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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 5 novembre 1991, n° 90-705

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conanec

Défendeur :

Dauphine Fleurs (SA), Brochier (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fournier (faisant fonction)

Conseillers :

M. Baumet, Mme Brenot

Avoués :

SCP Borel, Calas, SCP Perret, Pougnand

Avocats :

Mes Allagnat, Bouseksou.

TGI Bourgoin Jallieu, du 29 déc. 1989

29 décembre 1989

Les faits et la procédure

Selon acte du 30 novembre 1985 la société Dauphine Fleurs représentée par son PDG Monsieur Bernard Brochier a vendu à Madame Nadia Boclet épouse Conanec un fonds de commerce de journaux, papeterie, librairie et activités annexes situé à Saint Clair de la Tour. Dans le même acte Monsieur et Madame Brochier ont vendu à Madame Conanec le pas de porte du magasin où est exploité le fonds. Le prix total de la vente a été fixé à 350 000 F répartis comme suit :

- éléments incorporels 200 000 F

- matériel (banque et présentoirs) 20 000 F

- pas de porte 130 000 F

Cette somme a été payée comptant à concurrence de 250 000 F, le solde faisant l'objet d'une reconnaissance de dette du même jour remboursable dans le délai d'un an sans intérêts.

Madame Conanec a pris possession des lieux à compter rétroactivement du 1er novembre 1985, elle a remboursé par l'intermédiaire du notaire une somme de 100 000 F le 9 juin 1987 aux époux Brochier. Un désaccord étant intervenu quant à l'apurement définitif des comptes, Monsieur et Madame Brochier obtenait le 14 septembre 1987 une ordonnance enjoignant à Madame Conanec de Leur payer la somme de 56 226 F.

Madame Conanec formait opposition à cette ordonnance et parallèlement à cette opposition assignait la SA Dauphine Fleurs et les époux Brochier en garantie sur le fondement de l'article 13 de la loi du 29 juin 1935 et en dommages et intérêts en application de l'article 1116 du Code civil.

Par jugement du 29 décembre 1989 le Tribunal de grande instance de Bourgoin Jallieu statuant en matière commerciale :

- a ordonné la jonction des procédures,

- a déclaré recevable et bien fondé l'opposition formée par Madame Conanec,

- a dit que la somme de 100 000 F versée par elle le 9 juin 1987 doit s'imputer sur la reconnaissance de dette du 30 novembre 1985 de même montant,

- a mis en conséquence à néant l'ordonnance portant injonction de payer délivrée le 14 septembre 1988 à son encontre,

- a dit que les frais afférents à la procédure d'injonction de payer resteront à la charge des époux Brochier,

- a condamné Madame Conanec à payer avec intérêts au taux légal à compter du 27 avril 1988 la somme de 61 656 F à Monsieur Brochier à charge pour celui-ci de répartir cette somme a qui de droit de Monsieur et Madame Brochier et de la SA Dauphine Fleurs,

- a débouté Madame Conanec de son action en réduction de prix,

- a rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 21 février 1990 Madame Conanec a régulièrement interjeté appel de cette décision en le limitant aux dispositions relatives au compte entre les parties et à l'action en réduction de prix.

Les moyens des parties

Madame Conanec conteste le compte retenu par le tribunal, elle indique avoir réglé le photocopieur en espèces, elle estime ne pas devoir le stock de parfumerie acheté cinq ans auparavant et prétend que le stock presse n'était pas aussi important et que la banque et la caisse enregistreuse ont été rajoutées.

Madame Conanec ajoute que dès la première année d'exploitation elle s'est aperçue que les bénéfices annoncés dans l'acte de vente ne correspondaient pas à la réalité, que les époux Brochier ont surestimé le fonds en se livrant à un artifice consistant à déclarer les commissions sur les journaux sans déduire les rétrocessions et frais généraux.

Madame Conanec fait valoir que les vendeurs ont eu un comportement dolosif justifiant son action en réduction de prix, elle sollicite leur condamnation à lui payer la somme de 180 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et celle de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Subsidiairement Madame Conanec conclut à une expertise comptable.

La SA Dauphine Fleurs et les époux Brochier concluent à la confirmation du jugement en formant appel incident sollicitent la condamnation de Madame Conanec à leur payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Motifs de la décision

Sur le compte entre les parties

Ainsi que l'a justement analysé le premier juge par des motifs que la cour adopte les décomptes signes respectivement les 10 et 13 juin 1987 par chacune des parties démontrent qu'un accord existe sur un solde du par Madame Conanec de 61 656 F correspondant au stock qui n'était pas compris dans l'acte de vente du fonds.

