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Décisions

CJCE, 5e ch., 10 juillet 1997, n° C-94/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bonifaci, Berto

Défendeur :

Istituto nazionale della previdenza sociale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Cosmas

Juges :

MM. Sevón, Edward, Jann, Wathelet

Avocats :

Mes Mondin, Campesan, Dal Ferro, Sarto, Cantarini, Di Iorio, Del Gaizo, Green, Richards

CJCE n° C-94/95

10 juillet 1997

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnances du 21 mars 1995, parvenues à la Cour le 24 mars suivant, la Pretura circondariale di Bassano del Grappa a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation et à la validité de l'article 4, paragraphe 2, de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23, ci-après la "directive"), ainsi que sur l'interprétation du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par une violation du droit communautaire qui lui est imputable.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, Mme Bonifaci e.a. et, d'autre part, Mme Berto e.a. à l'Istituto nazionale della previdenza sociale (ci-après l'"INPS") à propos de la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive.

3 La directive vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les États membres. A cet effet, elle prévoit notamment des garanties spécifiques pour le paiement de leurs rémunérations impayées.

4 Selon l'article 11, paragraphe 1, de cette directive, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive avant le 23 octobre 1983.

5 La République italienne n'ayant pas respecté cette obligation, la Cour a constaté son manquement dans l'arrêt du 2 février 1989, Commission/Italie (22-87, Rec. p. 143).

6 Ayant travaillé pour une entreprise établie à Valdastico (Italie), mise en faillite le 5 avril 1985, et créancières d'une somme de plus de 253 millions de LIT admise au passif de cette entreprise, Mme Bonifaci et 33 autres salariées ont, en avril 1989, formé un recours devant la Pretura circondariale di Bassano del Grappa contre la République italienne, visant à ce que, compte tenu de l'obligation qui lui incombait d'appliquer la directive à partir du 23 octobre 1983, elle soit condamnée à leur payer les créances qui leur étaient dues à titre d'arriérés de salaires, au moins pour les trois dernières mensualités, ou, à défaut, à leur verser un dédommagement.

7 A la même époque, M. Francovich, salarié d'une entreprise qui ne lui avait versé que des acomptes sporadiques sur son salaire et qui lui devait une somme d'environ 6 millions de LIT, a également invoqué, devant la Pretura circondariale di Vicenza, le droit d'obtenir de l'État italien les garanties prévues par la directive ou, accessoirement, un dédommagement.

8 Les deux juridictions nationales susvisées ont posé des questions préjudicielles identiques sur l'effet direct des dispositions de la directive et sur le droit à réparation des dommages subis en liaison avec les dispositions de la directive n'ayant pas d'effet direct. En réponse à ces questions, la Cour, dans l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich I (C-6-90 et C-9-90, Rec. p. I-5357), a dit pour droit que les dispositions de la directive qui définissent les droits des travailleurs devaient être interprétées en ce sens, d'une part, que les intéressés ne pouvaient pas faire valoir les droits issus de la directive à l'encontre de l'État devant les juridictions nationales à défaut de mesures d'application prises dans les délais et, d'autre part, que l'État membre était obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive.

9 Le 27 janvier 1992, le Gouvernement italien a, en application de l'article 48 de la loi d'habilitation n° 428 du 29 décembre 1990, adopté le décret législatif n° 80 transposant la directive (GURI n° 36 du 13 février 1992, ci-après le "décret législatif").

10 L'article 2, paragraphe 7, du décret législatif fixe les conditions de réparation des dommages causés par la transposition tardive de la directive en renvoyant aux modalités fixées, en exécution de la directive, pour la mise en œuvre de l'obligation de paiement des institutions de garantie en faveur des travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur. Cette disposition est ainsi libellée:

"Pour déterminer l'indemnité qui doit éventuellement être accordée aux travailleurs dans le cadre des procédures visées à l'article 1er, paragraphe 1er (à savoir, la faillite, le concordat préventif, la liquidation administrative forcée et l'administration extraordinaire des grandes entreprises en temps de crise), en réparation du dommage découlant du défaut de transposition de la directive 80-987-CEE, les délais, les mesures et les modalités applicables sont ceux visés aux paragraphes 1er, 2 et 4. L'action en réparation du dommage doit être engagée dans un délai d'un an, à compter de l'entrée en vigueur du présent décret".

