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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 13 mars 2001, n° 98-02319

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Hoffmann, Prostock (SARL)

Défendeur :

Chaudet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Dory

Conseillers :

MM. D'Ersu, Delache

Avoués :

SCP Bonet-Leinster-Wisniewski, SCP Millot-Logier-Fontaine

Avocats :

Mes Heit, Rommelfangen, Mercie.

TGI Bar-le-Duc, du 28 mai 1998

28 mai 1998

Suite à une annonce parue dans un journal spécialisé, "la vie de la moto", Monsieur Thierry Chaudet a acquis le 29 juin 1996 auprès de Monsieur Olivier Hoffmann une moto de marque Triumph modèle Trident T 160 1976, moyennant le prix de 32 000 F.

Par exploit du 11 décembre 1996, Monsieur Chaudet a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc aux fins de désignation d'un expert judiciaire chargé d'examiner le véhicule et dire s'il présentait à la date de la vente des vices de nature à le rendre impropre à sa destination.

Le 23 janvier 1997, le juge des référés ordonnait cette expertise en la confiant à Monsieur Robert Hazan, qui établissait son rapport le 3 juillet 1997.

Par acte du 31 janvier 1997, Monsieur Chaudet a saisi le Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc aux fins d'obtenir la condamnation in solidum de Monsieur Hoffmann et de la SARL Prostock à lui payer 55 920 F de dommages et intérêts se décomposant comme suite:

- 20 181 F au titre de la remise en état du cadre,

- 15 739 F au titre de la remise en état du moteur,

- 20 000 F au titre de la perte de jouissance.

Il demandait en outre le bénéfice de l'exécution provisoire ainsi que 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la condamnation des défendeurs aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise.

Monsieur Chaudet fondait son action sur la garantie des vices cachés.

Monsieur Hoffmann et la société Prostock opposaient la fin de non recevoir de l'action en raison de sa tardiveté;

Subsidiairement la société Prostock demandait sa mise hors de cause au motif que seul Monsieur Hoffmann était vendeur de la chose et ce dernier arguait de son ignorance des vices et contestait les conclusions de l'expertise.

Par jugement rendu le 28 mai 1998, le Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a :

- Rejeté la f in de non recevoir tirée du bref délai pour agir;

- Condamné in solidum Monsieur Hoffmann et la SARL Prostock à payer à Monsieur Chaudet les sommes suivantes:

- trente cinq mille neuf cent vingt francs (35 920 F) au titre de la remise en état;

- dix mille francs (10 000 F) à titre de dommages-intérêts;

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision;

- Condamné in solidum Monsieur Hoffmann et la SARL Prostock à payer à Monsieur Chaudet la somme de huit mille francs (8 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- Condamné in solidum Monsieur Hoffmann et la SARL Prostock aux dépens, qui comprendront en outre les frais d'expertise de Monsieur Hazan pour la somme de douze mille cinq cent quatre-vingt huit francs cinquante cinq (12 588,55 F);

Appel de cette décision a été interjeté par Monsieur Hoffmann et par la société Prostock suivant déclaration en date du 29 juillet 1998. Ils demandent à la cour de:

- déclarer recevable leur appel et y faire droit,

- en conséquence de quoi, infirmer le jugement entrepris en toutes ces dispositions et dans son effet dévolutif

A titre principal

- Accueillir l'exception de forclusion tirée de la tardiveté de l'introduction de l'instance, conformément à l'article 1648 du Code civil.

- En conséquence de quoi débouter de tous ses chefs de demandes l'intimé.

- Condamner Monsieur Chaudet à 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- Condamner Monsieur Chaudet aux entiers frais et dépens nés de la présente instance.

A titre subsidiaire:

Vu les articles 244 et 246 du nouveau Code de procédure civile.

- Constater que la motocyclette de marque Triumph daté de 1976 et de ce fait est un véhicule de collection.

- Constater que le rapport de Monsieur Hazan n'en tient pas compte.

En conséquence,

- Ecarter ce dernier,

- Nommer un nouvel expert spécialiste en motos de collection.

- débouter de tous ses chefs de demandes Monsieur Chaudet.

