CA Besançon, 1re ch. civ., 27 juin 1995, n° 940519
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Besancenet (Consorts)
Défendeur :
UCB (SA), Di Martino (ès qual.), MDV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grange
Président de chambre :
Mme Credoz
Conseiller :
M. Deglise
Avoués :
SCP Leroux-Meunier, SCP Dumont-Pauthier, Me Economou
Avocats :
Mes Maetz, Pavet, SCP Cadrot-Huyghe
Suivant offre préalable du 16 juin 1988 l'UCB a consenti à Monsieur et Madame Roger Besancenet un crédit de 19 000 F remboursable en 84 mensualités de 402,15 F, au taux effectif global de 16,50 % l'an, en vue de l'achat d'un adoucisseur d'eau. Les emprunteurs n'ont pas respecté tous leurs engagements et l'UCB a prononcé la déchéance du terme le 20 mars 1991.
Par acte du 12 février 1993, l'UCB a fait assigner devant le Tribunal d'instance de Montbéliard les époux Besancenet afin d'obtenir, avec exécution provisoire, leur condamnation conjointe et solidaire à lui payer la somme de 20 582,68 F avec intérêts au taux contractuel de 16,5 % à compter du 31 janvier 1993, représentant le solde exigible de ce prêt, ainsi qu'une indemnité de 1 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En réponse, les défendeurs sollicitaient la résiliation du contrat de vente conclu avec la société MDV, aujourd'hui en liquidation judiciaire et représentée par Me Di Martino mandataire-liquidateur, lequel a été appelé en cause par acte en date du 16 mars 1993.
Ils concluaient en conséquence, à titre principal, à la résiliation du contrat de prêt qui a servi à financer l'acquisition de l'adoucisseur d'eau et demandaient que la restitution de l'appareil soit ordonnée ainsi que le remboursement des mensualités déjà payées à l'organisme de crédit.
Par jugement du 8 décembre 1993, le Tribunal d'instance de Montbéliard a :
- ordonné la jonction des procédures ouvertes sous les numéros 1.93.11.149 et 1.93.00.227,
- déclaré irrecevables Monsieur et Madame Besancenet dans leur demande tendant à obtenir la résolution ou l'annulation du contrat de vente conclu avec la société MDV,
- dit en conséquence n'y avoir lieu à la résolution ou à l'annulation du contrat de crédit du 16 juin 1988,
- dit sans fondement l'appel en cause dirigé à l'encontre de Me Di Martino,
- condamné solidairement Monsieur et Madame Besancenet à payer à :
* l'UCB la somme de 16 033,10 F avec intérêts au taux contractuel de 16,50 % sur 14 862,10 F et au taux légal sur 1 171 F à compter de l'assignation,
* Maître Di Martino la somme de mille francs (1 000 F) au titre de l'article 700 du NCPC,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné Monsieur et Madame Besancenet aux entiers dépens.
Les époux Besancenet ont relevé appel de cette décision le 15 mars 1994 et demandent à la cour par conclusions du 12 juillet 1994 :
- de réformer le jugement critiqué, au regard des dispositions de la loi du 25 janvier 1985,
- de déclarer leur action en annulation du contrat de vente recevable, et de déclarer éteinte leur créance envers la société MDV,
- de considérer que l'action en nullité du contrat de vente est soumise à la prescription quinquennale édictée par l'article 1304 du Code civil,
- de prononcer l'annulation dudit contrat pour dol,
- d'inviter les concluants à restituer le matériel à Me Di Martino, mandataire-liquidateur de la société MDV,
- de constater la résiliation de plein droit du contrat de crédit,
- de dire que les concluants ne peuvent être tenus à restituer le capital versé par l'UCB à la société MDV,
- de condamner l'UCB à restituer aux concluants la totalité des sommes versées au titre du contrat, avec intérêts au taux légal,
- d'ordonner à l'établissement financier de faire procéder à la radiation des concluants du fichier des incidents de paiement, sous astreinte de 100 F par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt,
- de condamner enfin l'UCB à verser aux concluants une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
L'un des appelants, Monsieur Roger Besancenet étant décédé le 25 novembre 1994, ses héritiers à savoir son épouse et ses deux fils Thierry et Philippe Besancenet sont intervenus dans la présente procédure le 23 mars 1995 et demandent à la cour de leur donner acte de ce qu'ils s'associent aux conclusions déposées antérieurement par les appelants.
L'UCB conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions par adoption de motifs.
Elle soutient en effet qu'elle a parfaitement rempli ses obligations et que les difficultés qui opposent les acquéreurs à la société MDV suite à la découverte d'un prétendu dol ne peuvent avoir aucune influence sur le sort du contrat de prêt.
Elle ajoute qu'en tout état de cause, l'action en nullité des contrats est à l'évidence irrecevable puisque forclose, en application de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978, l'action devant être introduite dans les deux années qui suivent la formation définitive du contrat, alors qu'en l'espèce, les actions ont été engagées par voie de conclusions cinq années après cette formation.
