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Décisions

CJCE, 5e ch., 16 juillet 1998, n° C-136/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Scotch Whisky Association

Défendeur :

COFEPP, Prisunic SA, Centrale d'achats et de services alimentaires SARL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Wathelet, Moitinho de Almeida, Jann, Sevón

Avocats :

Mes Borysewicz, Walker, Lesage-Catel Legrand, Caquelin, Fiumara, Anderson

CJCE n° C-136/96

16 juillet 1998

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 23 février 1996, parvenue à la Cour le 25 avril suivant, le Tribunal de grande instance de Paris a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation du règlement (CEE) n° 1576-89 du Conseil, du 29 mai 1989, établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses (JO L 160, p. 1).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant The Scotch Whisky Association, société de droit écossais ayant pour objet de protéger et de promouvoir les intérêts du commerce du whisky écossais dans le monde entier et d'agir en justice afin de défendre ces intérêts, à la Compagnie financière européenne de prises de participation (ci-après la "COFEPP", antérieurement dénommée La Martiniquaise LM), à Prisunic SA et à la Centrale d'achats et de services alimentaires SARL (CASAL), à propos de la commercialisation par ces dernières d'une boisson au titre alcoométrique volumique de 30° sous une dénomination incorporant le terme "whisky".

3 La directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p. 1), a fixé les règles générales en matière d'étiquetage des denrées alimentaires.

4 Cette directive dispose, en son article 2, paragraphe 1, sous a), que l'étiquetage des denrées alimentaires ne doit pas

"être de nature à induire l'acheteur en erreur, notamment:

i) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et notamment sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention".

5 Selon l'article 3, paragraphe 1, point 1, de cette directive, l'étiquetage des denrées alimentaires doit notamment comporter la dénomination de vente, laquelle est définie ainsi à l'article 5, paragraphe 1:

"1. La dénomination de vente d'une denrée alimentaire est la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui lui sont applicables et, à défaut, le nom consacré par les usages de l'État membre dans lequel s'effectue la vente au consommateur final ou une description de la denrée alimentaire et, si nécessaire, de son utilisation suffisamment précise pour permettre à l'acheteur d'en connaître la nature réelle et de la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être confondue."

6 Enfin, l'article 7, paragraphe 1, de la directive 79-112 prévoit:

"1. Si l'étiquetage d'une denrée alimentaire met en relief la présence ou la faible teneur d'un ou plusieurs ingrédients qui sont essentiels pour les caractéristiques de cette denrée ou si la dénomination de cette denrée conduit au même effet, la quantité minimale ou maximale selon le cas, exprimée en pourcentage, dans laquelle les ingrédients ont été mis en œuvre doit être indiquée.

Cette mention figure soit à proximité immédiate de la dénomination de vente de la denrée alimentaire, soit dans la liste des ingrédients en rapport avec l'ingrédient dont il s'agit.

..."

7 S'agissant particulièrement des boissons spiritueuses, les règles relatives à leur définition, à leur désignation et à leur présentation sont établies par le règlement n° 1576-89, dont le quatrième considérant énonce:

"... compte tenu de la nature des produits en cause, il convient, pour mieux informer le consommateur, d'arrêter des dispositions spécifiques complémentaires de ces règles générales [celles résultant de la directive 79-112], et notamment d'incorporer dans la définition des produits des notions relatives au vieillissement et au titre alcoométrique minimal pour la mise à la consommation humaine".

8 Une boisson spiritueuse est définie à l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 1576-89 comme étant, notamment, une boisson destinée à la consommation humaine et ayant un titre alcoométrique minimal de 15 % vol. La boisson spiritueuse doit être obtenue soit directement par distillation, soit par mélange d'une boisson spiritueuse avec "une ou plusieurs autres boissons spiritueuses" ou avec "une ou plusieurs boissons".

9 Le whisky (ou whiskey) est défini à l'article 1er, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 1576-89 comme étant:

"la boisson spiritueuse obtenue par distillation d'un moût de céréales

- saccharifié par la diastase du malt qu'il contient, avec ou sans autres enzymes naturelles,

- fermenté sous l'action de la levure,

- distillé à moins de 94,8 % vol, de telle sorte que le produit de la distillation ait un arôme et un goût provenant des matières premières utilisées,

et vieillie pendant au moins trois ans dans des fûts en bois d'une capacité inférieure ou égale à 700 litres."

