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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 avril 1984, n° 1043-80

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Forges d'Haironville (Sté)

Défendeur :

Lluansi (SA), Le Moulin du Fardier (SCP), BGLM (SNC), Sohier, UAP (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blau

Conseillers :

Mmes Marc, Decomble

Avoués :

SCP Lumbroso & Thoma, Mes Six, Casati, Zuili, Mortier

Avocats :

Mes Berger-Perrin, Durand, Antoine, Creusat, Saint-Chamas.

TGI Reims, du 26 juin 1980

26 juin 1980

LA COUR,

La cour est saisie de l'appel principal et de l'appel incident respectivement relevés par la société des Forges d'Haironville et par la société Lluansi du jugement rendu le 26 juin 1980 par le Tribunal de grande instance de Reims, qui, dans une instance diligentée par la société Lluansi à l'encontre de la société des Forges d'Haironville, de M. Sohier et de la société BGLM, a, notamment, dit et jugé que la responsabilité de l'incendie qui a détruit l'usine de bouchons de champagne de la société Lluansi incombe pour 1/10ème à celle-ci et pour 9/10èmes à la société des forges d'Haironville.

Le jugement entrepris contient un exposé précis des faits et de la procédure auquel il convient de se référer. Il suffit ici de rappeler ce qui suit : En 1970, la société Lluansi a confié à M. Sohier, architecte et maître d'œuvre, et à la société BGLM, entrepreneur, la construction d'une usine à bouchons à Tinqueux les parois et le plafond de l'usine ont été revêtus d'un bardage de plaques de tôle elles-mêmes recouvertes sur leur face interne de mousse de polyuréthane ; ces plaques et leur revêtement de mousse ont été commandées par la société BGLM à la société des Forges d'Haironville, laquelle les a fabriquées et vendues ; la notice technique de cette mousse précisait qu'elle était "auto-extinguible" la construction a été achevée en décembre 1971. Le 21 juin 1972, un ouvrier de l'usine laissait tomber accidentellement un sac de poussière de liège à proximité du brûleur d'un séchoir en fonctionnement. Un dard de flamme s'est formé, atteignant la partie du bardage du bâtiment qui se trouvait à deux mètres du séchoir ; le feu s'est propagé à grande vitesse sur toute la surface interne du bardage provoquant en quelques minutes l'embrasement et la ruine de la totalité du bâtiment.

L'UAP est intervenue en cause d'appel pour solliciter le remboursement de l'indemnité d'assurance par elle versée à la société Lluansi à la suite de ce sinistre.

Postérieurement à l'ordonnance de clôture, la société civile particulière "Le Moulin du Fardier" a déposé des conclusions d'intervention aux lieu et place de la société Lluansi, dont elle entend reprendre les demandes ; elle précise à cet effet que la SA Lluansi a été transformée en société civile particulière dénommée "Le Moulin du Fardier" ; elle sollicite le report de l'ordonnance de clôture pour régularisation de son intervention. Il convient, en ce qui concerne les prétentions et moyens des parties de se référer aux conclusions par elles déposées en cause d'appel, le schéma de leurs demandes pouvant se résumer comme suit :

1°) société Lluansi, devenue société Le Moulin du Fardier a) principalement, condamnation de la seule société Forges d'Haironville à réparer son entier préjudice ; b) subsidiairement condamnation in solidum de ladite société, de M. Sohier et de la société BGLM à cette réparation ; c) allocation de la somme de 30 000 F, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

2°) UAP a) principalement condamnation de la seule société Les Forges d'Haironville à lui rembourser le montant de l'indemnité d'assurances par elle versée à la société Lluansi ; b) subsidiairement, condamnation de ladite société Forges d'Haironville, de M. Sohier et de la société BGLM à ce remboursement ; c) allocation de la somme de 5 000 F, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

3°) société des Forges d'Haironville a) principalement irrecevabilité de l'action diligentée à son encontre par la société Lluansi (non-respect du bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil); b) subsidiairement nullité de l'expertise prescrite en 1re instance, et en tout état de cause, prescription d'une nouvelle mesure d'expertise ; c) plus subsidiairement rejet des prétentions de la société Lluansi et de l'UAP ; d) plus subsidiairement encore condamnation solidaire de M. Sohier et de la société BGLM à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;

4°) M. Sohier rejet de toutes les prétentions formulées à son encontre ;

