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Décisions

CJCE, 5e ch., 22 juin 1993, n° C-222/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministero delle Finanze et Ministero della Sanità

Défendeur :

Philip Morris Belgium SA, BAT (Deutschland) Export GmbH & Co., Reemtsma GmbH & Co., Philip Morris Holland BV, Philip Morris Products Inc., Arizona Tobacco Products GmbH & Co. Export KG, Fabriques de Tabac Réunies SA, RJ Reynolds Tobacco GmbH, Turmac Company BV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Joliet, Moitinho de Almeida, Grévisse, Edward

Avocats :

Mes Colarizi, Ferrari, Severo Giannini, Luzzatto, Siragusa, Subiotto, Scassellati Sforzolini, Fiumara, Plender, Sharpston, Nesbitt

CJCE n° C-222/91

22 juin 1993

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 27 août 1991, parvenue à la Cour le 4 septembre suivant, le Consiglio di Stato in sede giurisdizionale a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 4 de la directive 89-622-CEE du Conseil, du 13 novembre 1989, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d'étiquetage des produits de tabac (JO L 359, p. 1, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux recours introduits auprès du Tribunale Amministrativo Regionale del Lazio par les sociétés Philip Morris Belgium, BAT (Deutschland) Export, HF et Ph. F. Reemtsma, Philip Morris Holland, Philip Morris Products Incorporated, Arizona Tobacco Products, Les Fabriques de Tabac Réunies, R. J. Reynolds Tobacco et Trimac Company, (ci-après désignées collectivement "sociétés Philip Morris et autres"). Ces recours tendent à l'annulation du décret du ministre des Finances, en accord avec le ministre de la Santé, du 31 juillet 1990, contenant des dispositions techniques spécifiques pour le conditionnement et l'étiquetage des produits du tabac conformément aux prescriptions de la directive du Conseil des Communautés européennes n° 89-622 (Gazzetta Ufficiale della Repubblica Italiana, n° 198, du 25 août 1990, ci-après "décret ministériel").

3 A l'appui de leurs recours, les sociétés Philip Morris et autres ont fait valoir que le décret ministériel est illégal étant donné que, contrairement à la directive, il prévoit, d'une part, l'obligation d'apposer deux avertissements spécifiques sur les paquets de cigarettes, et, d'autre part, l'extension, à toutes les unités de conditionnement des produits du tabac, du pourcentage minimum de 4 % de la surface, fixé par la directive pour les paquets de cigarettes. En outre, elles ont soutenu que le décret ministériel avait été arrêté par le ministre des Finances, en accord avec le ministre de la Santé, qui ne disposent, à cet effet, d'aucune compétence.

4 Le Tribunale Amministrativo Regionale del Lazio a rejeté le moyen du recours fondé sur l'incompétence ainsi que celui concernant l'extension, à toutes les unités de conditionnement des produits du tabac, du pourcentage minimum de 4 % de la surface, fixé par la directive pour les paquets de cigarettes. En revanche, le moyen relatif à l'apposition de deux avertissements spécifiques sur les paquets de cigarettes a été accueilli et, en conséquence, le Tribunale a annulé, dans cette mesure, le décret ministériel.

5 Saisi d'un appel formé par les ministres des Finances et de la Santé et d'un appel incident formé par les sociétés Philip Morris et autres, contre cette décision, le Consiglio di Stato a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour ait répondu aux questions préjudicielles suivantes:

"a) Y-a-t'il lieu d'interpréter l'article 4 de la directive 89-622-CEE du 13 novembre 1989 en ce sens que l'autorité nationale a la faculté d'imposer que, sur les unités de conditionnement des produits du tabac autres que les paquets de cigarettes, l'avertissement général visé au paragraphe 1 dudit article couvre au moins 4 % de la surface afférente à la face sur laquelle il est apposé ?

