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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 2, 19 octobre 2001, n° 99-07874

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Leveaux

Défendeur :

Rathery, Real

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chaix

Conseillers :

MM. Dragne, Clouet

Avoués :

SCP Lefevre & Tardy, SCP Gas

Avocats :

Mes Grison, Reynard-Brun.

TI Mantes-la-Jolie, du 2 sept. 1999

2 septembre 1999

Faits et procédure,

Suivant acte notarié en date du 29 octobre 1998, Madame Rosselle a consenti à Monsieur Rathery et Madame Real une promesse de vente d'un terrain à bâtir sis à Adainville (78).

Monsieur Rathery et Madame Real ont accepté le bénéfice de cette promesse sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt ou plusieurs prêts du Crédit Agricole ou de tout autre organisme bancaire, d'un montant de 1 000 000 F au taux de 5,75 %, dans le respect des dispositions de l'article L. 312-16 du Code de la consommation; ils ont versé en contrepartie une indemnité d'immobilisation d'un montant de 38 000 F, séquestrée à la Caisse des Dépôts et des Consignations.

Il était convenu que Monsieur Rathery et Madame Real devaient déposer leur demande de prêt dans un délai de 15 jours suivant la signature de la promesse et informer dans un délai maximum de 6 semaines Madame Rosselle de l'obtention ou du refus de l'octroi du prêt ou des prêts par l'établissement financier.

Il était également stipulé que le promettant devrait mettre en demeure les bénéficiaires d'avoir à l'informer de l'obtention ou non du prêt à l'expiration du délai de 6 semaines.

Suivant acte d'huissier en date du 9 avril 1999, les consorts Rathery-Real ont fait assigner Madame Rosselle devant le Tribunal d'instance de Mantes-la-Jolie aux fins de voir constater à leur profit la non-réalisation de la condition suspensive de l'obtention d'un prêt ; d'obtenir la restitution de l'indemnité d'immobilisation ; de voir condamner Madame Rosselle à leur verser les intérêts échus depuis le 4 mars 1999 conformément à l'article 312-17 du Code de la consommation et à leur payer la somme de 10 000 F (1 524,49 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tout sous bénéfice de l'exécution provisoire.

A l'appui de leurs prétentions, les demandeurs ont fait valoir qu'ils n'ont pu obtenir le prêt sollicité auprès du Crédit Agricole ; que Madame Rosselle a cependant refusé de leur restituer, malgré de nombreuses relances, le montant de l'indemnité d'immobilisation. Les demandeurs n'ont fait état d'aucune autre demande de prêt formulée par eux auprès d'un autre organisme bancaire.

Madame Rosselle a conclu au rejet de ces prétentions ; a prétendu que les consorts Rathery-Real n'avaient pas rempli leurs obligations contractuelles en ne l'informant pas du dépôt de la demande de prêt ni du refus de l'obtention du prêt dans les délais stipulés dans le contrat ; que le véritable motif de la renonciation reposait sur la volonté unilatérale des bénéficiaires de la promesse de vente de ne plus acquérir le terrain en raison de la présence sur celui-ci d'un tas de fumier.

Par jugement contradictoire en date du 2 septembre 1999, le Tribunal d'instance de Mantes-la-Jolie a rendu la décision suivante :

Dit que l'indemnité d'immobilisation d'un montant de 38 000 F (5 793,06 euro) devra être restituée à Monsieur Rathery et Madame Real,

Dit que la Caisse des dépôts et des consignations devra remettre les fonds séquestrés à Monsieur Rathery et Madame Real,

Condamne Madame Rosselle épouse Leveaux à payer à Monsieur Rathery et Madame Real les intérêts au taux légal sur cette indemnité d'immobilisation depuis le 4 Mars 1999, et au taux légal majoré depuis le 19 mars 1999,

Déboute Monsieur Rathery et Madame Real de leur demande de dommages et intérêts,

Déboute Madame Leveaux de sa demande reconventionnelle,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement,

Condamne Madame Rosselle épouse Leveaux à verser à Monsieur Rathery et Madame Real la somme de 2 000 F (304,90 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamne Madame Rosselle épouse Leveaux aux dépens.

Par déclaration en date du 12 octobre 1999, Madame Jacqueline Rosselle veuve Leveaux a relevé appel de cette décision.

Elle soutient que les consorts Rathery-Real n'ont pas déposé leur demande de prêt dans le délai de 15 jours, soit avant le 13 novembre 1998 ; que la date du 3 novembre 1998 retenue par le tribunal correspondant au moment où les consorts Rathery-Real ont déposé les premiers éléments du dossier de demande de prêt ; que le dépôt d'un dossier incomplet ne peut être assimilé au dépôt d'un dossier complet; qu'en tout état de cause, cela a empêché l'organisme bancaire de donner une réponse dans le délai qui expirait le 10 décembre 1998 ; qu'il résulte d'un courrier adressé au Notaire le 25 janvier 1999 que les bénéficiaires ont en réalité renoncé à réaliser la vente en raison de la présence sur le terrain objet de la vente d'un tas de fumier.