11 L'article 2, paragraphe 1, du décret législatif prévoit que la garantie concerne les

"créances résultant de contrats de travail, autres que celles dues en raison de la cessation du rapport de travail, portant sur les trois derniers mois du rapport de travail rentrant dans les douze mois qui précèdent:

a) la date de la mesure qui détermine l'ouverture d'une des procédures indiquées à l'article 1er, paragraphe 1er".

12 Il ressort des ordonnances de renvoi que la période de douze mois à laquelle se réfère cette dernière disposition est calculée rétroactivement à partir de la date de la décision déclarative de faillite de l'entreprise en cause.

13 Par ailleurs, aux termes de l'article 2, paragraphe 2, du décret législatif,

"Le paiement effectué par le fonds, en application du paragraphe 1er, ne peut être supérieur à une somme égale à trois fois le plafond du montant mensuel versé par la caisse d'intégration extraordinaire des salaires, diminué des retenues en matière de sécurité sociale".

14 Au regard de cette réglementation, l'INPS a estimé que les demandes de réparation introduites au titre de l'article 2, paragraphe 7, du décret législatif par Mme Bonifaci e.a., dont les employeurs avaient été déclarés en faillite après le 23 octobre 1983 et avant l'entrée en vigueur du décret législatif, devaient être rejetées, au motif qu'aucune période d'emploi, pour laquelle les rémunérations étaient dues, n'était située à l'intérieur de la période de référence de douze mois précédant la déclaration de faillite à laquelle se réfère l'article 2, paragraphe 1, de ce décret législatif, soit le 5 avril 1985.

15 La Pretura circondariale di Bassano del Grappa, saisie du litige, constate que le législateur italien, en transposant la directive, a fait usage de la faculté que lui confère son article 4, paragraphe 1, de limiter l'obligation de paiement des institutions de garantie et qu'il a eu recours à cette même faculté pour évaluer les dommages-intérêts auxquels des travailleurs, ayant des créances envers des employeurs tombés en faillite avant l'entrée en vigueur des mesures d'exécution nationales de la directive, pourraient prétendre à l'encontre de l'État italien du fait de la transposition tardive.

16 A cet égard, il y a lieu de rappeler les dispositions pertinentes de la directive.

17 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, un employeur est considéré comme se trouvant en état d'insolvabilité:

a) lorsqu'a été demandée l'ouverture d'une procédure de désintéressement collectif des créanciers de l'employeur, permettant la prise en considération des créances des travailleurs salariés à l'égard de ce dernier; et

b) lorsque l'autorité compétente a soit décidé l'ouverture de la procédure, soit constaté la fermeture définitive de l'entreprise de l'employeur, ainsi que l'insuffisance de l'actif disponible pour justifier l'ouverture de la procédure.

18 L'article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit l'obligation pour les États membres de prendre les mesures nécessaires pour que des institutions de garantie assurent le paiement des créances des travailleurs salariés résultant de contrats ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période se situant avant une date déterminée; celle-ci, conformément à l'article 3, paragraphe 2, est, au choix des États membres, la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur, celle du préavis de licenciement donné en raison de l'insolvabilité ou alternativement celle de la survenance de l'insolvabilité ou celle de la cessation du contrat ou de la relation de travail intervenue en raison de l'insolvabilité.

19 Toutefois, aux termes de l'article 4, paragraphe 2, de la directive, le paiement peut être limité aux créances impayées concernant la rémunération afférente à certaines périodes, selon le choix effectué par les États membres en application de l'article 3, paragraphe 2, à savoir:

- les trois derniers mois du contrat ou de la relation de travail, à l'intérieur d'une période de six mois avant la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur;

- les trois derniers mois du contrat ou de la relation de travail qui précèdent la date du préavis de licenciement du travailleur salarié, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur;

- les dix-huit derniers mois du contrat ou de la relation de travail qui précèdent la date de la survenance de l'insolvabilité ou de la cessation du contrat ou de la relation de travail intervenue en raison de l'insolvabilité, les États membres pouvant limiter l'obligation de paiement à la rémunération afférente à une période de huit semaines ou à plusieurs périodes partielles ayant au total la même durée.

20 L'article 4, paragraphe 3, de la directive permet, en outre, aux États membres de fixer un plafond aux paiements afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la directive.

21 Conformément à l'article 9 de la directive, les États membres peuvent appliquer ou introduire des dispositions plus favorables aux travailleurs salariés.