5°) société BGLM rejet de toutes les prétentions formulées à son encontre, et subsidiairement, condamnation de la société Forges d'Haironville à la garantir de toutes les condamnations susceptibles d'être mises à sa charge ;

Sur ce

1) Sur la demande de report de l'ordonnance de clôture

Attendu que la société Le Moulin du Fardier, qui a déposé des conclusions d'intervention postérieurement à l'ordonnance de clôture, sollicite le report de cette ordonnance pour lui permettre de reprendre valablement les conclusions précédemment formulées par la société Lluansi ;

Attendu que l'article 783 du nouveau Code de procédure civile dispose que sont recevables, après l'ordonnance de clôture, les demandes en intervention volontaire ;

Attendu qu'il échet, en application de ce texte, de déclarer recevable, en la forme, l'intervention de la société Le Moulin du Fardier aux lieu et place de la société Lluansi, dont elle déclare reprendre les conclusions , sans qu'il y ait lieu de reporter la date de l'ordonnance de clôture ;

II) Sur le fondement et sur la recevabilité de l'action diligentée par la société Lluansi, devenue la société Le Moulin du Fardier, en tant qu'elle est dirigée contre la société Les Forges d'Haironville

Attendu que la société des Forges d'Haironville dont l'entière responsabilité est recherchée à titre principal par la société Le Moulin du Fardier et par l'UAP excipe de l'irrecevabilité de l'action en tant qu'elle est diligentée à son encontre, cette action, selon elle fondée sur les dispositions de l'article 1648 du Code civil, relatif à la garantie du vice caché de la chose vendue, n'ayant pas été diligentée dans le bref délai prévu par ce texte ;

Mais attendu qu'il convient de relever, d'une part, que la société Le Moulin du Fardier et l'UAP contestent formellement avoir fondé, même implicitement, leur action sur les dispositions de l'article 1648 du Code civil, et concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable l'action diligentée contre la société Les Forges d'Haironville, le fondement de celle-ci étant non le vice caché, mais le défaut d'information relativement à la vente d'un produit dangereux ;

Attendu qu'il convient d'observer, d'autre part, qu'en tout état de cause l'article 1648 du Code civil ne pourrait être invoqué utilement que si la société Lluansi avait acheté elle-même soit directement à la société des Forges d'Haironville, fabricant, soit à l'acheteur de la marchandise initialement fabriquée et vendue par la société des forges d'Haironville, ladite marchandise;

Attendu que tel n'est pas le cas en l'espèce, puisqu' il résulte des pièces produites que l'acheteur des plaques litigieuses était la société BGLM et que cette dernière est elle-même liée au maître de l'ouvrage non par un contrat de vente, mais par un contrat de construction ;

Attendu qu'il échet dès lors de débouter la société Les Forges d'Haironville de sa fin de non-recevoir et de dire et juger que le maître de l'ouvrage, tout comme son assureur, subrogé dans partie de ses droits pour lui avoir versé une indemnité d'assurance à la suite du sinistre, est parfaitement recevable à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la société des Forges d'Haironville qui a fabriqué et vendu à l'entreprise de construction les plaques de tôle revêtues de la mousse de polyuréthane, à l'effet d'obtenir réparation du préjudice qui a pu lui avoir été causé tant par des défectuosités desdites plaques que par un manquement du fabricant vendeur à son devoir de conseil envers l'entrepreneur de construction acheteur ;

III) Sur l'exception de nullité de l'expertise

Attendu qu'il résulte des énonciations mêmes du rapport d'expertise que celle-ci a, contrairement à la thèse soutenue par la société Les Forges d'Haironville, été diligentée de manière contradictoire ;

Attendu, en effet, que les experts désignés par les premiers juges précisent aux pages 3 et 4 de leur rapport les noms des parties ou de leurs représentants qui ont, après convocation, comparu à la 1re réunion tenue sur les lieux du sinistre - réunion à laquelle la société Les Forges d'Haironville s'est fait représenter par son avocat Me Droit et assister par MM. Schur et Queinnec experts- les déclarations faites par les parties lors de cette 1re réunion, les documents qui leur ont été réclamés ; qu'ils indiquent que tors d? cette réunion, l'un d'eux a saisi des fragments de mousse rigide adhérant sur des tôles jonchant le sol aux fins d'études ultérieures en laboratoire qu'ils relèvent à la page 6 de ce même rapport que communication a été faite à toutes les parties des documents fournis par certaines d'entre elles et qu'elles ont été avisées de la tenue au cabinet d'un d'entre eux au Laboratoire Central de la Préfecture de Police à Paris d'une nouvelle réunion de le 17 décembre 1976, réunion à laquelle assistait l'avocat de la société des Forges d'Haironville ; qu'en ce qui concerne la teneur de cette nouvelle réunion, ils précisent ce qui suit "Au cours de cette réunion, nous avons communiqué aux parties les résultats des examens faits sur le prélèvement de mousse de polyuréthane effectué lors de notre 1re réunion sur les lieux sinistrés. Nous avons également obtenu un certain nombre de précisions de la part des parties qui ont demandé de leur accorder un délai de réflexion avant de déposer un dire. A la suite d'échanges de correspondance, les dires en question ne nous sont parvenus qu'à la veille des vacances. Aussitôt après, nous avons rédigé le présent rapport."