b) Y-a-t'il lieu d'interpréter l'article 4, paragraphe 2, de la directive 89-622-CEE du 13 novembre 1989 en ce sens qu'il prescrit l'apposition d'un seul avertissement spécifique sur chaque paquet de cigarettes ou, au contraire, en ce sens qu'il prescrit l'apposition d'un nombre plus élevé d'avertissements spécifiques ?

c) dans l'hypothèse où la question sous b) appelle une réponse suivant laquelle la directive communautaire ne prescrit, par elle-même, pas plus d'un avertissement spécifique sur chaque paquet de cigarettes, l'autorité nationale a-t-elle néanmoins la faculté de prescrire l'apposition, sur chaque paquet, d'un plus grand nombre d'avertissements spécifiques ?"

6 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

7 Il convient de rappeler que la directive, adoptée sur la base de l'article 100 A du traité, vise à éliminer les entraves éventuelles aux échanges que les divergences entre les dispositions nationales en matière d'étiquetage des produits du tabac sont de nature à créer faisant ainsi obstacle à l'établissement et au fonctionnement du marché intérieur. A cette fin, la directive contient des règles communes concernant les avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les unités de conditionnement des produits du tabac et les mentions de la teneur en goudron et en nicotine à faire figurer sur les paquets de cigarettes.

8 Ces règles communes n'ont pas toujours la même nature.

9 Certaines ne laissent aux États membres aucune faculté d'imposer des exigences plus contraignantes que celles prévues par la directive, ou même plus détaillées ou en tout cas différentes, en ce qui concerne l'étiquetage des produits du tabac.

10 En effet, conformément à l'article 8, paragraphe 1, de la directive, les États membres ne peuvent pas, pour des considérations d'étiquetage, interdire ou restreindre le commerce des produits conformes à la directive. Selon le paragraphe 2 du même article, les États membres ont certes la faculté de prescrire, dans le respect du traité, les exigences qu'ils estiment nécessaires pour assurer la protection de la santé des personnes lors de l'importation, de la vente et de la consommation des produits du tabac, mais seulement pour autant que cela n'implique pas de modifications de leur étiquetage par rapport aux dispositions de la directive.

11 D'autres dispositions de la directive confèrent aux États membres un certain pouvoir d'appréciation qui leur permet d'adapter l'étiquetage des produits du tabac aux exigences de la protection de la santé publique. C'est le cas de l'article 4, paragraphe 2, selon lequel les États membres ont la faculté de préciser les avertissements spécifiques qui doivent être apposés sur les paquets de cigarettes, en les choisissant à partir de ceux figurant à son annexe. C'est le cas aussi de l'article 4, paragraphe 3, qui confère aux États membres la faculté de prévoir que l'avertissement général "Nuit gravement à la santé" ainsi que les avertissements spécifiques doivent être accompagnés de la mention de l'autorité qui en est l'auteur.

12 L'existence de dispositions qui contiennent des prescriptions minimales trouve son explication dans la résolution du Conseil et des représentants des Gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du 7 juillet 1986, concernant un programme d'action des Communautés européennes contre le cancer (JO C 184, p. 19), à laquelle renvoie le cinquième considérant de la directive. Selon ce programme, les mesures à adopter par la Communauté visant à limiter et à réduire la consommation du tabac doivent se fonder sur les expériences pratiques faites dans les différents États membres et contribuer à renforcer l'efficacité des programmes et actions nationaux.

13 Les États membres qui ont fait usage des pouvoirs accordés par les dispositions qui contiennent des prescriptions minimales, ne peuvent pas, conformément à l'article 8, précité, interdire ou restreindre le commerce, sur leur territoire, des produits importés d'autres États membres, conformes à la directive.

