Conseil Conc., 22 juillet 2005, n° 05-D-45
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre lors de la passation d'un marché de rénovation de l'usine d'incinération d'Issy les Moulineaux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Berkani, par Mme Perrot, vice-présidente, présidant la séance, MM. Flichy, Gauron, Honorat, Robin, Mme Behar-Touchais, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le 15 janvier 2002, sous le numéro 02/0026 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors de la passation d'un marché de rénovation de l'usine d'incinération d'Issy-les-Moulineaux ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision en date du 7 mars 2005 par laquelle le Président du Conseil de la concurrence a décidé de recourir à une procédure simplifiée au sens de l'article L. 463-3 du Code de commerce et les courriers adressés aux parties pour les en informer ; Vu les observations présentées par les sociétés FL Smidth Airtech et Isotec Entreprise et par le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du gouvernement et les sociétés FL Smidth Airtech et Isotec Entreprise entendus lors de la séance du 21 juin 2005 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE MARCHE CONCERNÉ
1. La présente affaire concerne un marché de travaux de rénovation partielle des silos métalliques de stockage des cendres volantes (suie) de l'usine de traitement des déchets ménagers d'Issy-les-Moulineaux, construite en 1965. Dans l'attente de la mise en fonctionnement d'une nouvelle usine (le projet ISSEANE), certains travaux de rénovation étaient nécessaires pour maintenir le fonctionnement et la sécurité de l'ancien site de l'usine d'Issy-les-Moulineaux, dans le cadre d'un projet plus vaste de rénovation des usines de traitement des déchets d'Issy-les-Moulineaux, Ivry et Saint Ouen, exploitées par la société Traitement Industriel des Résidus Urbains (Tiru) SA et dépendant de l'activité du Syndicat intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères (Syctom). Ce marché concernait deux ensembles principaux : le système de fluidisation des suies d'une part et le système d'évacuation d'air d'autre part, avec pour objectif de garantir des conditions de sécurité correcte dans le fonctionnement des silos à suie. Les travaux devaient respecter des contraintes d'exploitation de l'usine, notamment des dates et des délais d'intervention précis et réduits, lors d'interruptions de l'exploitation.
2. Trois procédures successives ont été nécessaires, entre 1998 et 2000, pour attribuer ce marché : deux appels d'offres ouverts puis une procédure négociée. Le contenu exact des travaux du marché a évolué au fil des différentes procédures. Les caractéristiques de ces différentes procédures sont retracées dans le tableau suivant :
<emplacement tableau>
3. Les offres remises pour le premier appel d'offres ouvert sont présentées dans le tableau suivant :
<emplacement tableau>
4. Les offres remises pour le deuxième appel d'offres ouvert sont présentées dans le tableau suivant :
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5. Les offres remises pour la procédure négociée sont présentées dans le tableau suivant :
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B. LES ENTREPRISES CONCERNEES
1. LE MAÎTRE D'OUVRAGE ET LE MAÎTRE D'OEUVRE
6. Le Syctom de l'agglomération parisienne est né en 1984, à l'initiative de la ville de Paris, afin que soit gérée conjointement la masse de déchets à traiter en région parisienne. C'est un établissement public administratif intercommunal qui relève du Code des communes. Il gère toutes les opérations liées au traitement des déchets, depuis la collecte jusqu'au traitement final en passant par le recyclage quand cela est possible, afin d'augmenter la valorisation des déchets. Le Syctom a confié l'exploitation de certaines usines à Tiru SA. Il est le maître d'ouvrage du marché public concerné.
7. La société Tiru est une société d'exploitation devenue une société anonyme au 1er janvier 1986. Toutes les usines d'incinération d'ordures ménagères du Syctom sont depuis 1986 confiées à Tiru par un contrat d'exploitation qui charge notamment cette société de la maîtrise d'œuvre pour les travaux de maintenance, opérée sous la commande et en collaboration avec le Syctom, maître d'ouvrage.
2. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE
8. La société Manutair Möller était, à l'époque des faits, une société anonyme dont le siège était situé à Amiens, spécialisée dans l'étude et la réalisation de solutions de transports pneumatiques et de filtration de l'air. C'était une filiale de la société Möller, basée à Hambourg (Allemagne), créée le 9 octobre 1979 par la reprise des activités de la SA Manutair, elle-même créée en 1955. En 1996, Frederik Lassoe Smidth a racheté la société Möller. A compter du 31 décembre 1999, les activités de Manutair Möller ont été transférées, dans le cadre d'une opération de fusion-absorption, à la société FLS Miljo SA. Cette société s'appelle aujourd'hui FL Smidth Airtech et est la filiale française de la société danoise FL Smidth Airtech, appartenant au groupe FL Smidth, actif dans un grand nombre de domaines de travaux de gros ouvres et d'industries ; la SA Manutair Möller a été radiée le 7 avril 2000. Le 18 mai 2005, l'assemblée générale extraordinaire de la société FLS Airtech a décidé la dissolution anticipée de la société, depuis en liquidation amiable.
