CJCE, 6e ch., 16 novembre 2000, n° C-217/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Gulmann
Avocat général :
M. Fennelly
Juges :
MM. Skouris, Puissochet
LA COUR (sixième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 juin 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en prévoyant à l'article 6, paragraphe 1, point 1, de l'arrêté royal du 3 mars 1992, concernant la mise dans le commerce de nutriments et de denrées alimentaires auxquelles des nutriments ont été ajoutés (Moniteur belge du 15 avril 1992, p. 8467, ci-après l'"arrêté royal"), l'obligation d'indiquer sur l'étiquetage des produits visés par ledit arrêté le numéro de notification prévu à l'article 4 de celui-ci, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants.
Réglementation nationale
2 L'article 1er de l'arrêté royal définit les nutriments comme des substances dont l'organisme a besoin, qu'il ne peut pas produire lui-même et dont une quantité suffisante doit lui être apportée par les denrées alimentaires.
3 Par son article 4, premier alinéa, l'arrêté royal subordonne la mise dans le commerce de ces substances et des denrées alimentaires les contenant à une notification préalable au service d'inspection des denrées alimentaires du ministère de la Santé publique et de l'Environnement (ci-après le "service d'inspection").
4 Les deuxième et troisième alinéas de la même disposition règlent comme suit les modalités de la notification:
"Un dossier de notification doit être introduit en double exemplaire et comporter au moins les données suivantes:
1° la nature;
2° la liste des ingrédients (qualitative et quantitative);
3° l'analyse nutritionnelle;
4° l'étiquetage ;
5° les données nécessaires permettant d'apprécier la valeur nutritionnelle;
6° l'engagement de procéder à des analyses fréquentes et à des moments variables et de tenir les résultats à la disposition du [service d'inspection].
Dans le mois de la réception de ce dossier, le [service d'inspection] envoie un accusé de réception au requérant. L'accusé de réception comporte un numéro de notification."
5 Le dernier alinéa de la même disposition autorise le service d'inspection à faire des remarques et des recommandations entre autres pour adapter l'étiquetage, en exigeant notamment la mention d'avertissements. Le service d'inspection peut en outre demander de fournir des données sur la biodisponibilité du ou des nutriments.
6 S'agissant de l'étiquetage, l'article 6, paragraphe 1, de l'arrêté royal prévoit:
"Sans préjudice des dispositions générales et spécifiques concernant l'étiquetage et la publicité des denrées alimentaires, l'étiquetage des denrées alimentaires visées aux articles 2 et 3 doit comporter les mentions suivantes:
1° le numéro de notification prévu à l'article 4;
2° la date de durabilité minimale jusqu'à laquelle les teneurs des nutriments mentionnés sont garanties."
7 Les paragraphes 2 et 3 du même article prévoient, notamment, que les étiquettes apposées sur l'emballage de ces marchandises indiquent la quantité à consommer recommandée ainsi que leur teneur en nutriments.
8 Enfin, l'article 11 de l'arrêté royal prévoit que les infractions aux dispositions de celui-ci sont recherchées, poursuivies et punies conformément à la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits.
Faits et procédure précontentieuse
9 À la suite de plaintes qui lui avaient été adressées, la Commission, considérant que les conditions imposées par l'arrêté royal étaient susceptibles d'entraver les échanges des produits visés par celui-ci, a engagé des contacts avec les autorités belges en vue d'aplanir les difficultés qui en résultaient.
10 Grâce à des réunions et à des échanges de correspondance, les problèmes soulevés par la Commission ont été résolus, à l'exception de celui concernant l'obligation imposée par l'article 6, paragraphe 1, point 1, de l'arrêté royal, qui a trait à l'indication du numéro de notification sur l'étiquetage des produits visés.
11 La Commission, considérant que ladite obligation constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative contraire à l'article 30 du traité, a adressé au Royaume de Belgique, le 28 juin 1996, une lettre de mise en demeure.
12 La lettre de réponse des autorités belges, datée du 31 octobre 1996, n'ayant pas été jugée satisfaisante par la Commission, cette dernière a adressé au Royaume de Belgique, le 4 février 1998, un avis motivé dans lequel elle a maintenu son point de vue.
13 La réponse des autorités belges, du 29 juillet 1998, à l'avis motivé n'ayant pas non plus satisfait la Commission, cette dernière a introduit le présent recours.