De plus, elle soutient qu'il est constant que les consorts Rathery -Real ne lui ont pas fait connaître dans le délai contractuel, soit au plus tard le 10 décembre 1998, la réponse de l'organisme de prêt ; que l'information ne lui est parvenue que le 4 mars 1999.

Par conséquent, l'appelante demande en dernier à la cour de:

Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par Madame Leveaux,

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Vu l'article 1315 alinéa 2 du Code civil,

Vu l'article 1134 du Code civil,

Vu la promesse de vente en sa première partie et son chapitre consacré aux "Conditions suspensives stipulées dans l'intérêt du bénéficiaire", pages 5 et 6,

Constater que M. Rathery et Mme Real n'ont pas déposé un dossier complet de demande de prêt dans le délai contractuel requis,

Constater que M. Rathery et Mme Real n'avaient aucunement l'intention d'acquérir le terrain à bâtir objet de la promesse de vente, et donc de recourir à un crédit pour le financer, et ce dès le mois de novembre 1998, de sorte que l'on peut considérer qu'ils ont cessé toute diligence en ce sens avant le 3 novembre,

Constater que M. Rathery et Mme Real n'ont pas informé Mme Leveaux dans le délai de six semaines suivant la signature de la promesse, soit au plus tard le 10 décembre 1998, de l'obtention ou du refus de l'octroi d'un ou plusieurs prêts,

Dire et juger que les consorts Rathery-Real ayant informé Mme Leveaux le 25 janvier 1999, de leur intention de ne plus acquérir le terrain objet de la promesse, cette dernière n'était plus tenue de leur demander, par courrier, à l'issue des six semaines suivant la signature de la promesse, leurs intentions définitives,

Dire et juger que M. Rathery et Mme Real n'ont pas exécuté de bonne foi la convention qui les liait à Mme Leveaux,

Dire et juger en conséquence que Mme Leveaux est parfaitement fondée à demander à conserver l'indemnité d'immobilisation de 38 000 F (5 793,06 euro);

Ordonner le paiement de cette indemnité à Mme Leveaux avec intérêts légaux à compter de la demande,

Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

Condamner M. Rathery et Mme Real à payer à Mme Leveaux la somme de 15 000 F (2 286,74 euro) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamner la même aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Lefevre & Tardy, avoués à Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Jean-Luc Rathery et Mademoiselle Danielle Real répondent qu'ils ont déposé dans les délais requis une demande de prêt comme en atteste le Crédit Agricole qui précise avoir reçu la demande le 3 novembre 1998 ; que cet établissement ne leur a pas accordé le prêt ; que la promettante qui n'avait pas reçu d'information sur l'octroi du prêt n'a pas interrogé les bénéficiaires à l'issue du délai comme elle en était contractuellement tenue ; que l'acte de promesse stipule expressément que l'appropriation de l'indemnité d'immobilisation est subordonnée, non seulement à la non-information par les bénéficiaires du résultat de la demande de prêt, mais aussi à la condition que les bénéficiaires n'aient pas fixé le promettant dans les huit jours de l'interrogation qu'il devait leur adresser ; que l'argumentation de l'appelante quant aux supposés motifs véritables de la non-réalisation de la vente est mal fondée, sans portée et fallacieuse ; que la volonté des consorts Rathery-Real d'acquérir le terrain est attestée par le dépôt du permis de construire en date du 13 novembre 1998 ainsi que par la présence d'un panneau de permis de construire sur le terrain, constatée par un huissier en date du 22 décembre 1998.

Les intimés prient donc en dernier la cour de:

Débouter Madame Rosselle veuve Leveaux de son appel mal fondé et de l'intégralité de ses demandes.

Confirmer purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Mantes-la-Jolie le 2 septembre 1999.

Condamner Madame Rosselle veuve Leveaux à payer 15 000 F (2 286,74 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La condamner aux entiers dépens d'instance qui pourront être recouvrés par la SCP Gas, avoués près la Cour d'appel de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile

La clôture a été prononcée le 7 juin 2001 et l'affaire plaidée à l'audience du 18 septembre 2001.

Sur ce, LA COUR,

Considérant en droit qu'il est certes exact que les dispositions de l'article L. 312-16 du Code de la consommation sont d'ordre public, mais qu'il demeure que son application suppose nécessairement que les bénéficiaires de la promesse de vente aient fait toutes diligences utiles, complètes et loyales, pour obtenir en temps utile, un ou plusieurs prêts répondant aux caractéristiques convenues ;

Considérant, en la présente espèce, que Monsieur Rathery et Mademoiselle Real avaient l'obligation contractuelle de solliciter :

"Un ou plusieurs prêts" (Page 5 de l'acte) qui étaient précisés (page 13 de l'acte) de la manière suivante :

"Montant : 1 000 000 F (152 449,02 euro)

Durée : 15 ans

Taux : 5,75 % taux fixe,

4,85 % taux variable.