Madame Conanec qui reprend en cause d'appel les moyens développés en première instance sera déboutée de son appel sur ce point.

Sur la demande de dommages-intérêts de Madame Conanec

C'est à bon droit qu'après avoir constaté que les mentions obligatoires exigées par l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 étaient inexactes et que l'activité de la société Dauphine Fleurs a généré des pertes pour les exercices 1982/83 et 1983/84 alors que l'acte de vente du 30 novembre 1985 fait état de bénéfices pour ces mêmes exercices, le premier juge a déclaré irrecevable l'action en nullité et l'action en garantie des articles 12 et 13 de la loi du 29 juin 1935 présentée par Madame Conanec, faute d'avoir été intentée dans le délai d'un an prévu par l'article 14 de la dite loi.

L'essentiel de l'argumentation de Madame Conanec devant la cour vise à démontrer l'existence de manœuvres dolosives de la part de ses vendeurs dans la production de chiffres d'affaires et de bénéfices commerciaux volontairement erronés et dans la réticence de ses adversaires à lui fournir des documents comptables.

Il est de principe que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui l'aurait empêché de contracter.

Les époux Brochier ont fait preuve d'une réticence coupable en ne respectant pas la clause de l'acte de vente qui leur faisait l'obligation de "mettre à la disposition de l'acquéreur pendant trois années à compter du jour de l'entrée en jouissance, tous leurs livres de comptabilité relatifs à l'exploitation des trois dernières années". Madame Conanec a en effet été obligée d'avoir recours à un huissier pour pouvoir consulter les livres de comptabilité avec un expert seulement pendant une heure le 20 septembre 1988 soit près de trois ans après la signature de l'acte de vente.

Ce n'est qu'après cette consultation que Madame Conanec assistée de son expert comptable s 'est rendue compte que les chiffres déclarés dans l'acte de vente comme étant des bénéfices commerciaux correspondaient au montant des commissions brutes sur journaux sans déduction des rétrocessions et des frais généraux et que la société avait dégagé des pertes et avait un report à nouveau débiteur de 89 905 F au 31 juin 1985.

Ainsi contrairement à l'appréciation des premiers juges le fait que les époux Brochier aient tant retardé la communication de leur comptabilité malgré les demandes pressantes de Madame Conanec démontre qu'ils étaient de mauvaise foi et que c'est volontairement qu'ils ont communiqué au notaire des chiffres erronés.

Les premiers juges ne sauraient être suivis quant ils affirment qu'une enquête minimale telle que la consultation des comptes sociaux déposés au greffe aurait permis à Madame Conanec de prendre connaissance des inexactitudes de l'acte et de solliciter tous éclaircissements nécessaires.

En effet il appartenait aux époux Brochier de donner au notaire des éléments exacts et il ne peut être reproché à Madame Conanec d'avoir fait confiance à ses vendeurs alors que rien dans leur attitude n'aurait pu éveiller ses soupçons.

Au surplus la présentation des comptes sans ventilation entre les différentes activités de la société ; fleurs, journaux, divers rendait difficile toute vérification.

Enfin la réticence de la société Dauphine Fleurs à fournir à Madame Conanec les chiffres déclarés au fisc au titre des commissions rétrocédées démontre également la mauvaise foi de son gérant, Monsieur Brochier, puisqu'il a fallu une ordonnance du conseiller de la mise en état enjoignant aux services fiscaux de délivrer ces pièces.

La réticence dolosive de Monsieur Brochier, PDG de la société Dauphine Fleurs et des époux Brochier apparaît donc établie.

Le dol peut être invoqué pour conclure à une réduction de prix par l'allocation de dommages et intérêts. Il est certain que si Madame Conanec avait connu la situation comptable exacte du fonds de commerce, elle l'aurait acquis à un moindre prix. Ses faibles résultats pour les années postérieures à la vente et la situation débitrice de son compte bancaire démontrent que le prix de vente du fonds avait été surévalué.

La cour dispose des éléments suffisants pour allouer à Madame Conanec la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.

Il convient de fixer à la somme de 5 000 F le montant des frais irrécouvrables qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Conanec en application de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en l'exception de la disposition relative à la demande de dommages et intérêts présentée par Madame Conanec Le reforme sur ce point, Statuant è nouveau, Constate l'existence d'un dol de la part des époux Brochier et de Monsieur Brochier, PDG de la société Dauphine Fleurs, viciant la vente du fonds de commerce, Condamne les époux Brochier et la société Dauphine Fleurs à payer à Madame Conanec la somme de 100 000 F (cent mille francs) à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F (cinq mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne les époux Brochier et la société Dauphine Fleurs aux dépens, Autorise la SCP Borel et Calas à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.