14 En ce qui concerne l'apposition de l'avertissement général sur les unités de conditionnement des produits du tabac autres que les cigarettes, l'article 4, paragraphe 5, de la directive, dans sa version originale, contenait un régime différent de celui applicable aux paquets de cigarettes. Tandis que les avertissements visés aux paragraphes 1 et 2 de cet article, à apposer sur les paquets de cigarettes, devaient couvrir au moins 4 % de chaque grande surface de l'unité de conditionnement, l'avertissement général sur les produits du tabac autres que les cigarettes devait être imprimé ou apposé de façon inamovible à un endroit apparent sur fond contrastant et de manière à être facilement visible, clairement lisible et indélébile. Il ne doit en aucune façon être dissimulé, voilé ou séparé par d'autres indications ou images.

15 Il s'ensuit que le pouvoir d'appréciation accordé aux États membres par l'article 4, paragraphe 5, de la directive, dans sa version originale, ne concernait que les conditions y mentionnées auxquelles l'avertissement général devait répondre. Or, afin d'assurer le caractère visible et clairement lisible de l'avertissement, les États membres ne pouvaient prévoir un critère tel que celui en cause qui fait abstraction de la vérification concrète de ces conditions.

16 L'article 4, paragraphe 5, a été modifié par la directive 92-41-CEE du Conseil, du 15 mai 1992, modifiant la directive 89-622-CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d'étiquetage des produits du tabac (JO L 158, p. 30). Il y est prévu que, sur les produits du tabac autres que les cigarettes, chaque avertissement, général et spécifique, doit couvrir au moins 1 % de la surface totale de l'unité de conditionnement et que, en tout état de cause, il doit être facilement visible, clairement lisible et indélébile.

17 Ainsi qu'il résulte de l'arrêt Gallaher, rendu ce même jour (C-11-92) le paragraphe 3 de l'article 3 et le paragraphe 4 de l'article 4 de la directive laissent aux États membres un pouvoir d'appréciation leur permettant d'exiger que les mentions relatives à la teneur en goudron et en nicotine et les avertissements général et spécifique couvrent chacun une surface supérieure à 4 % de la surface correspondante. La nouvelle version du paragraphe 5 de l'article 4 de la directive constitue également une disposition minimale et, dès lors, elle n'interdit pas à un État membre d'exiger des fabricants de produits du tabac que l'avertissement général couvre un minimum de 4 % de la surface de la face sur laquelle il est apposé. Ainsi qu'il a été relevé ci-dessus (point 12), une telle exigence ne saurait être imposée à l'égard des produits importés qui sont conformes à la directive.

18 Il appartient à la juridiction nationale, pour apprécier la légalité du décret ministériel en cause, de prendre en considération l'une ou l'autre version dudit paragraphe conformément aux règles de son droit interne.

19 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale que l'article 4, paragraphe 5, de la directive 89-622 doit être interprété en ce sens que les États membres n'ont pas la faculté d'imposer que, en ce qui concerne leur production nationale, sur les unités de conditionnement des produits du tabac autres que les paquets de cigarettes, l'avertissement général visé au paragraphe 1 dudit article couvre au moins 4 % de la surface de la face sur laquelle il est apposé. Cette faculté est toutefois admise par la version dudit paragraphe qui résulte de la directive 92-41, modifiant la directive 89-622.

Sur les deuxième et troisième questions

20 Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction nationale vise en substance à savoir si l'article 4, paragraphe 2, de la directive 89-622 prescrit l'apposition d'un seul ou de plusieurs avertissements spécifiques sur chaque paquet de cigarettes et, dans le cas où l'apposition d'un seul avertissement spécifique est prescrit, si les États membres ont néanmoins la faculté d'en exiger plusieurs.

21 Aux termes de l'article 4, paragraphe 2, de la directive:

"Pour les paquets de cigarettes, l'autre grande surface du conditionnement porte, dans la ou les langues officielles du pays de commercialisation finale, des avertissements spécifiques alternant selon la règle suivante:

- chaque État membre établit une liste d'avertissements exclusivement à partir de ceux figurant à l'annexe,

- les avertissements spécifiques retenus sont imprimés sur les unités de conditionnement de manière à garantir l'apparition de chaque avertissement sur une quantité égale d'unités de conditionnement, avec une tolérance de plus ou moins 5 %."

