Décisions

CA Toulouse, 1re ch., 26 septembre 1983, n° 630-81

TOULOUSE

ArrĂȘt

PARTIES

Demandeur :

Gineste FrÚres (Sté), De Boussac

DĂ©fendeur :

Solodec (Sté), Lombard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

PrĂ©sident :

M. Nayral de Puybusque

Conseillers :

MM. Cambedousou, Bedos

AvouĂ©s :

Me Tremont, Lahondes, Boyer

Avocats :

Mes Itord, Colombie, Carcy, Darnet

Les faits - la procédure

M. Philippe De Boussac a confiĂ© la construction d'une villa Ă  l'architecte Lombard ; dans le cadre du marchĂ©, le maĂźtre de l'ouvrage a commandĂ© directement Ă  la sociĂ©tĂ© Solodec 400 m2 de carreaux de terre cuite qui ont Ă©tĂ© posĂ©s par l'entreprise de gros-Ɠuvre Gineste.

Une contestation s'Ă©tant Ă©levĂ©e sur la qualitĂ© des carreaux l'expert Sandon a Ă©tĂ© commis Ă  la requĂȘte du fournisseur ; son expertise n'Ă©tant pas opposable au constructeurs Lombard et Gineste, appelĂ©s en cause par M. De Boussac, l'expert Jacquet a Ă©tĂ© commis Ă  son tour.

Sur le fondement du rapport dressé par ce dernier expert le Tribunal d'instance de Toulouse, par jugement du 11 février 1981 a :

- condamné M. De Boussac à payer à la société Solodec la somme de 6 502,50 F, celle de 67,50 F et celle de 800 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- sur l'appel en garantie et la demande reconventionnelle de M. De Boussac, condamné l'entreprise Gineste à lui payer les sommes de 15 099,84 F, 4 233,60 F et 800 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- mis hors de cause l'architecte Lombard et condamné M. De Boussac à lui payer la somme de 250 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- mis les entiers dépens à la charge de l'entreprise Gineste.

La société entreprise Gineste a réguliÚrement interjeté appel de ce jugement, limitant son appel à la partie du dispositif qui l'a condamnée au paiement de la somme de 15 099,84 F. M. De Boussac a également interjeté appel séparé du jugement à l'encontre de la société Solodec et à, l'encontre de l'architecte Lombard.

La société entreprise Gineste, à qui un défaut de pose des carreaux extérieurs est reproché par le tribunal, a payé au maßtre de l'ouvrage le coût des réparations en exécution du jugement dont appel (4 233,60 F).

Cette société conteste, par contre, sa responsabilité décennale en ce qui concerne les défauts d'aspect des carrelages intérieurs et conclut à la réformation du jugement sur ce point et au débouté de M. De Boussac.

L'architecte Lombard demande la confirmation du jugement entrepris et, sur appel incident, la condamnation de M. De Boussac au paiement d'une somme de 5 000 F Ă  titre de dommages et intĂ©rĂȘts pour atteinte Ă  sa rĂ©putation professionnelle et d'une somme de 2 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procĂ©dure civile.

M. De Boussac demande Ă  la cour de confirmer le jugement qui a retenu la responsabilitĂ© de l'entreprise Gineste il estime en effet que cette entreprise a manquĂ© Ă  son devoir de conseil en posant Ă  l'intĂ©rieur de la villa des carreaux de qualitĂ© moyenne sans l'avoir mis prĂ©alablement en garde sur les risques qu'une telle pose pouvait lui faine encourir ; il forme le mĂȘme reproche Ă  l'encontre de l'architecte et du fournisseur et demande Ă  la cour de rĂ©former le jugement qui les a mis hors de cause ; dans ses conclusions d'appel M. De Boussac demande donc la condamnation conjointe et solidaire de l'entreprise Gineste, de l'architecte Lombard, de la sociĂ©tĂ© Solodec au paiement de la somme de 49 720,78 F TTC Ă  rĂ©actualiser, somme retenue par l'expert Sandon pour permettre le remplacement intĂ©gral du carrelage intĂ©rieur, et de rĂ©former ainsi, sur le montant du prĂ©judice, le jugement entrepris qui ne lui a allouĂ© qu'une somme de 15 099,84 F TTC correspondant Ă  une moins value calculĂ©e par l'expert Jacquet ; il rĂ©clame enfin la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procĂ©dure civile.

