CA Agen, ch. corr., 11 mars 1996, n° 95-00359
AGEN
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louiset
Avocat général :
M. Dagues
Conseillers :
MM. Lateve, Treilles
Avocat :
Me O'Kelly
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal, par jugement du Tribunal de grande instance de Cahors en date du 6 avril 1995 a déclaré :
X
Coupable d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée : souscription d'un engagement, faits commis le 21 août 1994, à Cazals (46), infraction prévue par l'article L. 122-8, L. 122-9 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 122-8 du Code de la consommation
Y
Coupable d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée : souscription d'un engagement, faits commis le 21 août 1994, à Cazals (46), infraction prévue par l'article L. 122-8, L. 122-9 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 122-8 du Code de la consommation,
Et par application de ces articles, a relaxé X et Y,
Les appels:
Appel a été interjeté par :
M. le Procureur de la République, le 18 avril 1995 contre Mme X et M. Y,
Arrêt
Vu l'appel interjeté à l'encontre de la décision susmentionnée par le Ministère public, ledit appel formalisé suivant déclaration reçue le 18 avril 1995 par le Tribunal de grande instance de Cahors;
Attendu que cet appel est régulier en la forme et a été interjeté dans le délai de la loi ; qu'il convient, en conséquence, de le déclarer recevable ;
Attendu, au fond, qu'il résulte du dossier de la procédure et des débats d'audience les faits suivants :
Le 21 août 1994, Julia Autret veuve Gandouly, retraitée, exposait à la foire à la brocante de Cazals (46) ouverte aux particuliers divers bibelots dont une pendule et une fontaine en cuivre estimée par elle et son précédent propriétaire à la somme de 9 000 F.
Vers 11 heures, elle s'absentait de son stand, laissant celui-ci sous la garde de sa petite-fille, Gwenaëlle Bouessel, alors âgée de 13 ans, en lui recommandant de ne rien vendre.
A son retour vers 11 heures 30, cette adolescente l'informait de ce que, peu après son départ, un homme et une femme s'étaient présentés au stand et, malgré son refus, avaient exigé d'elle qu'elle leur vende la fontaine en cuivre pour 900 F, en lui recommandant de ne rien dire, de sorte qu'ayant eu peur et ne pouvant résister, elle avait accepté de se dessaisir de l'objet en contrepartie d'un chèque de 900 F.
A 15 heures 15, veuve Gandouly déposait plainte auprès de la brigade de Gendarmerie de Cazals.
A la suite de l'identification du titulaire du chèque, Y, domicilié route de la Gare à Thenon (24), des enquêteurs entendaient le 27 septembre 1994 la concubine de celui-ci, X, laquelle indiquait que:
- la vente n'était pas intervenue à l'heure indiquée par la plaignante mais dans la matinée en début de foire, qu'ils avaient quittés vers 10 heures à 10 heures 30,
- la mineure n'était pas seule en raison de la présence avec elle d'une personne âgée d'environ 70 ans,
- les négociations avaient été menées par la mineure qui avait accepté le prix de 900 F et montré le chèque émis par Y à la personne âgée,
- le 17 septembre 1994 Y avait reçu une lettre de veuve Gandouly lui demandant l'annulation de la vente et la restitution de la fontaine ou sinon le paiement de la somme complémentaire de 8 100 F,
- elle lui avait répondu qu'elle se considérait propriétaire de la fontaine et contestait le prix de 9 000 F;
Attendu qu'il est reproché à chacun des deux prévenus :
"D'avoir à Cazals, le 21 août 1994, fait souscrire à Bouessel Gwenaëlle, mineure de quinze ans pour être née le 20 mars 1981, un engagement, en l'espèce la vente d'une fontaine en cuivre par le moyen de transaction conclue dans une situation d'urgence ayant mis la victime de l'infraction dans l'impossibilité de consulter un ou plusieurs professionnels qualifiés et alors que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait, n'était pas en mesure de déceler les ruses ou artifices employés pour la convaincre, a été soumise à la contrainte, abusant ainsi de sa faiblesse ou de son ignorance, faits prévus et punis par l'article L. 122-8, L. 122-9 du Code de la consommation.";
Attendu que l'article L. 122-8 du Code de la consommation dispose que:
"Quiconque aura abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit sera puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 3 600 F à 60 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement, lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte."