22 L'interprétation soutenue par le Gouvernement italien, selon laquelle l'utilisation du terme "avertissement" au pluriel, dans le texte du paragraphe 2 de l'article 4 de la directive, signifie que les États membres sont libres d'imposer l'impression ou l'apposition d'un ou de plusieurs avertissements, ne saurait être retenue.

23 Ainsi que la Commission l'a observé, l'utilisation du terme "avertissement" au pluriel résulte de la structure de la phrase qui commence par "tous les paquets de cigarettes ..." et n'implique donc pas la faculté pour les États membres d'exiger plus d'un avertissement spécifique.

24 L'exclusion de cette faculté découle d'un ensemble d'éléments d'interprétation tenant, d'une part, à la lettre du paragraphe 2 de l'article 4 de la directive, et, d'autre part, au contexte de cette disposition.

25 D'abord, selon la disposition précitée les avertissements spécifiques alternent "de manière à garantir l'apparition de chaque avertissement sur une quantité égale d'unités de conditionnement ...", ce qui semble ne concerner qu'un seul avertissement spécifique.

26 Ensuite, le paragraphe 4 du même article règle de manière identique l'espace qui doit être réservé à l'avertissement général et aux avertissements spécifiques, c'est-à-dire au moins 4 % de chaque grande surface de l'unité de conditionnement, ce pourcentage étant porté à 6 % pour les pays à deux langues officielles et à 8 % pour les pays à trois langues officielles. Or, si les États membres étaient autorisés à exiger l'utilisation de plusieurs avertissements spécifiques, ces avertissements devraient être imprimés sur la surface mentionnée de 4 %, ce qui serait contraire à l'objectif de la directive qui est de faire apparaître, de manière à attirer l'attention des personnes, les risques que la consommation de ces produits représente pour la santé.

27 Enfin, le paragraphe 2 bis de l'article 4, introduit par la directive 92-41, précitée, prévoit que les unités de conditionnement des produits du tabac autres que les cigarettes portent un seul avertissement spécifique. Or, ainsi que la Commission l'a observé à juste titre, on ne saurait expliquer pourquoi cette règle ne devrait s'appliquer qu'aux unités de conditionnement de produits qui sont parfois plus dangereux que les cigarettes, comme c'est le cas des produits du tabac sans combustion, auxquels se réfère ledit paragraphe, sous c).

28 Étant donné que l'article 4, paragraphe 2, de la directive ne prévoit l'utilisation que d'un seul avertissement spécifique et que cette disposition ne contient pas une prescription minimale, les États membres ne sont pas autorisés à en imposer plusieurs.

29 Dès lors, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 89-622 prescrit l'apposition d'un seul avertissement spécifique sur chaque paquet de cigarettes et que les États membres n'ont dès lors pas la faculté d'en exiger plusieurs.

Sur les dépens

30 Les frais exposés par le Gouvernement italien, par le Gouvernement du Royaume-Uni, par le Gouvernement irlandais ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Consiglio di Stato in sede giurisdizionale, par ordonnance du 27 août 1991, dit pour droit:

1) L'article 4, paragraphe 5, de la directive 89-622-CEE du Conseil, du 13 novembre 1989, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d'étiquetage des produits de tabac, dans sa version originale, doit être interprété en ce sens que les États membres n'ont pas la faculté d'imposer que, en ce qui concerne leur production nationale, sur les unités de conditionnement des produits du tabac autres que les paquets de cigarettes, l'avertissement général visé au paragraphe 1 dudit article couvre au moins 4 % de la surface de la face sur laquelle il est apposé. Cette faculté est toutefois admise par la version dudit paragraphe qui résulte de la directive 92-41-CEE du Conseil, du 15 mai 1992, modifiant la directive 89-622.

2) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 89-622 prescrit l'apposition d'un seul avertissement spécifique sur chaque paquet de cigarettes et les États membres n'ont dès lors pas la faculté d'en exiger plusieurs.