La sociĂ©tĂ© Solodec rappelle que les carrelages ont Ă©tĂ© livrĂ©s en mai 1975 et que malgrĂ© de multiples rappels ils ne sont pas encore payĂ©s ; par application des conditions gĂ©nĂ©rales de vente elle sollicite la rĂ©formation partielle du jugement et la condamnation de M. De Boussac au paiement de la somme principale de 4 500 F, des intĂ©rĂȘts conventionnels de retard de 1,50 % du 31 mai 1975 (date de la facture) au 11 fĂ©vrier 1981 (date du jugement), de la clause pĂ©nale conventionnelle de 10 % 450 F), du remboursement des honoraires de l'expert officieux Cremoux (850 F), de 5 000 F tant Ă  titre de dommages et intĂ©rĂȘts supplĂ©mentaires qu'en application de l'article 700 du nouveau Code de procĂ©dure civile et enfin des intĂ©rĂȘts au taux lĂ©gal sur le principal du 12 fĂ©vrier 1981 jusqu'au complet paiement,

Sur quoi, LA COUR,

Dans le seul rapport opposable Ă  toutes les parties l'expert Jacquet a constatĂ© sur un grand nombre de carreaux, au demeurant de qualitĂ© ordinaire, des taches sous forme de dĂ©nuançage ayant apparu aprĂšs la pose et provenant des remontĂ©es de laitance ; il prĂ©cise page 5 que "les carreaux, dĂ©jĂ  patinĂ©s par l'occupation des locaux et par les produits d'entretien, accentueront Ă  la longue et leur patine et leur dĂ©nuançage. Par le caractĂšre rustique de ces matĂ©riaux en terre cuite les taches constituent des dĂ©fectuositĂ©s d'aspect. Il n'y a pas lieu de remplacer ces matĂ©riaux d'autant que, dĂ©jĂ  patinĂ©s par l'utilisation du sol et par les produits d'entretien, les carreaux accentueront Ă  la longue et leur patine et leur dĂ©nuançage" Cet aspect satisfaisant ne sera obtenu que dans un laps de temps impossible Ă  dĂ©terminer et pouvant ĂȘtre fort long ; l'expert propose alors, pour rĂ©parer le prĂ©judice subi et Ă  subir par le maĂźtre de l'ouvrage,une moins-value correspondant au tiers du remplacement de la totalitĂ© des carreaux (15 099,84 F TTC) valeur 28 fĂ©vrier 1980 ;

Les taches affectant le carrelage, bien que concernant un gros-ouvrage au sens du dĂ©cret du 22 dĂ©cembre 1967, ne rendent pas l'immeuble impropre Ă  sa destination s'agissant uniquement de dĂ©fectuositĂ©s d'aspect ; dĂšs lors, contrairement Ă  l'opinion du premier juge, l'entrepreneur Gineste, de mĂȘme que l'architecte Lombard, liĂ©s au maĂźtre de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage, ne peuvent pas voir leur responsabilitĂ© dĂ©cennale retenue, prĂ©cision Ă©tant apportĂ©e que la prise de possession des lieux est intervenue sans rĂ©serve et qu'ainsi la responsabilitĂ© contractuelle de droit commun des constructeurs ne peut plus ĂȘtre recherchĂ©e ; le jugement qui a retenu la responsabilitĂ© de l'entrepreneur sera donc rĂ©formĂ© et confirmĂ© en ce qu'il a mis hors de cause l'architecte, l'indemnitĂ© de l'article 700 du nouveau Code de procĂ©dure civile Ă©tant toutefois portĂ©e de 250 Ă  750 F au profit de ce dernier ;

Le jugement entrepris sera également réformé en ce qu'il a écarté la responsabilité contractuelle du fournisseur-vendeur de matériaux ; la cour estime en effet, en présence de carrelages ordinaires, choisis par un maßtre d'ouvrage inexpérimenté en matiÚre de construction puisque directeur d'une société d'Automobiles, que la société Solodec était tenue d'un devoir de conseil et de renseignement quant à l'utilisation de tels matériaux ; à cet égard l'expert Jacquet indique qu' "on ne connaßt aucune des caractéristiques physiques ni mécaniques des carreaux", qu' "ils semblent fragiles puisque la remontée de la laitance du mortier de pose les tachent en surface", qu' "aucun conseil, aucune mise en garde non plus n'a été formulé par le revendeur" ;