- En conséquence de quoi refuser d'accueillir sa demande fondée sur l'article 1641 du Code civil.

- Condamner Monsieur Chaudet à 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- Condamner Monsieur Chaudet aux entiers frais et dépens nés de la présente instance, ceux d'appel étant recouvrés directement par la SCP Bonet, Leinster & Wisniewski, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions de son mandataire, Monsieur Chaudet s'oppose aux prétentions des appelants et demande à la cour de :

Déclarer l'appel interjeté par Monsieur Hoffmann et la SARL Prostock irrecevable et mal fondé.

Les en débouter ainsi que de toutes demandes fins et conclusions.

Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Y ajoutant fixer une somme de 15 000 F les frais irrépétibles correspondant aux dépenses exposées par Monsieur Chaudet pour assurer sa défense devant la cour.

Débouter les parties adverses de toutes fins et conclusions contraires.

Les condamner aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Millot, Logier & Fontaine, avoués à la cour aux offres de droit.

Sur ce :

Vu la décision entreprise;

Vu les dernières conclusions déposées par la SCP Bonet, Leinster & Wisniewski le 20 janvier 2000;

Vu les dernières conclusions déposées par la SCP Millot, Logier & Fontaine le 7 juillet 2000;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 8 novembre 2000;

Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'action

Attendu que les appelants arguent de la tardiveté de l'action fondée sur l'article 1641 du Code civil estimant que Monsieur Chaudet n'a pas introduit son action dans le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil dès lors qu'il a découvert les vices cachés le 8 juillet 1996 et n'a agi en référé que le 11 décembre suivant;

Que Monsieur Chaudet conclut au rejet de fa fin de non-recevoir invoquée, exposant que ce n'est que lorsque la moto a été révisée pour sa remise en route en octobre 1996 que les vices sont apparus et qu'il a moins de deux mois plus tard saisi le juge des référé par exploit du 11 décembre 1996;

Attendu que des pièces contradictoirement versées aux débats et plus précisément d'une facture et d'un devis établis les 10 et 16 octobre 1996 par l'atelier de réparations "machines et moteurs" il ressort qu'à l'occasion de travaux de révision sur la moto litigieuse certaines anomalies telles qu'une fuite de moteur et une torsion du cadre ont été détectées justifiant une "vérification sur marbre";

Qu'un contrôle a été opéré par l'entreprise Moto cadre service le 22 octobre 1996 qui a révélé que la fourche et le cadre étaient faussés;

Qu'il n'est, contrairement aux allégations des appelants, nullement démontré que de telles anomalies auraient été connues avant octobre 1996 de Monsieur Chaudet;

Que c'est donc bien en octobre 1996 que ce dernier a su que sa moto était affectée de défauts, notamment d'une torsion du cadre;

Qu'ayant assigné en référé le 11 décembre 1996 pour obtenir une expertise judiciaire de son engin, Monsieur Chaudet a bien agi à bref délai, ainsi que l'exige l'article 1648 du Code civil;

Sur les vices cachés et la garantie de Monsieur Hoffmann :

Attendu que l'expert Monsieur Hazan commis par le juge des référés de Bar-le-Duc suivant ordonnance du 23 janvier 1997 a constaté dans son rapport en date du 3 juillet 1997 que la moto était affectée d'anomalies constituées par des remontées d'huile anormales et une déformation du cadre dont il a indiqué qu'elles étaient anciennes et préexistaient à la vente en date du 29 juin 1996;

Qu'il a considéré que ces vices rendaient la moto impropre à sa destination;

Que les appelants contestent la compétence de l'expert s'agissant d'une moto de collection;

Mais attendu que même si la moto litigieuse de marque Triumph modèle Trident T 160 est un véhicule de collection, cette circonstance n'a pu échapper à l'expert qui a relevé très exactement toutes ses caractéristiques et notamment la date de première mise en circulation, à savoir le 27 février 1976;

Que les appelants ne fournissent aucun élément circonstancié propre à établir la fausseté des constatations ou des considérations techniques circonstanciées émises par l'expert;

Que même "de collection", la moto litigieuse avait vocation à rouler et non à être exposée;

Que dans ces conditions l'expert a justement relevé que les défauts constatés sur l'engin rendaient celui-ci impropre à sa destination;

Qu'il ne saurait en effet être contesté que la tenue de route de la moto est compromise par le défaut de parallélisme du cadre qui est faussé et qui rend la conduite de l'engin dangereuse ainsi qu'il ressort du reste de la facture établie par la société Moto Cadre Service le 22 octobre 1996 après l'examen du véhicule litigieux; que par ailleurs les montées d'huile compromettent le bon fonctionnement du moteur et par suite celui de la moto;

Que de l'ensemble de ces énonciations il s'évince que la preuve se trouve bien rapportée qu'au moment où Monsieur Chaudet a acquis la moto litigieuse celle-ci se trouvait affectée de vices la rendant impropre à son usage sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise;

Qu'il n'est aucunement justifié de ce que Monsieur Chaudet aurait été informé des vices au moment de la vente;

Qu'il ne saurait par ailleurs être soutenu que les vices étaient indécelables alors que ceux ci ont été révélés lorsque Monsieur Chaudet a confié la moto pour réparations à un atelier;

Que Monsieur Hoffmann est en conséquence tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la moto qu'il a vendu à Monsieur Chaudet sur le fondement de l'article 1641 du Code civil sans qu'il soit nécessaire de démontrer s'il a ou non rempli son devoir d'information;

Que par ailleurs si Monsieur Chaudet pouvait agir contre le premier vendeur de la moto, Monsieur Benoit, qui a cédé le véhicule à Monsieur Hoffmann, il n'en demeure pas moins qu'il est parfaitement recevable à agir contre son propre vendeur, Monsieur Hoffmann ;

Sur la garantie de la société Prostock:

Attendu que la société Prostock conteste que sa propre garantie puisse être recherchée dès lors que seul Monsieur Hoffmann est intervenu comme vendeur ;

Que le tribunal a estimé que la SARL Prostock était intervenue comme mandataire apparent de Monsieur Hoffmann et qu'en cette qualité, alors qu'elle était professionnelle de la vente de pièces détachées pour moto, elle avait commis une faute et engagé sa garantie en ne procédant pas aux vérifications nécessaires qui auraient révélé les vices cachés affectant le véhicule litigieux;

Que Monsieur Chaudet fait valoir que Monsieur Hoffmann et son mandataire (la SARL Prostock) qui a mis à disposition son numéro de téléphone, ses locaux et son papier à entête de manière à le faire apparaître à l'acquéreur comme intéressé à la transaction et à en certifier le bon déroulement doivent être condamnés in solidum;

Attendu cependant que la moto a été vendue par Monsieur Hoffmann ainsi qu'il ressort du certificat de cession du véhicule;

Que Monsieur Chaudet n'a jamais considéré la société Prostock comme étant la venderesse du véhicule puisque c'est bien Monsieur Hoffmann qu'il recherche en qualité de vendeur;

Attendu qu'il n'est pas justifié de l'emploi de papier à entête de la société Prostock dans le cadre de la transaction;

Que le fait que le numéro de téléphone de la SARL Prostock ait figuré dans l'annonce et que la vente ait eu lieu dans les locaux de la société Prostock, s'il a pu convaincre Monsieur Chaudet que la SARL Prostock représentée par son gérant Monsieur Hoffmann intervenait en qualité de mandataire de Monsieur Hoffmann vendeur particulier, ne saurait pour autant faire supporter à cette dernière la garantie des défauts de la chose vendue dès lors qu'elle n'est pas venderesse de la moto litigieuse;

Que par ailleurs il ne saurait être reproché un quelconque manquement à la société Prostock intervenue comme mandataire du vendeur dans la transaction litigieuse dès lors qu'elle ne s'est pas engagée à l'égard de Monsieur Chaudet à le garantir des vices pouvant affecter le véhicule qu'il acquerrait et que n'étant pas vendeuse professionnelle de motos mais vendeuse professionnelle de pièces détachées ainsi qu'en atteste l'article 2 de ses statuts qui détermine son objet, il n'est pas justifié qu'elle ait eu connaissance des vices qui affectaient la machine et qu'elle n'aurait pas respecté son devoir d'information;