22 La juridiction de renvoi observe que la limite imposée, en application de l'article 4, paragraphe 2, de la directive, à l'obligation de paiement des institutions de garantie par l'article 2, paragraphe 1, du décret législatif, à laquelle se réfère également l'article 2, paragraphe 7, de ce dernier pour évaluer la réparation du dommage découlant de la transposition tardive de la directive, peut avoir pour conséquence, compte tenu de la durée des procédures de désintéressement collectif en Italie, que le paiement tant des créances garanties que des indemnités ne soit pas assuré, alors même qu'aucune faute ne serait imputable au travailleur concerné.

23 Compte tenu de ce qui précède, la Pretura circondariale di Bassano del Grappa a exprimé des doutes sur l'interprétation à donner à l'article 4, paragraphe 2, de la directive et sur sa validité ainsi que sur la compatibilité des conditions d'indemnisation fixées par le décret législatif avec le point 43 de l'arrêt Francovich I, précité, selon lequel les conditions, de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages découlant de la violation par un État membre du droit communautaire ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation.

24 En conséquence, elle a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 80-987-CEE doit-il être interprété en ce sens que les États membres peuvent se prévaloir de la faculté de limiter l'obligation de paiement des organismes de garantie aux salaires correspondant à une certaine période - dans la présente affaire, il s'agit de douze mois - également dans les hypothèses dans lesquelles le dépassement de cette période de temps n'est pas imputable à un manque d'initiative coupable du travailleur intéressé et, notamment, dans les hypothèses dans lesquelles est invoqué un droit à la réparation du dommage en raison du défaut de transposition ou de transposition tardive de la directive ?

2) Dans le cas où la première question appelle une réponse positive, faut-il considérer que l'article 4, paragraphe 2, de la directive est valide à la lumière du principe de l'égalité de traitement et de non-discrimination ?

3) Le point 43 de l'arrêt de la Cour du 19 novembre 1991 doit-il être interprété en ce sens que les conditions formelles ou substantielles prévues par le droit interne de chacun des États membres pour l'action en réparation des dommages causés par le défaut de transposition d'une directive communautaire doivent être les mêmes (ou du moins ne doivent pas être plus défavorables) que celles qui sont imposées par le législateur national lorsqu'il transpose tardivement cette même directive ?"

Sur la recevabilité des questions préjudicielles

25 L'INPS estime que les deux premières questions portant sur l'interprétation de l'article 4, paragraphe 2, de la directive sont irrecevables en l'absence d'un rapport de "nécessité objective" entre l'interprétation demandée et la solution à donner au litige par le juge national. Selon l'INPS, cet article, quelle que soit son interprétation, ne serait d'aucune utilité pour trancher le litige au principal puisqu'il concernerait uniquement le régime de protection des travailleurs salariés victimes de l'insolvabilité de leur employeur, intervenue après l'entrée en vigueur de l'acte de transposition. Quant à la troisième question qui porterait sur la compatibilité du régime d'indemnisation mis en place par le décret législatif avec l'arrêt Francovich I, précité, l'INPS estime qu'elle relève exclusivement de la compétence des juridictions nationales.

26 Selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies d'un litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêt du 21 mars 1996, Bruyère e.a., C-297-94, Rec. p. I-1551, point 19). Ce n'est que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation ou l'appréciation de la validité d'une règle communautaire, demandées par la juridiction nationale, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal que la demande préjudicielle peut être rejetée comme irrecevable (voir notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415-93, Rec. p. I-4921, point 61).

27 En l'occurrence, il suffit de constater que le régime mis en place par le décret législatif pour indemniser les travailleurs du fait de la transposition tardive de la directive renvoie explicitement aux dispositions du décret législatif transposant celle-ci dans l'ordre juridique italien et que le juge de renvoi a estimé nécessaire de demander à la Cour d'interpréter l'article 4, paragraphe 2, de la directive pour vérifier notamment si le législateur national avait correctement fait usage de la faculté que lui reconnaît cet article.

28 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'INPS, la troisième question ne tend pas à ce que la Cour statue sur la compatibilité du décret législatif avec le droit communautaire, mais à ce que, en substance, elle fournisse à la juridiction nationale les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui lui sont nécessaires pour procéder à cet examen.