9. La société Manutair a fourni, entre 1963 et 1967, le matériel originel de l'usine d'Issy-les-Moulineaux, et notamment l'ensemble du système de transport des suies. La société Manutair Möller était par conséquent propriétaire des moules des pièces de fonderie et des plans de montage des silos. Elle assurait en outre depuis l'origine une partie de la maintenance des matériels et de la fourniture des pièces de rechange.
10. La société Isotec Entreprise (ci-après Isotec), dont le siège est situé à Chambly, a été créée en 1985 par un groupement de salariés (SA). Elle est entrée dans le capital des Groupes Populaires, société à capital risque, aux alentours de 1994. En novembre 1999, la totalité des actions des groupes populaires et des salariés a été revendue au groupe Lindner, basé à Arnstorf (Allemagne). La société a été transformée en SASU le 30 décembre 2004. Elle est spécialisée dans les opérations de maintenance chez des industriels, dans les domaines de l'isolation et de la chaudronnerie. Elle assure des opérations de maintenance sur le site de l'usine d'Issy-les-Moulineaux depuis 1988 et est déjà intervenue en tant que sous-traitante de la société Manutair Möller. Des contacts ont donc été établis entre les deux entreprises concernant l'usine d'Issy-les-Moulineaux antérieurement au déclenchement des procédures d'appels d'offres concernées.
C. LES PRATIQUES RELEVÉES
1. CONCERNANT L'APPEL D'OFFRES OUVERT DU 16 JANVIER 1998
11. L'enquête et l'instruction ont permis d'identifier les faits et éléments suivants, témoignant de rencontres entre les responsables de Manutair Möller et ceux d'Isotec, lors de l'appel d'offres ouvert le 16 janvier 1998 :
* Un rapport de visite daté du 13 février 1998, rédigé par V. X (directeur général de Manutair Möller) et identifié par la référence V980213d qui mentionne une réunion du 10 février 1998 avec l'entreprise Isotec. Il y est fait état, s'agissant de la consultation lancée par le Syctom, d'une concertation entre les deux entreprises : " Il est convenu [que] MM prenne le leadership sur cette affaire. Le partage des prestations est défini ". Il y est de plus fait référence à une deuxième réunion à venir avant la visite obligatoire du site par Manutair Möller, le 12 février 1998.
* Un rapport de visite daté du 13 février 1998, rédigé par V. X et identifié par la référence V980213e qui mentionne une réunion du 12 février 1998 (soit le jour de la visite obligatoire de Manutair Möller) avec l'entreprise Isotec. Il y est fait état d'un " comparatif de prix entre fournitures chaudronnées ", laissant apparaître " que les propositions d'Isotec sont peu compétitives ".
* Un rapport de visite daté du 16 février 1998, rédigé par V. X et identifié par la référence V980213f qui renvoie à un entretien, le jour de la visite obligatoire de l'usine d'Issy-les-Moulineaux par Manutair Möller le 12 février 1998, en la présence de représentants d'Isotec et de Tiru. Il y est fait état d'un relevé des travaux à réaliser conjointement avec Isotec, puis propres à Isotec. Il y est également fait état, parmi les actions à prévoir, d'un chiffrage des parties respectives et d'une nouvelle réunion à programmer entre les deux sociétés le 20 février 1998, une semaine avant la remise de l'offre de prix de Manutair Möller à la commission d'appel d'offres le 27 février 1998.
* Un rapport de visite daté du 16 avril 1998, rédigé par V. X et identifié par la référence RTIRU1 projet 5274, qui renvoie à une visite faite à M. Y (de la société Tiru). Il y est fait état des raisons ayant poussé le Syctom à déclarer l'appel d'offres irrecevable (dépassement du budget), et de l'organisation d'une nouvelle consultation à venir. Il y est également fait état, parmi les actions à prévoir, d'un " suivi avec ISOTEC pour harmoniser les pressions ".
12. L'enquête et l'instruction ont également permis d'identifier les échanges d'informations suivants, préalables à la remise des offres :
* Un fax de Manutair Möller à Isotec daté du 24 février 1998 à 9h50, soit trois jours avant le dépôt de l'offre de Manutair Möller à la commission d'appel d'offres et six jours avant le dépôt de celle d'Isotec précisant : " Comme convenu vous trouverez ci-joint le détail de fourniture de notre offre incluant les postes qui vous sont dévolus (poste 1, 2 et partie poste 5) afin de pouvoir rédiger votre offre directe (17 à 21) ". Le fax est accompagné de 7 pages de description de la totalité de l'offre technique de Manutair Möller, correspondant à l'acte d'engagement daté du 23 février 1998 et remis avec l'ensemble de l'offre par Manutair Möller à la commission d'appel d'offres le 27 février 1998. Isotec a remis son offre à la commission d'appel d'offres le 2 mars 1998. Le brouillon de cette offre montre que l'offre définitive a été faite en s'appuyant sur les documents envoyés par Manutair Möller.