Attendu qu'il ne saurait sérieusement être reproché aux experts d'avoir fait procéder, lors de la présence des parties, à l'examen des prélèvements susvisés par le Laboratoire Central de la Préfecture de Police à Paris, qui est un des quatre laboratoires officiels habilités à contrôler la réaction des matériaux au feu et à délivrer des procès-verbaux d'agrément, Laboratoire, dont l'un des experts, M. Forestier, ingénieur chimiste est le Directeur adjoint, dès lors que, comme en l'espèce, les prélèvements de mousse ont été effectués contradictoirement, sur les lieux mêmes du sinistre lors de la 1re réunion d'expertise, que les experts ont communiqué aux parties la teneur des résultats des examens réalisés au Laboratoire Central de la Préfecture de Police, que les résultats de ces examens ont pu être discutés contradictoirement, un délai ayant à cet effet été laissé aux parties pour présenter des dires et la société forges d'Haironville n'ayant nullement soulevé par voie de dire une quelconque contestation tirée de sa non-présence aux examens de Laboratoire, cette contestation n'ayant été formulée par elle pour la 1re fois qu'en cause d'appel ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de prononcer la nullité de l'expertise diligentée en 1re instance

IV) Sur la demande de prescription d'une nouvelle mesure d'expertise

Attendu qu'aucune critique valable n'est formulée à l'encontre du rapport des experts qui ont effectué toutes les diligences nécessaires dans le cadre de la mission qui leur a été confiée, et qui ont répondu avec précision aux dires formulés par les parties sans se contenter, comme l'allègue la société Les Forges d'Haironville, d'entériner des affirmations non justifiées de la société Lluansi, les énonciations mêmes de leur rapport établissant qu'ils ont procédé à des investigations sérieuses ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de prescrire, comme le sollicite la société Forges d'Haironville, une nouvelle mesure d'expertise ;

V) Sur la responsabilité du sinistre

Attendu qu'il résulte des pièces produites et du rapport d'expertise :

1°) que l'incendie a lui-même été engendré par un incident mineur, à savoir un dard de flamme résultant d'une déflagration provoquée au contact du brûleur d'un séchoir en fonctionnement par de fines poussières de liège en suspension dans l'air, poussières provenant d'un sac qui en était empli, et qu'un ouvrier de l'usine a laissé tomber accidentellement à proximité de la chaudière du séchoir ;

2°) que la cause de la propagation foudroyant de l'incendie qui, en quelques minutes a détruit tout un atelier, réside dans le caractère particulièrement inflammable de la mousse de polyuréthane tapissant les plaques de tôle fournies par la société des forges d'Haironville, le bardage du bâtiment constitué sur sa face interne par un revêtement de polyuréthane qui se trouvait à environ 2 mètres du four-séchoir ayant été atteint par le dard de flamme, s'étant embrasé aussitôt, et le feu s'étant propagé de là à grande vitesse sur toute la surface interne du bardage ;

3°) que le sinistre aurait pu être évité si la mousse avait été revêtue d'une couche incombustible ;

Attendu que vainement, la société Les Forges d'Haironville critique le rapport d'expertise en ce qu'il conclut au caractère "facilement inflammable" de la mousse de polyuréthane garnissant les plaques de tôle, et dont il a été opéré des prélèvements lors de la 1re réunion d'expertise aux fins d'examen en laboratoire, au motif qu'il s'agit, comme le précise la notice diffusée à ses utilisateurs éventuels d'un produit par nature "auto extinguible alors que la rapidité même de la propagation de l'incendie par l'embrasement de la mousse revêtant lesdites plaques suffit déjà à elle seule, à démontrer ce caractère facilement inflammable, et que les experts ont pris soin de relever que les Etats-Unis ont annulé les normes de fabrication de la mousse litigieuse, "aucune garantie ne pouvant être donnée, que le traitement subi par un matériau afin d'améliorer sa réaction au feu reste constant dans le temps" ;