Sur le fond
14 Par sa requête, la Commission soutient que la mesure litigieuse est contraire à l'article 30 du traité, parce que, bien qu'applicable indistinctement aux produits nationaux et à ceux provenant d'autres États membres, elle est susceptible d'avoir un effet restrictif sur le commerce, dès lors qu'elle rend nécessaire la modification de l'emballage ou de l'étiquetage des marchandises considérées, en vue de leur commercialisation en Belgique. Selon la Commission, l'obstacle aux échanges résulterait en l'espèce du fait que la mesure litigieuse entraîne des frais supplémentaires de conditionnement pour ces produits.
15 En réponse, le Gouvernement belge fait valoir que l'obligation d'indiquer le numéro de notification sur les étiquettes des produits visés par l'arrêté royal ne constitue pas un obstacle à la libre circulation des marchandises, parce que les coûts supplémentaires éventuellement créés par cette obligation sont supportés par les consommateurs belges.
16 À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 30 du traité vise à interdire toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5). La Cour a précisé que, en l'absence d'harmonisation des législations, l'article 30 du traité prohibe en principe les obstacles au commerce intracommunautaire résultant de l'application à des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises, telles que celles qui concernent, par exemple, leur présentation, leur étiquetage et leur conditionnement, même si ces règles sont indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés (voir arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, point 15).
17 Bien qu'indistinctement applicable à tous les produits, une obligation telle que celle imposée en l'espèce par l'article 6, paragraphe 1, point 1, de l'arrêté royal est de nature à entraver le commerce intracommunautaire. Elle peut en effet contraindre l'importateur à adapter la présentation de ses produits en fonction du lieu de commercialisation et à supporter par conséquent des frais supplémentaires de conditionnement et d'étiquetage (voir, en ce sens, arrêts du 9 août 1994, Meyhui, C-51-93, Rec. p. I-3879, point 13, et du 3 juin 1999, Colim, C-33-97, Rec. p. I-3175, point 36).
18 À supposer même, comme le soutient le Gouvernement belge, que lesdits frais supplémentaires soient en définitive supportés par les consommateurs belges, la seule perspective d'être contraints d'avancer ces frais constitue pour les opérateurs un obstacle, parce qu'elle est susceptible de dissuader ceux d'entre eux qui envisagent de commercialiser les produits concernés en Belgique.
19 Le Gouvernement belge fait également valoir que la mesure litigieuse n'a pas d'effet restrictif sur la libre circulation des marchandises, parce que, d'une part, des obligations similaires existent aussi dans d'autres États membres et, d'autre part, la mention du numéro de notification est utile lorsque les substances en cause et les produits qui les contiennent sont commercialisés en dehors de la Belgique, dès lors que la présence de ce numéro sur les étiquettes attestera, en l'absence d'harmonisation, la réalisation d'un contrôle sanitaire et permettra aux autorités communautaires, à celles des autres États membres et aux consommateurs de demander des informations relatives à ces marchandises.
20 Cette argumentation ne saurait être retenue. En effet, d'une part, la circonstance que d'autres États membres manquent aux obligations que leur impose le traité ne saurait justifier l'inexécution par un État membre, contre lequel un recours en manquement a été introduit, d'une obligation qui lui incombe en vertu du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 1997, Commission/France, C-265-95, Rec. p. I-6959, point 63) et, d'autre part, l'utilité éventuelle du numéro de notification lors de la commercialisation des produits en cause dans d'autres États membres ne saurait ôter à la mesure litigieuse son caractère d'entrave à l'introduction desdits produits sur le marché belge. En effet, le manquement dont la constatation est, en l'espèce, demandée par la Commission ne concerne pas la commercialisation de ces produits dans d'autres États membres, mais leur introduction sur ce marché national.
21 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que l'obligation litigieuse doit être considérée comme une entrave aux échanges entre les États membres et qu'elle est, partant, prohibée par l'article 30 du traité.
22 Le Gouvernement belge soutient par ailleurs que, à supposer même qu'une telle mesure constitue une entrave, cette dernière est justifiée par l'objectif principal de ladite mesure, à savoir la protection de la santé publique, qui bénéficie de la dérogation prévue à l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE). Selon ce Gouvernement, la mention du numéro de notification sur les étiquettes garantit au consommateur qu'il s'agit d'un produit ayant fait l'objet d'un contrôle par les autorités compétentes.