* Un fax de Manutair Möller à Isotec daté du 26 février 1998 à 11h26, soit un jour avant le dépôt de l'offre de Manutair Möller à la commission d'appel d'offres et quatre jours avant le dépôt de celle d'Isotec précisant : " Ci-joint copie des documents prix confirmés suite à la réunion du 25 février 1998 en nos bureaux (...). Vous voudrez bien nous communiquer ce jour les prix que vous comptez mettre dans votre offre directe afin d'être en phase ". Le fax est accompagné de 8 pages de description de la totalité de l'offre tarifaire (prix forfaitaires, bordereaux de pièces, de rechange et de sécurité, bordereaux de prix unitaires et détail estimatif) de Manutair Möller, correspondant avec de légères variations à l'offre qui a été présentée par Manutair Möller à la commission d'appel d'offres.
2. CONCERNANT L'APPEL D'OFFRES OUVERT DU 7 MAI 1999
13. L'enquête et l'instruction ont permis d'identifier les échanges d'informations suivants, préalables à la remise des offres à l'appel d'offres ouvert le 7 mai 1999 :
* Un fax de Manutair Möller à Isotec daté du 11 juin 1999 à 9h30, soit quatre jours avant la remise des offres des deux entreprises, précisant : " Ci-joint copie de la définition technique (...). Me donner par retour pour les prix unitaires le poste platelage caillebotis au m² ". Le fax est accompagné de 4 pages de description de la totalité de l'offre technique de Manutair Möller, identique à l'offre remise lors de l'appel d'offres. Le brouillon de l'offre définitive d'Isotec montre que l'envoi définitif a été fait en s'appuyant sur les documents envoyés par Manutair Möller lors de cet appel d'offres ainsi que lors du premier. La commission d'appel d'offres a d'ailleurs relevé des similitudes dans la rédaction des offres.
* Un fax de Manutair Möller à Isotec daté du 14 juin 1999 à 15h04, soit la veille de la remise des offres des deux entreprises précisant : " Ci-joint notre décomposition des prix pour la rénovation des silos. Veuillez nous envoyer par retour de télécopie votre liste de prix pour information ". Le fax est accompagné de 4 pages de description de la totalité de l'offre tarifaire (prix forfaitaires, bordereaux de pièces, de rechange et de sécurité, bordereaux de prix unitaires et détail estimatif) de Manutair Möller, correspondant, à une exception près, à l'offre qui a été présentée par Manutair Möller à la commission d'appel d'offres.
* Un courrier d'Isotec à Manutair Möller du 15 juin 1999, soit le jour de la remise des offres tarifaires des deux entreprises précisant : " Ci-joint tableau prix Syctom ". Ce courrier comprend la description de la totalité de l'offre tarifaire (prix forfaitaires, bordereaux de pièces, de rechange et de sécurité, bordereaux de prix unitaires et détail estimatif) d'Isotec, correspondant exactement à l'offre présentée à la commission d'appel d'offres.
* Le rapport à la commission d'appel d'offres du 23 juin 1999 relève une erreur matérielle similaire dans les deux offres, le prix n°3 du détail estimatif relatif au plancher caillebotis indiquant 500 m² à la place des 5 m² nécessaires au chantier, cela entraînant une augmentation artificielle du montant de plus de 850 000 francs TTC. Cette erreur figurait initialement dans le détail estimatif remis aux entreprises ; un échange d'informations particulier a toutefois concerné cet élément précis de l'offre : le fax du 11 juin 1999, précité, comportait précisément une demande s'agissant du platelage caillebotis. Par ailleurs, le montant au mètre carré indiqué sur la pièce saisie, supérieur à celui de l'offre définitive de Manutair Möller, a été respecté par Isotec. Le rapport à la commission d'appel d'offres relève également une similitude des offres techniques telle " que leur élaboration conjointe ne peut faire de doutes : les options techniques retenues et le planning de fabrication sont identiques et certains paragraphes des mémoires sont rédigés de façon strictement identique (mot pour mot) ". Ces deux points, et le niveau élevé des prix, sont d'ailleurs à l'origine de la décision de déclarer l'appel d'offres infructueux.