Attendu que vainement encore la société Les Forges d'Haironville soutient que c'est la combustion d'une fine pellicule de poussière de liège déposée à la surface de la mousse de polyuréthane qui a fait prendre à l'incendie la vitesse constatée par les témoins, alors que, répondant à un dire de ladite société sur ce point, les experts relèvent ce qui suit "La combustion d'une fine pellicule de poussières n'aurait pu, en aucun cas, prendre la vitesse constatée par les témoins. Il a fallu pour cela que la mousse elle-même participe à l'incendie. Du fait de sa faible densité et de sa porosité, une telle mousse se consume en effet à grande vitesse" ; qu'ils étayent cette explication d'exemples tirés de sinistres similaires survenus dans des cargos et relèvent que, dans un des cas, l'accident a pu être évité par de la projection de vermiculite sur la face interne de la mousse de polyuréthane, la vermiculite étant un revêtement minéral incombustible ; qu'ils soulignent qu'un tel traitement des éléments fournis par la société des Forges d'Haironville aurait permis d'éviter qu'un incident mineur survenu près de la chaudière ne dégénère en sinistre provoquant la destruction de l'usine ;

Attendu qu'il convient encore de relever, pour répondre aux objections soulevées par la société des forges d'Haironville, que les experts ont pris soin de souligner dans leur rapport que la mousse de polyuréthane prenant feu rapidement, son utilisation serait interdite en revêtement mural dans un établissement relevant du public ; qu'il est donc normal qu'elle se soit enflammée au contact du dard de flamme produit par le nuage de poussière de liège;

Attendu qu'il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges de réfuter l'argumentation de la société Les Forges d'Haironville qui leur reproche de ne pas avoir tenu compte d'une expérience constatée par Me Gullung, huissier à Bar-le-Duc le 2 mars 1978, de photographies de cette expérience et d'un film qu'elle en a tiré, film projeté au cours des débats tant en 1re instance que devant la Cour de céans, à l'effet de démontrer le caractère selon elle réellement "auto-extinguible" de la mousse de polyuréthane, cette expérience n'ayant pas été réalisée contradictoirement et rien ne permettant d'affirmer que la mousse de polyuréthane ayant servi à l'expérience était la même que celle de l'usine sinistrée, ni qu'elle avait la même ancienneté de fabrication ou de traitement ;

Attendu que la société des forges d'Haironville qui a fabriqué elle-même les plaques de tôle revêtues de mousse de polyuréthane, était tenue de par sa profession de connaître le caractère facilement inflammable de la mousse et les risques d'atténuation ou de disparition dans le temps du caractère selon elle auto-extinguible de cette mousse ;

Attendu qu'il lui appartenait dès lors, bien qu'elle n'ait pas été partie au contrat de construction de l'usine, d'informer suffisamment son co-contractant acheteur sur les risques et les limites d'utilisation de la mousse de polyuréthane, de le mettre en garde contre le danger présenté par le produit s'il est employé dans certaines conditions, de provoquer, en tant que de besoin des demandes de renseignements complémentaires de la part de la société BGLM qui lui avait remis la commande, ou de la part de l'architecte, à l'effet de préconiser éventuellement un revêtement supplémentaire d'une couche de produit incombustible, la notice technique sur la mousse de polyuréthane par elle diffusée à ses clients étant imprécise et insuffisante ; que les experts relèvent, en effet, que cette notice se bornait, pour l'essentiel à attirer l'attention des utilisateurs éventuels sur la qualité de bon isolant thermique de ce matériau et sur son caractère auto-extinguible -laconiquement défini comme "ne propageant pas la flamme" et comme "répondant aux normes British Standard 2782 et de l'American Society fortestiag matérial ASTM-, alors que, selon eux, la qualification "d'auto-extinguible" ne correspond à aucun critère sur le plan de la réglementation en matière de sécurité contre l'incendie" ;

Attendu que cette obligation s'imposait d'autant plus à la société des Forges d'Haironville qu'elle aurait dû avoir son attention attirée par l'importance de la commande qui lui a été passée par l'entreprise de construction, importance laissant présumer que le maître de l'ouvrage cherchait, pour des raisons particulières, à se prémunir contre des risques de propagation d'incendie ;