10 Une "boisson spiritueuse de céréales" est définie à l'article 1er, paragraphe 4, sous c), point 1, comme étant:

"1) la boisson spiritueuse obtenue par distillation d'un moût fermenté de céréales, présentant des caractères organoleptiques provenant des matières premières utilisées".

11 L'article 3 du règlement n° 1576-89 dispose:

"1. A l'exception des boissons spiritueuses au genièvre telles que définies à l'article 1er, paragraphe 4, point m), sous 1), pour pouvoir être livrées à la consommation humaine dans la Communauté, sous une des dénominations figurant à l'article 1er, paragraphe 4, les boissons spiritueuses énumérées ci-après doivent présenter le titre alcoométrique volumique minimal suivant, à l'exception de certains produits spécifiques, dont le titre alcoométrique est indiqué à l'annexe III:

- 40 % whisky/whiskey

...

- 35 % boisson spiritueuse de céréales/eau-de-vie de céréales

...

4. Avant le 31 décembre 1992, le Conseil réexamine le titre alcoométrique minimal du whisky/whiskey sur la base d'une étude de marché effectuée par la Commission."

12 L'article 5, paragraphes 1 et 2, du même règlement, qui est au centre de l'affaire au principal, prévoit:

"1. Sans préjudice des dispositions prises en application de l'article 6, les dénominations visées à l'article 1er, paragraphe 4, sont réservées aux boissons spiritueuses qui y sont définies, compte tenu des exigences prévues aux articles 2, 3, 4 et 12. Ces dénominations doivent être utilisées pour les désigner.

Les boissons spiritueuses qui ne répondent pas aux spécifications arrêtées pour les produits définis à l'article 1er, paragraphe 4, ne peuvent pas recevoir les dénominations qui y sont retenues. Elles doivent être dénommées 'boissons spiritueuses' ou 'spiritueux'.

2. Les dénominations visées au paragraphe 1 peuvent être complétées par des indications géographiques autres que celles visées au paragraphe 3, sous réserve que le consommateur ne soit pas induit en erreur".

13 L'article 6 du règlement n° 1576-89 énonce:

"1. Des dispositions particulières peuvent régler les mentions s'ajoutant à la dénomination de vente, à savoir:

- l'emploi de termes, sigles ou signes,

- l'emploi de termes composés incluant une des définitions génériques mentionnées à l'article 1er, paragraphes 2 et 4.

2. Des dispositions particulières peuvent régler la dénomination des mélanges de boissons spiritueuses et celle des mélanges d'une boisson avec une boisson spiritueuse.

3. Les dispositions visées aux paragraphes 1 et 2 ... ont notamment pour objet d'éviter que les dénominations visées auxdits paragraphes créent une confusion compte tenu en particulier des produits existant au moment de l'entrée en vigueur du présent règlement."

14 Selon l'article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1576-89:

"1. En plus des règles nationales prises conformément à la directive 79-112-CEE, l'étiquetage et la présentation des boissons spiritueuses définies à l'article 1er, paragraphe 4, destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard doivent être conformes aux paragraphes 2 et 3.

2. a) La dénomination de vente des produits visée à l'article 1er, paragraphes 2 et 4, est l'une [des] dénominations qui leur [est] réservée en vertu de l'article 5 et de l'article 6, paragraphe 2.

b) Lorsque l'étiquetage indique la matière première utilisée pour la fabrication de l'alcool éthylique d'origine agricole, chaque alcool agricole utilisé doit être mentionné dans l'ordre décroissant selon les quantités mises en œuvre.

c) La dénomination de vente des boissons spiritueuses visées au paragraphe 1 peut être complétée par la mention 'assemblage' si la boisson spiritueuse a été soumise à cette opération.

d) Sauf exception, une durée de vieillissement ne peut être indiquée que lorsqu'elle concerne le plus jeune des constituants alcooliques et à condition que le produit ait été vieilli sous contrôle fiscal ou sous contrôle présentant des garanties équivalentes."