Organisme prêteur : "Crédit Agricole agence de Maurepas, ou tout autre organisme bancaire du choix du bénéficiaire";

Considérant qu'il est d'abord souligné que les bénéficiaires ne peuvent maintenant se borner à invoquer le refus d'un prêt qu'ils auraient essuyé de la part du Crédit Agricole à Maurepas, alors qu'ils avaient l'obligation de rechercher éventuellement "plusieurs prêts", et de plus, auprès de "tout autre organisme bancaire de leur choix", ce que manifestement ils n'ont jamais fait, se contentant de leurs seules démarches auprès du Crédit Agricole ;

Considérant, en outre, que le teneur même de leurs diligences et de leur demande auprès de ce Crédit Agricole de Maurepas demeurent mal précisées, et que, dans un premier temps, cette agence s'est bornée à délivrer une attestation très succincte, datée du 28 janvier 1999 par laquelle elle indiquait que M. Rathery et Melle Real avaient :

"Déposé une demande de prêt à notre agence, destinée aux financements suivants :

Acquisition d'un terrain, commune d'Adainville (78) + construction.

"Notre service des prêts n'a pu donner une suite favorable à ce dossier";

Considérant que ce document laconique n'indique même pas la date de la demande, ni le montant, ni la durée, ni le taux du prêt qui aurait été sollicité, ni les pièces qui avaient été fournies par les requérants, ni les raisons pour lesquelles ce prêt ne leur avait pas été accordé, ni la date de ce refus ; qu'il est patent que ce document ne permet pas aux intimés de faire la preuve qui leur incombe de la réalité de leurs diligences loyales et complètes ;

Considérant que, conscients de la faiblesse de ces informations qu'ils fournissaient, les intimés ont obtenu, 15 mois plus tard, une seconde attestation du Crédit Agricole, datée du 9 avril 1999, et qui n'est pas signée par le même directeur d'Agence ; que cette attestation indique certes, une date qui est celle du 3 novembre 1998, mais qu'elle ajoute simplement que c'est à cette date que l'agence a reçu : "... les premiers éléments du dossier de Monsieur Rathery...", et ce sans même parler de Mademoiselle Real qui est enseignante et qui a donc des revenus et qui devait, elle aussi, solliciter ce (ou ces) prêts ; que de plus, cette seconde attestation ne précise toujours pas quels étaient les caractéristiques de ce prêt, ni quelle était la teneur de ce dossier de demande et quels ont été ces "premiers éléments du dossier" qui, à l'évidence, ne suffisaient pas ; que la date et les motifs du refus ne sont pas indiqués ni confirmés, et que l'on ne sait donc toujours pas quel prêt a été en fait sollicité ;

Considérant enfin que les intimés n'ont jamais spontanément et loyalement, en temps utile, fait savoir à Madame Leveaux née Rosselle qu'ils avaient subi un refus de la part de l'Agence du Crédit Agricole de Maurepas (78);

Considérant que c'est donc en raison des carences fautives et du manque de diligences complètes des bénéficiaires que la condition suspensive d'obtention d'un ou de plusieurs prêts n'a pu s'accomplir ; qu'en application de l'article 1178 du Code civil, cette condition suspensive doit donc être réputée accomplie ;

Considérant par ailleurs que la simple circonstance que Madame Leveaux née Rosselle n'ait pas, comme convenu, mis les intimés en demeure d'avoir à lui communiquer la réponse de la banque au sujet de l'obtention du prêt, est sans influence sur la non-obtention de ce prêt, celle-ci étant entièrement imputable aux deux bénéficiaires ; qu'aucune faute ne peut donc être retenue de ce chef à la charge de la promettante pour faire échec à sa légitime demande de conserver l'indemnité d'immobilisation stipulée ; que le jugement est par conséquent entièrement infirmé et que les Consorts Rathery et Real sont déboutés des fins de toutes leurs demandes ; que la cour ordonne le paiement de cette indemnité d'immobilisation à Madame Leveaux née Rosselle, et ce avec intérêts au taux légal à compter de cette demande, formulée le 26 mars 2001 ; que de plus, la cour ordonne que ces intérêts échus dus sur cette somme de 38 000 F seront capitalisés, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 14 février 2000, date des conclusions de l'appelante formulant ce chef de demande ;

Considérant enfin que, compte tenu de l'équité, les intimés sont condamnés à payer 8 000 F (1 219,59 euro) à l'appelante en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et que le jugement est infirmé en ce qu'il leur a, à tort, accordé 2 000 F (304,90 euro) sur ce même fondement ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Vu l'article L. 312-16 du Code de la consommation et les articles 1134 et 1178 du Code civil : Fait droit à l'appel, et infirmant entièrement et statuant à nouveau : Dit et juge que Madame Leveaux née Rosselle est en droit de conserver l'indemnité d'immobilisation de 38 000 F (5 793,06 euro); Ordonne donc le paiement de cette indemnité d'immobilisation, avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2001; Vu l'article 1154 du Code civil ; Ordonne que les intérêts échus dus sur cette somme pour une année entière ou moins seront capitalisés ; Condamne Monsieur Rathery et Mademoiselle Real à payer à l'appelante 8 000 F(12 19,59 euro) en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les deux intimés à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre eux par la SCP d'avoués Lefevre & Tardy, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.