CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 16 novembre 1995, n° 742-94
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rover France (SA)
Défendeur :
Vitalis, Cavia (SA), Filia MAIF (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
Mmes Laporte, Rousset
Avoués :
SCP Keime & Guttin, SCP Fievet-Rochette-Lafon
Avocats :
Mes Gaud, Fayout.
Faits et procédure
Le 12 juin 1990, Monsieur Vitalis a fait l'acquisition d'un véhicule de marque Rover type 827 SLI, auprès du Groupe Magne, concessionnaire de la marque à Sannois (95).
Cet achat a été financé par la SA Cavia dans le cadre d'un contrat de crédit-bail.
Le 6 juin 1991, après avoir parcouru 25 000 kilomètres, le véhicule a été détruit par un incendie.
La société Rover France ayant refusé toute indemnisation, un expert a été désigné par ordonnance de référé rendue le 18 février 1992.
L'expert a déposé un rapport le 3 juillet 1992 concluant à l'impossibilité de déterminer l'origine du sinistre du fait de la destruction du véhicule en vue de son recyclage.
Par acte du 20 août 1992, la SA Cavia, la SA Filia MAIF, assureur du véhicule, et Monsieur Vitalis ont fait assigner la SA Rover France pour obtenir réparation de leurs préjudices respectifs.
La SA Rover France s'est opposée aux demandes formées à son encontre faisant valoir que sa garantie n'était pas due.
Par jugement en date du 20 septembre 1993, le Tribunal de grande instance de Pontoise a :
- déclaré la SA Rover France tenue de garantir les conséquences dommageables du sinistre survenu le 6 juin 1991 sur le véhicule vendu le 12 juin 1990 à la SA Cavia et loué par contrat de crédit-bail à Monsieur Vitalis,
- condamné la SA Rover France à payer à la SA Filia MAIF, subrogée dans les droits de la SA Cavia, la somme de 153 560 F, et à Monsieur Vitalis celle de 9 121 F, en réparation de leurs préjudices respectifs, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné la SA Rover France à payer à Monsieur Vitalis, à la SA Filia MAIF et à la SA Cavia, une indemnité de 5 000 F, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens comprenant les frais d'expertise.
Appelante de cette décision, la SA Rover France lui reproche d'avoir fait une application erronée des règles de droit régissant la matière, en retenant notamment que " le sinistre, tel qu'il est survenu le 6 juin 1991, dans l'année de la livraison d'un véhicule n'ayant parcouru que 25 000 kilomètres, relève nécessairement d'un vice de construction entraînant la garantie " (du constructeur).
Elle soutient que cette motivation relève d'un amalgame et qu'il doit être opéré une distinction entre les différents types de garantie auxquelles elle pourrait être tenue.
A cet égard, elle fait tout d'abord valoir que, Monsieur Vitalis ayant accepté saris réserve un véhicule avec lequel il a parcouru un important kilométrage, elle ne peut être tenue au titre d'un défaut de conformité du véhicule livré. Elle ajoute qu'à supposer l'action recevable, elle ne peut être davantage tenue à ce titre sur le fondement d'un vice caché, dès lors que l'existence d'un tel vice n'a jamais pu être prouvé par ses adversaires à qui incombe la charge de la preuve. Elle dénie enfin être tenue d'une quelconque obligation au titre de la garantie contractuelle, dans la mesure où la preuve de la défectuosité d'une pièce telle que définie à ses conditions générales de vente, reproduites sur le bon de commande, n'est pas rapportée et où il est constant que le véhicule n'a pas été utilisé conformément aux préconisations du constructeur.
Elle demande, en conséquence, à être déchargée de toutes les condamnations prononcées à son encontre et elle réclame à ses adversaires une indemnité de 15 000 F, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Alain Vitalis, la SA Cavia et la SA Filia MAIF concluent, pour leur part, à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, sauf à se voir autorisés à capitaliser les intérêts et à se voir accorder une indemnité complémentaire de 10 000 F HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ils prétendent au contraire que la chose livrée n'était pas conforme à celle promise dès lors qu'elle a brûlé sans raison apparente pendant sa première année d'utilisation, Ils estiment également que le vice de construction est bien établi on l'espèce dans la mesure où le véhicule s'est enflammé spontanément pendant la marche sans que le constructeur soit en mesure de démontrer soit un défaut d'utilisation ou d'entretien, soit l'intervention d'un tiers ou d'un fait extérieur. Ils estiment également que les conditions de mise en œuvre de la garantie contractuelle sont réunies en l'espèce.