D. LES GRIEFS NOTIFIÉS
14. Sur la base de ces constatations, les griefs suivants ont été notifiés le 17 février 2005, puis le 17 mars 2005, après une décision du président du Conseil de la concurrence en date du 7 mars 2005 de recourir à la procédure simplifiée:
15. Il a été " fait grief aux sociétés FLS Airtech (ex- Manutair Möller) et Isotec d'avoir, lors de l'appel d'offres ouvert le 16 janvier 1998 concernant le marché de rénovation des silos à suie de l'usine d'Issy-les-Moulineaux, échangé des informations sur le contenu et les prix de leurs offres préalablement au dépôt des offres. Cette entente avait pour objet et pour effet de limiter la concurrence, de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence et de faire apparaître l'offre de FLS Airtech comme l'offre la moins-disante. Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
16. Il a été " fait grief aux sociétés FLS Airtech (ex- Manutair Möller) et Isotec d'avoir, lors de l'appel d'offres ouvert le 7 mai 1999 concernant le marché de rénovation des silos à suie de l'usine d'Issy-les-Moulineaux, échangé des informations sur le contenu et les prix de leurs offres préalablement au dépôt des offres. Cette entente avait pour objet et pour effet de limiter la concurrence, de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence et de faire apparaître l'offre de FLS Airtech comme l'offre la moins-disante. Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LES MARCHES PERTINENTS
17. Suivant une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence, le marché étant constitué par la rencontre de l'offre et de la demande, chaque appel d'offres émanant d'un maître d'ouvrage représente en soi un marché pertinent au sens du droit de la concurrence (décision n° 01-D-17 du 25 avril 2001).
B. SUR LES PRATIQUES
18. Ainsi que le Conseil l'a relevé, notamment dans ses décisions n° 89-D-42, n° 01-D-17, n° 04-D-03 et n° 05-D-26, " en matière de marchés publics ou privés sur appel d'offres, une entente anticoncurrentielle peut prendre la forme, notamment, d'une coordination des offres ou d'échanges d'informations entre entreprises antérieures à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être, qu'il s'agisse de l'existence de compétiteurs, de leur nom, de leur importance, de leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou des prix qu'ils envisagent de proposer. La preuve de l'existence de telles pratiques qui sont de nature à limiter l'indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence, peut résulter en particulier d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, même si chacune de ces pièces prise isolément n'a pas un caractère suffisamment probant ".
19. S'agissant des exigences probatoires, le Conseil de la concurrence a déjà estimé qu'il " est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations avant la date limite de remise des prix " (décision n° 01-D-67 du 19 octobre 2001). La Cour d'appel de Paris a par ailleurs précisé qu' " un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve par le rapprochement avec d'autres indices concordants, d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 décembre 2001, Bajus transports).
1. SUR L'EXISTENCE D'UNE JUSTIFICATION AUX ECHANGES D'INFORMATIONS
20. Les sociétés mises en cause font valoir que les échanges d'informations qui ont eu lieu entre les sociétés ne dépassaient pas le cadre des relations de sous-traitance et que chacune des entreprises figurait parmi les sous-traitants potentiels de l'autre dans les offres remises.
21. Mais en premier lieu l'examen des offres contredit cette affirmation, puisque ces documents ne font état que d'une liste de sous-traitants potentiels, que l'annexe à l'acte d'engagement prévue en cas de sous-traitance est vide, de sorte que l'information que pouvait en tirer le maître d'ouvrage n'atteignait pas le niveau requis.
22. En deuxième lieu, les éléments du dossier attestent que les échanges d'informations ont un autre objet que la sous-traitance : en effet, les fax recueillis, notamment pour le premier appel d'offres ouvert, font état de données transmises " afin d'être en phase " (fax du 26 février 1998, s'agissant de données tarifaires) ou " afin de pouvoir rédiger votre offre directe " (fax du 24 février 1998, s'agissant de données techniques).
23. En troisième lieu, à considérer les échanges intervenus comme relevant d'une relation de sous-traitance, et " s'il est loisible à une société qui n'est pas en mesure d'assurer seule l'ensemble des travaux concernés par un appel d'offres, d'échanger des informations avec un éventuel sous-traitant, il demeure qu'elle doit le faire en respectant les règles de la concurrence " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot).
24. Dans le cas où le recours à la sous-traitance aurait été nécessaire, il n'est pas normal de soumettre deux offres concurrentes mais fondées sur un support technique identique et sur des prix ayant fait l'objet d'un échange d'informations préalable au dépôt des offres. En tout état de cause, les échanges d'informations entre les entreprises portent sur la totalité des offres techniques et tarifaires de Manutair Möller et, pour le second appel d'offres, sur la totalité de l'offre tarifaire d'Isotec. De ce fait, l'échange ne porte pas sur le sous-ensemble des prestations que chaque entreprise aurait pu désirer sous-traiter à l'autre, à condition d'en informer le maître d'ouvrage dans les formes requises, mais bien sur la totalité des prestations, y compris celles non concernées par d'éventuelles sous-traitances.