29 Les objections soulevées par l'INPS quant à la recevabilité des questions préjudicielles ne peuvent en conséquence être retenues. Il y a donc lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale.

Sur la première partie de la première question et la deuxième question

30 Par la première partie de la première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 4, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens que les États membres conservent la faculté de limiter l'obligation de paiement de l'institution de garantie lorsqu'une telle limitation aurait pour effet de priver les travailleurs concernés du bénéfice de toute garantie au motif qu'aucune période d'emploi ne se situerait à l'intérieur de la période de référence prévue par cette disposition, alors même que cette circonstance ne serait pas imputable aux travailleurs. Dans l'affirmative, la Cour est invitée, par la deuxième question, à apprécier la validité de l'article 4, paragraphe 2, de la directive au regard du principe de l'égalité de traitement.

31 Il ressort des ordonnances de renvoi et des observations présentées devant la Cour que ces questions ont été posées en raison de la prise en compte, par l'article 2, paragraphe 1, du décret législatif, qui met en œuvre les articles 3 et 4, paragraphe 2, de la directive, de la date de la décision d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif comme date à compter de laquelle doit être calculée la période de référence aux fins de l'octroi de la garantie.

32 Il en découle que, en droit italien, pour que les travailleurs puissent bénéficier de la garantie prévue par la directive telle que transposée dans l'ordre juridique italien, les périodes d'emploi auxquelles se rapportent les rémunérations impayées doivent obligatoirement être situées à l'intérieur de la période de douze mois précédant la date d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif.

33 Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient, à titre liminaire, de vérifier si la survenance de l'insolvabilité de l'employeur au sens des articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive correspond effectivement à la date d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif visée à l'article 2, paragraphe 1, de la directive. C'est en effet au regard des conséquences préjudiciables pour les travailleurs d'une telle correspondance, compte tenu du temps qui peut s'écouler entre la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif et la décision d'ouverture de celle-ci, que la juridiction de renvoi a posé la première question.

34 Dans l'arrêt du 9 novembre 1995, Francovich II (C-479-93, Rec. p. I-3843, point 18), la Cour a estimé qu'il résulte des termes de l'article 2, paragraphe 1, de la directive que, pour qu'un employeur soit considéré comme se trouvant en état d'insolvabilité, il est nécessaire, premièrement, que les dispositions législatives, réglementaires et administratives de l'État membre concerné prévoient une procédure qui porte sur le patrimoine de l'employeur et qui vise à désintéresser collectivement ses créanciers, deuxièmement, que soit permise, dans le cadre de cette procédure, la prise en considération des créances des travailleurs salariés résultant de contrats ou de relations de travail, troisièmement, que l'ouverture de la procédure ait été demandée et, quatrièmement, que l'autorité compétente en vertu des dispositions nationales précitées ait soit décidé l'ouverture de la procédure, soit constaté la fermeture définitive de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur ainsi que l'insuffisance de l'actif disponible pour justifier l'ouverture de la procédure.

35 Il apparaît donc que, pour que la directive s'applique, deux événements doivent s'être produits: en premier lieu, une demande tendant à l'ouverture d'une procédure de désintéressement collectif doit avoir été introduite auprès de l'autorité nationale compétente et, en second lieu, soit une décision d'ouverture, soit une constatation de la fermeture de l'entreprise, en cas d'insuffisance de l'actif, doit être intervenue.

36 Si la survenance de ces deux événements, visés par l'article 2, paragraphe 1, de la directive, conditionne le déclenchement de la garantie prévue par la directive, elle ne peut toutefois servir à désigner les créances impayées faisant l'objet de ladite garantie. Cette dernière question est régie par les articles 3 et 4 de la directive, lesquels se réfèrent à une date nécessairement unique avant laquelle devraient s'écouler les périodes de référence visées par ces articles.

37 Ainsi, l'article 3 de la directive donne la faculté aux États membres de choisir, parmi plusieurs possibilités, la date avant laquelle les rémunérations impayées seront garanties. C'est en tenant compte du choix ainsi opéré par les États membres que l'article 4, paragraphe 2, de la directive détermine les créances impayées qui devront, en tout état de cause, être couvertes par l'obligation de garantie dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, un État membre décide, en application de l'article 4, paragraphe 1, de limiter celle-ci dans le temps.

38 En l'occurrence, l'État italien a opté pour la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur visée par les articles 3, paragraphe 2, premier tiret, et 4, paragraphe 2, premier tiret, en étendant la période de référence de six à douze mois.