15 L'article 8 du même règlement prévoit:

"Pour que les boissons spiritueuses produites dans la Communauté puissent être commercialisées en vue de la consommation humaine, elles ne peuvent être désignées en associant des mots ou des formules tels que 'genre', 'type', 'façon', 'style', 'marque', 'goût' ou autres mentions analogues, à une des dénominations visées dans le présent règlement."

16 L'article 9, paragraphe 1, du même règlement dispose que les boissons spiritueuses qui sont citées, notamment le whisky, lorsqu'elles sont additionnées d'alcool éthylique d'origine agricole, ne peuvent pas porter dans leur présentation, sous quelque forme que ce soit, le terme générique réservé aux boissons citées.

17 Selon l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 1576-89:

"1. Les boissons spiritueuses destinées à l'exportation doivent être conformes aux dispositions du présent règlement."

18 Le règlement (CEE) n° 1014-90 de la Commission, du 24 avril 1990, portant modalités d'application pour la définition, la désignation et la présentation des boissons spiritueuses (JO L 105, p. 9), est un règlement d'application du règlement n° 1576-89, qui a d'abord été modifié par le règlement (CEE) n° 1781-91 de la Commission, du 19 juin 1991 (JO L 160, p. 5), puis par le règlement (CE) n° 2675-94 de la Commission, du 3 novembre 1994 (JO L 285, p. 5).

19 Selon le deuxième considérant du règlement n° 1014-90:

"... lors de la détermination de ces précisions et de ces règles complémentaires [par rapport au règlement n° 1576-89], il convient d'abord de prendre en considération les critères retenus lors de l'adoption du règlement (CEE) n° 1576-89 lui-même ... un autre critère doit être le souci d'éviter toute possibilité de confusion dans les mentions figurant sur l'étiquette et de garantir au consommateur une information aussi claire et complète que possible dans le cadre de l'étiquetage".

20 L'article 7 ter du règlement n° 1014-90, introduit par le règlement n° 1781-91 (voir rectificatif au JO 1992, L 291, p. 22), dispose, en son paragraphe 1:

"En application de l'article 6, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement (CEE) n° 1576-89 une dénomination générique entrant dans la composition d'un terme composé ne peut être utilisée dans la présentation d'une boisson spiritueuse que si l'alcool de cette boisson provient exclusivement de la boisson spiritueuse citée dans le terme composé."

21 Enfin, l'article 7 quater du règlement n° 1014-90, introduit par le règlement n° 2675-94, prévoit:

"Lorsqu'une des boissons spiritueuses énumérées à l'article 9 du règlement (CEE) n° 1576-89 est mélangée avec:

- une ou plusieurs boissons spiritueuses définies ou non définies à l'article 1er, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 1576-89

et/ou

- un ou plusieurs distillats d'origine agricole,

la dénomination de vente 'spiritueux' ou 'boisson spiritueuse' doit être utilisée sans autres termes qualificatifs dans l'étiquetage, à un endroit apparent, de façon bien visible et clairement lisible".

22 La COFEPP est titulaire de la marque "Gold River", déposée le 30 mars 1988, qui désigne des vins, des spiritueux, des liqueurs et plus spécialement du whisky, qu'elle exploite pour une boisson au titre alcoométrique minimal de 30°, élaborée par assemblage de divers whiskies de provenances écossaise, canadienne et nord-américaine et d'eau. L'étiquette des bouteilles de cette boisson porte les mots "Blended Whisky Spirit" et "spiritueux au whisky".

23 The Scotch Whisky Association a fait constater par huissier, à deux reprises, en 1992 et en 1993, que Prisunic SA commercialisait, dans plusieurs magasins parisiens, des boissons spiritueuses de marque Gold River sur les mêmes rayonnages que des whiskies.

24 The Scotch Whisky Association a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris les sociétés COFEPP, Prisunic SA et la Centrale d'achats et de services alimentaires SARL (CASAL) aux fins notamment de voir constater que ces dernières avaient commis à son encontre des actes de concurrence déloyale.

25 Selon The Scotch Whisky Association, dès lors que le règlement n° 1576-89 fixe à 40 % le titre alcoométrique minimal du whisky, il est contraire à ce règlement de commercialiser une boisson spiritueuse titrant 30° sous une appellation comportant le terme "whisky".