25. La société Isotec relève également que les contacts entre les entreprises étaient rendus nécessaires par le besoin d'utiliser des pièces fabriquées par Manutair Möller pour répondre aux exigences du marché.
26. S'il ne fait pas de doute, au vu des éléments apportés par l'enquête et l'instruction, que la fourniture de certaines pièces ne pouvait se faire qu'auprès de Manutair Möller, les pièces concernées ne couvrent pas la totalité des opérations à réaliser mais seulement certains éléments très précis (notamment des vannes MPH). En tout état de cause, le besoin de recourir à des pièces Manutair Möller ne peut justifier la communication de l'ensemble des offres techniques et tarifaires de cette dernière société et, pour le second appel d'offres, de l'offre tarifaire d'Isotec. Les échanges d'informations auxquels se sont livrées les sociétés Manutair Möller et Isotec ne répondent pas au besoin de recourir à des pièces fabriquées par Manutair Möller pour lequel un devis, une commande, voire une explication technique sont suffisants.
27. Les échanges d'informations ne sont donc pas justifiés par le recours à la sous-traitance ou aux pièces fabriquées par Manutair Möller, mais ont bien eu pour objet de coordonner les comportements des entreprises dans l'établissement de leurs offres directes respectives.
2. SUR LE CONTEXTE DES APPELS D'OFFRES DANS UN ENSEMBLE DE RELATIONS ENTRE LES SOCIETES
28. La société Isotec avance que les éléments recueillis ne peuvent être utilement interprétés que dans le contexte général des relations entre les sociétés Isotec, Manutair Möller et Tiru. Elle précise ainsi qu'elle effectue de longue date des opérations d'entretien sur le site, qu'elle a été consultée pour estimer les travaux prévus, préalablement à l'appel d'offres et qu'elle a participé à des opérations liées au processus de rénovation de l'usine durant la procédure ainsi qu'à la réalisation effective des travaux dépendant de l'appel d'offres parallèlement aux procédures, puis encore postérieurement à son attribution à l'entreprise Simotech (après les difficultés rencontrées par cette dernière). Elle conclut dès lors que ses relations, avec la société Manutair Möller découlent logiquement de ces liens.
29. La société Isotec soutient que l'article L. 420-1 du Code de commerce ne peut s'appliquer que lorsque est établie une entente postérieure à l'avis de parution. Elle avance que des échanges d'informations entre les protagonistes, antérieurs à la consultation, et donc licites, permettent notamment d'expliquer la similitude des offres techniques. Elle note également que les prix des offres présentées par elle étaient cohérents avec les réponses transmises dans les phases de consultations antérieures et que ceci a pour conséquence d'invalider l'hypothèse d'une offre de couverture de sa part.
30. Toutefois, l'article L. 420-1 s'applique en matière de marchés avec appel d'offres dès lors que des échanges d'informations sont, notamment, survenus entre l'avis de parution et la date de remise des offres et ont par conséquent pu limiter l'indépendance des offres et, partant, la concurrence entre les entreprises soumissionnaires.
31. En l'espèce, les pièces recueillies démontrent que de tels échanges ont eu lieu postérieurement à l'avis de parution et antérieurement à la date de remise des offres, et que ces dernières ont été rédigées, au moins en partie, sur la base de ces informations. L'existence des relations antérieures entre les sociétés, qui ne concernaient pas, au demeurant, l'intégralité des appels d'offres, de même que la participation d'Isotec, parallèlement ou postérieurement à l'attribution du marché, à la réalisation d'une partie des travaux ne retirent pas aux échanges postérieurs leur caractère illicite.
32. Par ailleurs, si la société Isotec ne démontre pas précisément que ses offres étaient cohérentes avec ses devis antérieurs, il ressort de l'enquête que les prix proposés par les deux entreprises mises en cause se situaient dans une fourchette de prix correspondant à ceux du marché. Toutefois, ce seul fait ne suffit pas à invalider l'hypothèse d'une offre de couverture en présence de plusieurs indices contraires. Les offres de couverture sont en effet " des offres conçues pour apparaître non comme témoignant d'un véritable intérêt du soumissionnaire pour le marché considéré mais comme devant être rejetées par le maître d'ouvrage soit parce qu'elles sont financièrement moins intéressantes que celle de l'entreprise prédésignée, soit parce qu'elles répondent imparfaitement au problème posé " (rapport du Conseil de la concurrence pour l'année 1987). Dès lors, l'élément pertinent n'est pas tant la valeur absolue de l'offre que les circonstances propres à son élaboration. Or, il ressort du dossier que les deux entreprises ont concerté leur action préalablement à la remise des offres, qu'il était convenu que " MM prenne le leadership sur cette affaire " (rapport de visite du 13 février 1998, précité), que des échanges d'informations ont eu lieu afin d'être " en phase " (fax du 26 février 1998, précité) et qu'Isotec a rédigé des offres plus élevées que celles de Manutair Möller sur la base de choix techniques similaires et au vu des prix proposés par Manutair Möller.