39 Il découle de ce qui précède que, si l'application du système de protection des travailleurs mis en place par la directive requiert à la fois une demande d'ouverture d'une procédure de désintéressement collectif, telle qu'organisée par la législation de l'État membre concerné, et une décision formelle d'ouverture d'une telle procédure, la détermination des créances impayées qui doivent être garanties par la directive s'effectue, selon les dispositions des articles 3, paragraphe 2, premier tiret, et 4, paragraphe 2, par rapport à la survenance de l'insolvabilité de l'employeur, laquelle ne coïncide pas nécessairement avec la date d'une telle décision.

40 En effet, ainsi qu'il ressort d'ailleurs des circonstances de l'espèce, la décision d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif ou, plus précisément, en l'occurrence, le jugement déclaratif de faillite peut intervenir longtemps après la demande d'ouverture de la procédure ou encore la cessation des périodes d'emploi auxquelles se rapportent les rémunérations impayées, de telle sorte que, si la survenance de l'insolvabilité de l'employeur devait dépendre de la réunion des conditions prévues à l'article 2, paragraphe 1, de la directive, le paiement de ces rémunérations pourrait, compte tenu des limitations temporelles visées à l'article 4, paragraphe 2, ne jamais être garanti par la directive, et ce pour des raisons qui peuvent être étrangères au comportement des travailleurs. Cette dernière conséquence serait contraire à la finalité de la directive qui est, ainsi qu'il ressort de son premier considérant, d'assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur.

41 La notion de survenance de l'insolvabilité de l'employeur ne saurait pour autant être assimilée purement et simplement, ainsi que le soutiennent les requérantes au principal, au début de la cessation du paiement des rémunérations. En effet, pour identifier les créances impayées qui doivent être garanties par la directive, les articles 3 et 4, paragraphe 2, se réfèrent à une période se situant avant la date de la survenance de l'insolvabilité. Or, si la thèse des requérantes au principal était suivie, il y aurait lieu de conclure que, avant cette date, l'employeur n'a, par définition, pas cessé de payer les rémunérations, ce qui aurait pour conséquence de vider les articles 3 et 4, paragraphe 2, de leur substance.

42 Compte tenu à la fois de la finalité sociale de la directive et de la nécessité de fixer avec précision les périodes de référence auxquelles la directive attache des effets juridiques, il y a lieu d'interpréter la notion de "survenance de l'insolvabilité de l'employeur", utilisée aux articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive, comme désignant la date de la demande tendant à l'ouverture de la procédure de désintéressement collectif, étant entendu que la garantie ne peut être octroyée avant la décision d'ouverture d'une telle procédure ou la constatation de la fermeture définitive de l'entreprise, en cas d'insuffisance de l'actif.

43 Cette définition de la notion de survenance de l'insolvabilité de l'employeur ne saurait cependant faire obstacle à la faculté des États membres, reconnue à l'article 9 de la directive, d'appliquer ou d'introduire des dispositions plus favorables aux travailleurs, notamment afin de couvrir les rémunérations impayées au cours d'une période postérieure à l'introduction de la demande tendant à l'ouverture de la procédure de désintéressement collectif (voir également arrêt du même jour, Maso e.a., C-373-95, non encore publié au Recueil, points 46 à 52).

44 Dès lors que la survenance de l'insolvabilité au sens des articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive correspond à la date de la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif et non à celle de la décision d'ouverture, en l'occurrence celle du jugement déclaratif de la faillite, hypothèse retenue par la juridiction de renvoi, la première partie de la première question et la deuxième question sont sans objet.

Sur la seconde partie de la première question et la troisième question

45 Par la seconde partie de sa première question, le juge national demande à la Cour si, dans le cadre de la réparation du dommage subi par des travailleurs du fait de la transposition tardive de la directive, un État membre est en droit d'appliquer rétroactivement à leur égard les mesures d'exécution arrêtées tardivement, en ce compris les limitations prévues par l'article 4, paragraphe 2, de la directive. Par la troisième question, qu'il convient de traiter concomitamment avec cette dernière, la juridiction nationale s'interroge plus généralement sur l'étendue de la réparation à charge de l'État membre en cas de transposition tardive d'une directive.

