CA Paris, 2e ch. A, 16 janvier 1991, n° 89-23467
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Billot
Défendeur :
ECI (SARL), Manfredi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Delaroche
Conseillers :
Mmes Gouvernel, Timsit
Avoués :
SCP Duboscq, Pellerin, SCP Varin, Petit
Avocats :
Mes Corrin-Zys, Cohen.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par Annie Billot d'un jugement contradictoirement rendu le 7 juin 1989 par le Tribunal de grande instance de Créteil auquel il est référé pour l'exposé des faits de la procédure antérieure et des prétentions des parties.
Les faits de la cause peuvent être résumés comme suit
Suivant acte sous seing privé établi le 24 octobre 1987 par l'intermédiaire de la société Espace Conseil Immobiliers - ECI - Tony Manfredi a vendu à Annie Billot des locaux à usage d'habitation dépendant de la copropriété de l'immeuble sis 3 Avenue Ledru Rollin Le Perreux Sur Marne (94170) moyennant le prix de 320 000 F payable en totalité le jour de la signature de l'acte authentique prévue au plus tard le 24 février 1988 en l'Etude de Mes Claux Simonet Notaires à Créteil, cet acte avec versement effectif du prix et des frais conditionnant le transfert du droit de propriété au profit de l'acquéreur.
Annie Billot a versé le même jour, au compte de ECI Cie Bancaire choisie en qualité de séquestre, la somme de 32 000 F devant s'imputer sur le prix de la vente sauf application de l'une des conditions suspensives contenues dans la convention auquel cas elle serait intégralement restituée à l'acquéreur.
Outre une condition suspensive se rapportant au certificat d'urbanisme, l'acte a stipulé que la vente était consentie et acceptée sous la condition suspensive que l'acquéreur obtienne d'ici le 15 décembre 1987 au plus tard un ou plusieurs prêts du montant global nécessaire au financement de son acquisition.
Il a précisé que cette condition suspensive serait considérée comme réalisée dès que l'acquéreur aurait reçu une ou plusieurs offres de prêts des organismes financiers sollicités par lui-même ou par le rédacteur de l'acte ou par les deux à la fois, offres couvrant le montant global d'emprunt nécessaire au financement de son acquisition.
Que si passé un délai de 30 jours à compter de la signature de la convention, les démarches de l'acquéreur ou du rédacteur aboutissaient à un refus, l'acquéreur pouvait sans plus attendre reprendre sa liberté et récupérer l'indemnité versée par lui à moins qu'il ne renonce à recourir à un emprunt, le rédacteur devant être averti de sa décision "au plus vite".
L'acte a encore ajouté que si cette condition suspensive ne se réalisait pas dans le délai convenu sans qu'il y ait faute des parties, " les présentes seront considérées comme nulles et non avenues et la somme remise par l'acquéreur à titre d'acompte lui sera restituée immédiatement contre justification du refus opposé par la ou les banques sollicitées. Que par contre si ce défaut de réalisation résultait d'une faute de l'acquéreur, la condition suspensive serait considérée comme réalisée conformément à l'article 1178 du Code civil, le vendeur et le rédacteur se réservant le droit de réclamer en justice des dommages-intérêts pour immobilisation abusive des biens à vendre ".
Un état de financement a été joint à la convention ainsi établi :
Somme à financer
- Prix principal de la vente : 320 000 F
- Provision pour frais d'acte : 38 000 F
- Frais de négociation (si ceux-ci sont prévus à la charge de l'acquéreur) : 0 F
Total : 358 000 F
Plan de financement suivant déclaration de l'acquéreur
- Deniers personnels et assimilés : 108 000 F
- Prêts Bancaires : 250 000 F
Total : 358 000 F
Ressources mensuelles de l'acquéreur : 7 000 F
Caractéristiques des prêts
Montant maximum des remboursements au cours de la 1ère année : 2 300 F par mois
Durée du prêt : 20 ans, progressif
Organismes financiers sollicités du choix de l'acquéreur
UCB - CAFPI
CGIB - CREDITA
Midland Bank
L'acquéreur pour le cas où ses propres démarches n'aboutiraient pas a mandaté le rédacteur afin de solliciter en son nom et aux mêmes conditions un financement global de 250 000 F.
