Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 22 juin 1993, n° C-11/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Queen

Défendeur :

Secretary of State for Health, ex parte Gallaher Ltd, Imperial Tobacco Ltd, Rothmans International Tobacco (UK) Ltd

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Joliet, Moitinho de Almeida, Grévisse, Edward

Avocats :

Mes Mooney, Wyatt, Richards, Sharpston, Law Nesbitt.

CJCE n° C-11/92

22 juin 1993

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 12 décembre 1991, parvenue à la Cour le 13 janvier 1992, la High Court of Justice of England and Wales (Queen's Bench Division) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive 89-622-CEE du Conseil, du 13 novembre 1989, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d'étiquetage des produits de tabac (JO L 359, p. 1, ci-après "directive").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un recours introduit auprès de la High Court of Justice par les sociétés Gallaher, Imperial Tobacco Limited et Rothmans International Tobacco (UK) (ci-après "requérantes au principal"), visant, d'une part, l'annulation des articles 5, paragraphe 2, sous d) et 6, paragraphe 3, sous b) des Tobacco Products Labelling Safety Regulations 1991 (Statutory Instruments 1991, n 1530, ci-après "règlement britannique"), au motif que ces dispositions sont contraires aux articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive, et, d'autre part, la reconnaissance de leur droit de commercialiser des paquets de cigarettes, autres que ceux importés au Royaume-Uni à partir d'un autre État membre de la Communauté, sur lesquels les avertissements et mentions, indiqués aux articles 5 et 6 du règlement britannique, occupent une surface non inférieure à 4 %.

3 Il convient de relever que selon la directive, les paquets de cigarettes doivent porter certaines mentions et certains avertissements. Ainsi, son article 3, paragraphe 3, prévoit que les mentions relatives à la teneur en goudron et en nicotine sont imprimées sur la tranche latérale des paquets de cigarettes dans la ou les langues officielles du pays de commercialisation finale, en caractères parfaitement lisibles sur fond contrastant de façon à couvrir au moins 4 % de la surface correspondante.

4 L'article 4 exige que toutes les unités de conditionnement des produits du tabac portent, sur leur surface la plus visible, l'avertissement général "Nuit gravement à la santé" (paragraphe 1). Pour les paquets de cigarettes, l'autre grande surface du conditionnement comporte des avertissements spécifiques, à choisir parmi ceux qui sont compris dans la liste que chaque État membre établit exclusivement sur la base des avertissements figurant à l'annexe de la directive (paragraphe 2). Sur les paquets de cigarettes, les avertissements visés aux paragraphes 1 et 2 couvrent au moins 4 % de chaque grande surface de l'unité de conditionnement, non compris la mention de l'autorité qui en est l'auteur, visée au paragraphe 3 du même article (paragraphe 4).

5 Or, le règlement britannique prévoit, en son article 5, paragraphe 2, sous d), que, sur les paquets de cigarettes, l'avertissement général et l'avertissement spécifique doivent couvrir au moins 6 % de la surface d'impression. L'article 6, paragraphe 3, sous b), du règlement britannique dispose également que, pour les paquets de cigarettes, la mention des teneurs en goudron et en nicotine couvre une surface correspondant à au moins 6 % de la tranche latérale du paquet.

6 Conformément à son article 8, paragraphes c) et d), le même règlement prévoit qu'une personne qui importe des cigarettes, quelle qu'en soit la marque, en provenance d'un autre État membre, afin de les commercialiser au Royaume-Uni doit être considérée comme ayant respecté les conditions du règlement britannique si le paquet comporte des avertissements en anglais, conformes aux exigences imposées par cet autre État membre en application de la directive.

7 Saisie du recours, la High Court of Justice a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour ait répondu à la question préjudicielle suivante:

"Est-il conforme aux articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive 89-622-CEE d'imposer, par le truchement de règles nationales, que l'information et les avertissements spécifiés aux articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphes 1 et 2, de la directive soient imprimés sur des paquets de cigarettes de façon à couvrir au moins 6 % de l'aire constituée par chacune des surfaces spécifiées dans la directive, étant entendu que ces exigences s'appliquent à la production indigène, mais qu'elles sont réputées satisfaites dans le cas de paquets de cigarettes importés d'un autre État membre si les paquets en question sont conformes aux exigences imposées, en termes d'espace, par cet autre État membre en application des articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive?"

