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Décisions

CJCE, 6e ch., 11 janvier 2001, n° C-403/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Azienda Agricola Monte Arcosu (Srl)

Défendeur :

Regione Autonoma della Sardegna, Organismo Comprensoriale nº 24 della Sardegna, Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

M. Skouris, Mme Macken

Avocat :

Mes Ribolzi.

CJCE n° C-403/98

11 janvier 2001

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 26 mars 1998, parvenue à la Cour le 13 novembre suivant, le Tribunale civile e penale di Cagliari a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 2, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 797-85 du Conseil, du 12 mars 1985, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture (JO L 93, p. 1), et de l'article 5, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 2328-91 du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture (JO L 218, p. 1).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Azienda Agricola Monte Arcosu Srl (ci-après "Monte Arcosu") à la Regione Autonoma della Sardegna, à l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna et à l'Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura (ERSAT), à propos du rejet par l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna de la demande d'inscription de Monte Arcosu au registre des exploitants agricoles à titre principal.

Le droit communautaire

3 L'article 2, paragraphe 5, du règlement n° 797-85 prévoit:

"Les États membres définissent la notion d'exploitant à titre principal aux fins du présent règlement.

Pour les personnes physiques, cette définition comprend au moins la condition que la part du revenu provenant de l'exploitation agricole soit égale ou supérieure à 50 % du revenu global de l'exploitant et que le temps de travail consacré aux activités extérieures à l'exploitation soit inférieur à la moitié du temps de travail total de l'exploitant.

Pour les personnes autres que les personnes physiques, les États membres définissent ladite notion en tenant compte des critères indiqués au deuxième alinéa."

4 Cette disposition figure, en des termes identiques, à l'article 5, paragraphe 5, du règlement n° 2328-91.

5 Les États membres étaient tenus, en vertu de l'article 32, paragraphe 1, du règlement n° 797-85, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit règlement dans un délai de six mois à compter du 1er avril 1985.

Le droit national

6 La loi italienne n° 153, du 9 mai 1975, a retenu, en son article 12, pour l'application de la notion d'exploitant agricole à titre principal aux personnes physiques, le critère des 2/3 tant pour le revenu global de l'exploitant que pour le temps de travail consacré aux activités agricoles.

7 Selon l'article 13 de cette même loi, les personnes autres que les personnes physiques, à savoir les coopératives agricoles constituées conformément aux dispositions en matière de coopération et les associations d'exploitants agricoles, peuvent bénéficier des mesures prévues au titre III de ladite loi, à la condition, dans les deux cas de figure, que "les associés tirent de l'activité de l'exploitation et de l'association au moins 50 % de leurs revenus propres et qu'ils engagent dans l'activité de l'exploitation et dans l'association au moins 50 % de leur temps de travail".

8 L'article 15 de la loi n° 19 de la Région Sardaigne, du 23 mars 1979, reconnaît, s'agissant de la définition de la notion d'exploitant agricole à titre principal, cette qualité à ceux qui "consacrent à l'activité agricole au moins 2/3 de leur propre temps de travail total et qui retirent de l'activité précitée au moins 2/3 de leur propre revenu du travail total".

9 Selon l'article 21 de cette même loi, les coopératives agricoles et associations d'exploitants agricoles constituées conformément aux dispositions en vigueur peuvent également bénéficier des avantages garantis par la loi "dès lors que chacun des associés tire de l'activité agricole au moins 50 % de son propre revenu et consacre à l'activité de l'exploitation ou de l'association au moins 50 % de son propre temps de travail".

10 Le décret ministériel italien du 12 septembre 1985 prévoit, en son article 2:

"Bénéficiaires

1. Peuvent bénéficier des mesures d'intervention visées au titre I du règlement précité, pour autant qu'ils satisfassent aux critères d'ordre personnel énoncés à l'article 2, paragraphe 1, de ce même règlement, les exploitants agricoles suivants:

a) les cultivateurs directs, qu'ils soient propriétaires ou locataires, métayers ou fermiers, et ce que ce soit en l'absence d'accords avec le cédant ou, au contraire, de concert avec l'exploitant cédant, les emphytéotes, les membres de la famille aidant l'exploitant de manière régulière et permanente;

b) les propriétaires, usufruitiers et locataires exploitants;

c) les coopératives agricoles constituées conformément aux dispositions de la législation sur la coopération;

d) les associations de cultivateurs directs, emphytéotes, fermiers, membres de la famille de l'exploitant l'aidant de manière régulière et permanente; propriétaires, usufruitiers et locataires exploitants;

e) les sociétés de personnes qui gèrent directement des exploitations agricoles dont elles sont propriétaires ou dont elles disposent de quelque manière que ce soit. Les régions et les provinces autonomes définissent, dans les limites stipulées à l'article 6 du règlement, les conditions d'éligibilité.