Le 4 novembre 1987 Annie Billot est allée consulter la Société Générale où, elle était titulaire d'un plan epargne logement. Cette banque lui a fourni un état des prêts possibles en fonction des durées de remboursement sollicitées et du montant des droits à prêt acquis par elle.
Le lendemain 5 novembre Annie Billot, par lettre recommandée avec avis de réception a informé la société ECI de ce que les conditions de crédit proposées par sa banque n'étaient pas satisfaisantes et qu'elle ne pouvait les accepter. Qu'elle ne pensait pas que les conditions de crédit que pourrait lui accorder l'UCB auprès de laquelle un dossier avait été déposé par l'intermédiaire de ECI seraient plus satisfaisantes.
Elle a déclaré renoncer à l'acquisition projetée et demandé la restitution de la somme de 32 000 F versée par elle le 24 octobre 1987.
Néanmoins une offre de crédit lui a été faite le 13 novembre 1987 par l'UCB portant sur la somme de 250 000 F remboursable en 20 ans par échéances mensuelles de 2 294,74 F du 1er février 1988 au 1er janvier 1990, la première augmentée des frais et s'élevant progressivement ensuite jusqu'à la somme de 3 504,97 F pour la période du 1er février 2001 au 1er janvier 2008.
Il n'est pas contesté qu'Annie Billot a "par retour de courrier" refusé cette offre auprès de l'UCB.
Par lettre recommandée du 18 novembre 1987 à la société ECI elle a fait valoir d'une part que son plan épargne logement qu'elle lui avait soumis ne permettait pas un prêt du montant qu'elle lui avait fait escompter, d'autre part que les remboursements (de la seconde offre de prêt) étaient trop élevés compte tenu de son salaire et de ses charges. Elle a déclaré à nouveau renoncer à l'achat qu'elle souhaitait et réclamé la restitution de la somme de 32 000 F.
Après des échanges de courriers et prises de contact avec le vendeur M. Manfredi, Mes Claux et Simonet, Notaires, la société ECI laquelle refusait la restitution sollicitée de l'indemnité de 32 000 F, au motif que la proposition de l'UCB était conforme au plan de financement prévu à l'acte de vente, Annie Billot a fait assigner cette société afin que la condition suspensive d'obtention de prêt soit jugée non-réalisée et la défenderesse condamnée notamment à lui rembourser l'acompte de 32 000 F augmenté des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 1987.
M. Manfredi est intervenu volontairement à l' instance et c'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement déféré qui a :
Dit que Melle Billot est responsable de la non-réalisation de la vente.
Dit que les fonds séquestrés aux mains d'ECI doivent revenir au vendeur.
Dit que sur ces fonds ECI est autorisée à prélever la somme de 30 000 F.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Condamné Mme Billot aux dépens.
Dans des écritures aux motifs desquels la cour se rapporte pour l'exposé des moyens des parties :
- Annie Billot sollicite la réformation de ce jugement. Se fondant sur l'article 5 de la loi du 13 juillet 1979 elle soulève la nullité de l'offre de crédit "irrégulièrement annexée à l'acte du 24 octobre 1987 ",
Subsidiairement, "vu l'article 17 de la même loi et ses propres lettres des 5 et 18 novembre 1987" elle demande que soit constaté l'absence de faute de sa part dans sa renonciation à l'acquisition ainsi que la non-résiliation (en réalité réalisation) de la condition suspensive d'obtention de prêt.
Elle réclame le remboursement par la société ECI de la somme de 32 000 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 1987 et sa condamnation à lui verser les sommes de 4 000 F à titre de dommages-intérêts et de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
La société ECI conclut à la confirmation du jugement et au rejet des demandes de Annie Billot.