26 La COFEPP soutient ne plus faire usage, depuis l'entrée en vigueur du règlement n° 1576-89, de la dénomination "whisky" pour la commercialisation de whisky allégé en alcool. Elle lui a substitué celle de "Blended Whisky Spirit" en anglais et de "spiritueux au whisky" en français, dénomination qu'elle estime être conforme au règlement n° 1576-89. Elle prétend que ce règlement n'est pas clair puisque le règlement n° 2675-94 serait intervenu pour définir les boissons pour lesquelles la dénomination de spiritueux ou de boissons spiritueuses doit être utilisée sans autre qualificatif dans l'étiquetage. La COFEPP interprète le règlement n° 1576-89 en ce sens qu'il y a lieu de distinguer entre, d'une part, l'adjonction d'alcool éthylique d'origine agricole, auquel cas il est interdit d'utiliser le terme "whisky" dans la dénomination d'une boisson spiritueuse, et, d'autre part, la dilution. Celle-ci, telle qu'elle la pratique en faisant, par adjonction d'eau, baisser de 40° à 30° le taux d'alcool de l'assemblage de whiskies qu'elle commercialise, ne serait pas visée par l'interdiction d'utilisation du terme générique "whisky".

27 Estimant que la solution du litige nécessitait une interprétation du règlement n° 1576-89, le Tribunal de grande instance de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

"Au regard de la réglementation européenne et plus particulièrement de l'article 5 du règlement (CEE) n° 1576-89 du Conseil du 29 mai 1989, le terme générique 'whisky' peut-il figurer parmi les termes de la dénomination de vente des boissons spiritueuses composées exclusivement de whisky dilué à l'eau de sorte que le titre alcoométrique volumique est inférieur à 40° ?"

28 Afin de répondre à cette question, il convient tout d'abord de constater qu'une boisson telle que Gold River constitue une boisson spiritueuse au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 1576-89 et entre, par conséquent, dans le champ d'application de celui-ci.

29 Il y a lieu ensuite de relever que l'article 5, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 1576-89 réserve la dénomination "whisky" aux boissons spiritueuses répondant aux conditions énoncées aux articles 1er, paragraphe 4, sous b), et 3, paragraphe 1, du même règlement.

30 Il en résulte qu'une boisson telle que Gold River, composée exclusivement de whisky dilué à l'eau en sorte que le titre alcoométrique volumique est inférieur à 40 °, ne constitue pas un "whisky" au sens du règlement n° 1576-89 et ne peut être vendu sous cette dénomination, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté dans le cadre du litige au principal.

31 L'article 5, paragraphe 1, second alinéa, première et seconde phrases, du règlement n° 1576-89 dispose que les boissons ne répondant pas aux conditions énoncées à l'article 1er, paragraphe 4, ne peuvent recevoir les dénominations qui y sont retenues et doivent être dénommées "boissons spiritueuses" ou "spiritueux".

32 Selon la COFEPP, l'article 5, paragraphe 1, second alinéa, seconde phrase, du règlement n° 1576-89 devrait être interprété en ce sens que les boissons qui y sont visées doivent comporter dans leur dénomination de vente les termes "boissons spiritueuses" ou "spiritueux", mais que d'autres termes, tel "whisky", pourraient y être adjoints, l'adjonction d'autres termes informant le consommateur sur les composants du mélange et notamment sur le composant alcoolique unique n'étant pas réglée par cette disposition.

33 Une telle interprétation ne saurait être retenue. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 17 et 18 de ses conclusions, l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1576-89 prescrit à la fois qu'un produit tel que Gold River doit être dénommé "boisson spiritueuse" ou "spiritueux" et qu'il ne peut recevoir les dénominations visées à l'article 1er, paragraphe 4, de ce règlement, ce qui implique que le terme "whisky" ne peut figurer dans la dénomination de vente de ce produit.

34 La COFEPP et le Gouvernement français se sont également fondés sur l'article 6 du règlement n° 1576-89, selon lequel des dispositions particulières peuvent régler les mentions s'ajoutant à la dénomination de vente, pour soutenir que l'usage de mentions s'ajoutant à la dénomination de vente "boisson spiritueuse" ou "spiritueux" imposée par l'article 5, paragraphe 1, second alinéa, seconde phrase, du règlement n° 1576-89 est libre tant que des dispositions prises au titre de l'article 6 ne sont pas intervenues pour les exclure expressément.

