendu que si la société Mayo était libre de démarcher la clientèle de la société Setim Services et d'embaucher les intérimaires mécontents des services de cette dernière, la brutalité et l'importance du transfert de clientèle et le déplacement massif du personnel intérimaire attestent du caractère systématique du démarchage de la clientèle de la société Setim Services et des efforts de débauchage de son personnel; que cette tentative de débauchage est décrite avec précision par M. Clavier dans une attestation dont les termes ne sont pas démentis (annexe n° 52 de l'intimée) ; que cet employé intérimaire fait état des appels téléphoniques répétés des anciens "commerciaux" de la société Setim, reçus sur son lieu de travail, sur son téléphone portable personnel et au domicile de sa mère, qui lui conseillaient de quitter cette entreprise "pour les rejoindre avec à la clé une augmentation de déplacement" ; qu'il peut être à cet égard observé que ces appels diversifiés exigeaient des informations précises et multiples qui ne pouvaient être toutes inscrites "dans la tête" de M. Dinkel ou des anciens salariés permanents de la plaignante, et que l'anecdote relatée par M. Clavier accréditent la thèse du détournement de ses fichiers défendue par la société Setim Services ;
Attendu qu'il est ainsi établi que la société Mayo a eu des comportements concurrentiels déloyaux qui ont occasionné à la société Setim Services une perte de clientèle et une diminution brutale du chiffres d'affaires ; que la responsabilité de la société Mayo est engagée ; que les premiers juges ont à bon droit désigné un expert afin d'évaluer le préjudice exact de la société Setim Services et alloué, compte tenu de la baisse du chiffre d'affaires, une provision de 500 000 F;
Attendu que la société Mayo qui succombe en son appel, ne saurait prétendre à des dommages et intérêts pour procédure abusive ; qu'elle supportera les dépens et versera une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement après en avoir délibéré en dernier ressort, Déclare la société Mayo recevable en son appel; Le rejetant quant au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Déboute la société Mayo de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Mayo à payer à la société Setim Services une somme de mille cinq cents euro (1 500 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Mayo aux dépens de la procédure d'appel.