A titre subsidiaire, pour le cas où les contrats seraient annulés, l'UCB invoque les dispositions de l'article 10 de la loi du 10 janvier 1978 pour demander la condamnation des appelants à lui payer le capital emprunté, augmenté des intérêts au taux légal depuis la signature du contrat, déduction faite des versements effectués.
Enfin, Me Di Martino, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société MDV, rappelle qu'aucun de ses adversaires n'a procédé à une déclaration de créance en application des prescriptions de la loi du 25 janvier 1985.
Il demande à la cour :
- de dire qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à son encontre et qu'aucune action en paiement ou en fixation de créance ne saurait en toute hypothèse prospérer,
- de condamner la partie succombante à lui payer ès qualités une somme de 3 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Décision de LA COUR
Sur la recevabilité de l'action en annulation du contrat de vente conclu entre monsieur et madame Besancenet et la société MDV
Attendu qu'en application de l'article 47 de la première loi du 25 janvier 1985, le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant :
- à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent,
- à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;
Que selon l'article 50 de la même loi, à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance à son origine antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, doivent adresser la déclaration de leurs créances au représentant des créanciers ;
Qu'aux termes de l'article 53 de ladite loi, à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article 66 du 1er décret du 27 décembre 1985, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes, à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ;
Attendu cependant que la suspension des poursuites individuelles contre un débiteur en état de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaires d'une part, et la procédure de déclaration des créances d'autre part, ne s'appliquent qu'aux poursuites tendant au paiement de sommes d'argent ;
Attendu qu'en l'espèce les consorts Besancenet admettent qu'ils n'ont pas procédé à la déclaration de leur créance et qu'ils ne peuvent être relevés de la forclusion prévue à l'article 53 de la loi susvisée ;
Qu'il y a lieu en conséquence de déclarer éteinte la créance des consorts Besancenet, ce qu'ils demandent d'ailleurs eux-mêmes à la cour ;
Qu'en revanche, leur action en annulation du contrat de vente litigieux doit être déclarée recevable ;
Sur la forclusion
Attendu que selon l'article 9 alinéa 2 de la loi du 10 janvier 1978, devenu l'article L. 311-21 du Code de la consommation, le contrat de crédit est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé ;
Qu'en application de l'article 27 de la loi susvisée, devenu l'article L. 311-37 du même Code, les actions engagées devant le tribunal d'instance doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance, à peine de forclusion ;
Attendu que l'événement donnant naissance à l'action en annulation du contrat de crédit est bien le prononcé de la résolution ou de l'annulation du contrat de vente, qui fait suite à l'action en nullité dont le point de départ ne court, dans le cas de dol, qu'à compter du jour où il a été découvert, et non pas la date du contrat de vente lui-même ;
Attendu que les consorts Besancenet ont exercé l'action en nullité du contrat de vente dans le délai de 5 ans prévu à l'article 1304 du Code civil, ce qui n'est pas contesté ;
Que, conformément à l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978, ils disposaient sous peine de forclusion d'un délai de 2 ans commençant à courir à compter du prononcé de la résolution ou de l'annulation du contrat de vente, pour exercer l'action en résolution ou annulation du contrat de crédit ;
Qu'en l'espèce, ce prononcé n'étant pas intervenu avant l'audience de plaidoiries devant la cour la forclusion prévue à l'article 27 susvisé ne peut leur être opposée ;
Sur l'annulation du contrat de vente
Attendu que selon les articles 1109 et 1116 du Code civil :
- il n'y a point de consentement valable si le consentement a été surpris par dol,
- le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ;
Attendu qu'il résulte en l'espèce des explications et pièces produites, notamment des éléments figurant dans l'arrêt définitif rendu le 25 juin 1992 par la chambre correctionnelle de la Cour d'appel d'Angers qui a condamné les époux Vanucci pour escroqueries, publicité mensongère et complicité de ces délits, que le contrat litigieux passé entre les époux Besancenet et la société MDV a été surpris par dol ;
Que l'existence de ce dol n'est d'ailleurs pas contestée par les parties,
Qu'il apparaît ainsi que les époux Vanucci qui exerçaient le commerce sous la dénomination MDV Hydrologie avaient mis en place un système de vente qui consistait à envoyer un document contenant des fausses indications destinées à obtenir un rendez-vous avec le futur co-contractant ,
Que ces fausses indications avaient pour but de faire croire à ce dernier qu'il avait fait l'objet d'une pré-sélection et qu'il obtiendrait un statut de correspondant local qui lui permettrait, en fonction de ses efforts et de ses capacités, de bénéficier de primes d'un montant de 2 000 F ;