L'absence de conseil et de renseignements n'a pas permis d'une part Ă . M. De Boussac de porter son choix sur un carrelage de meilleure qualitĂ©, d'autre part Ă  l'entrepreneur de pose de prendre des prĂ©cautions dans la mise en Ɠuvre ; il en rĂ©sulte un dommage pour le maĂźtre de l'ouvrage imputable au vendeur lequel doit ĂȘtre condamnĂ©, en application de l'article 1147 du Code civil, Ă  des dommages et intĂ©rĂȘts que la cour Ă©value, comme l'expert Jacquet l'a justement proposĂ©, Ă  un tiers de la valeur de remplacement de la totalitĂ© du carrelage soit, aprĂšs réévaluation de 1980 Ă  1983, la somme de 20 000 F ;

L'obligation de l'acheteur Ă©tant de payer le prix de la marchandise vendue, le jugement sera confirmĂ© en son principe en ce qu'il a condamnĂ© M. De Boussac Ă  payer le prix du carrelage mais rĂ©formĂ© partiellement quant au chiffre retenu ; la condamnation portera sur le principal de 4 500 F et sur les intĂ©rĂȘts contractuels de retard de 1,50 % du 31 mai 1975 (date de la facture) au 11 fĂ©vrier 1981 (date du jugement), les intĂ©rĂȘts au taux lĂ©gal portant sur le principal de 4 500 F Ă  compter du 12 fĂ©vrier 1981, la cour Ă©cartant la clause pĂ©nale de 10 % (450 F), le remboursement des honoraires de l'expert officieux Cremoux (850 F) et l'indemnitĂ© de l'article 700 (800 F) pour tenir compte de la succombance de la sociĂ©tĂ© Solodec ;

La société entreprise Gineste, dont la responsabilité décennale dans la pose du carrelage extérieur a été retenue par le tribunal, supportera 1/4 des dépens exposés devant cette juridiction y compris les frais de l'expertise Jacquet, M. De Boussac supportera également 1/4 des dépens exposés devant le tribunal d'instance dans lesquels ne seront pas compris les frais d'expertise, l'intégralité des autres dépens, tant de premiÚre instance que d'appel, étant supportés par la société Solodec ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges LA COUR, DĂ©clare recevable et partiellement fondĂ© les appels interjetĂ©s par la sociĂ©tĂ© entreprise Gineste et M. Philippe De Boussac Ă  l'encontre du jugement rendu par le Tribunal d'instance de Toulouse le 11 fĂ©vrier 1981, Constate que la sociĂ©tĂ© entreprise Gineste a exĂ©cutĂ© le jugement en ce qui concerne la condamnation sur le coĂ»t des rĂ©parations des carrelages extĂ©rieurs, RĂ©forme le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilitĂ© de cette sociĂ©tĂ© pontant sur la rĂ©paration des carrelages intĂ©rieurs et en ce qu'il n'a retenu aucune responsabilitĂ© Ă  l'encontre de la sociĂ©tĂ© Solodec, Statuant Ă  nouveau, Met hors de cause, en ce qui concerne la pose des carrelages intĂ©rieurs, la sociĂ©tĂ© entreprise Gineste, Confirme le jugement en ce qu'il a mis hors de cause l'architecte Lombard, Porte de 250 Ă  750 F (sept cent cinquante francs) au profit de l'architecte l'indemnitĂ© de l'article 700 du nouveau Code de procĂ©dure civile mise Ă  la charge de M. De Boussac, DĂ©clare la sociĂ©tĂ© Solodec responsable contractuellement du prĂ©judice subi par M. De Boussac, La condamne Ă  payer Ă  ce dernier la somme de 20 000 F Ă  titre de dommages et intĂ©rĂȘts, Condamne M. De Boussac Ă  payer Ă  la sociĂ©tĂ© Solodec la somme principale de 4 500 F (quatre mille cinq cents francs) les intĂ©rĂȘts contractuels de retard de 1,50 % du 31 mai 1975 au 11 fĂ©vrier 1981, les intĂ©rĂȘts au taux lĂ©gal pontant sur le principal des 4 500 F Ă  compter du 12 fĂ©vrier 1981, Condamne la sociĂ©tĂ© entreprise Gineste au 1/4 des dĂ©pens exposĂ©s devant le tribunal d'instance y compris le 1/4 des frais de l'expertise Jacquet, Condamne M. De Boussac Ă  supporter Ă©galement 1/4 des dĂ©pens exposĂ©s devant le tribunal d'instance dans lesquels ne seront pas compris les frais d'expertise, Condamne la sociĂ©tĂ© Solodec au paiement de l'intĂ©gra litĂ© des autres dĂ©pens tant de premiĂšre instance que d'appel, dĂ©pens d'appel qui seront distraits au profit de Me Tremont et de Me Lahondes, avouĂ©s, conformĂ©ment aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procĂ©dure civile.