35 Il y a lieu d'observer à cet égard, ainsi que l'a fait M. l'avocat général aux points 23 à 25 de ses conclusions, que l'adjonction de mentions à la dénomination de vente n'est pas libre.

36 D'une part, elle suppose une autorisation donnée par la Commission au titre du pouvoir de dérogation que lui confère l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1576-89.

37 En effet, il ressort de l'arrêt du 7 juillet 1993, Espagne/Commission (C-217-91, Rec. p. I-3923, point 20), que l'interdiction énoncée à l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1576-89 d'utiliser une dénomination visée à l'article 1er, paragraphe 4, du règlement pour désigner d'autres boissons spiritueuses que celles qui y sont définies est pleinement applicable sous la seule réserve que le Conseil a entendu permettre à la Commission d'y déroger expressément dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par l'article 6, paragraphe 1.

38 D'autre part, il résulte du texte même de l'article 6 du règlement n° 1576-89 que le pouvoir de dérogation reconnu à la Commission par le paragraphe 1 est limité, en application du paragraphe 3, par la nécessité d'éviter que les dénominations de vente comportant des mentions additionnelles "créent une confusion compte tenu ... des produits existant au moment de l'entrée en vigueur du présent règlement".

39 L'usage d'une mention additionnelle telle que "whisky" dans la dénomination de vente est donc exclu par l'article 5 du règlement n° 1576-89, sous réserve de dérogations fondées sur l'article 6 du règlement, qui font, en l'occurrence, défaut.

40 La COFEPP a par ailleurs soutenu que l'article 5 du règlement n° 1576-89 ne pouvait être interprété comme interdisant l'utilisation d'un terme générique visé à l'article 1er, paragraphe 4, du règlement dans la dénomination de vente d'une boisson ne répondant pas aux spécifications arrêtées pour le produit en cause, car il existe dans le règlement une disposition distincte qui édicterait la seule interdiction expresse en la matière. Ainsi, l'article 9 du règlement n° 1576-89 interdirait expressément l'utilisation d'un terme générique réservé, tel que "whisky", dans la présentation d'une boisson spiritueuse composée du produit en cause et d'alcool éthylique d'origine agricole. Une telle disposition ne se justifierait pas si l'article 5 contenait déjà pareille interdiction.

41 Cette interprétation ne saurait être retenue. En effet, l'article 5 régit la dénomination de vente alors que l'article 9 édicte, s'agissant de la présentation du produit dans son ensemble, une interdiction générale d'utiliser le terme réservé sous quelque forme que ce soit.

42 La COFEPP s'est ensuite fondée sur le règlement n° 1014-90 modifié, qui constitue un règlement d'application du règlement n° 1576-89, en soutenant que, puisque l'article 7 ter du règlement n° 1014-90, introduit par le règlement n° 1781-91, prévoit qu'une dénomination générique entrant dans la composition d'un terme composé peut être utilisée dans la présentation d'une boisson spiritueuse lorsque l'alcool de la boisson en cause provient exclusivement de la boisson citée dans le terme composé, un produit ne contenant pour tout alcool que du whisky devrait pouvoir comprendre ce terme dans sa dénomination de vente. Par ailleurs, comme l'article 7 quater, introduit par le règlement n° 2675-94, prescrit l'utilisation de la dénomination de vente sans autre terme qualificatif dans l'étiquetage lorsqu'il s'agit de boissons spiritueuses mélangées avec d'autres boissons spiritueuses ou avec des distillats d'origine agricole, l'adjonction de termes qualificatifs dans la dénomination de vente serait admise dans tous les autres cas.