33. Il résulte donc de ce qui précède que les échanges antérieurs à la parution de l'appel d'offres entre les sociétés et la participation d'Isotec à une partie des travaux postérieurement à l'attribution du marché n'enlèvent pas aux pratiques relevées durant la période de consultation leur caractère illicite, et que les pièces figurant au dossier constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants de ce que les offres d'Isotec revêtent les caractéristiques d'une offre de couverture.
3. SUR LE RÔLE JOUÉ PAR LE MAÎTRE D'OEUVRE
34. La société Isotec soutient que le rôle de la société Tiru, maître d'œuvre des marchés concernés, explique son comportement. Elle aurait participé à l'appel d'offres sur les indications de la société Tiru, qui serait à l'origine des diverses réunions et qui connaissait l'existence des collaborations ponctuelles entre les sociétés Isotec et Manutair Möller. Elle relève que la Tiru a transmis des documents au Syctom et que celui-ci, au courant des relations entre Manutair Möller, n'a dès lors pas pu être trompé sur la réalité de la concurrence. Elle note aussi que la société Tiru a mis en place le 21 janvier 1998, peu après le premier appel d'offres du 16 janvier 1998, une consultation sur des travaux ayant le même objet, et que cette circonstance a pu troubler les entreprises. Elle mentionne enfin une commande passée par la société Tiru à la société Isotec le 30 mars 1998.
35. Ces éléments avancés par Isotec ne sont pas corroborés par les pièces du dossier ou n'ont pas de portée. En premier lieu, les pièces recueillies révèlent des échanges directs et explicites d'informations entre les sociétés Isotec et Manutair Möller, sans que soit mentionnée la société Tiru. En second lieu, rien ne démontre que la société Tiru ait informé le Syctom des échanges illicites, à supposer que la société Tiru en ait elle-même eu connaissance.
36. En tout état de cause, il ressort d'une jurisprudence constante, notamment confirmée le 24 mai 2005 par la Cour d'appel de Paris (SARL Imagin), qu'en déposant des offres séparées, les sociétés ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre de chacun des appels d'offres, comme des entreprises concurrentes ; qu'elles devaient, par conséquent, respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises et s'interdire de présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ; que la connaissance des liens unissant ces sociétés, que pouvaient avoir le maître d'œuvre ou le maître d'ouvrage, est inopérante au regard des développements qui précèdent.
37. S'agissant de la consultation lancée par la société Tiru le 21 janvier 1998, le rapport de visite V980213d du 13 février 1998 atteste que deux consultations différentes se sont succédées, l'une portant, à l'initiative de Tiru, sur l'entretien et la fourniture de pièces et l'autre portant, à l'initiative du Syctom, sur le remplacement d'une partie des silos, sans qu'a priori les opérations entre ces deux consultations ne se chevauchent. Les pièces recueillies, les indices et les griefs notifiés concernent la seconde consultation. Aucune conclusion ne peut être tirée du seul fait que la société Tiru a par ailleurs passé une commande à la société Isotec le 30 mars 1998.
38. Il ressort donc de ce qui précède que les moyens tirés du comportement du maître d'œuvre doivent être écartés.
4. SUR LA NECESSITE DE DEMONTRER UNE INTENTION
39. La société Isotec soutient que son comportement a été induit par celui de la société Tiru, maître d'œuvre, et que, par conséquent, l'élément intentionnel de l'infraction qui lui est reprochée fait défaut. Elle ajoute qu'elle n'a jamais eu le sentiment ou l'ambition de fausser la concurrence et que la notification des griefs ne contient aucun élément sur l'intérêt qu'elle aurait eu à s'entendre avec la société Manutair Möller.
40. Il est toutefois de jurisprudence constante que " l'absence d'intention anticoncurrentielle des entreprises parties à l'entente est sans portée sur la qualification même d'entente " (décision n° 01-D-67, précitée). Mais, si la preuve de l'intention de porter atteinte à la concurrence n'est pas requise, l'accord de volontés pour se concerter doit, en revanche, être démontré, pour caractériser l'entente. En effet, la qualification d'une pratique d'entente anticoncurrentielle est subordonnée à la démonstration de la volonté des entreprises d'adhérer à l'action collective.
41. La Cour d'appel de Paris a à cet égard précisé qu'en matière d'ententes lors d'appels d'offres, le concours de volontés caractérisant une pratique concertée au sens de l'article L 420-1 du Code de commerce est réalisé dès lors qu'une des entreprises a repris, au moins partiellement, des éléments de l'offre de l'autre pour réaliser sa propre offre (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 septembre 1993, Entreprise Pascal).