8 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9 Par la question préjudicielle la juridiction nationale cherche à savoir si les articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive permettent aux États membres d'exiger, en ce qui concerne leur production interne, que les mentions relatives à la teneur en goudron et en nicotine et les avertissements général et spécifique, prévus respectivement aux articles 3 et 4, soient imprimés sur des paquets de cigarettes de façon à couvrir au moins 6 % de chacune des surfaces qui leur sont destinées.

10 Il convient de rappeler que la directive, adoptée sur la base de l'article 100 A du traité, vise à éliminer les entraves éventuelles aux échanges que les divergences entre les dispositions nationales en matière d'étiquetage des produits du tabac sont de nature à créer faisant ainsi obstacle à l'établissement et au fonctionnement du marché intérieur. A cette fin, la directive contient des règles communes concernant les avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les unités de conditionnement des produits du tabac et les mentions de la teneur en goudron et en nicotine à faire figurer sur les paquets de cigarettes.

11 Ces règles communes n'ont pas toujours la même nature.

12 Certaines ne laissent aux États membres aucune faculté d'imposer des exigences plus contraignantes que celles prévues par la directive, ou même plus détaillées ou en tout cas différentes, en ce qui concerne l'étiquetage des produits du tabac.

13 En effet, conformément à l'article 8, paragraphe 1, de la directive, les États membres ne peuvent pas, pour des considérations d'étiquetage, interdire ou restreindre le commerce des produits conformes à la directive. Selon le paragraphe 2 du même article, les États membres ont certes la faculté de prescrire, dans le respect du traité, les exigences qu'ils estiment nécessaires pour assurer la protection de la santé des personnes lors de l'importation, de la vente et de la consommation des produits du tabac, mais seulement pour autant que cela n'implique pas de modifications de leur étiquetage par rapport aux dispositions de la directive.

14 D'autres dispositions de la directive confèrent aux États membres un certain pouvoir d'appréciation qui leur permet d'adapter l'étiquetage des produits du tabac aux exigences de la protection de la santé publique. C'est le cas de l'article 4, paragraphe 2, selon lequel les États membres ont la faculté de préciser les avertissements spécifiques qui doivent être apposés sur les paquets de cigarettes, en les choisissant à partir de ceux figurant à son annexe. C'est le cas aussi de l'article 4, paragraphe 3, qui confère aux États membres la faculté de prévoir que l'avertissement général "Nuit gravement à la santé" ainsi que les avertissements spécifiques doivent être accompagnés de la mention de l'autorité qui en est l'auteur.

15 L'existence de dispositions qui contiennent des prescriptions minimales trouve son explication dans la résolution du Conseil et des représentants des Gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du 7 juillet 1986, concernant un programme d'action des Communautés européennes contre le cancer (JO C 184, p. 19), à laquelle renvoie le cinquième considérant de la directive. Selon ce programme, les mesures à adopter par la Communauté visant à limiter et à réduire la consommation du tabac doivent se fonder sur les expériences pratiques faites dans les différents États membres et contribuer à renforcer l'efficacité des programmes et actions nationaux.

16 Les États membres qui ont fait usage des pouvoirs accordés par les dispositions qui contiennent des prescriptions minimales, ne peuvent pas, conformément à l'article 8, précité, interdire ou restreindre le commerce, sur leur territoire, des produits importés d'autres États membres, conformes à la directive.

17 Pour répondre à la juridiction nationale, il convient donc de vérifier si le paragraphe 3 de l'article 3 et le paragraphe 4 de l'article 4 de la directive laissent aux États membres un pouvoir d'appréciation leur permettant d'exiger, en ce qui concerne leur production interne, que les mentions et avertissements en cause couvrent chacun une surface supérieure à 4 % de la surface correspondante.