Elle réclame le versement de la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Tony Manfredi assigné en intervention selon les modalités de l'article 659 du NCPC ne comparait pas.
Cela étant exposé, LA COUR,
Considérant en la forme que la cour, conformément aux dispositions de l'article 474 du NCPC estime n'y avoir lieu à nouvelle citation de Tony Manfredi ;
Considérant qu'en application du même article, et un des intimés ayant comparu, le présent arrêt sera réputé contradictoire;
Au fond
Considérant qu'il est constant que le litige soumis à la cour entre dans le champ d'application de la loi du 13 juillet 1979 relative "a l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier";
Considérant qu'il ressort aussi du droit commun des obligations ;
Considérant que l'article 17 de la loi du 13 juillet 1979 dispose "Lorsque l'acte mentionné à l'article 16 (en l'espèce le contrat de vente), indique que le prix est payé directement ou indirectement, même partiellement, à l'aide d'un ou plusieurs prêts régis par le chapitre 1er de la présente loi, cet acte est conclu sous la condition suspensive de l'obtention du ou des prêts qui en assument le financement - La durée de validité de cette condition suspensive ne pourra être inférieure à un mois à compter de la date de la signature de l'acte...
Lorsque la condition suspensive prévue au premier alinéa du présent article n'est pas réalisée toute somme versée d'avance par l'acquéreur à l'autre partie ou pour le compte de cette dernière est immédiatement et intégralement remboursable sans retenue d'indemnité à quelque titre que ce soit ;
Considérant que la durée d'un mois est opposable à toutes les parties concernées ;
Considérant en l'espèce que dès le 5 novembre 1987, soit douze jours seulement après la signature de la vente sous seing privé à elle consentie, Annie Billot a informé la société ECI de ce qu'elle renonçait a son achat et a réclamé la restitution de l'indemnité versée par elle ;
Considérant qu'à cette date elle n'avait encore reçu aucune offre de prêt dans les termes de l'article 5 de la loi susvisée du 13 juillet 1979, les pièces à elle remises par la Société Générale n'étant qu'une notice type envisageant différentes possibilités de prêts en fonction de la durée de leur remboursement et le plan de financement annexé à l'acte du 24 octobre 1987, bien que valable contrairement aux dires de Annie Billot, ne pouvant ni constituer cette offre ni une acceptation préalable à une quelconque proposition d'offre ;
Considérant au surplus, que l'emprunt envisagé par Annie Billot auprès de sa banque était destiné non au financement prévu à l'acte mais à lui permettre de s'acquitter de la somme de 108 000 F stipulée payable de ses deniers personnels ou assimilés ;
Considérant dès lors que la loi du 13 juillet 1979 n'était pas applicable au 5 novembre 1987 - Que les demandes formées par Annie Billot à cette date auprès de ECI étaient donc mal fondées, l'acquéreur ne pouvant en application du droit commun des obligations révoquer unilatéralement les dispositions d'un contra synallagmatique ;
Considérant cependant que la société ECI n'a pas soulevé ce moyen dès lors qu'une seconde offre de prêt a été faite par son intermédiaire dès le 13 novembre 1987 à Annie Billot, offre dont elle s'est prévalue notamment dans ses courriers des 12 novembre et 3 décembre 1987 ;
Considérant qu'il est constant que cette offre faite par l'UCB dans les termes de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1979 correspondait aux volontés émises par Annie Billot dans l'acte de vente sous seing privé du 24 octobre 1987 et était proposée dans le délai d'un mois de cet acte ;
Mais considérant que l'article 7 de la loi susvisée édicte à son paragraphes 2 : "L'offre est soumise à l'acceptation de l'emprunteur ... L'emprunteur... ne peut accepter l'offre que dix jours après qu'il l'ait reçue. L'acceptation doit être donnée par écrit contre récépissé";