Attendu que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la société des Forges d'Haironville à l'égard de la société Lluansi, la société des Forges d'Haironville ayant négligé de remplir son devoir de conseil et d'information, et la faute par elle commise étant en relation directe de cause à effet avec l'incendie qui a détruit complètement l'usine, et les conséquences qui en ont résulté;

Attendu que, vainement, pour soutenir qu'une par de responsabilité doit être laissée à la charge de la société Lluansi devenue la société Le Moulin du Fardier, la société des Forges d'Haironville fait état d'une violation du permis de construire accordé à la société Lluansi, ce permis ayant été accordé et obtenu pour un "type de couverture double constitué par deux couvertures en plaques traditionnelles superposées prenant en sandwich un isolant de fibre de verre", mais la société Lluansi ayant opté, pour des raisons d'économie, pour le matériau de la société des Forges d'Haironville proposé dans cette perspective de moindre prix par le constructeur ;

Attendu, en effet, que le manquement de la société des Forges d'Haironville à son devoir d'information envers son co-contractant, la société BGLM, lui interdit de reprocher à cette dernière, et à fortiori au maître de l'ouvrage, la société Lluansi, le matériel vanté dans sa notice ;

Attendu que, vainement encore, la société des Forges d'Haironville prétend que l'incendie aurait pour cause déterminante le caractère dangereux du four-séchoir qui fonctionnait lui-même avec de la poudre de liège pour combustible, four-séchoir dont la présence n'avait pas été prévue dans le permis de construire, alors que les experts se sont assurés que les Etablissements Lluansi avaient respecté les dispositions réglementaires en vigueur pour l'installation et le fonctionnement de fours dans des usines à bouchons, et qu'ils relèvent que les conséquences dommageables de l'incident en lui-même mineur provoqué par le dard de flamme consécutif à la chute accidentelle du sac de liège à proximité immédiate du four auraient pu être évitées, si la mousse de polyuréthane garnissant le bardage situé à deux mètres environ de la chaudière du four séchoir avait été revêtue d'une couche de minéral incombustible ;

Attendu que tout aussi vainement la société des forges d'Haironville reproche à la société Lluansi un non-respect de l'arrêté du 4 novembre 1970 du Préfet de la Marne pris en application de la loi du 19 décembre 1917 et du décret du 1er avril 1964, relatif aux Etablissements dangereux, insalubres ou incommodes, alors qu'analysant la teneur de cet arrêté, les experts ont considéré qu'en l'espèce il avait été respecté, l'installation de la société Lluansi étant conforme aux dispositions de l'arrêté en ce qui concerne l'aspiration des poussières sur les machines, l'évacuation des déchets étant assurée en fin de journée, et la présence de folles poussières sur les murs, même si celles-ci n'étaient pas enlevées fréquemment -l'arrêt, ne prescrivant au demeurant aucune fréquence précise quant à "l'enlèvement des folles poussières accumulées sur les aspérités des murs et de la charpente"-n'ayant pu, ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, entraîner la propagation de l'incendie ;

Attendu qu'il échet, dès lors, comme le demande± à titre principal la société Lluansi et l'UAP, de déclarer la société des Forges d'Haironville entièrement responsable à l'égard de la société Lluansi du sinistre qui a détruit l'usine, et tenue de réparer l'entier préjudice subi par celle-ci ;

Attendu que cette déclaration de responsabilité rend sans objet les conclusions subsidiaires de la société Lluansi et de l'UAP tendant à ce que la société des Forges d'Haironville, M. Sohier et la société BGLM soient condamnés in solidum à réparer les conséquences du sinistre, ces conclusions subsidiaires n'ayant été formulées que pour le cas où la société des Forges d'Haironville ne serait pas déclarée entièrement responsable de l'incendie ;

Attendu, par contre, qu'il convient d'examiner les conclusions présentées à titre subsidiaire par la société des Forges d'Haironville, qui demande à la cour, pour le cas où la société Lluansi et l'UAP ne seraient pas déboutées de l'ensemble de leurs prétentions, de condamner in solidum M. Sohier et la société BGLM à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcé à son encontre ;