46 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l'a itérativement jugé, le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité (arrêts Francovich I, précité, point 35; du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46-93 et C-48-93, Rec. p. I-1029, point 31; du 26 mars 1996, British Telecommunications, C-392-93, Rec. p. I-1631, point 38; du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5-94, Rec. p. I-2553, point 24, et du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C-178-94, C-179-94, C-188-94, C-189-94 et C-190-94, Rec. p. I-4845, point 20).

47 Pour ce qui est des conditions dans lesquelles un État membre est obligé de réparer les dommages ainsi causés, il résulte de la jurisprudence précitée qu'elles sont au nombre de trois, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées (arrêts précités Brasserie du pêcheur et Factortame, point 51; British Telecommunications, point 39; Hedley Lomas, point 25, et Dillenkofer e.a., point 21). L'appréciation de ces conditions est fonction de chaque type de situation (arrêt Dillenkofer e.a., point 24).

48 Quant à l'étendue de la réparation à charge de l'État membre auquel le manquement est imputable, il découle de l'arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 82, que la réparation doit être adéquate au préjudice subi, c'est-à-dire de nature à assurer une protection effective des droits des particuliers lésés.

49 Enfin, il résulte d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt Francovich I, précité, points 41 à 43, que, sous réserve de ce qui précède, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation.

50 En l'occurrence, la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt Francovich I, précité, point 46, que l'État membre était obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive dans le délai prescrit.

51 En ce qui concerne l'étendue de la réparation du dommage découlant d'un tel manquement, il y a lieu d'observer que l'application rétroactive et complète des mesures d'exécution de la directive aux travailleurs victimes de la transposition tardive permet, en principe, de remédier aux conséquences dommageables de la violation du droit communautaire, à la condition que la directive ait été régulièrement transposée. En effet, cette application devrait avoir pour effet de garantir à ces derniers les droits dont ils auraient bénéficié si la directive avait été transposée dans le délai prescrit (voir également arrêt du même jour, Maso e.a., précité, points 39 à 42).

52 Une application rétroactive des mesures d'exécution de la directive implique nécessairement qu'il puisse également être fait application d'une limitation de l'obligation de paiement de l'institution de garantie, selon les modalités prévues à l'article 4, paragraphe 2, de la directive, lorsque l'État membre a effectivement exercé cette faculté en transposant la directive dans l'ordre juridique interne.

53 Toutefois, dans le cadre du litige dont il est saisi, il appartient au juge national de veiller, à la lumière des principes qui découlent de la jurisprudence de la Cour, tels qu'ils ont été rappelés aux points 46 à 49 du présent arrêt, à ce que la réparation du préjudice subi par les bénéficiaires soit adéquate. Une application rétroactive, régulière et complète des mesures d'exécution de la directive suffira à cette fin sauf si les bénéficiaires établissent l'existence de pertes complémentaires qu'ils auraient subies du fait qu'ils n'ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive et qu'il conviendrait donc de réparer également.

54 Il convient donc de répondre à la seconde partie de la première question et à la troisième question que l'application rétroactive et complète des mesures d'exécution de la directive permet de remédier aux conséquences dommageables de la transposition tardive de celle-ci, à la condition que la directive ait été régulièrement transposée. Toutefois, il appartient au juge national de veiller à ce que la réparation du préjudice subi par les bénéficiaires soit adéquate. Une application rétroactive, régulière et complète des mesures d'exécution de la directive suffira à cette fin sauf si les bénéficiaires établissent l'existence de pertes complémentaires qu'ils auraient subies du fait qu'ils n'ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive et qu'il conviendrait donc de réparer également.

Sur les dépens

55 Les frais exposés par les Gouvernements italien et du Royaume-Uni, ainsi que par le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Pretura circondariale di Bassano del Grappa, par ordonnances du 21 mars 1995, dit pour droit:

L'application rétroactive et complète des mesures d'exécution de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, permet de remédier aux conséquences dommageables de la transposition tardive de cette directive, à la condition que la directive ait été régulièrement transposée. Toutefois, il appartient au juge national de veiller à ce que la réparation du préjudice subi par les bénéficiaires soit adéquate. Une application rétroactive, régulière et complète des mesures d'exécution de la directive suffira à cette fin sauf si les bénéficiaires établissent l'existence de pertes complémentaires qu'ils auraient subies du fait qu'ils n'ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive et qu'il conviendrait donc de réparer également.