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Décisions

CJCE, 5e ch., 3 décembre 1992, n° C-97/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Oleificio Borelli SpA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rodríguez Iglesias

Juges :

M. Zuleeg, Joliet, Moitinho de Almeida, Edward

Avocats :

Mes Darmon, Florino, Marchesini

CJCE n° C-97/91

3 décembre 1992

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 mars 1991, la société Oleificio Borelli (ci-après "requérante") a, en vertu des articles 173, deuxième alinéa, 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé, à titre principal, l'annulation de la décision de la Commission, communiquée par note n° 69915 du 21 décembre 1990, par laquelle cette institution lui a fait savoir qu'elle ne pouvait pas faire droit à sa demande de concours du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (ci-après "FEOGA"), section "orientation", exercice 1990, formulée au titre du règlement (CEE) n° 355-77 du Conseil, du 15 février 1977, concernant une action commune pour l'amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles (JO L 51, p. 1), ainsi que l'annulation de tous les actes de procédure qui ont abouti à ladite décision et, à titre subsidiaire, la condamnation de la Commission et/ou de la région de Ligurie à la réparation des dommages qui lui ont été causés.

2 Il ressort du dossier que, le 16 décembre 1988, la requérante a présenté à la Commission, par l'intermédiaire du Gouvernement italien, une demande en vue d'obtenir, sur la base du règlement n° 355-77, le concours du FEOGA, section "orientation", pour la construction d'une huilerie à Pontedassio (Imperia). Cette demande, qui avait alors obtenu l'avis favorable de la région de Ligurie, n'a pas pu bénéficier du concours du FEOGA en 1989 aux motifs que, au cours de cet exercice, le nombre des demandes avait été largement supérieur aux moyens financiers disponibles et que, compte tenu des critères de sélection applicables, elle n'avait pu être jugée prioritaire. Conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 355-77, la demande de concours de la requérante a été reportée par l'administration italienne à l'exercice 1990.

3 Par lettre du 19 janvier 1990, les autorités italiennes ont informé la Commission de l'intervention de l'avis négatif n° 109 que le conseil régional de Ligurie avait émis le 18 janvier 1990 au sujet de la même demande de concours formulée par la requérante.

4 Par note n° 69915 de la direction générale de l'agriculture du 21 décembre 1990 (ci-après "décision attaquée"), la Commission a informé la requérante que son projet ne pouvait pas être admis à la procédure d'octroi du concours, car, eu égard à l'avis négatif susmentionné, les conditions requises à cet effet, selon l'article 13, paragraphe 3, du règlement n° 355-77, n'étaient pas remplies.

5 Par ordonnance du 25 février 1992, la Cour s'est déclarée incompétente pour connaître du recours, pour autant qu'il est dirigé contre la région de Ligurie et vise l'annulation des actes de procédure nationaux qui ont abouti à la décision de la Commission.

6 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Quant aux conclusions aux fins d'annulation

7 La requérante fait valoir que la décision attaquée est illégale en raison de l'illégalité de l'avis négatif de la région de Ligurie, sur le fondement duquel cette décision a été prise. Elle estime que cet avis a été pris en violation de l'article 9 du règlement n° 355-77, dans la mesure où la région de Ligurie a procédé à une appréciation erronée des contrats de fourniture conclus avec les producteurs, qu'elle avait joints à la demande de concours. Cet avis serait en outre entaché d'un détournement de pouvoir, car les termes de sa motivation seraient différents des raisons qui ont présidé à son adoption.

8 La requérante considère que si l'irrégularité de l'avis du conseil régional de Ligurie n'avait aucune incidence sur la validité de la décision attaquée, elle serait privée de toute protection juridictionnelle, étant donné que l'avis est un acte préparatoire qui n'est pas susceptible de recours en droit italien.

9 Il convient de rappeler que, dans le cadre d'un recours introduit au titre de l'article 173 du traité, la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la légalité d'un acte pris par une autorité nationale.