Considérant qu'il résulte indubitablement de ce texte que pour être valable et remplir la condition suspensive d'obtention d'un prêt, l'offre de ce prêt doit être acceptée par l'emprunteur qui bénéficie d'un délai de réflexion de dix jours imposé par la loi pour décider de cette acceptation ;
Considérant que les dispositions contractuelles, en l'espèce celles contenues dans l'acte du 24 octobre 1987, ne sauraient faire échec à ces prescriptions légales qui sont d'ordre public ;
Qu'il résulte de ces dernières que si l'emprunteur a la faculté d'accepter il a aussi celle de renoncer à l'offre ;
Considérant que cette renonciation n'est assortie d'aucun délai. Qu'à bon droit Annie Billot a dénoncé au prêteur et à l'intermédiaire du vendeur son refus de l'offre avant le délai de dix jours prévu par la loi au cas d'acceptation seulement, cette dénonciation rapide étant de l'intérêt soit de l'UCB soit de ECI ;
Considérant qu'il suit de ces éléments que la condition suspensive de l'obtention du prêt qui exige l'acceptation de ce prêt par l'acquéreur n'a pas été remplie ;
Considérant que Annie Billot est donc fondée à solliciter la restitution de la somme, de 32 000 F versée par elle en avance sur le prix de la vente et séquestrée entre les mains de la société ECI pour le compte du vendeur ;
Considérant sur les intérêts sollicités que Annie Billot a mis en demeure la société ECI de lui verser cette somme dans sa lettre recommandée du 18 novembre 1987 ;
Qu'il convient donc de dire que ladite somme de 32 000 F portera intérêts au taux légal à la charge de la société ECI à compter de cette date :
Considérant que le retard résultant du refus de restitution par cette société est suffisamment réparé par les intérêts ci-dessus ordonnés ;
Que la cour n'estime pas y avoir lieu de faire droit à la demande de dommages-intérêts de Annie Billot ;
Considérant à toutes fins que la société ECI qui sollicite la confirmation du jugement admet que ses honoraires fixés à 30 000 F sont en réalité à la charge du vendeur dès lors qu'elle accepte le chef de cette décision qui l'a autorisée à prélever cette somme sur les fonds séquestrés entre ses mains et devant revenir à ce vendeur :
Qu'au surplus dans le plan de financement annexé à l'acte du 24 octobre 1987, sous la rubrique "somme à financer", aucun réponse n'est fournie au paragraphe "Frais de négociation (si ceux-ci sont prévus à la charge de l'acquéreur)";
Considérant que la société ECI sera déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à Annie Billot la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'instance et d'appel évalués à 6 000 F lesquels seront mis à la charge de la société ECI ainsi qu'il est sollicité ;
Considérant que Tony Manfredi et la société ECI seront condamnés aux dépens d'instance et d'appel ;
Par ces motifs, Statuant par arrêt réputé contradictoire, Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception du rejet des demandes formées par Tony Manfredi et la société Espace Conseil Immobilier - ECI - en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qui est confirmé ; Juge non-réalisée la condition suspensive d'obtention d'un prêt par Annie Billot, Ordonne la restitution à cette dernière de la somme de 32 000 F versée par elle le 24 octobre 1987 en avance sur le prix de vente, Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à la charge de la société ECI, à compter du 18 novembre 1987, Dit que la société ECI séquestre devra remettre ladite somme augmentée des intérêts à Annie Billot au plus tard dans les huit jours de la signification du présent arrêt moyennant quoi elle sera valablement déchargée, Condamne la société ECI à verser à Annie Billot la somme de 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile faite en cause d'instance et d'appel, Rejette l'ensemble des demandes de la société ECI et de façon générale toute autre demande plus ample ou contraire, Condamne Tony Manfredi et la société ECI aux dépens d'instance et d'appel, Admet la SCP Duboscq et Pellerin, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.