Qu'au cours de ce rendez-vous était placé, à l'aide d'une documentation commerciale et technique imprécise et inexacte, un contrat de correspondant local destiné, en réalité, à réaliser la vente d'un adoucisseur d'eau, vente qui constituait la condition nécessaire à l'octroi, par la société MDV, du titre de correspondant local à la personne visitée ;
Que ces appareils, vendus à un prix supérieur à celui du marché, étaient présentés comme plus performants et permettant de réaliser des économies mensuelles importantes ;
Qu'il n'est pas contesté que les époux Besancenet ont, à la suite de ces démarches de la société MDV, conclu l'achat d'un appareil, et que l'obtention du titre de correspondant local de MDV leur a fait croire en l'existence de gains futurs qui a déterminé leur consentement ;
Qu'il n'est pas contesté non plus que le statut de correspondant local était fictif et ne procurait aucunement les gains promis et, d'autre part, que l'appareil vendu aux époux Besancenet était un adoucisseur classique, fonctionnant selon un procédé communément vendu dans le commerce à des prix inférieurs et dont l'efficacité était identique ;
Qu'il convient d'observer dès lors que le système de vente mis en place par la société MDV constituait des manœuvres dolosives qui ont eu pour but et pour effet de tromper les acquéreurs sur la qualité et l'efficacité de l'appareil vendu ainsi que sur les gains qu'ils pouvaient recevoir ;
Que les époux Besancenet n'ont conclu le contrat de vente litigieux qu'à la suite des manœuvres dolosives employées par la société MDV, manœuvres qui ont déterminé la volonté des acquéreurs ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de prononcer l'annulation de ce contrat de vente ;
Sur l'annulation du contrat de crédit
Attendu que l'offre préalable de crédit en date du 16 juin 1988 mentionne qu'elle est destinée à financer l'installation d'un régulateur hydrométrique ;
Attendu dès lors que les consorts Besancenet sont fondés à demander l'annulation de leur contrat de crédit accessoire au contrat de vente, par application de l'article 9 alinéa 2 de la loi du 10 janvier 1978 ;
Sur les restitutions et la radiation des consorts Besancenet du fichier des incidents de paiement
Attendu qu'à la suite de l'annulation des contrats de vente et de crédit, les parties doivent être remises dans l'état antérieur ;
Que dès lors, les consorts Besancenet doivent restituer à Me Di Martino ès qualités de mandataire-liquidateur, l'adoucisseur d'eau ;
Que l'UCB doit restituer aux consorts Besancenet la totalité des sommes versées par ceux-ci au titre du crédit, avec intérêts au taux légal ;
Qu'il convient d'observer que cet organisme de crédit serait en droit de réclamer à la société MDV le capital correspondant au prix du matériel (dans la mesure où les prescriptions de la loi du 25 janvier 1985 auraient été respectées), mais qu'une telle demande n'a pas été présentée à la cour ;
Qu'en revanche, la demande en paiement de l'UCB ne saurait prospérer, dès lors que les sommes correspondant au prix du matériel livré ont été directement versées à la société MDV Hydrologie ;
Attendu que dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à la demande des consorts Besancenet tendant à se voir radier du fichier des incidents de paiement en matière de crédit aux particuliers, sous astreinte ;
Sur les demandes en frais irrépétibles
Attendu qu'il convient de relever à cet égard que les consorts Besancenet ne présentent leur demande fondée sur l'article 700 du NCPC, qu'à l'encontre de l'UCB ;
Que dès lors, il n'apparaît pas inéquitable, au vu des circonstances de la cause, de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort sur l'appel formé par Monsieur et Madame Roger Besancenet à l'encontre du jugement rendu le 8 décembre 1993 par le Tribunal d'instance de Montbéliard, Donne acte à Madame Besancenet née Bockstahl et à Messieurs Thierry et Philippe Besancenet de leur intervention en leur qualité d'héritiers de Monsieur Roger Besancenet décédé le 25 novembre 1994, Réforme le jugement susvisé sauf en ce qui concerne la jonction des procédures en première instance, Déclare recevable l'action en annulation du contrat de vente passé entre les époux Besancenet et la société MDV Hydrologie, Constate l'extinction de la créance des consorts Besancenet à l'égard de la société MDV Hydrologie, Prononce l'annulation du contrat de vente passé entre les époux Besancenet et la société MDV Hydrologie ainsi que du contrat de crédit passé entre les époux Besancenet et l'Union de crédit pour le bâtiment (UCB), Ordonne la restitution - par les consorts Besancenet à Me Di Martino ès qualités, du matériel litigieux, - par l'union de crédit pour le bâtiment aux consorts Besancenet de la totalité des sommes versées par ceux-ci au titre du crédit, avec intérêts au taux légal, Déboute l'Union de crédit pour le bâtiment de sa demande en paiement des sommes, dirigée contre les consorts Besancenet, Ordonne à l'Union de crédit pour le bâtiment de faire procéder à la radiation des consorts Besancenet du fichier des incidents de paiement sous astreinte de cent francs (100 F) par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du NCPC, Condamne l'Union de crédit pour le bâtiment aux dépens de première instance et d'appel à l'exception de ceux engagés par Me Di Martino ès qualités, lesquels resteront à la charge de celui-ci, Dit que la SCP d'avoués Leroux-Meunier pourra se prévaloir des dispositions de l'article 699 du NCPC.