2. La condition d'exploitant agricole à titre principal et celle relative à la capacité professionnelle visée à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement susmentionné sont définies sur la base des dispositions législatives régionales édictées en application de la directive 72-159-CEE. À défaut, les articles 12 et 13 de la loi n° 153 du 9 mai 1975 sont d'application.

3. Les coopératives mentionnées à la lettre c) du présent article, ayant pour objet exclusif la gestion d'exploitations agricoles, peuvent prétendre à l'obtention des aides aux investissements prévues au titre I du règlement, et ce même si seulement 20 % de leurs associés remplissent les conditions d'ordre personnel prescrites."

11 La loi n° 17 de la Région Sardaigne, du 27 août 1992, a prévu la création d'un registre des exploitants agricoles à titre principal tout en précisant que les critères de fonctionnement dudit registre devaient être déterminés par la Giunta Regionale (Conseil régional), conformément aux dispositions du règlement n° 2328-91.

Le litige au principal

12 Monte Arcosu est une société à responsabilité limitée qui a pour objet l'exercice d'activités agricoles.

13 Monte Arcosu a acquis plusieurs domaines agricoles sur les territoires d'Uta, de Siliqua et de Decimomannu. Elle a fait préciser dans l'acte notarié d'achat vouloir obtenir le statut d'exploitant agricole à titre principal et a, par conséquent, demandé à bénéficier, pour les droits d'enregistrement, du taux de 8 % prévu par la note 1 de l'article 1er du barème annexé au décret n° 131 du Président de la République, du 26 avril 1986.

14 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que Monte Arcosu a, par la suite, demandé son inscription au registre des exploitants agricoles à titre principal auprès de l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna.

15 Cette demande a été rejetée par décision du 11 septembre 1991, au motif que la réglementation régionale ne prévoyait pas la possibilité d'inscription audit registre pour les sociétés commerciales.

16 Monte Arcosu a, par conséquent, assigné la Regione Autonoma della Sardegna, l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna et l'Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura afin d'obtenir son inscription au registre des exploitants agricoles à titre principal sur le fondement des articles 2, paragraphe 5, du règlement n° 797-85 ou 5, paragraphe 5, du règlement n° 2328-91.

17 Estimant que la solution du litige pendant devant elle dépendait de l'interprétation des dispositions précitées, le Tribunale civile e penale di Cagliari a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Dans le silence du législateur italien, est-il néanmoins possible de donner une portée concrète, pour les personnes autres que les personnes physiques, et en particulier pour les sociétés dotées de la personnalité morale, aux dispositions du droit communautaire en question?

2) Quelles sont, en cas de réponse affirmative à la première question, les conditions nécessaires et suffisantes pour que soit reconnu le statut d'exploitant agricole à titre principal aux personnes autres que les personnes physiques et, en particulier, aux sociétés dotées de la personnalité morale?"

Sur la recevabilité des questions préjudicielles

18 À titre liminaire, la Commission émet des doutes quant à la recevabilité des questions posées.

19 Elle souligne que ces questions trouvent leur origine dans un litige portant sur l'application d'une disposition fiscale nationale qui réserve le bénéfice d'une réduction des droits d'enregistrement dus à l'occasion de l'acquisition de domaines agricoles aux exploitants agricoles à titre principal.

20 Or, elle fait valoir que, dans l'arrêt du 15 octobre 1992, Tenuta il Bosco (C-162-91, Rec. p. I-5279, point 26), la Cour a considéré que la réduction du droit d'enregistrement sur les acquisitions de terrains agricoles par des exploitants agricoles n'entre pas dans le champ d'application du règlement n° 797-85 et relève donc du seul droit national. Elle souligne, par ailleurs, que la notion d'exploitant agricole à titre principal, utilisée dans la disposition fiscale nationale, ne renvoie pas à celle visée par le droit communautaire.