Que, selon l'article L. 122-9 du même Code :
" Les dispositions de l'article L. 122-8 sont applicables, dans les mêmes conditions, aux engagements obtenus:
1°) soit à la suite d'un démarchage par téléphone ou télécopie ;
2°) soit à la suite d'une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, effectuée à domicile et assortie de l'offre d'avantages particuliers;
3°) soit à l'occasion de réunions ou d'excursions organisées par l'auteur de l'infraction ou à son profit;
4°) soit lorsque la transaction a été faite dans des lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé ou dans le cadre de foires ou de salons;
5°) soit lorsque la transaction a été conclue dans une situation d'urgence ayant mis la victime de l'infraction dans l'impossibilité de consulter un ou plusieurs professionnels qualifiés, tiers au contrat ".
Attendu que les textes susvisés, incriminent les personnes ayant fait "souscrire des engagements", c'est-à-dire les vendeurs et non pas les acquéreurs; que lesdits textes ont pour objet d'éviter l'abus de faiblesse des consommateurs par des vendeurs ; qu'en l'espèce, les deux prévenus se sont fait remettre un objet mobilier en contrepartie d'un chèque émis par eux ; qu'ils n'ont fait souscrire aucun engagement à Gwenaëlle Bouessel ; qu'il s'ensuit que les articles L. 122-8 et L. 122-9 sont inapplicables en la cause ;
Attendu qu'il appartient à la cour de vérifier si les faits peuvent recevoir une autre qualification;
Attendu que les prévenus ont manifestement, par la peur qu'ils ont su inspirer à Gwenaëlle Bouessel, enfant âgée seulement de 13 ans, pu obtenir de celle-ci, contre sa volonté, la remise de la fontaine dont elle était gardienne, remise qu'ils ont exigée avec insistance en contrepartie d'un chèque d'un montant très inférieur à la valeur réelle de cet objet mobilier; que le fait d'obtenir par la contrainte la remise d'un tel objet constitue l'appropriation frauduleuse de la chose d'autrui et caractérise le délit de vol;
Attendu qu'il y a donc lieu de requalifier les faits en délit de vol simple, prévu et réprimé par les articles 311-1 et 311-3 du nouveau Code pénal, étant observé que la peine d'emprisonnement prévue par ce dernier texte (trois ans) est inférieure à celle prévue par les deux articles susvisés du Code de la consommation (5 ans);
Attendu qu'il convient, en conséquence, de réformer le jugement en ce sens ;
Attendu, quant au prononcé de la peine que commandent de tels agissements, que la cour, prenant en considération tant la gravité des faits commis que la personnalité des prévenus, leur infligera à chacun la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois avec l'obligation spéciale d'indemniser la victime du vol, Julia Autret veuve Gandouly;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort; En la forme, reçoit en son appel le Ministère public, Au fond, infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Requalifie les faits en délit de vol simple au préjudice de Julia Autret veuve Gandouly, délit prévu et réprimé par les articles 311-1 et 311-3 du nouveau Code pénal, Déclare X et Y coupables dudit délit, En répression, les condamne chacun d'eux à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois avec l'obligation spéciale d'indemniser la victime, Julia Autret veuve Gandouly, Constate que l'avertissement prévu par les dispositions de l'article 132-40 du nouveau Code pénal n'a pu être donné aux condamnés, absents lors du prononcé de l'arrêt; Le tout en application des articles 311-1 et 311-3, 132-40 et suivants du Code pénal, 512 et suivants du Code de procédure pénale.