CJCE, 2e ch., 3 mars 1994, n° C-316/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nicole Vaneetveld, SA Le Foyer
Défendeur :
SA Le Foyer, Fédération des mutualités socialistes et syndicales de la province de Liège
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Mancini
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Schockweiler, Murray
Avocats :
Mes Dessy, Simont, Brouwer.
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par jugement du 9 juin 1993, parvenu à la Cour le 16 juin suivant, le Tribunal de commerce de Huy a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation de la deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17, ci-après la "deuxième directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme N. Vaneetveld à la compagnie d'assurances Le Foyer SA (ci-après "Le Foyer") au sujet de l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis lors d'un accident de circulation survenu le 2 mai 1988.
3 Il ressort du dossier transmis par la juridiction de renvoi et des observations présentées devant la Cour que le responsable de l'accident, M. Dubois, est le conjoint séparé mais non divorcé de Mme N. Vaneetveld et qu'il est assuré auprès de la compagnie d'assurances Le Foyer.
4 La loi belge du 1er juillet 1956 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs (Moniteur belge du 15.7.1956, p. 4714) permet, à l'article 4, d'exclure du bénéfice de l'assurance le conjoint du preneur d'assurance.
5 Le contrat d'assurance conclu par M. Dubois avec Le Foyer ne couvrait pas le conjoint de l'assuré.
6 Ayant appris que Mme N. Vaneetveld n'était pas divorcée mais seulement séparée de son assuré, Le Foyer a refusé de verser à la victime toute indemnité.
7 Mme N. Vaneetveld a alors assigné Le Foyer devant le Tribunal de commerce de Huy en vue d'obtenir une indemnisation de tous les préjudices subis. La compagnie d'assurances a, de son côté, assigné la Fédération des mutualités socialistes et syndicales de la province de Liège devant le même tribunal pour obtenir le remboursement des sommes qu'elle avait déjà versées à cette Fédération au titre des frais médicaux pris en charge par celle-ci au profit de Mme N. Vaneetveld.
8 La deuxième directive définit, à son article 3, le champ d'application personnel de l'assurance dans les termes suivants:
"Les membres de la famille du preneur, du conducteur ou de toute autre personne dont la responsabilité civile est engagée dans un sinistre et couverte par l'assurance visée à l'article 1er, paragraphe 1, ne peuvent être exclus en raison de ce lien de parenté du bénéfice de l'assurance pour leurs dommages corporels."
9 La deuxième directive a été transposée en droit belge par la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs (Moniteur belge du 8.12.1989, p. 20122). L'article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette loi interdit d'exclure du bénéfice de l'indemnisation, en cas de lésions corporelles, le conjoint de l'assuré. Selon l'article 30 de la loi, l'entrée en vigueur de celle-ci "a pour effet de modifier de plein droit, dans les limites fixées par ses dispositions, les obligations des assureurs telles qu'elles résultent des conditions générales et contrats en cours".
10 En vertu d'un arrêté royal du 13 février 1991 (Moniteur belge du 6.4.1991, p. 7257), les dispositions de la loi du 21 novembre 1989 s'appliquent, dès le 6 mai 1991, à l'ensemble des contrats d'assurance en responsabilité civile automobile en cours.
11 Estimant que ces deux affaires, qu'il avait jointes, soulevaient un problème d'interprétation de la deuxième directive, le Tribunal de commerce de Huy a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les dispositions de l'article 5 de la deuxième directive sont-elles immédiatement applicables dans l'ordre juridique interne belge?
2) Dans l'affirmative, ces dispositions ont-elles engendré pour les particuliers des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder?
3) En particulier, ces droits ont-ils pris naissance à partir de la date d'entrée en vigueur de la directive ou à partir de la date du 31 décembre 1987, échéance imposée aux États membres pour modifier leurs dispositions nationales, ou encore à dater du 31 décembre 1988 en vertu de l'alinéa 2 de l'article 5 de ladite directive?"
12 A titre liminaire, il convient d'examiner s'il y a lieu de statuer sur les questions préjudicielles ou si celles-ci doivent, comme le fait observer le Gouvernement français, être déclarées irrecevables, au motif que la juridiction de renvoi s'est abstenue de fournir à la Cour des indications sur le contexte juridique et factuel de ces questions.
13 Il est vrai que la Cour a jugé que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que ce dernier définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou qu'à tout le moins il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke, C-83-91, Rec. p. I-4871; arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320-90, C-321-90 et C-322-90, Rec. p. I-393; ordonnance du 19 mars 1993, Banchero, C-157-92, Rec. p. I-1085; ordonnance du 26 avril 1993, Monin Automobiles, C-386-92, Rec. p. I-2049). Il n'en reste pas moins que cette exigence est moins impérative dans l'hypothèse où les questions se rapportent à des points techniques précis et permettent à la Cour de donner une réponse utile, même si le juge national n'a pas donné une présentation exhaustive de la situation de droit et de fait.
14 A cet égard, il convient de relever que le dossier transmis par la juridiction nationale ainsi que les observations écrites présentées par les parties au principal ont fourni à la Cour des informations suffisantes lui permettant d'interpréter les règles de droit communautaire au regard de la situation faisant l'objet du litige au principal (voir arrêt Telemarsicabruzzo e.a., précité).
15 Par ses questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si et à partir de quelle date la deuxième directive, dans la mesure où elle interdit d'exclure de l'assurance obligatoire le conjoint de l'assuré, en cas de lésions corporelles, engendre des droits au profit des particuliers que les juridictions nationales doivent sauvegarder.
16 Il faut rappeler, tout d'abord, qu'une directive ne saurait être invoquée par les particuliers devant les juridictions nationales qu'après expiration du délai fixé pour sa transposition en droit national.
17 A cet égard, il y a lieu de relever que l'article 5 de la deuxième directive dispose que
"1. Les États membres modifient leurs dispositions nationales pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 1987. Ils en informent immédiatement la Commission.
2. Les dispositions ainsi modifiées sont appliquées au plus tard le 31 décembre 1988.
..."
18 Il résulte du libellé clair de cet article que, même si les États membres avaient l'obligation de modifier leurs dispositions nationales au plus tard pour le 31 décembre 1987, ils n'étaient obligés d'appliquer celles-ci que pour la couverture d'assurance des sinistres survenus à partir du 31 décembre 1988.
19 Il y a dès lors lieu de répondre à la troisième question de la juridiction de renvoi que la deuxième directive doit être interprétée en ce sens qu'avant la date du 31 décembre 1988, visée à l'article 5, paragraphe 2, les dispositions de cette directive n'étaient pas susceptibles de créer, pour les particuliers, des droits que les juridictions nationales devaient sauvegarder.
20 Au regard de cette réponse il n'est pas nécessaire d'examiner les deux premières questions préjudicielles visant à savoir si la deuxième directive conférait effectivement aux particuliers des droits que les juridictions nationales devaient sauvegarder.
Sur les dépens
21 Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de commerce de Huy (Belgique), par jugement du 9 juin 1993, dit pour droit:
La deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doit être interprétée en ce sens qu'avant la date du 31 décembre 1988, visée à l'article 5, paragraphe 2, les dispositions de cette directive n'étaient pas susceptibles de créer, au profit des particuliers, des droits que les juridictions nationales devaient sauvegarder.