23 En revanche, selon la Commission, l'obligation litigieuse ne saurait être justifiée par la protection de la santé publique, parce qu'elle permet seulement de vérifier qu'un dossier administratif a été déposé auprès des autorités compétentes et que le produit a ainsi fait l'objet d'une notification préalable. Cette notification a, de l'avis de la Commission, pour but de fournir des informations aux autorités, afin que celles-ci soient en mesure de formuler des remarques ou des recommandations sur l'étiquetage. En outre, la protection de la santé publique serait assurée par d'autres mécanismes prévus par l'arrêté royal, tels que l'exigence de mentions relatives, notamment, à la teneur en nutriments, à la date de durabilité minimale, aux quantités à consommer recommandées, ou que le régime de sanctions institué. Par conséquent, l'obligation de faire figurer le numéro de notification sur l'étiquetage ne serait pas justifiée et, si elle devait l'être, elle ne serait, en tout état de cause, ni nécessaire ni proportionnée à l'objectif poursuivi par le Gouvernement belge.
24 Le Gouvernement belge soutient, au contraire, que l'obligation litigieuse constitue, eu égard à l'objectif de protection de la santé publique, une mesure nécessaire et proportionnée.
25 Concernant la justification de la mesure en cause par des raisons de protection de la santé publique, il convient d'abord de vérifier la valeur informative, pour les consommateurs, de la mention du numéro de notification sur l'étiquette des produits concernés en examinant, notamment, si ledit numéro fournit aux consommateurs des indications leur permettant d'adapter la consommation de ces produits de façon à prendre des précautions protégeant leur santé.
26 À cet égard, il résulte des explications fournies par le Gouvernement belge lors de l'audience que le numéro de notification est constitué seulement de quelques chiffres correspondant au produit et à l'entreprise. Ce numéro permet uniquement aux consommateurs de savoir que le produit a été notifié au service d'inspection, mais il ne les éclaire ni sur la quantité du nutriment contenu dans le produit, ni sur les contrôles ou vérifications effectués, ni, enfin, sur la question de savoir si le service d'inspection a ou non formulé des remarques ou recommandations et, le cas échéant, s'il en a été tenu compte. Une telle information, même si elle fournit aux consommateurs l'assurance qu'un dossier a été notifié aux autorités compétentes, n'est pas susceptible de leur permettre de décider s'ils doivent ou non consommer le produit et, dans l'affirmative, en quelle quantité. Elle ne leur est donc pas suffisamment utile pour que sa mention puisse être pleinement justifiée par la protection de la santé publique.
27 Par ailleurs, une mesure nationale prévoyant une obligation telle que l'obligation litigieuse doit, en tout état de cause, être proportionnée à l'objectif poursuivi (voir, notamment, arrêt Colim, précité, point 40).
28 Pour satisfaire au principe de proportionnalité dans un cas tel que celui de l'espèce, une réglementation nationale qui a, ou est de nature à avoir, un effet restrictif sur les importations de produits n'est compatible avec le traité que pour autant qu'elle est nécessaire pour protéger efficacement la santé et la vie des personnes. Une réglementation nationale ne peut donc bénéficier de la dérogation prévue à l'article 36 du traité lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges communautaires (voir arrêt du 11 juillet 2000, Toolex, C-473-98, non encore publié au Recueil, point 40).
29 À cet égard, ainsi qu'il a été constaté au point 26 du présent arrêt, la présence du numéro de notification sur l'étiquetage garantit uniquement au consommateur que le produit a été notifié au service d'inspection et ce numéro n'apporte pas une information supplémentaire permettant de protéger efficacement la santé du consommateur. En revanche, l'étiquetage comporte d'autres indications, telles la dénomination du produit, l'identité du fabricant ou du distributeur, la teneur en nutriments, la date de durabilité minimale ou la quantité à consommer recommandée, qui constituent autant d'informations utiles à cet effet. Il s'ensuit que l'obligation litigieuse imposée par l'arrêté royal n'est pas nécessaire à la protection de la santé publique.
30 Dans ces conditions, il convient de constater que, en prévoyant à l'article 6, paragraphe 1, point 1, de l'arrêté royal l'obligation d'indiquer sur l'étiquetage des produits visés par ledit arrêté le numéro de notification prévu à l'article 4 de celui-ci, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité.
Sur les dépens
31 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Belgique et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Déclare et arrête:
1) En prévoyant à l'article 6, paragraphe 1, point 1, de l'arrêté royal du 3 mars 1992, concernant la mise dans le commerce de nutriments et de denrées alimentaires auxquelles des nutriments ont été ajoutés, l'obligation d'indiquer sur l'étiquetage des produits visés par ledit arrêté le numéro de notification prévu à l'article 4 de celui-ci, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants.
2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.