42. Or, il ressort des éléments présents au dossier que les échanges d'informations étaient effectués dans le but de préparer les offres de chaque participant à l'entente. Ils démontrent une utilisation effective tant des éléments tarifaires que des éléments techniques échangés entre les sociétés. Ce moyen doit donc être écarté.
5. SUR LA NECCESSITE DE DEMONTRER UN PREJUDICE
43. La société Isotec soutient qu'aucun préjudice susceptible d'être la conséquence directe de l'entente illicite alléguée n'est démontré. L'échec des procédures d'appel d'offres est dû selon elle à la mauvaise compréhension par la société Tiru du système des marchés publics ainsi qu'à des problèmes budgétaires et de répartition des rôles entre le Syctom et la société Tiru pour la prise en charge des travaux de maintenance. Elle avance aussi qu'elle n'est pas responsable du retard dans les travaux, que ses prix étaient les plus bas possibles et qu'elle a par ailleurs participé à des travaux importants de maintenance ayant en fait limité tout retard dans les procédures de rénovation. Elle note enfin l'absence de concurrence globale sur le marché.
44. Il convient tout d'abord de souligner que des pratiques concertées sont susceptibles d'être sanctionnées au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de restreindre la concurrence. Ainsi, le dommage à l'économie, qui peut toucher tous les éléments du marché, soit par une affectation de la demande, soit par des effets sur les offreurs concurrents, ne se limite pas au préjudice subi par telle ou telle entreprise au sens où peut l'entendre le juge civil.
45. Il convient ensuite de noter que, selon une jurisprudence constante de la Cour d'appel de Paris, les pratiques d'échanges d'informations lors de passations de marchés publics ont en elles-mêmes un objet anticoncurrentiel car elles conduisent nécessairement à une restriction de concurrence en supprimant ou limitant l'indépendance des entreprises soumissionnaires (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 janvier 2000, Chaillan Frères ; arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 mai 2005, précité).
46. En outre, les pratiques ont eu pour effet de limiter la concurrence entre les deux entreprises mises en cause. Cet effet est d'autant plus important que, comme le soutient la société Isotec, les possibilités de concurrence sur ce marché étaient limitées et que les sociétés mises en cause étaient effectivement parmi les seules à pouvoir fournir une prestation satisfaisante, et donc à pouvoir animer la concurrence pour l'obtention du marché.
47. Par ailleurs, même si d'autres éléments peuvent en partie expliquer le retard pris dans les travaux de rénovation soumis à l'appel d'offres concerné, les pratiques ont joué un rôle dans les évènements ayant conduit à ce retard. Enfin, elles ont eu pour effet de priver le maître d'ouvrage d'une offre éventuellement moins-disante mais techniquement complète, notamment de la part de la société Isotec qui, compte tenu des circonstances de rédaction de sa propre offre, aurait pu n'envisager qu'un montant moins élevé en l'absence de concertation. Ce moyen doit être écarté.
48. Ainsi, l'ensemble des pièces ci-dessus recensées constitue un faisceau d'indices graves, précis et concordants dont il ressort que les entreprises Manutair Möller et Isotec ont, lors des deux appels d'offres ouverts concernant la rénovation des silos à suie de l'usine d'Issyles- Moulineaux, coordonné leurs comportements dans la préparation de leurs réponses respectives et échangé des informations précises sur le contenu de leurs offres, tant techniques que tarifaires. Lors du premier appel d'offres, Manutair Möller a notamment communiqué avant le dépôt des offres l'intégralité de son offre technique et tarifaire à Isotec, qui a utilisé ces données pour réaliser sa propre offre, certains prix proposés par Manutair Möller ayant été fixés dans le cadre d'une réunion avec Isotec. Lors du second appel d'offres, Manutair Möller a communiqué avant le dépôt des offres l'intégralité de son offre technique et tarifaire à Isotec, qui a utilisé ces données pour réaliser sa propre offre et a, en retour, communiqué l'intégralité de son offre tarifaire à Manutair Möller.
49. Ces échanges d'informations, antérieurs au dépôt des offres, ont permis aux deux entreprises, lors des deux appels d'offres ouverts, d'établir leurs offres respectives en tenant compte de l'offre de l'autre, afin de remettre deux offres apparemment concurrentes mais en réalité concertées, celle d'Isotec présentant lors des deux appels d'offres ouverts les caractéristiques d'une offre de couverture. Il en résulte que le maître d'ouvrage a été trompé sur la réalité de la concurrence.
50. Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
C. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
51. La société FL Smidth Airtech conteste la jurisprudence aboutissant à lui imputer les pratiques de la société Manutair Möller, compte tenu du caractère délictuel et quasi-pénal des infractions qui lui sont reprochées et du principe général du droit pénal de la responsabilité personnelle et individuelle, consacré par l'article L. 121-1 du Code pénal.