10 Cette constatation ne saurait être infirmée par la circonstance que l'acte en cause s'intègre dans le cadre d'un processus de décision communautaire, dès lors qu'il résulte clairement de la répartition des compétences opérée dans le domaine considéré, entre les autorités nationales et les institutions communautaires, que l'acte pris par l'autorité nationale lie l'instance communautaire de décision et détermine, par conséquent, les termes de la décision communautaire à intervenir.

11 Tel est le cas lorsque l'autorité nationale compétente émet un avis négatif sur une demande de concours FEOGA. Il résulte, en effet, de l'article 13, paragraphe 3, du règlement n° 355-77 qu'un projet ne peut bénéficier du concours du FEOGA que s'il recueille l'avis favorable de l'État sur le territoire duquel il doit être exécuté et que, par conséquent, en cas d'avis négatif, la Commission ne peut ni poursuivre la procédure d'examen du projet, selon les règles posées par ce même règlement, ni a fortiori contrôler la régularité de l'avis ainsi émis.

12 Dans ces conditions, les irrégularités dont cet avis est éventuellement entaché ne peuvent, en aucun cas, affecter la validité de la décision par laquelle la Commission refuse le concours demandé.

13 Il appartient, dès lors, aux juridictions nationales de statuer, le cas échéant après renvoi préjudiciel à la Cour, sur la légalité de l'acte national en cause, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des tiers, et, par conséquent, de considérer comme recevable le recours introduit à cette fin, même si les règles de procédure internes ne le prévoient pas en pareil cas.

14 En effet, ainsi que la Cour l'a relevé notamment dans les arrêts du 15 mai 1986, Johnston, point 18 (222-84, Rec. p. 1651), et du 15 octobre 1987, Heylens, point 14 (222-86, Rec. p. 4097), l'exigence d'un contrôle juridictionnel de toute décision d'une autorité nationale constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

15 Or, étant donné que l'avis de l'État membre sur le territoire duquel le projet doit être exécuté est inséré dans une procédure qui conduit à l'adoption d'une décision communautaire, cet État membre est tenu de respecter l'exigence du contrôle juridictionnel susmentionné.

16 Enfin, dans la réplique, la requérante invoque à titre de moyen nouveau la violation et l'application erronée des dispositions combinées des articles 13 et 21 du règlement n° 355-77, fondé sur des éléments de fait dont elle affirme n'avoir pris connaissance qu'au cours de la présente procédure.

17 A cet égard, elle fait valoir que, lors de l'introduction du recours, elle ignorait le fait que l'avis négatif du 18 janvier 1990 était intervenu non pas au terme de l'examen de la demande de concours, mais à l'occasion du report du projet à l'exercice 1990. Or, selon la requérante, aucune disposition du règlement n° 355-77 ne prévoit l'intervention, à ce stade de la procédure, d'un nouvel avis sur la demande de concours. Par conséquent, la Commission n'aurait pas dû prendre en considération l'avis exprimé en 1990 comme une condition de mise en œuvre de la procédure visée à l'article 21 de ce même règlement.

18 Il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'avis négatif concernait la demande de concours et non le report du projet à l'exercice 1990. Dans ces conditions, le moyen invoqué par la requérante, qui procède non pas de l'intervention d'un élément nouveau en cours de procédure, mais d'une interprétation erronée de l'avis négatif et des articles 13 et 21 du règlement n° 355-77, aurait dû être invoqué dans la requête, conformément à l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Il ne saurait, dès lors, être regardé comme un moyen nouveau, au sens de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure.

19 Ce moyen doit, dès lors, être rejeté et, partant, les conclusions aux fins d'annulation dans leur ensemble.

Quant aux conclusions aux fins de responsabilité non contractuelle

20 Il convient de rappeler que les dispositions combinées des articles 178 et 215 du traité ne donnent compétence à la Cour que pour réparer les dommages causés par les institutions communautaires ou leurs agents agissant dans l'exercice de leurs fonctions. Or, il est constant qu'en l'espèce le dommage allégué résulte d'un acte pris par les autorités nationales.

21 Il y a donc lieu de rejeter les conclusions tendant à voir engager la responsabilité de la Communauté comme, par conséquent, le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

22 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.