Attendu qu'à cette fin la société des Forges d'Haironville soutient que M. Sohier et la société BGLM ont fait choix d'un matériau sans s'être suffisamment informés sur ses limites et ses risques d'emploi, qui n'étaient pas normalement imprévisibles pour des professionnels avisés, s'agissant d'une mousse auto-extinguible, et donc par définition inflammable, et sans procéder aux essais nécessaires ni demander des renseignements complémentaires ; qu'ils ont ainsi fait preuve d'imprudence directement liée à la réalisation du sinistre et qu'ils ont ainsi manqué à leur devoir de conseil envers le maître de l'ouvrage ;

Mais attendu que de telles imputations ne sauraient caractériser la faute commise par l'architecte et par l'entrepreneur dans leurs rapports avec le fabricant-vendeur des plaques et tôle revêtues de la mousse de polyuréthane, la société Forges d'Haironville ne pouvant sérieusement leur reprocher d'avoir fait confiance à la notice concernant ladite mousse, notice dont la rédaction ne révélait nullement le caractère facilement inflammable du produit et qui ne donnait aucun conseil particulier quant à l'utilisation de ce produit, une mousse annoncée comme étant "auto-extinguible' devant nécessairement présenter la propriété de ne pas propager la flamme dès cessation du contact, accidentel ou non d'un dard de flamme, qualité déterminante pour les constructeurs d'une usine de bouchons de liège, où se trouve traitée une matière susceptible de s'enflammer facilement ;

Attendu qu'il échet dès lors de débouter la société des forges d'Haironville de ses prétentions à l'encontre de la société BGLM et de M. Sohier ;

VI) Sur le préjudice

A) Sur la demande de l'UAP

Attendu que l'UAP, qui intervient comme subrogée dans les droits de son assurée, la société Lluansi, à concurrence de l'indemnité qu'elle lui a versée à la suite du sinistre, justifie avoir réglé à cette dernière, selon quittance en date du 14 septembre 1972, la somme globale de 795 200 F, et ce, au vu d'un procès-verbal d'expertise en date du 9 août 1972 faisant apparaître le montant des garanties conventionnellement prévues pour les différents chefs de dommages (bâtiment, matériel, marchandises), le montant des dommages effectifs et le détail des différents chefs de l'indemnité allouée (bâtiment, matériel, marchandises, extincteurs, pertes indirectes, honoraires d'expert), après application d'une règle proportionnelle ;

Attendu qu'il échet, au vu de ces justifications de condamner la société des Forges d'Haironville à payer à l'UAP la somme de 795 200 F, avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

B) Sur la demande de la société Lluansi devenue société Le Moulin du Fardier

Attendu que l'indemnité d'assurance susvisée ne couvrant pas l'intégralité du préjudice subi par la société Lluansi, celle-ci devenue société Le Moulin du Fardier est fondée à réclamer à la société des Forges d'Haironville la différence entre le montant de son préjudice effectif et le montant de son indemnité d'assurance ;

Attendu que celle-ci précise que son préjudice complémentaire s'établit comme suit hors taxes ;

a) perte subie au titre de l'immeuble différence entre :

1) le coût de la reconstruction entreprise en 1972 : 629 196 F

et 2) la part de l'indemnité d'assurance indemnisant la perte du bâtiment : 335 173 F

soit : 274 023 F

b) perte subie au titre du matériel différence entre

1) le coût d'acquisition d'un matériel de caractéristiques égales à celui détruit : 357 692 F

et 2) la part de l'indemnité d'assurance réparant ce chef de préjudice : 231 030 F

soit : 126 662 F

c) préjudice subi au titre des stocks différence entre

1) l'évaluation de la perte de stocks selon le procès- verbal d'expertise qui a servi de base au calcul de l'indemnité d'assurance : 210 220 F

et 2) la part de l'indemnité d'assurance réparant ce chef de préjudice : 149 445 F

soit : 60 775 F

d) pertes d'exploitation

en raison d'un arrêt des fabrications du 21 juin 1972 au 28 février 1973, la société Lluansi ayant dû notamment acheter des produits à des concurrents pour faire face partiellement aux demandes de ses clients, ce qui a diminué ses marges bénéficiaires : 263 973,32 F

Le total de ces pertes représentant un montant global de 725 434 F valeur 1972 et de 1 711 320 F valeur 1980 par application d'une indexation calculée en tenant compte des indices INSEE ;

Attendu qu'elle demande, en conséquence à la cour, de condamner la société des Forges d'Haironville à lui payer la somme de 1 711 320 F actualisée au jour de l'arrêt, en fonction des mêmes indices INSEE, avec les intérêts au taux légal à compter de cet arrêt ;

