CA Rouen, ch. solennelle, 11 décembre 2001, n° 00-01574
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Basse-Normandie
Défendeur :
Dorange (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Gillet
Président :
M. Brunhes
Conseillers :
Mmes Le Carpentier, Jourdan, M. Gallais
Avoués :
SCP Gallière Lejeune Marchand Gray, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault
Avocats :
Mes Laniece, Bures.
I
I-1 Attendu que les époux Dominique Dorange, acquéreurs en 1985 d'un immeuble situé à Digosville, avaient financé cette acquisition au moyen d'un prêt consenti par la Caisse d'Epargne de Cherbourg (CEC), prêt expressément mentionné dans un acte authentique daté du 30 mai 1985 ; que ce prêt, après offre antérieure, avait été accepté par les emprunteurs le 23 mai 1985; qu'un défaut de paiement des échéances a conduit la CEC à délivrer le 13 décembre 1995 aux époux Dorange un commandement aux fins de saisie immobilière, auquel les intéressés ont répliqué en soulevant la nullité du contrat de prêt et en soulevant à titre subsidiaire une contestation relative aux intérêts, des délais pour aboutir à une vente amiable étant plus subsidiairement sollicités;
I-2 Attendu que par jugement du 24 juin 1996 le Tribunal de grande instance de Cherbourg a prononcé la nullité du contrat de prêt "avec toutes suites et conséquences de droit" ; que la Cour d'appel de Caen, saisie de l'appel relevé de cette décision par la CEC, a rendu le 2 septembre 1997 un arrêt confirmatif qui a été cassé par arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2000 ;
II
II -1 Attendu que devant la présente cour, juridiction de renvoi, la CEC demande que le prêt soit déclaré valable comme le commandement de saisie et que les prétentions contraires des époux Dorange soient rejetées ; qu'elle sollicite une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
II -2 Attendu que les époux Dorange, invoquant les articles L. 312-8, L. 312-10, L. 312-11, et L. 312-33 du Code de la consommation, 1109 et suivants du Code civil, concluent à la confirmation du jugement ; qu'à titre subsidiaire ils demandent que la CEC soit déchue de tout droit à intérêt ou à défaut aux intérêts compensatoires chiffrés à 152 236,06 F ; qu'ils sollicitent une somme de 15 000 F pour frais hors dépens ;
III
Sur la nullité alléguée du contrat de prêt
III -1 Attendu que pour prononcer cette nullité le tribunal a relevé que n'avaient pas été respectées lors de sa conclusion les dispositions de l'article L. 312-8 du Code de la consommation relatives à la remise aux clients, dans l'offre de prêt, d'un échéancier des amortissements, puisque ledit échéancier était daté du 13 mai 1985 ; que les intimés soulignent qu'entre cette date, qui est en fait celle de l'offre, et le 23 mai 1985 ne s'est pas écoulé le délai de dix jours exigé avant acceptation par l'article L. 312-10 du même code; qu'ils ajoutent que la mention du prêt dans l'acte notarié du 30 mai 1985 n'a pas valu nouvelle acceptation, sauf à priver de tout sens l'interdiction de dépôt ou de versement faite jusqu'à acceptation par l'article L. 312-11 du code précité, le prêteur ayant en l'espèce méconnu cette interdiction en débloquant une partie du crédit, ce qui aurait vicié en tout état de cause leur consentement ; qu'ils tirent d'une telle méconnaissance et du vice prétendu de leur consentement un second moyen de nullité du prêt ;
III-2 Mais attendu que dans le cas où une acceptation d'offre de prêt a été donnée par un emprunteur, de façon prématurée donc non-valable, avant l'écoulement du délai de dix jours exigé à l'article L. 312-10 du Code de la consommation, rien n'interdit de recueillir de la part du même emprunteur, s'il entend la formuler, une nouvelle acceptation après l'écoulement du même délai, cette acceptation renouvelée étant valable pour autant qu'elle soit donnée dans des conditions garantissant la parfaite connaissance de sa date et la complète réflexion dudit emprunteur, objet des dispositions protectrices dont s'agit ; qu'en l'espèce, entourée des garanties qui s'attachent à la passation d'un acte authentique s'agissant du recueil du consentement des parties, la volonté d'acquérir exprimée devant notaire, le 30 mai 1985 donc dans le respect du délai, par les époux Dorange qui n'acquéraient que grâce au crédit dont l'octroi et les conditions leur étaient rappelés, a valu nouvelle et valable acceptation du prêt, sauf à postuler qu'ils entendaient donner leur consentement à une opération dénuée d'objet ; que l'offre ainsi acceptée, dans des conditions exclusives de tout vice de consentement s'accompagnait de l'échéancier prévu à l'article L. 312-8 du code précité ; que la circonstance qu'avant cette date aient pu être faits des versements prévus à l'article L. 312-11 du même code ne contredit pas cette analyse puisque ce texte n'a pour portée que d'affranchir, dans le cas de tels versements, l'emprunteur encore non acceptant de toute obligation pouvant leur correspondre et non de vicier une acceptation qui leur serait postérieure ; que l'exécution largement consommée du prêt atteste au surplus de la parfaite adhésion des emprunteurs à l'opération actuellement critiquée ; que le grief de nullité sera donc écarté et le jugement infirmé sur ce point ;
IV
Sur les intérêts
IV-1 Attendu que pour obtenir déchéance totale des intérêts les époux Dorange invoquent les dispositions de l'article L. 312-33 du Code de la consommation punissant d'une amende l'emprunteur recevant une acceptation d'offre de prêt comportant une date fausse de nature à faire croire que ladite acceptation a été donnée dans le respect du délai de dix jours ; que pour obtenir déchéance des intérêts compensatoires ils font valoir que de tels intérêts ne peuvent être envisagés qu'au cas où le taux de l'intérêt conventionnel serait variable, et ne peuvent se cumuler avec une indemnité de 7 % des sommes dues, prévue par ailleurs ;
IV-2 Mais attendu que la disposition pénale invoquée apparaît étrangère aux données du litige ; que l'article 13 de l'offre acceptée prévoit les intérêts compensatoires pour les prêts à échéances progressives, ce qui est le cas en l'espèce ; que si le voisinage de tels intérêts et de l'indemnité de 7 % invoquée peut susciter une appréciation de cette dernière disposition eu égard à son possible caractère de clause pénale, force est de constater l'absence de demande en ce sens ; que toutes les prétentions subsidiaires des époux Dorange seront donc rejetées ;
V
Et attendu que les données de la cause ne font pas apparaître de motifs particuliers d'équité justifiant une application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirmant le jugement rendu le 24 juin 1996 par le Tribunal de grande instance de Cherbourg, Dit n'y avoir lieu à nullité du contrat de prêt consenti par la Caisse d'Epargne de Cherbourg aux époux Dominique Dorange, Rejette les prétentions subsidiaires des époux Dominique Dorange relatives aux intérêts dudit prêt, Constate la validité du commandement de saisie délivré aux époux Dominique Dorange le 13 décembre 1995 et portant sur un immeuble leur appartenant, situé à Digosville et cadastré section AD, n° 159, Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par les époux Dominique Dorange, avec pour ceux exposés devant la présente cour droit de recouvrement direct au profit de la SCP Galliere Lejeune Marchand Gray, avoués. Dit n'y avoir lieu à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens.