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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 13 novembre 1998, n° 96-00005220

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

AGF (Sté)

Défendeur :

MEA (Sté), Abeille Paix (Sté), Heuliez Bus (Sté), Les Mutuelles du Mans, Pool Groupe (RAS), PRIM (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. FALCONE

Conseillers :

Mmes Simonnot, Bouyala

Avoués :

SCP Gas, SCP Keime-Guttin, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Delormeau, Guillaume, SCP Monfort.

TGI Chartres, 1re ch., du 10 avr. 1996

10 avril 1996

FAITS ET PROCEDURE

Le Syndicat Intercommunal des Transports Urbains de l'Agglomération Chartraine (SITUAC) a acquis de la société Heuliez Bus deux autobus urbains qu'il a réceptionnés le 13 décembre 1988.

Le 18 décembre 1988 au matin, un des autobus a été entièrement détruit par un incendie, alors qu'il était entreposé sur un parking.

Une expertise a été ordonnée par le Juge Administratif saisi en référé par le SITUAC et l'expert a déposé son rapport le 15 décembre 1989.

Par jugement du 4 novembre 1993, le Tribunal Administratif d'Orléans s'est déclaré incompétent au profit des juridictions de l'ordre judiciaire.

Le SITUAC a alors assigné la Société Heuliez Bus devant le Tribunal de grande instance de Chartres.

La MEA, assureur dommages du SITUAC, ainsi que les Compagnies PRIM, Abeille Paix, Mutuelles du Mans et le Pool Groupe RAS, co-assureurs, sont intervenus volontairement à la procédure, comme subrogés dans les droits de leur assuré.

La Société Heuliez Bus a, par ailleurs, assigné en garantie son assureur, les AGF

Par jugement du 10 avril 1996, le Tribunal de Grande Instance de Chartres a :

- déclaré le SITUAC irrecevable pour défaut de qualité à agir,

- condamné in solidum Heuliez Bus et les AGF à rembourser à la MEA la somme de 933 021 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 février 1991,

- dit que les AGF devaient garantir leur assuré, Heuliez Bus, sous réserve de la franchise,

- condamné Heuliez Bus et les AGF à verser à la MEA et aux autres assureurs une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Compagnie AGF a interjeté appel de cette décision.

Elle soulève l'irrecevabilité de l'action de la MEA, assureur du SITUAC, soutenant qu'elle doit suivre le sort de l'action principale, déclarée irrecevable.

Elle oppose à Heuliez Bus l'exclusion de sa garantie, s'agissant pour celle-ci d'une obligation conventionnelle, excédant les limites de la garantie légale, seule assurée.

Au cas où sa garantie serait toutefois recherchée sur le fondement des vices cachés, elle conteste que l'expertise permette d'imputer le sinistre à ceux-ci.

Elle soulève subsidiairement la prescription de l'action.

A titre très subsidiaire, elle conteste le montant de la somme allouée et soutient que la franchise est opposable à tous les intimés, y compris la MEA ;

La Société Heuliez Bus soulève l'irrecevabilité de l'action de la MEA ;

Elle soutient à titre subsidiaire que le tribunal a à tort inversé la charge de la preuve et qu'il appartenait aux demandeurs de faire la preuve d un vice affectant le véhicule et du lien de causalité entre ce vice et le sinistre.

Elle fait valoir que cette preuve ne peut, au vu du rapport d'expertise, être rapportée. Elle demande à titre très subsidiaire à être garantie par les AGF ;

Elle sollicite une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La MEA, le Groupe PRIM, la Compagnie Abeille Paix, les Mutuelles du Mans et le Pool Groupe RAS concluent à la confirmation du jugement, demandent que la somme de 933 021 F soit versée entre les mains

de la MEA, compagnie apéritrice, et sollicitent une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Ils contestent que l'irrecevabilité de l'action principale doive entraîner celle de leur intervention, intervention principale au sens des articles 328 et suivants du nouveau Code de procédure civile,

Ils considèrent que leur action a été engagée à bref délai, la découverte du vice résultant des conclusions du rapport d'expertise.

Ils soutiennent que la garantie de Heuliez Bus résulte de dispositions contractuelles et que les travaux réalisés sur les bus, sur le fondement desquels elle tend à contester sa garantie, étaient expressément prévus et entrent ainsi dans le champ de celle-ci, et que sa responsabilité est démontrée par le rapport d'expertise.

Les AGF maintient que Heuliez Bus s'était contractuellement engagée à une obligation de résultat, qu'elles ne garantissent pas et qu'il lui appartient d'apporter la preuve d'un vice caché exonératoire.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 septembre 1998.