43 Ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 43 de ses conclusions, les termes "spiritueux au whisky" ne constituent pas des termes composés au sens de l'article 7 ter du règlement n° 1014-90. D'abord, il ressort du deuxième considérant du règlement n° 1781-91 que celui-ci s'applique aux liqueurs. Ensuite, par "terme composé", le législateur communautaire a entendu viser l'association de la dénomination de deux boissons distinctes, et non celle de spiritueux et de whisky, celui-ci constituant lui-même un spiritueux. Quant à l'article 7 quater du règlement n° 1014-90, introduit par le règlement n° 2675-94, il concerne des produits sans relation avec un mélange de whisky et d'eau et s'inscrit, ainsi que l'indiquent les considérants du règlement n° 2675-94, dans un cadre général visant à assurer une concurrence loyale entre les boissons spiritueuses traditionnelles protégées et les autres et à éviter les confusions pour le consommateur. Il ne saurait servir de base à une interprétation qui priverait d'effet l'article 5 du règlement n° 1576-89 et aboutirait à un résultat contraire à ces objectifs.

44 La COFEPP s'est enfin fondée sur la directive 79-112 et notamment sur son article 5, paragraphe 1, pour soutenir qu'elle est en droit d'utiliser les termes "au whisky" dans la dénomination de vente du produit Gold River. Selon l'article 5, paragraphe 1, de la directive, la dénomination de vente d'une denrée alimentaire serait celle prévue par les dispositions contraignantes applicables et, à défaut, elle consisterait en une description de la denrée alimentaire.

45 L'article 5 du règlement n° 1576-89 constituant une disposition contraignante en matière de dénomination de vente d'une boisson telle que Gold River, il ne peut être recouru à une dénomination descriptive pour désigner cette boisson.

46 Pour autant, il convient de préciser, s'agissant de la directive 79-112, que, en application de son article 7, paragraphe 1, lorsque l'étiquetage d'une denrée alimentaire met en relief la présence ou la faible teneur d'un ou de plusieurs ingrédients qui sont essentiels pour les caractéristiques de cette denrée ou lorsque la dénomination de cette denrée conduit au même effet, la quantité minimale ou maximale selon le cas, exprimée en pourcentage, dans laquelle les ingrédients ont été mis en œuvre doit être indiquée et cette mention doit figurer sur l'étiquetage soit à proximité immédiate de la dénomination de vente de cette denrée, soit dans la liste des ingrédients.

47 En conséquence, si, conformément à l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1576-89, le terme "whisky" ne peut figurer de quelque manière que ce soit dans la dénomination de vente d'un produit tel que Gold River, il peut toutefois, en application de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 79-112, figurer sur l'étiquetage de ce produit sous la réserve édictée de manière générale par l'article 2, paragraphe 1, de la directive 79-112, selon laquelle l'étiquetage d'une denrée alimentaire ne doit pas être de nature à induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques de la denrée alimentaire, et notamment sur sa nature et ses qualités. Il convient à cet égard de préciser, ainsi que l'a fait M. l'avocat général au point 33 de ses conclusions, que le règlement n° 1576-89 est une disposition spécifique qui prime donc la directive 79-112. En conséquence, si le terme "whisky" peut figurer sans réserve sur la liste des ingrédients, cette mention ne peut figurer à proximité immédiate de la dénomination de vente que de manière clairement distincte et plus discrète, sous peine de priver d'effet l'interdiction d'utiliser le terme "whisky" dans la dénomination de vente.

48 Il y a donc lieu de répondre que l'article 5 du règlement n° 1576-89 s'oppose à l'inclusion du terme générique "whisky" parmi les termes de la dénomination de vente d'une boisson spiritueuse contenant du whisky dilué à l'eau ayant un titre alcoométrique volumique inférieur à 40 % ou à l'ajout du terme "whisky" à la dénomination "spiritueux" ou "boisson spiritueuse" appliquée à une telle boisson.

Sur les dépens

49 Les frais exposés par les Gouvernements français, allemand, espagnol, irlandais, italien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance du 23 février 1996, dit pour droit:

L'article 5 du règlement (CEE) n° 1576-89 du Conseil, du 29 mai 1989, établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses, s'oppose à l'inclusion du terme générique "whisky" parmi les termes de la dénomination de vente d'une boisson spiritueuse contenant du whisky dilué à l'eau ayant un titre alcoométrique volumique inférieur à 40 % ou à l'ajout du terme "whisky" à la dénomination "spiritueux" ou "boisson spiritueuse" appliquée à une telle boisson.