Attendu qu'elle sollicite, en outre, 200 000 F en réparation de son préjudice commercial, une partie de sa clientèle s'étant adressée à des concurrents pour obtenir livraison de bouchons dans les meilleurs délais ;

Attendu que la société Le Moulin du Fardier n'établit pas le moindre élément de preuve du préjudice commercial distinct des pertes d'exploitation qu'elle prétend avoir subi qu'elle ne précise même pas le nom de ses clients qui, selon elle, se seraient adressés à des concurrents ; qu'il y a lieu, en conséquence, de la débouter de ce chef de sa demande ;

Attendu par contre que la somme de 1 711 320 F valeur 1980 est justifiée au vu des pièces, factures et documents comptables produits ; qu'il n'y a pas lieu, comme le demande à titre subsidiaire la société Les Forges d'Haironville de procéder à des abattements pour vétusté, l'usine qui était pratiquement neuve au moment de sa destruction par le sinistre (fin de la construction : décembre 1971 - incendie 21 juin 1972) ayant été reconstruite à l'identique ; qu'il échet, les dommages devant être évalués au jour de la décision qui statue sur la responsabilité, de dire et juger que la société Les Forges d'Haironville devra payer à la société Le Moulin du Fardier la somme de 1 711 320 F valeur 1980, laquelle devra être actualisée au jour du présent arrêt en fonction de l'évolution de l'indice mensuel de chiffres d'affaires "Industries diverses l'indice de référence étant celui de décembre 1980 et l'indice terminal celui en vigueur au jour du présent arrêt, avec les intérêts au taux légal de la somme ainsi obtenue du jour du présent arrêt jusqu'a parfait paiement ;

VII) Sur les dépens et sur les sommes réclamées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu que la société Les Forges d'Haironville succombe ; qu'elle doit être condamnée aux entiers dépens de 1re instance et d'appel ;

Attendu que l'équité commande que l'UAP et la société Le Moulin du Fardier soient remboursées d'une partie des frais par elles exposés, non inclus dans les dépens ; que l'UAP sollicite, à ce titre, la somme de 5 000 F et la société Le Moulin du Fardier celle de 30 000 F ; que la cour dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour allouer à l'UAP la somme de 3 000 F et à la société le Moulin du Fardier celle de 8 000 F ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement Déclare recevables, en la forme, les appels interjetés ; Dit n'y avoir lieu à report de l'ordonnance de clôture ; Déclare recevables, en la forme, les interventions de l'UAP et de la société Le Moulin du Fardier Donne à la société Le Moulin du Fardier l'acte par elle requis Et, infirmant le jugement entrepris rendu le 26 juin 1980 par le Tribunal de grande instance de Reims Déclare recevable en la forme et bien fondée en son principe l'action diligentée par la société Lluansi devenue la société Le Moulin du Fardier, en tant qu'elle est dirigée contre la société des Forges d'Haironville Déboute la société Les Forges d'Haironville de sa demande en déclaration de la nullité de l'expertise ; Dit n'y avoir lieu à prescription d'une nouvelle mesure d'expertise Déclare la société Les Forges d'Haironville entièrement responsable du sinistre susvisé ; Condamne, en conséquence, la société Les Forges d'Haironville à payer à l'UAP la somme de sept cent quatre vingt quinze mille deux cents francs (795 200 F), avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt; Condamne la société Les Forges d'Haironville à payer à la société Le Moulin du Fardier la somme de un million sept cent onze mille trois cent vingt francs (1 711 320 F) valeur 1980 laquelle devra être actualisée au jour du présent arrêt en fonction de l'évolution de l'indice mensuel de chiffres d'affaires "Industries diverses",l'indice de référence étant celui de décembre 1980, l'indice terminal étant celui en vigueur au jour du présent arrêt, avec les intérêts au taux légal de la somme ainsi obtenue du jour du présent arrêt jusqu'à parfait paiement ; Condamne la société Les Forges d'Haironville à payer, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'UAP la somme de trois mille francs (3 000 F) et à la société Le Moulin du Fardier celle de huit mille francs (8 000 F) ; Condamne la société Les Forges d'Haironville aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais de l'expertise, ainsi qu'aux dépens d'appel, avec pour ces derniers distraction au profit de Maîtres Six, Zuili, Mortier et Casati, avoués, qui affirment les avoir avancés.