Sur ce LA COUR,
Considérant qu'il est constant et non contesté par les parties que l'origine du sinistre n'a pu être déterminée par l'expert désigné on référé qui n'a pu procéder à l'examen du véhicule par suite de la destruction de celui-ci par broyage et qu'aucun élément recueilli antérieurement aux opérations d'expertise ne peut permettre davantage d'éclairer la cour sur ce point.
Considérant que, nonobstant cette situation de fait, les premiers juges ont retenu que le véhicule avait été incendié pendant le délai de la garantie contractuelle d'un an et qu'ils on ont déduit une présomption de responsabilité à la charge du constructeur dont celui-ci s'est révélé incapable de s'exonérer.
Considérant cependant que cette motivation, qui procède d'un renversement de la charge de la preuve et d'une confusion entre les différents ordres de responsabilité pouvant être invoqués on l'espèce, ne peut être suivie.
Considérant tout d'abord que le seul fait que le véhicule se soit enflammé spontanément pendant la marche, après moins d'un an d'utilisation, n'est pas suffisant en lui-même pour affirmer que ledit véhicule n'était pas conforme à l'usage auquel il était destiné; qu'en effet, il résulte des pièces des débats que Monsieur Vitalis a accepté sans réserve le véhicule livré et qu'il a parcouru avec celui-ci 25 000 kilomètres sans le moindre incident ; que cette seule constatation suffit à exclure toute réclamation pour défaut de conformité.
Considérant que, de même, l'incertitude existant sur la cause et l'origine du sinistre qui a détruit la voiture litigieuse, permet d'écarter la garantie pour vice caché dès lors que ne peut être rapportée la preuve par les intimés d'un vice précis et déterminé affectant le véhicule avant la vente et ayant rendu celui-ci impropre à son usage.
Considérant que ne peut être davantage invoquée utilement en l'espèce la garantie contractuelle du constructeur; qu'en effet, cette garantie, qui n'a pas pour vocation de se substituer à la garantie légale des articles 1641 et suivants du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu'à deux conditions rappelées clairement aux conditions générales de vente reproduites sur le bon de commande et acceptées par l'acquéreur, à savoir que la pièce (pour laquelle la garantie est demandée) soit reconnue défectueuse et que le véhicule ait été utilisé conformément aux recommandations du constructeur. Or, considérant que, comme il a été dit précédemment, aucune preuve n'a pu être rapportée que l'incendie trouverait sa cause dans la défectuosité d'une pièce d'origine du véhicule ; que de même, Monsieur Vitalis n'a jamais été en mesure d'établir qu'il a fait procéder à l'entretien du véhicule conformément aux fréquences recommandées par le constructeur et notamment à la révision prévue à 20 000 kms ; qu'il suit de là que le SA Rover France ne peut être tenue, sur le fondement de la garantie contractuelle, le seul fait que l'incendie soit survenu pendant la période contractuelle de garantie n'étant pas suffisant à lui seul, à entraîner l'application automatique de ladite garantie comme le soutiennent à tort les intimés on renversant la charge de la preuve.
Considérant que, dans ces conditions, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et la SA Rover France déchargée de toutes les condamnations prononcées à son encontre.
Considérant que l'équité ne commande cependant pas d'allouer à l'appelante une quelconque indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que les entiers dépens de première instance et d'appel seront supportés par les intimés qui voient leurs prétentions rejetées.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, - Reçoit la SA Rover France en son appel, - Y faisant droit pour l'essentiel, infirme on toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau : - Dit que la SA Rover France n'est tenue à aucune garantie du fait du sinistre intervenu le 12 juin 1991 sur le véhicule vendu par elle à la SA Cavia et utilisé par Monsieur Vitalis, - Déboute en conséquence Monsieur Vitalis, la SA Cavia et la SA Filia MAIF de l'ensemble de leurs prétentions, - Laisse les entiers dépens de première instance et d'appel à la charge des intimés et autorise la SCP d'avoués Keime & Guttin à les recouvrer directement comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.