Qu'il convient en conséquence de débouter Monsieur Chaudet de ses demandes dirigées contre la société Prostock, le jugement étant sur ce point infirmé;

Sur le préjudice:

Attendu que Monsieur Chaudet entend poursuivre une action estimatoire ;

Que cependant Monsieur Hoffmann fait valoir qu'il ignorait les vices qui affectent la moto vendue à Monsieur Chaudet;

Que si une telle ignorance est sans incident sur l'obligation à garantir les défauts des vices cachés, en application de l'article 1643 du Code civil, Monsieur Hoffmann qui n'est pas un vendeur de motos même s'il est collectionneur de motos et dirigeant d'une société qui commercialise les pièces détachées de motos ne saurait être considéré comme tenu de connaître les vices affectant la chose vendue;

Que Monsieur Chaudet ne démontre pas que Monsieur Hoffmann aurait eu connaissance des vices cachés affectant la moto;

Que dans ces conditions, l'article 1645 du Code civil ne lui est pas applicable;

Que les premiers juges ne pouvaient en conséquence que procéder à une réduction du prix et non ainsi qu'ils l'ont fait, octroyer à Monsieur Chaudet un montant supérieur au prix de vente au motif qu'il s'agissait de frais de remise en état à la mesure de la valeur de la chose et lui allouer encore des dommages-intérêts;

Que compte tenu de la nature des vices cachés affectant le véhicule et du montant des réparations l'expert a justement évalué à 6 000 F le montant de la machine au moment de son acquisition alors que celle-ci a été vendue 32 000 F;

Qu'il convient en conséquence d'opérer une réduction du prix de 26 000 F et de condamner Monsieur Hoffmann à verser cette somme à Monsieur Chaudet au titre de la garantie des vices cachés affectant la moto;

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que Monsieur Hoffmann qui succombe doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel sauf en ce qui concerne ceux concernant l'action dirigée contre la SARL Prostock qui doivent être supportés par Monsieur Chaudet dont les prétentions à l'égard de cette dernière sont rejetées;

Que Monsieur Hoffmann doit, dès lors qu'il succombe, être seul condamné au paiement de 5 000 F à hauteur d'appel sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre 5 000 F, sur le même fondement en première instance;

Qu'en équité toute autre demande au titre des frais irrépétibles doit être rejetée;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, - Déclare Olivier Hoffmann et la société Prostock recevables en leur appel dirigé contre un jugement rendu le 28 mai 1998 par le Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc; - Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du bref délai pour agir; - Infirme le jugement entrepris en ses autres dispositions et statuant à nouveau : - Condamne Olivier Hoffmann à payer à Thierry Chaudet vingt-six mille francs (26 000 F) soit 3 963,67 euro au titre de la réduction du prix de vente de la moto sur le fondement de la garantie des vices cachés; - Déboute Thierry Chaudet de ses demandes dirigées à l'égard de la société Prostock; - Condamne Olivier Hoffmann à payer à Thierry Chaudet, sur le fonde ment de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, cinq mille francs (5 000 F) soit 762,25 euro en première instance et cinq mille francs (5 000 F) soit 762,25 euro à hauteur d'appel; - Déboute Thierry Chaudet de toutes autres demandes dirigées à l'égard d'Olivier Hoffmann , - Déboute les parties de toute autre demande; - Condamne Thierry Chaudet aux dépens de première instance et d'appel concernant son action dirigée contre la société Prostock; - Condamne Olivier Hoffmann aux dépens de première instance et d'appel concernant l'action dirigée à son égard par Thierry Chaudet ainsi que les frais de l'expertise de Monsieur Hazan pour la somme de douze mille cinq cent quatre-vingt huit francs cinquante cinq (12 588,55 F) soit 1 919,11 euro; Autorise la SCP Bonet, Leinster & Wisniewski avoués associés à la cour et la SCP Millot, Logier & Fontaine avoués associés à la cour, mais seulement en ce qui concerne la société Prostock, à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.