MOTIFS

- Sur la recevabilité de l'action de la MEA

Attendu que l'irrecevabilité de l'action engagée par le SITUAC n'est pas contestée :

Attendu que la MEA, assureur de celui-ci, est intervenue en qualité de subrogé dans les droits de son assuré, après l'avoir indemnisé ;

Que son intervention était une intervention principale, au sens de l'article 329 du nouveau Code de procédure civile, tendant à se voir personnellement rembourser ;

Attendu que le sort de celle-ci n'était donc pas lié à celui de l'action principale ;

Que son intervention volontaire était recevable, malgré l'irrecevabilité de l'action principale ;

- Sur le fondement de l'obligation de garantie des AGF et l'étendue des obligations de Heuliez Bus

Attendu que, ainsi que le font les valoir les AGF, les conditions particulières du contrat d'assurance souscrit par la Société Heuliez Bus excluaient de la garantie les conséquences d'engagement contractuel excédant les textes légaux réglementaires ;

Mais attendu que Heuliez Bus s'est borné à indiquer dans une lettre du 31 janvier 1986 garantir son client contre "tout incident pour lequel la responsabilité du constructeur est engagée" ;

Attendu que la garantie, dite contractuelle, d'un an délivrée à l'acquéreur protégeait celui-ci contre les défauts non décelés à la prise en main du matériel et le manque de sûreté du fonctionnement ;

Attendu que la notion de "défaut non décelé" rejoint exactement celle de vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil ;

Que, sauf à imaginer l'acquisition délibérée par un transporteur de personnes d'un matériel manquant de sécurité, le manque de sûreté du fonctionnement ne peut lui aussi relever que des vices cachés ;

Attendu que les dispositions relatives aux engagements de Heuliez Bus de mise en conformité de son matériel ne sont que la conséquence de la constatation des défauts ;

Attendu que, contrairement aux allégations des AGF, il est donc manifeste que cet engagement n'apporte aucune aggravation à la responsabilité pour vices cachés encourue par le constructeur sur le fondement de l'article 1641 du Code civil ;

Attendu que la garantie des AGF est donc due sous la seule condition de la preuve de l'existence d'un vice caché affectant le véhicule ;

Que la charge de cette preuve incombe à l'acquéreur ou a son assureur, subrogé dans ses droits ;

- Sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés

Attendu que l'article 1648 du Code Civil dispose que cette action doit être engagée dans un bref délai Que le délai ne court toutefois qu'à compter de la connaissance de l'existence du vice ;

Attendu que l'existence d'un vice caché n'est devenue une éventualité vraisemblable que connaissance prise du rapport d'expertise ;

Attendu que celui-ci a été déposé le 15 décembre 1989 ;

Que le SITUAC a saisi le 26 mars 1990 le Tribunal administratif d'Orléans ;

Que ce délai, eu égard à la technicité du problème posé, peut être considéré comme bref au sens de l'article 1648 du Code civil ;

- Sur l'existence d'un vice caché

Attendu que les opérations d'expertise ont été rendues difficiles par l'état du bus, réduit à l'état "d'un amas de tôles et de fils brûlés", qui n'a permis de retrouver aucune amorce d'indice ;

Attendu que l'expert a donc procédé à l'examen du second bus, livré rigoureusement identique et resté intact ;

Qu'il a relevé sur celui-ci deux anomalies, à savoir l'existence de câbles sectionnés à nus, mais non alimentés, et de câbles en flexion-torsion, soumis à des contraintes mécaniques ;

Que ces deux anomalies se situaient à l'avant du bus, zone dans laquelle il considère comme vraisemblable que l'incendie ait pris naissance ;

Que, sans exclure la malveillance ou la négligence lors de l'installation, après réception, de l'oblitérateur, il retient l'hypothèse du risque électrique comme la plus vraisemblable ;

Mais attendu que la simple vraisemblance d'une hypothèse, dégagée à partir de l'examen d'un véhicule similaire, mais dont il n'est pas démontré que l'installation était affectée, dans ses moindres détails, des mêmes anomalies qui ressortent plus de l'exécution du travail que de la conception, ne suffit pas à démontrer l'existence d'un vice caché ;

Attendu que la Société Heuliez Bus n'est donc pas tenue à garantie envers son client ;

Qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de débouter les AGF, substituées dans les droits du propriétaire du bus de leurs demandes ;

Attendu qu'il apparaît équitable que chacune des parties conserve la charge des frais irrépétibles qu'elle a du exposer ;

Par ces motifs, Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, l'action du Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré SITUAC irrecevable et celle de la MEA recevable, L'infirme pour le surplus, Déboute la MEA, le Groupe PRIM, la Compagnie Abeille Paix, les Mutuelles du Mans et le Pool Groupe RAS de leurs demandes, Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la MEA aux dépens qui seront recouvrés en priorité au profit de la SCP Gas et de la SCP Lambert-Debray-Chemin, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.