52. Sur ce point, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 27 novembre 2001 (CNCEP) a considéré " que s'il est exact que doivent être regardées comme une accusation en matière pénale les poursuites engagées en vue de sanctions pécuniaires ayant le caractère d'une punition prononcée par une autorité administrative, telles que celles que peut infliger le Conseil de la concurrence, et s'il est vrai, aussi, qu'il existe une règle fondamentale du droit pénal selon laquelle la responsabilité pénale ne survit pas à l'auteur de l'infraction, c'est sans méconnaître ladite règle que le Conseil de la concurrence " applique ces principes car " d'une part, les sanctions prévues à l'article L. 464-2 du Code de commerce sont applicables aux entreprises auteurs des pratiques anticoncurrentielles prohibées par les articles L. 420-1 et suivants du même Code et, d'autre part, lorsque, entre le moment où les pratiques ont été mises en œuvre et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre, la personne morale responsable de l'exploitation a cessé d'exister juridiquement, les pratiques sont imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle ".
53. En l'espèce, la société Manutair Möller, radiée le 6 janvier 2000, a fait l'objet d'une fusion absorption et ses activités ont été transférées à la société FLS Miljo le 31 décembre 1999. Il est de jurisprudence constante que les pratiques sont alors imputables à la société absorbante (décision n° 01-D-59 du 25 septembre 2001). En juillet 2002, la société FLS Miljo a changé son nom en FLS Airtech, sans que cela n'entraîne de conséquence quant à l'imputabilité des pratiques (décision n° 01-D-14 du 4 mai 2001). C'est donc à bon droit que les griefs ont été notifiés à la société FL Smidth Airtech, qui vient aux droits et obligations de la société Manutair Möller.
D. SUR LES SANCTIONS
54. Aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, " le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2 (...) ". Toutefois, en vertu des dispositions de l'article 22 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicables à l'époque de la commission des faits, la sanction pécuniaire prononcée, dans le cadre de la procédure simplifiée, ne peut excéder 500 000 francs (76 244, 51 euro) pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.
55. Les sociétés mises en cause sollicitent du Conseil de la concurrence de bien vouloir renoncer à toute sanction à leur égard ou de prononcer une sanction symbolique, aux motifs notamment de l'absence de dommage à l'économie, de l'ancienneté des faits ou du fait qu'aucune des deux sociétés n'a remporté le marché. La société Isotec relève qu'elle n'est pas familiarisée avec les marchés publics et qu'elle n'a jamais été impliquée dans ce genre d'affaires. La société FL Smidth Airtech note au surplus qu'une sanction n'aurait pas d'effet pédagogique du fait de la dissolution anticipée de la société.
56. Les pratiques en cause sont regardées de manière constante par les autorités de concurrence comme des pratiques graves par nature. Un arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 1998, énonce que " le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence " et un autre arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 12 décembre 2000 précise que " ces pratiques anticoncurrentielles, qui caractérisent un dommage à l'économie, sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que (...) le marché a été, en définitive, attribué à une entreprise ne participant pas à la concertation ".
57. Il convient par ailleurs de relever, en l'espèce, l'importance du bénéfice indu potentiel par rapport à la valeur de l'appel d'offres, le long retard dans le commencement des travaux que les pratiques ont contribué à provoquer (23 mois) ainsi que le dommage au maître d'ouvrage, empêché de faire apparaître et de bénéficier d'une offre moins-disante.
58. Il convient toutefois également de prendre en compte la valeur de l'appel d'offres, les circonstances dans lesquelles ont été passés ces appels d'offres ainsi que les autres explications possibles au retard des travaux et aux échecs des consultations. L'enquête et l'instruction ont, en outre, établi que les deux entreprises étaient peu habituées aux consultations dans le cadre de marchés publics.
59. Le chiffre d'affaires réalisé par la société Isotec lors du dernier exercice clos s'élève à 15 771 949 euro et son résultat d'exploitation à 760 487 euro. Compte tenu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 55 000 euro.
60. L'assemblée générale de la société FL Smidth Airtech a décidé, le 18 mai 2005, la dissolution anticipée de cette dernière, qui est depuis lors en liquidation amiable et subsiste pour les besoins de sa liquidation. Dès lors qu'elle n'a pas cessé d'exister juridiquement, elle doit répondre des actes qui lui sont imputés. Le chiffre d'affaires de la société était, pour le dernier exercice clos, de 5 049 841 euro, et son résultat d'exploitation était déficitaire de 1 000 581 euro. Compte tenu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à la société FL Smidth Airtech une sanction de 18 000 euro.
Décision
Article 1er : Il est établi que les sociétés Isotec Entreprise et FL Smidth Airtech ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* à la société Isotec Entreprise une sanction de 55 000 euro ;
* à la société FL Smidth Airtech une sanction de 18 000 euro.