21 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la procédure prévue à l'article 177 du traité est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d'interprétation du droit communautaire qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu'elles sont appelées à trancher. Il en découle qu'il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297-88 et C-197-89, Rec. p. I-3763, points 33 et 34, et du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher, C-231-89, Rec. p. I-4003, points 18 et 19).

22 Par ailleurs, le rejet d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît que la procédure de l'article 177 du traité a été détournée de son objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer par le biais d'un litige construit ou s'il est manifeste que le droit communautaire ne saurait trouver à s'appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l'espèce (arrêt du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C-28-95, Rec. p. I-4161, point 26).

23 En l'espèce, il convient de relever que, s'il ressort de l'ordonnance de renvoi que Monte Arcosu a introduit une demande d'inscription au registre des exploitants agricoles à titre principal auprès de l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna après avoir demandé à pouvoir bénéficier du taux de 8 % prévu par la note 1 de l'article 1er du barème annexé au décret n° 131 du Président de la République pour les droits d'enregistrement dus à l'occasion de l'acquisition de domaines agricoles, il ressort également de ladite ordonnance que le litige au principal ne porte que sur le refus d'inscription audit registre qui, ainsi que l'a d'ailleurs relevé la Commission, n'a pas seulement pour effet d'empêcher Monte Arcosu de bénéficier d'un taux réduit pour les droits d'enregistrement, mais lui interdit également, ou, à tout le moins, lui rend plus difficile, l'accès aux aides prévues dans le cadre de la législation communautaire.

24 Il résulte de ce qui précède que les questions posées sont recevables.

Sur les questions préjudicielles

25 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, par ses première et seconde questions, qu'il convient d'examiner ensemble, le Tribunale civile e penale di Cagliari demande en substance si et dans quelles conditions une juridiction nationale peut donner effet, à l'égard des sociétés de capitaux, aux articles 2, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement n° 797-85 et 5, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement n° 2328-91 lorsque le législateur d'un État membre n'a pas pris les dispositions nécessaires à leur mise en œuvre dans son ordre juridique interne.

26 À cet égard, il convient de relever que, si, en raison même de la nature des règlements et de leur fonction dans le système des sources du droit communautaire, les dispositions desdits règlements ont, en général, effet immédiat dans les ordres juridiques nationaux, sans qu'il soit besoin pour les autorités nationales de prendre des mesures d'application, certaines de leurs dispositions peuvent néanmoins nécessiter, pour leur mise en œuvre, l'adoption de mesures d'application par les États membres.

27 Tel est le cas des articles 2, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement n° 797-85 et 5, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement n° 2328-91 qui prévoient que, pour les personnes autres que les personnes physiques, les États membres définissent la notion d'exploitant agricole à titre principal en tenant compte des critères utilisés pour les personnes physiques.

28 En effet, eu égard à la marge d'appréciation dont disposent les États membres pour la mise en œuvre desdites dispositions, il ne saurait être considéré que des particuliers peuvent tirer des droits de ces dispositions en l'absence de mesures d'application adoptées par les États membres.

29 Il résulte des considérations qui précèdent que les articles 2, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement n° 797-85 et 5, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement n° 2328-91 ne peuvent être invoqués devant une juridiction nationale par des sociétés de capitaux en vue d'obtenir la reconnaissance du statut d'exploitant agricole à titre principal lorsque le législateur d'un État membre n'a pas pris les dispositions nécessaires à leur mise en œuvre dans son ordre juridique interne.

Sur les dépens

30 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale civile e penale di Cagliari, par ordonnance du 26 mars 1998, dit pour droit:

Les articles 2, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement (CEE) n° 797-85 du Conseil, du 12 mars 1985, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture, et 5, paragraphe 5, dernier alinéa, du règlement (CEE) n° 2328-91 du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture, ne peuvent être invoqués devant une juridiction nationale par des sociétés de capitaux en vue d'obtenir la reconnaissance du statut d'exploitant agricole à titre principal lorsque le législateur d'un État membre n'a pas pris les dispositions nécessaires à leur mise en œuvre dans son ordre juridique interne.