18 Les requérantes au principal observent que les règles de la directive, selon lesquelles les mentions et les avertissements couvrent au moins 4 % de la surface correspondante, doivent être transposées telles quelles par les États membres dans leur droit interne, les dispositions en cause n'accordant à ceux-ci aucun pouvoir d'appréciation. C'est aux fabricants des produits du tabac qu'il appartiendrait de décider si les mentions et les avertissements doivent couvrir une plus large surface. A cet égard, elles soutiennent d'abord que cette interprétation est confirmée par la jurisprudence de la Cour concernant certaines directives en matière d'étiquetage, selon laquelle les règles communes d'étiquetage formulées par ces directives doivent être interprétées comme excluant toute exigence nationale supplémentaire ou différente, sauf dispositions contraires. En ce qui concerne, en particulier, la directive 73-173-CEE du Conseil, du 4 juin 1973, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des préparations dangereuses (solvants) (JO L 189, p. 7), les requérantes au principal relèvent que, nonobstant son article 6, paragraphe 1, qui prévoit que "chaque symbole doit occuper au moins un dixième de la surface de l'étiquette", la Cour a indiqué clairement que les règles d'étiquetage formulées par cette directive s'appliquaient de manière uniforme et selon les mêmes modalités aux produits nationaux et aux produits importés (arrêt du 5 avril 1979, Ratti, 148-78, Rec. p. 1629). Elles soutiennent ensuite qu'une interprétation différente aboutirait à ce que les États membres soient autorisés à imposer pour les produits nationaux des conditions plus contraignantes que celles imposées pour la commercialisation des produits importés des autres États membres, ce qui entraînerait une discrimination et serait de nature à compromettre la libre circulation des produits du tabac ainsi qu'à affecter les conditions de concurrence.

19 Cette argumentation ne saurait être retenue.

20 En effet, les articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive contiennent des dispositions qui s'adressent aux États membres, destinataires de la directive, et non pas aux fabricants des produits du tabac, qui n'ont aucun intérêt à utiliser une surface supérieure pour les mentions et avertissements en cause. L'expression "au moins" contenue dans les articles précités doit être interprétée en ce sens que, s'ils l'estiment nécessaire, les États membres sont libres de décider d'un espace plus grand à réserver à ces mentions et avertissements compte tenu du niveau de sensibilisation du public aux risques de santé liés à la consommation du tabac.

21 La jurisprudence mentionnée par les requérantes au principal en matière d'étiquetage concerne des directives dont la portée est différente de celle de la directive 89-622. Quant à l'arrêt Ratti, précité, il convient d'observer que la Cour ne s'est pas prononcée sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 73-173, précitée, qui contient aussi l'expression "au moins", mais sur d'autres dispositions de cette directive et sur la nature, en général, de ses dispositions.

22 Il convient d'admettre que cette interprétation des dispositions peut impliquer, comme l'observent les requérantes au principal, un traitement défavorable de la production nationale par rapport aux produits importés et laisse subsister certaines inégalités des conditions de concurrence. Ces conséquences résultent toutefois du degré d'harmonisation recherché par les dispositions en cause qui contiennent des prescriptions minimales.

23 Dès lors, il convient de répondre à la juridiction nationale que les articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive 89-622, doivent être interprétés en ce sens qu'ils permettent aux États membres d'exiger, en ce qui concerne leur production interne, que les mentions relatives à la teneur en goudron et en nicotine et les avertissements général et spécifique, prévus respectivement aux articles 3 et 4 de cette même directive, soient imprimés sur des paquets de cigarettes de façon à couvrir au moins 6 % de chacune des surfaces qui leur sont destinées.

Sur les dépens

24 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni, par le Gouvernement irlandais ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la High Court of Justice of England and Wales (Queen's Bench Division), par ordonnance du 12 décembre 1991, dit pour droit:

Les articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 4, de la directive 89-622-CEE du Conseil, du 13 novembre 1989, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d'étiquetage des produits de tabac, doivent être interprétés en ce sens qu'ils permettent aux États membres d'exiger, en ce qui concerne leur production interne, que les mentions relatives à la teneur en goudron et en nicotine et les avertissements général et spécifique, prévus respectivement aux articles 3 et 4 de cette même directive, soient imprimés sur des paquets de cigarettes de façon à couvrir au moins 6 % de chacune des surfaces qui leur sont destinées.